Le livre commode des adresses de Paris pour 1692, tome 1/2
MATIERES MEDÉCINALES
SIMPLES ET COMPOSÉES.
Les Marchands Epiciers qui s’attachent particulièrement à la Droguerie medecinale[1], sont pour la plu-part dans la rue des Lombards : par exemple, Messieurs Tranchepain, Vilain et Michon.
[1] Les épiciers, sous prétexte de drogueries, s’étoient faits de véritables apothicaires, mais cela n’alla pas sans procès. Il y en eut un notamment fort grave entre ces rivaux de la pilule et des drogues, en 1633. Gui Patin en a parlé. (V. ses Lettres, anc. édit., t. I, p. 38, et II, p. 134.) A Paris, l’affaire s’arrangea ; mais un siècle après, elle se ralluma en province, à Chartres, où le démêlé entre les épiciers et les apothicaires fit très-grand bruit en 1758. On en trouvera quelques détails dans l’Année littéraire de Fréron, 1758, t. VIII, p. 256. Pendant que les apothicaires de province contestoient aux droguistes la vente des remèdes, les droguistes de Paris faisoient la même querelle aux religieux carmes ou jésuites qui s’étoient mis avec eux en concurrence : « les jésuites, écrit Voltaire à Thiriot le 15 septembre 1768, eurent, il y a quelques années, un procès avec les droguistes de Paris, pour je ne sais quel élixir qu’ils vendoient fort cher, après avoir vendu de la grâce suffisante qui ne suffisoit point, tandis que les jansénistes vendoient de la grâce efficace sans efficacité. Ce monde est une grande foire, où chaque Polichinelle cherche à s’attirer la foule ; chacun enchérit sur son voisin. »
Il y a néanmoins de ces Droguistes en quelques autres endroits de la Ville : par exemple, Messieurs Andry, rue de la vieille Bouclerie[2], Brousset, rue neuve saint Mederic[3] ; Moulin, rue des trois Maures ; Boileau, rue des Lavandières[4], etc.
[2] Son fils, qui se faisoit appeler Andry de Boisregard, publia, en 1738, un volume sous ce titre : Cléon à Eudoxe, touchant la prééminence de la médecine sur la chirurgie.
[3] « Au coin de la rue Macon. » Edit. 1691, p. 32.
[4] « Quartier Sainte-Opportune. » Ibid.
Les uns et les autres vendent en gros et en détail, généralement tout ce qui peut faire le sujet des opérations de la Pharmacie et de la Chimie, à l’exception de quelques métaux dont il sera parlé dans un chapitre à part ; de la plûpart des herbes qui sont vendues dans les Halles et Marchez par les Herboristes, et des fleurs qu’on trouve dans leurs temps le matin, rue aux Fers près saint Innocent, ou chez les Fleuristes ou Bouquetières.
Les Maitres et Gardes en Charge de l’Apoticairerie, sont Messieurs Clément à l’Hôtel de Soissons ; Gaillard, rue saint Honoré près saint Roch, et Martel, rue saint Avoye.
Et ceux de l’Epicerie et Droguerie sont Messieurs Harland, rue saint Jacques de la Boucherie ; Boudet, rue saint Martin ; et Chabouillé, rue de la Cordonnerie.
Les Apoticaires et les Epiciers qui ne composent ensemble qu’un même corps, ont leur Bureau au petit cloître sainte Opportune.
Il y a plusieurs Apoticaires de cette Communauté qui se piquent d’avoir chez eux un grand assortiment de préparations Chimiques et Pharmaceutiques : par exemple,
Messieurs Geoffroy, ruë Bourtibourg[5], et Bolduc[6], rue des Boucheries saint Germain, qui opère au Jardin Royal des Plantes.
