Le livre commode des adresses de Paris pour 1692, tome 1/2
AVERTISSEMENT.
L’auteur ne s’étoit pas trompé en présumant que son ouvrage seroit jugé généralement utile ; l’approbation du public et le débit qui s’en est fait en sont de fortes preuves ; il s’en trouve très honoré, et il se propose d’en être autant reconnaissant qu’on le peut désirer. Il vient de redoubler ses soins et ses recherches pour le rendre plus exact et plus complet : il en fera de même dans les années suivantes ; il examinera par luy-même les mémoires qui luy seront donnés, et il préviendra par cette précaution, le reproche qu’il s’est attiré l’année précédente, pour s’en être tenu aux protestations de quelques personnes qui lui avoient donné de fausses adresses, et qui avoient attribué à certains artisans une réputation qu’ils n’avoient pas encore acquise.
Il ne faut pas croire néanmoins qu’il prétende demeurer garand du mérite des personnes qu’il doit indiquer. C’est le public qui donne la réputation. Il est luy-même responsable de ses propres injustices. Un particulier n’est pas en droit de s’opposer au torrent de la voix publique quand même il seroit assez téméraire pour le faire, il ne seroit pas écouté. Il s’agit ici uniquement des adresses de personnes renommées. Il suffit qu’un nom ait été célébré pour avoir place dans cet Opuscule : et il n’est pas permis à l’Auteur d’y ajouter celui dont on n’a pas encore parlé, quand même il appartiendroit au plus digne homme d’une profession.
La seule omission qu’on pourroit reprocher à l’Auteur, est celle de n’avoir rien dit d’un grand nombre de personnes qui ont acquis dans le Commerce et dans les Arts une distinction particulière ; mais il ne tiendra qu’à ces personnes mêmes ou à leurs amis, qu’il ne leur rende là-dessus bonne justice l’année prochaine, et elles peuvent même s’assurer qu’elles auroient été prévenues dès la première édition de cet Ouvrage, si l’Auteur eut été assez intrigué[76] dans le monde, pour savoir tout ce qui mérite d’être connu.
[76] Nous dirions aujourd’hui « lancé ». Boileau, dans l’Art poétique, chant III, a donné à ce mot le même sens :
Un Médecin et quelques autres personnes indiquées dans l’édition précédente, avoient trouvé mauvais qu’on se fut étendu sur leurs talens autant qu’on avoit cru le devoir faire. Elles connaîtront par celle-ci, qu’on a eu soin de flatter leur modestie, autant qu’elles le pouvoient raisonnablement désirer.
Il auroit été à souhaiter qu’on eut pu suivre l’ordre de dignité en parlant des Compagnies, des personnes et des professions ; mais outre qu’il pourroit y avoir des contestations à l’infini sur les rangs et sur les préséances, il auroit été presque impossible à l’Auteur de s’en assurer, quand même il y auroit quelque certitude ; c’est pourquoi il a dû avertir qu’il a traité sans aucune distinction de droits ni de mérite, toutes les différentes choses qui sont le sujet de cet Ouvrage, ce qui doit contenter ceux qui ne se trouveront pas dans l’ordre qui leur conviendroit en autre chose.
Comme on s’est proposé en ceci de donner annuellement au public toutes les instructions qui luy sont nécessaires sur les choses sujettes à mutations, on ne sera pas surpris d’y trouver les vacations des Tribunaux et le prix des matereaux et des ouvrages concernant les batimens : car si d’un côté ces choses ne sont pas du genre de celles qu’on doit indiquer par des adresses, elles sont du moins de celles qui peuvent être changées en quelques circonstances.
Ceux qui prétendent que l’Auteur auroit dû comprendre dans cet ouvrage, tout ce qui est contenu dans les listes des Tribunaux et dans les catalogues des Compagnies et des Communautés, devroient se ressouvenir de la protestation qu’il a faite de servir tout le monde sans nuire à personne, et réfléchir sur le tort qu’il feroit à ceux qui ont accoutumé de vendre ces listes et ces catalogues ; outre que le seul recueil qu’on en feroit composeroit un trop gros volume pour un simple manuel journalier, et qu’ainsi il étoit plus expédient et plus raisonnable d’indiquer seulement, comme il a fait, les sièges où l’on peut recouvrer les listes et les Bureaux où l’on peut trouver les catalogues.
Sur ces deux considérations que l’Auteur ne veut nuire à personne, et qu’il ne s’est proposé de traiter que les choses sujettes à mutations, on peut inférer qu’on ne trouvera dans cet Ouvrage, ni la situation des Eglises, ni la description des Palais, des Hotels, des Fontaines, ni des autres Edifices de Paris, puis que ce seroit dérober le sujet de M. le Maire à qui nous devons un Livre en trois volumes, qui a pour titre Paris ancien et nouveau[77], et celui de M. l’abbé Brice, qui nous a donné une description de la Ville de Paris[78], et que d’ailleurs ces choses ne regardent qu’indirectement les commoditez qui doivent satisfaire les besoins ausquels on s’est proposé de pourvoir.
[77] Il avoit paru, in-12, en 1685. Voici le titre complet : Paris ancien et nouveau, avec une description de tout ce qu’il y a de plus remarquable dans toutes les églises, communautés, palais, maisons, rues, places, etc. D’après le P. Lelong et les éditeurs de la neuvième édition du livre de G. Brice, dont nous parlerons dans la note suivante, cet ouvrage de Le Maire n’est guère qu’une copie, en style moins ancien, des Antiquités de Paris du P. Du Breul.
[78] Elle avoit été publiée en 1684, c’est-à-dire un an avant le livre de Le Maire, en 2 vol. in-12, sous le titre de : Description nouvelle de ce qu’il y a de plus remarquable dans la ville de Paris, par M. B… L’auteur, Germain Brice, qui se déroboit sous cette initiale, portoit, sans être prêtre, l’habit ecclésiastique, c’est pourquoi il est ici appelé abbé. Il se mettoit au service des étrangers de qualité pour leur apprendre le françois et leur faire voir Paris, ce qui, disent avec bonhomie ses éditeurs posthumes, lui valoit « de la part de ces seigneurs des reconnoissances utiles ». Son livre avoit eu huit éditions, et, toujours s’augmentant, étoit monté de deux volumes à quatre, lorsqu’il mourut en 1727, à soixante-quatorze ans. La neuvième édition qu’il préparoit ne fut achevée par Mariette, dit-on, et l’abbé Perrault qu’en 1751 et fut publiée l’année suivante. C’est un ouvrage très-utile et qu’il est bon surtout de suivre dans toutes ses transformations de 1684 à 1752. — Nous ajouterons que Brice n’étoit pas seul à faire le métier de cicerone parisien, almanach des adresses allant et venant au service de chacun. Le Novitius, dictionnaire latin-françois de 1721, nomme, au mot Nomenclator, un certain Herpin, qui gagnoit sa vie de la même manière : « C’est un homme qui enseigne à Paris les noms et les demeures des gens de qualité ».
Au surplus, comme ce Livre sera chaque année publié dès les premiers jours du mois de Novembre, et qu’on en commencera par conséquent l’impression dès le commencement d’Aoust, il serait inutile d’envoyer des mémoires ni pour les nouvelles adresses, ni pour les mutations passé la S. Jean, l’Auteur ayant besoin d’un temps considérable pour diriger sa matière.