Le livre commode des adresses de Paris pour 1692, tome 1/2
MEDECINE ORDINAIRE.
Ce qu’on doit entendre par Medecine ordinaire, est celle qui est légitimement pratiquée par gens graduez, qui se rapportent assez dans les principes et dans les maximes essentielles, pour se rendre reciproquement compte de leur conduite lors des Consultations.
M. le Premier Medecin du Roy[1], a son appartement au Jardin Roial des Plantes, où il loge quand il est à Paris[2].
[1] Depuis le 11 avril 1672, ce premier médecin du Roi étoit Daquin, dont les appointements cumulés ne s’élevoient pas à moins de 37,000 livres, suivant l’Etat de France de 1692, p. 235.
[2] Il y étoit surintendant des démonstrations des plantes, de la chimie et de la chirurgie, et touchoit à cet effet 3,000 livres, qui se confondoient avec les 37,000 de ses appointements généraux.
Il y a quelques Medecins de Sa Majesté servant par quartier[3], qui pratiquent à Paris avec beaucoup de réputation, par exemple :
[3] C’est-à-dire par trimestre. Ils étoient huit : deux par quartier, ayant chacun 1,200 livres de gages sans compter, dit l’Etat de France, « 273 livres 15 sous de livrées, chacun pour sa bouche à cour. »
Messieurs Lallier[4], rue des Prouvaires, Du Gué[5], près saint Paul, Fresquière[6], rue sainte Avoye, etc.
[4] Il étoit de service chez le Roi pendant le quartier d’avril. Il étoit aussi, selon l’Etat de France, médecin de la Bastille.
[5] Il servoit en cour, pendant le quartier d’octobre.
[6] Jean-Baptiste de Fresquières, qui étoit de service pendant le trimestre de janvier.
Messieurs du Chesne[7], rue de la Sourdière, et Armand[8], près saint Gervais, sont encore des Médecins des Maisons Roiales qui ont beaucoup d’employ à Paris.
[7] Il étoit médecin du duc de Bourgogne.
[8] Son nom étoit Souard, mais on ne le connoissoit guère que sous son prénom d’Armand. Il étoit non pas médecin, mais chirurgien, et comme tel attaché à la maison de Madame, duchesse d’Orléans.
M. Mayeux, Doyen en charge de la Faculté de Medecine de Paris, demeure ruë de Bièvre.
M. Legier, censeur de la même Faculté, demeure ruë de Grenelle, quartier saint Honoré.
Messieurs le Moine, rue des Poulies, et le Rat, rue du Four S. Germain, sont Professeurs en Chirurgie, et Messieurs Daval, rue du Monceau Saint Gervais, et de la Carlière, rue du Batoir, en Botanique et Pharmacie.
On peut recouvrer la Liste des Docteurs de cette Faculté chez le Concierge de leur Collège rue de Bucherie, qui ne comprend que des gens d’une profonde érudition, entre lesquels il y en a un grand nombre qui sont fort renommez dans le public : par exemple, Messieurs Morin[9], rue Cristine, Theüard, rue Roiale, Thuillier[10], rue de Grenelle, Finot[11], rue de la Monnoye, Mathon, à la Pierre au Lait, etc.
[9] Ils étoient deux que Lister, dans la relation de son voyage à Paris, dit être « des gens fort instruits. » L’un, né à Toulon, étoit naturaliste. L’autre, celui qui figure ici, né au Mans, étoit médecin. Ils arrivèrent presque en même temps à l’Académie des sciences. Louis Morin, le médecin, qui étoit aussi grand botaniste, mourut le 1er mars 1715 ayant près de quatre-vingts ans. Fontenelle a écrit son Eloge. (V. le t. V de ses Œuvres, p. 380.)
[10] Il étoit docteur-régent de la Faculté de médecine de Paris. Son fils Adrien eut le même titre, et fut de plus de l’Académie des sciences. (V. Fontenelle, t. V, p. 54.)
[11] C’est le même que Lister appelle Minot, et dont il dit qu’il étoit « au prince de Conti, et qu’il l’avoit autrefois connu à Montpellier. »
Messieurs Dodard, à l’Hôtel de Conty[12], et Bourdelot[13], rue sainte Croix de la Bretonnerie, ont chacun un parfait assortiment de tous les Livres de Philosophie et de Medecine.
[12] Denis Dodart, de l’Académie des sciences, né en 1634 à Paris, où il mourut en 1707. On lui doit, entre autres ouvrages, la Statica medicina gallica. C’est comme conseiller-médecin du prince qu’il logeoit à l’hôtel de Conti. Fontenelle a écrit son Eloge, t. V, p. 190.