[5] Mathieu-François Geoffroy, qui avoit été échevin en 1785. Il se tenoit chez lui des assemblées de savants, dont Fontenelle, dans l’éloge qu’il écrivit de son fils, a fait ressortir toute l’importance (t. VI, p. 487) : « M. Cassini, dit-il, y apportoit ses planisphères, le P. Sébastien ses machines, M. Joblot ses pierres d’aimant, M. Du Vemey y faisoit ses dissections, et M. Homberg des opérations de chymie… Ces conférences parurent si bien entendues et si utiles, ajoute-t-il, qu’elles furent le modèle et l’époque de l’établissement des expériences de physique dans les colléges. » Lister, au chapitre XI de son Voyage à Paris, a décrit ainsi l’apothicairerie de Geoffroy : « Elle est, dit-il, dans la rue Bourgthibourg : l’entrée de la basse-cour est par une porte cochère avec des niches, où sont de grands vases de cuivre. Quand vous êtes entré, vous trouvez des salles ornées d’énormes vases et de mortiers de bronze, qui sont là autant pour la parade que pour l’usage. Les drogues et les préparations sont en des armoires rangées autour de ces pièces. Sur les derrières sont des laboratoires très-propres et parfaitement montés. » Lister parle ensuite du fils de Geoffroy, qu’il avoit vu en Angleterre, où il étoit allé avec le comte de Tallard. Il le considère comme un jeune homme de la plus belle espérance, ce qu’il ne démentit pas. Il arriva, comme médecin, à l’Académie des sciences, et, nous l’avons dit, Fontenelle fit son éloge.
[6] Saint-Simon, dont il étoit l’apothicaire, en faisoit le plus grand cas : « C’étoit, dit-il (Mémoires, édit. Hachette, in-18, t. VI, p. 238), un excellent apothicaire du Roy, qui, après son père, avoit toujours été et étoit encore le nôtre avec un grand attachement, et qui en savoit pour le moins autant que les meilleurs médecins, comme nous l’avons expérimenté, et avec cela beaucoup d’esprit et d’honneur, de discrétion et de sagesse. »
M. Bourdelin Apoticaire de l’Academie Royale des Sciences, a pareillement une Apoticairerie fort complette dans sa maison rue de Seine à saint Germain des Prez[7].
[7] Claude Bourdelin, né à Villefranche, près de Lyon, en 1621, mort à Paris en 1699. Il fut, comme chimiste, de l’Académie des sciences, dès sa fondation en 1666. Fontenelle, qui a écrit son éloge (t. VI, p. 48-50), dit « qu’il fit voir à l’Académie près de deux mille analyses de toutes sortes de corps. » Il le vante aussi, comme apothicaire, « pour l’exacte et fidelle préparation des remèdes, qu’il distribuoit, dit-il, à tout le monde, à un prix égal et très-modique. »
Il en est de même de M. Habert Syndic en Charge des Apoticaires des Maisons Royales, qui fait souvent des Cours publics de Chimie en son Laboratoire, nie du Four à saint Germain des Prez.
M. Rouviere Apoticaire ordinaire du Roy et des Camps et Armées de Sa Majesté[8], qui n’est pas moins curieux dans sa profession et qui a fait deux préparations publiques de la Theriaque d’Andromachus[9] avec un applaudissement général, vend d’ailleurs une Eau vulnéraire qui est d’un très grand effet dans les playes d’arquebusade, ruë saint Honoré près saint Roch[10], où il a une boutique d’une propreté extraordinaire.
[8] Il fit un cours public de chimie, en 1706, au Jardin des Apothicaires, rue de l’Arbalète, près de la rue Mouffetard. On lui dut plusieurs découvertes. Il étoit, d’après l’Etat de France de 1692, p. 354, non-seulement apothicaire « des camps, hôpitaux et armées », mais aussi du Dauphin. Il se faisoit appeler Henry de Rouvière.
[9] On attribuoit, d’après Galien (De antidotis, lib. I), la composition très-compliquée de la Thériaque, dont le nom venoit de la morsure des bêtes venimeuses, thêra, qu’elle guérissoit, au médecin de Néron, Andromachus. C’étoit une espèce d’opiat ou d’électuaire liquide composé de drogues choisies, dont on finit par faire une sorte de panacée. A Venise, les magistrats présidoient à sa composition. Aussi est-ce de là que venoit, on le verra plus loin, celle qui inspiroit le plus de confiance. A Paris, comme il est dit ici, la préparation s’en faisoit chaque année publiquement, et il en fut ainsi jusqu’à la Révolution. (V. les Mémoires secrets, t. XXVI, p. 246.) Le célèbre Moïse Charas commença sa réputation par un ouvrage sur le fameux remède : Thériaque d’Andromaque, avec des raisonnements et observations nécessaires sur l’élection, la préparation et le mélange des ingrédients, Paris, 1668, in-8.
[10] Il avoit, comme confrère et voisin, sur la même paroisse, « un apothicaire-épicier », Claude-François Péaget, dont il tint sur les fonts, le 27 décembre 1685, la fille Marie-Charlotte, qui devint la femme de Crébillon le tragique, et la mère de l’auteur du Sopha. (Jal, Dict. critique, p. 455.)
