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Le livre commode des adresses de Paris pour 1692, tome 1/2

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HOSTELS GARNIS
ET TABLES D’AUBERGES.

Il y a des Appartemens magnifiquement garnis pour les grands Seigneurs à l’Hotel de la Reine Marguerite rue de Seine[1], et à l’Hotel de Bouillon quay des Théatins.

[1] Liger, dans son Voyageur fidèle, p. 325, le met aussi au nombre des hôtels garnis renommés. Il existe encore au no 6 de la rue de Seine. C’est un pavillon détaché du magnifique hôtel que la première femme d’Henri IV s’étoit fait construire, et dont les jardins, qui s’étendoient jusqu’à la rue des Saints-Pères, ne survivent plus que par un jardinet planté de quelques arbres, où l’on descend, comme sous Henri IV, par un double perron. La façade du pavillon est restée ce qu’elle étoit. On s’est contenté de l’exhausser d’un étage, mais du même style, au-dessus duquel on a reconstruit les anciennes mansardes. Le conseiller d’Etat Gilbert des Voisins l’habitoit au XVIIIe siècle, et les Mirabeau, dont les boiseries intérieures conservent encore le chiffre, y étoient venus après lui.

Il y a encore plusieurs autres Hotels meublez en differens quartiers, par exemple, le grand Duc de Bourgogne rue des petits Augustins, l’Hotel d’Escosse rue des saints Pères, l’Hotel de Taranne, l’Hotel de Savoye, et l’Hotel d’Alby rue de Charonne, l’Hotel de l’Isle, l’Hotel de Baviere, l’Hotel de France, et la Ville de Montpellier rue de Seine, l’Hotel de Venise, et l’Hotel de Marseille rue saint Benoist, l’Hotel de Vitry, l’Hotel de Bourbon, l’Hotel de France, et l’Hotel de Navarre rue des grands Augustins[2], la Ville de Rome rue des Marmouzets, l’Hotel de Perpignan rue du Haut Moulin, l’Hotel de Tours rue du Jardinier[3], l’Hotel de Beauvais rue Dauphine, l’Hotel d’Orléans rue Mazarine, l’Hotel du saint Esprit rue de Guenegaud, l’Hotel de saint Agnan rue saint André, l’Hotel d’Hollande[4], l’Hotel de Beziers, l’Hotel de Brandebourg, l’Hotel de saint Paul et le grand Hotel de Luyne rue du Colombier.

[2] On peut remarquer que beaucoup de ces hôtels étoient dans le faubourg Saint-Germain. Les étrangers le préféroient, et les hôtels garnis s’y étoient multipliés en conséquence : « depuis que la paix étoit faite, lit-on dans les Annales de la Cour et de la Ville, pour les années 1697-1698, t. II, p. 135, il y avoit eu dans Paris un si grand abord d’étrangers, que l’on en comptoit quinze à seize mille dans le faubourg Saint-Germain seulement… Le nombre s’accrut encore bientôt de plus de la moitié, en sorte que, au commencement de l’année suivante, on trouva qu’il y en avoit trente-six mille dans ce seul faubourg. »

[3] Lisez rue du Jardinet. Cet hôtel, que Liger place avec plus de raison rue du Paon, où il en subsista des restes jusqu’aux dernières démolitions, devoit son nom aux archevêques de Tours, dont il avoit été longtemps la propriété. Vauvenargues y descendoit pendant ses congés de semestre. Les lettres que lui écrivit Voltaire portent cette adresse.

[4] C’est un des hôtels que, dans la Comtesse d’Escarbagnas, scène XI, Julie, voulant se moquer de la ridicule provinciale, lui nomme comme autant d’hôtels de grands seigneurs : « On sait bien mieux, dit-elle, vivre à Paris dans ces hôtels, dont la mémoire doit être si chère : cet hôtel de Mouhy, Madame, cet hôtel de Lyon, cet hôtel d’Hollande. Les agréables demeures que voilà ! »

On mange à table d’Auberge[5] dans presque toutes les maisons garnies cy-devant designées à vingt, à trente ou à quarante sols par repas[6] : mais l’Auteur ignore encore sur quel pied elles sont reglées chacune en particulier[7], en attendant sur cela un plus grand eclaircissement, les Provinciaux peuvent s’assurer qu’on loge et qu’on mange d’ailleurs dans les Hotels et Auberges ci-après aux differens prix qui seront marquez, par exemple :

[5] C’étoit encore le mot le plus en usage. Gourville dans ses Mémoires, 1re édit., t. I, p. 306, dit toutefois déjà « Table d’hôte », de même que les deux Hollandois qui vinrent à Paris en 1657, et dont M. Faugère a publié le curieux Journal de Voyage. V. p. 191. Nous lisons aussi dans une pièce de Dancourt : « M. Bernard. A table d’hôte, je vous entends, tant par tête. » La maison de campagne, 1688, scène XXX. En somme, c’est, je crois, suivant l’importance des hôtels et des prix qu’on disoit table d’hôte ou table d’auberge.

[6] Même les plus chères de ces tables d’hôte ou d’auberge n’étoient pas pour les délicats, qui ne vouloient que des cabarets « à gros écots », sans prix fixe. Dans les Côteaux ou les Marquis friands, qui furent joués à l’hôtel de Bourgogne, en 1665, Clidamant et Oronte, deux de ces gourmets, s’en expliquent nettement scène XI :

Oronte.
Les repas de grand prix sont bien plus agréables
Et la cherté des mets les rend plus délectables.
Valère.
A ce plaisant discours, que réponds-tu, Marquis ?
Clidamant.
Que je ne veux jamais disner à juste prix.
Léandre.
Voilà d’un vrai Marquis le parfait caractère.