[13] Pierre-Bonnet Bourdelot, premier médecin de la duchesse de Bourgogne, qui le gardoit près d’elle à Versailles. Lister vante son savoir, surtout pour l’histoire de la science qu’il pratiquoit, ce qui confirme ce qu’on lit ici à propos de sa riche bibliothèque : « Je citerai encore, dit-il, M. Bourdelot, médecin de la duchesse de Bourgogne, qui est bien pensionné et logé à Versailles. C’est un savant homme qui connoît parfaitement l’histoire de la médecine. »
M. de Blegny, Medecin du Roy, préposé à la recherche et vérification des Nouvelles Découvertes de Medecine, demeure au Jardin Medicinal de Pincourt, fauxbourg saint Antoine, et tient Bureau rue de Guenegaud tous les jours de relevée. Celui là est fort renommé pour les Decentes, pour les maux vénériens, pour les maladies des femmes et des enfants, pour les hidropisies, pour les Rheumatysmes inveterez, et généralement pour les maladies extraordinaires.
M. Agnan ci-devant l’un des deux Capucins qui travailloient au vieux Louvre[14], et qui a pris ses Degrez en la Faculté de Padoue, a quelques expériences pour les maladies croniques, il demeure rue et près les Incurables.
[14] Ces capucins du Louvre, comme on les appeloit, et dont Mme de Sévigné, entre autres remèdes, estimoit tant l’eau d’émeraude (édit. Hachette, t. VII, p. 411, 414), avoient été deux : le P. Agnan nommé ici, et le P. Rousseau qui étoit mort à cette époque. Le nom par lequel on les désignoit leur étoit venu de ce que le roi, sur la recommandation de Condé émerveillé de leurs remèdes, leur avoit donné un appartement et un laboratoire au Louvre, où, pendant près de deux ans, ils eurent tout le loisir de travailler. Le frère du P. Rousseau publia en 1697, in-12, un volume devenu rare : « Secrets et remèdes éprouvez, dont les préparations ont été faites au Louvre, de l’ordre du Roy, par deffunt M. l’abbé Rousseau, cy-devant capucin et médecin de Sa Majesté. » Le P. Agnan est nommé dans l’avertissement, comme « confrère et co-inventeur de notre illustre deffunt. » Il est resté de Rousseau, dans le Codex, une sorte d’hydromel fermenté et opiacé connu sous le nom de vin ou « gouttes de Rousseau. » (V. Le Vieux-Neuf, 2e édit., t. II, p. 388.) — Le curieux et rare volume publié en 1693, l’Ancienne médecine à la mode, est du capucin Aignan, qui du reste l’a signé.
M. Elvetius, Médecin Hollandois, qui donne une poudre émétique contre les cours de ventre et dissenteries, demeure rue Serpente[15].
[15] « Le médecin Hollandais, renommé pour quelques remèdes spécifiques, demeure rue Gille Cœur. » Edit. 1691, p. 15. — Le remède, auquel Helvétius dut sa réputation et sa fortune, étoit l’Ipécacuhana récemment importé du Brésil, et que lui avoit fait connoître un droguiste de Paris. Reçu docteur en médecine, et naturalisé françois, il obtint, le 19 juillet 1688, permission de débiter son remède, pendant quatre années, après épreuves faites à l’Hôtel-Dieu par Daquin, premier médecin. (Biblioth. Nat., mss. Clairambault, t. 556, p. 798.) Le roi le lui acheta ensuite une très-forte somme. Il trouva plus tard un fébrifuge excellent, et ne commença qu’alors à ne plus passer pour un empirique : « Helvétius, écrit Racine à son fils, le 24 sept. 1691, est en réputation même pour les fièvres, et il va partout comme les autres médecins. » On peut lire sur lui quelques pages curieuses dans l’Elite des Bons-Mots, 1731, in-12, t. I, p. 469. — Son fils fut le riche financier philosophe, auteur du livre De l’Esprit.
La veuve Nion, Libraire, dont l’adresse est à la première page[16], vend la Biblioteque universelle des secrets de Medecine recherchez et publiez, par ordre de M. le premier Médecin de Sa Majesté[17], le Recueil des Journaux de Médecine, le Traité Medicinal du Thé, du Caffé et du Chocolat[18], les Observations astronomiques et Medicinales qu’on doit à l’invention des lunettes d’aproche, et plusieurs autres Livres curieux à l’usage des Medicins.