M. Lemory[11] célèbre par son livre[12] et par ses Cours de Chimie[13], qui a esté gratifié d’un Privilège du Roy, en faveur de sa conversion[14], continue ses exercices, et la distribution de ses préparations Chimiques, et du sel policrete de M. Seignette, chez luy au bas de la rue saint Jacques[15] où il vend son Livre, qu’on trouve d’ailleurs chez Estienne Michalet près la fontaine saint Severin.
[11] Lisez Lémery. Il s’agit, en effet, du rouennais Nicolas Lémery, qui fut de l’Académie des sciences, de 1699 à 1715, époque de sa mort, et, quoique simple apothicaire, y jeta le plus vif éclat. Parmi ses remèdes, qui furent très à la mode, et qui l’enrichirent, se trouvoit le magistère de Bismuth, qui, tout seul, eût suffi à sa fortune. Ce n’est pourtant, comme dit Fontenelle (t. V, p. 393), « que ce qu’on appelle du blanc d’Espagne » ; mais il n’y avoit que lui qui en eût alors le secret à Paris.
[12] C’est son Cours de chimie publié en 1675, et dont le succès fut tel que, suivant Fontenelle, « il se vendit comme un ouvrage de galanterie ou de satire. »
[13] La chimie, science alors nouvelle et par conséquent à la mode, lui attira l’affluence la plus choisie : « Il en ouvrit, dit Fontenelle, des cours publics dans la rue Galande, où il se logea. Son laboratoire étoit moins une chambre qu’une cave et presque un antre magique éclairé de la seule lueur des fourneaux ; cependant l’affluence du monde y étoit si grande, qu’à peine avoit-il de la place pour ses opérations. »
[14] Il étoit de la religion, et la Révocation de l’édit de Nantes l’avoit d’autant plus atteint, que tout protestant y avoit perdu le droit de s’occuper de la médecine et de ce qui en dépendoit. Lémery qui, deux ans auparavant, avoit séjourné en Angleterre, songea d’abord à y retourner avec tous les siens, mais il se décida enfin pour la conversion, dont on parle ici. Dans les premiers mois de 1686, c’étoit chose faite.
[15] Au coin de la rue Galande. V. l’avant-dernière note.
M. de Blegny fils Apoticaire ordinaire du Roy sur le quay de Nesle au coin de la rue de Guenegaud, tient aussi un assortiment complet de toutes les compositions, extraits, eaux distillées, sels, et Magisteres de la Pharmacie Galenique, et de la Chimie, tant de la préparation de Paris, que de celle de Montpellier, de Provence, d’Italie, etc., aussi bien que les Baumes verts, noirs, et blancs du Pérou, de Judée, etc.[16]
[16] « L’eau générale contre les vapeurs de l’un et l’autre sexe, la crème de perles qui oste les boutons et rougeurs du visage, l’opiatte de corail qui entretient la beauté et la bonté des dents ; la véritable eau de la reyne d’Hongrie et le vrai sirop de capillaires de Montpellier, le chocolat dégraissé, la thériaque de Venise, le baume apoplectique d’Angleterre, le baume blanc, le baume vert et le baume du Pérou ; la pommade qui amortit les héméroïdes, la poudre de vipère et les vipères mêmes, la pommade contre les dartres, les parfums de toutes espèces, les essences de romarin, de sauge, de rhue, d’anis, de fenouille, et autres essences fortes venant de Montpellier, la fleur de thé, l’eau impériale et toutes autres eaux distillées, l’emplastre contre les loupes et ganglions, le sirop de caffé, la panacée mercurielle, la poudre sternutatoire, l’huile de palme. » Edit. 1691, p. 19.
C’est le seul artiste à qui les descendans du Signor Hieronimo de Ferranti Inventeur de l’Orvietan[17], ayent communiqué le secret original[18].
[17] C’est un électuaire qui avoit été apporté, en 1647, par le charlatan d’Orvietto, dont le nom se trouve ici, et qui fut surtout connu par son surnom Orvietano, qui devint bientôt celui de son remède. On le croyoit bon surtout contre les poisons et contre les maléfices. C’est pour cela que le Sganarelle de l’Amour médecin veut en faire prendre à sa fille.
[18] « L’orviétan original d’Italie, dont la dispensation luy a été communiquée par le seignor Hieronimo Cei, dernier héritier du secret. » Edit. 1691, p. 19.
Il dispense aussi tous les Remedes achetez et publiez par ordre du Roy.