[7] Selon Liger, p. 326, « ces prix fixes » ne l’étoient pas toujours. Ils varioient selon que la cherté des vivres étoit plus ou moins grande.

A quarante sols par repas à l’Hotel de Mantouë rue Mouton[8], à l’Hotel de l’Isle de France rue de Guénégaud, etc.

[8] Dans l’édit. précédente, p. 28, se trouve une autre adresse, qui est la vraie, et un plus long détail : « le sieur de La Motte, à l’hôtel de Mantouë, rue Montmartre, tient une fort bonne table à quarante sols par repas, et fournit même une seconde table aux intervenants. »

A trente[9] au petit Hotel de Luyne rue Gît le Cœur, à la Galere rue Zacharie, aux Bœufs et aux trois Chandeliers rue de la Huchette, etc.

[9] « Rue Saint-André, à l’hôtel de Chateau-Vieux. » Edit. 1691, p. 29.

A vingt à l’Hotel d’Anjou rue Dauphine, au petit S. Jean[10] rue Gît le Cœur, au Coq hardi rue saint André[11], à la Croix de fer rue saint Denis[12], au Pressoir d’or et à l’Hotel de Bruxelle rue saint Martin[13], à la Croix d’or rue du Poirier, à la Toison rue Beaubourg, etc.

[10] « Et au grand hôtel de Luynes. » Id.

[11] « Le sieur Vilain, rue des Lavandières, près la place Maubert, à la Galère. » Id. — Il a, p. 63, un petit article supplémentaire : « le sieur Vilain, marchand de vin, aussi renommé pour ses bons apprêts, demeure rue des Lavandières, à l’entrée de la place Maubert, à la Galère. »

[12] Ajoutons près de Saint-Leu. Il y a, sur un dîner à ce cabaret, un curieux sonnet de François Colletet, qui se termine par ce vers, bien digne d’un pauvre poëte, depuis longtemps à jeun :

Moi, je mange aux repas, et bois sans dire mot.

Un autre hôtel de la Croix de fer se trouvoit rue de la Harpe, adossé aux ruines des Thermes. Marmontel y logea en arrivant d’Auvergne à Paris.

[13] Conrart, chez qui se réunit d’abord la Société littéraire, où se recrutèrent les premiers membres de l’Académie françoise, logeoit près de cette auberge de la rue Saint-Martin. (Marcou, Pellisson, p. 80.) Plus d’une séance de la nouvelle Académie dut s’y terminer. Suivant Vigneul-Marville, en effet, on ne se séparoit pas sans avoir fait légèrement ripaille.

A quinze à la Ville de Bourdeaux et à l’Hotel de Mouy rue Dauphine, à l’Hotel couronné rue de Savoye, au petit Trianon rue Tictonne, à la ville de Stokolm rue de Bussy, à la belle Image rue du petit Bourbon[14], au Dauphin rue Maubuée, etc.

[14] « Rue de la Rose, à la Samaritaine. » Edit. 1691, p. 29.

A dix sols[15] au Heaume rue du Foin, au Paon rue Bourlabé, au Gaillard bois rue de l’Echelle, au gros Chapelet rue des Cordiers[16].

[15] Boileau, satire X, vers 673-676, nous dit à peu près ce qu’étoient ces auberges :

T’ai-je encore décrit la dame brelandière
Qui de joueurs chez soi se fait cabaretière,
Et souffre des affronts que ne souffriroit pas
L’Hôtesse d’une auberge à dix sous par repas.

[16] « Et à l’hôtel Notre-Dame, rue du Colombier. » Edit. de 1691, p. 29.

Il y a d’ailleurs quelques Auberges où il y a trois tables différentes, à quinze, à vingt et à trente sols par repas, par exemple, à la Couronne d’or rue saint Antoine[17], au petit Bourbon sur le quay des Ormes, et à l’Hôtel de Picardie rue saint Honoré[18].

[17] Cette auberge, très-agrandie, subsista jusqu’aux démolitions pour la prolongation de la rue de Rivoli. C’est de là que partoient les gondoles de Versailles.

[18] Un autre hôtel plus célèbre de cette rue étoit « l’hôtel Saint-Quentin », où descendit Leibnitz, lorsqu’il vint à Paris, et où logea Jean-Jacques Rousseau, dont il prit et a gardé le nom. (V. nos Enigmes des rues de Paris.) L’abbé de Marolles, dans ses Mémoires, 1755, in-12, t. I, p. 75, a parlé de ces intéressants et sérieux hôtels du quartier des Grès — la rue des Cordiers en fait partie — où se rencontroient théologiens et poëtes.

Les gens qui ne peuvent faire qu’une très mediocre dépense, trouvent d’ailleurs dans tous les quartiers de Paris de petites Auberges où on a de la soupe, de la viande, du pain et de la biere à suffisance pour cinq sols[19].

[19] Liger, p. 327, employant un mot que Saint-Simon emploie aussi d’ailleurs, appelle franchement ces « petites auberges » gargotes, « où l’on vit, dit-il, à la portion, à si petit prix que l’on veut. » On avoit eu aussi déjà l’idée d’une sorte de grande marmite économique, pour des soupes, au meilleur marché possible. V. Helvétius, Traité des Maladies, chap. Bouillon pour les pauvres. — Dans les auberges à cinq sous le dîner, on logeoit, suivant d’Argenson, à un sou la nuit. Marivaux ne donne pas d’autre gîte à son Paysan parvenu arrivant à Paris : « Je me mis, lui fait-il dire avec sa préciosité ordinaire, dans une de ces petites auberges à qui le mépris de la pauvreté a fait donner le nom de gargote. »

FIN DU TOME Ier.

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