[16] La veuve Nyon, dont la librairie, devenue exclusivement classique, existe encore à la même place sur le quai Conti, alors appelé quai de Nesle, avoit eu pour mari Denis Nyon, fils de Guillaume Nyon, reçu libraire en 1580. Après elle, son fils Jean-Luc dirigea sa librairie, et quand il fut mort, sa femme, autre veuve Nyon, en garda la direction jusqu’à ce qu’elle mourut en 1747. Elle s’appeloit Marie-Anne Didot, étoit fille de Denis Didot, marchand de Paris, et avoit pour frère François Didot, qui, reçu en 1713, fut dans sa boutique du quai des Augustins, à la Bible d’or, le premier libraire de la longue et illustre dynastie des Didot.
[17] L’édit. de l’année précédente donnoit plus de détails sur ce point : « On a, depuis peu, y est-il dit, par ordre de M. le premier médecin du Roi, fait un recueil général de tous les remèdes secrets, tant de ceux qui avoient déjà été publiés que de ceux qui estoient réservez en manuscrits dans les bibliothèques curieuses, ou qui avoient esté communiquez par divers particuliers aux médecins de la Société royale. Ce recueil, qui est compris en deux gros volumes in-8o, se vend six livres, chez la veuve Nion, devant l’abreuvoir Guénegaud, où l’on trouve encore tous les autres de M. de Blegny qui en est auteur. » Il nous a dit, en effet, tout-à-l’heure, qu’il étoit « préposé à la recherche et vérification des nouvelles découvertes de médecine. »
[18] Blegny, qui tout-à-l’heure fera de si belles réclames à ses remèdes, annonce ici discrètement un de ses livres, publié cinq ans auparavant, et dont voici le titre exact : Le bon usage du thé, du café et du chocolat, pour la préservation et la guérison des maladies. Lyon, 1687, in-12. L’ouvrage qui suit doit aussi être de lui, mais nous ne pouvons l’assurer.
Pour la Société Roiale de Medecine, voiez l’article des Rapports et Verifications d’Experts.
L’Histoire de la Medecine et des Medecins nouvellement publiée par M. Bernier[19], auteur de l’Histoire de Blois, se vend chez Simon Langrögne, rue saint Victor. Les premières parties de ce Livre estant comme un extrait du Dictionnaire Historique de Morery[20], on le lit avec plaisir, jusqu’à l’endroit où l’Auteur a donné de fortes atteintes à l’honneur de gens vertueux et recommandables[21], dont apparemment il a voulu se distinguer.
[19] Ce sont les Essais de médecine de Jean Bernier, auxquels il ne donna le titre d’Histoire chronologique de la Médecine, qu’à la seconde édition, en 1695. La première étoit de 1689. Il avoit fait, comme on le dit ici, une Histoire de Blois, sa ville natale.
[20] Dans le chapitre IV de la 1re partie de son livre, Bernier fait, en effet, l’histoire chronologique de la médecine et des médecins, et n’y reproduit guère que ce qu’on en lisoit dans Moréri.
[21] Les gens « vertueux et recommandables », dont parle ici Blegny, sont lui-même et ses pareils, les charlatans, que Bernier malmène d’importance dans son XIIIe chapitre : Des charlatans prétendus médecins, et des médecins charlatans. « Quant à nos empiriques, y dit-il par exemple, ce ne sont ordinairement… que des banqueroutiers, des gens ruinez ou saisis, des fugitifs, des téméraires : au moins des gens sans étude, sans principes, sans caractère. » Parmi tous ces gens, pour se reconnoître, Blegny n’avoit que l’embarras du choix, et son imprudence fut de vouloir se venger de l’attaque par l’ironique riposte qu’on lit ici, et qui lui valut de plus directes représailles. Dans l’Anti-Menagiana, publié en 1693, Bernier, qui ne l’avoit pas nommé dans ses Essais, le nomme sans pitié, et cela dès sa préface, p. 16, où, parlant de son almanach et des ennuis qu’il lui avoit attirés, il dit : « l’auteur en est Blegny, le bastillé et le bastillable. » Ailleurs, p. 118, il y revient dans une attaque contre Ménage et ses assemblées du cloître Notre-Dame, « qui, dit-il, ne sont plus guères célèbres que dans l’Almanach des adresses d’Abraham Du Pradel. » Plus loin, p. 230-231, autre attaque encore contre l’homme et son livre. Blegny, comme on voit, n’avoit gagné à se défendre que des horions nouveaux.
La Medecine pratique d’Ettemuler imprimée à Lyon en latin et en françois[22], se trouve chez presque tous les Libraires de la rue Saint Jacques.
[22] Ce sont les Institutions de médecine de Michel Ettmüller, mort en 1683.