Une conserve et une liqueur pour la guérison des phtisiques et des poulmoniques[19].
[19] « La conserve balsamique qui guérit presque tous les poulmoniques en six semaines. » Id., p. 17.
Une tizanne filtrée pour purger doucement et agréablement la bile, la pituite et généralement toutes les superfluitez.
Une Eau vulnéraire qui guérit le Scorbut et les Ulcères de la gorge, les Cancers, les Ecroüelles ulcérées, la Teigne et les Ulcères malins et variqueux des jambes et d’ailleurs[20].
[20] Dans l’édit. précédente, p, 17, c’est à « l’emplâtre philosophique » que sont attribuées toutes ces vertus.
Une Eau anodine qui appaise avec une promptitude surprenante la douleur des dents, toutes les espèces de Coliques, les Véroliques[21], les Rhumatismes, les Douleurs causées par le mercure, la Sciatique, et les Gouttes des mains et des pieds.
[21] C’étoit la grande clientèle de l’époque. Ceux qui prétendoient la guérir, faisoient courir par de petits Savoyards, selon Palaprat dans la préface de sa comédie des Empiriques jouée en 1697, des billets imprimés du genre de celui-ci : « M. Mercurini, napolitain, guérit sûrement, promptement, agréablement, et sans obliger à garder la maison, toutes sortes de maladies secrètes… M. Mercurini voit les hommes. Madame Mercurini voit les femmes. » Il nous semble bien que ce sont M. et Mme Blégny, d’autant mieux que l’on trouvera plus loin un spécifique de leur façon, « qui guérit promptement, sûrement » lesdites maladies. On a vu, d’ailleurs, plus haut, p. 13, que le remède de Blégny étoit le mercure, ce qui justifieroit le nom de Mercurini que lui donne Palaprat.
Une Liqueur de jouvence[22] qui rectifie les constitutions vicieuses, qui désopile les viscères obstruez, qui corrige les deffauts de la digestion, qui guérit radicalement le vertige, la migraine et les vapeurs, qui regle les excrétions, en un mot qui rajeunit comme une espèce de fontaine de jouvence.
[22] Il y a dans le chap. XIII de la 1re partie des Essais de médecine de Bernier, quelques lignes contre « une eau de Jouvence », qui pourroit bien être cette liqueur de Blégny.
Une Eau dissenterique d’une vertu infiniment audessus de la Racine emétique, puis que sans faire vomir ni causer la moindre incommodité, elle arrête infailliblement en une ou deux prises toutes sortes de cours de ventre, de flux de sang et de dyssenteries.
Un Spécifique infaillible pour prévenir et pour guérir promptement, seurement et infailliblement les Maladies Vénériennes.
Des grains et des liqueurs balsamiques pour la guérison des gonorrhées, des pertes blanches, de l’impuissance venerienne, de l’incontinence d’urine[23], etc.
[23] « Des grains balsamiques qui préviennent et qui rectifient toutes espèces de pourriture intérieure, qui consolident les ulcères des reins, des urètres, de la vessie et du canal urinaire, qui arrêtent les gonorrhées habituelles, qui fortifient tous les nerfs, qui réparent l’impuissance de Venus, qui épuisent les pertes blanches, et qui contribuent très-efficacement à la guérison des descentes et des paralisies. » Edit. 1691, p. 16-17. — Cet article y est précédé de celui-ci : « les grains dépuratifs, qui dépurent la masse du sang, qui desobtruent les viscères et les vaisseaux sanguinaires, qui règlent toutes les fonctions naturelles, qui amortissent les levains et qui abaissent les vapeurs, enfin qui corrigent tous les vices habituels d’une mauvaise constitution. »
Une Epreuve végétale[24] qui guérit à jamais la douleur et la carie des Dents.
[24] « Une essence végétale… » Id., p. 17. On y lit à la suite de cet article : « l’eau rouge de la reine d’Hongrie, qui appaise les douleurs de la goutte et des rhumatismes en fortifiant toutes les parties… le sirop de vanille, qui a une propriété singulière contre la toux et contre les fluxions de poitrine. L’antidote universel qui survient (subvient) à toutes les maladies des pauvres gens et de leurs bestiaux. Le sirop de thé fébrifuge qui arrête sans retour, en très-peu de prises, toutes les espèces de fièvres intermittentes. Le Trésor d’Esculape, qui contient dans un très-petit volume une excellente panacée et divers autres remèdes expérimentez, pour survenir (subvenir) à toutes les occasions pressantes et subites. »
Une Eau hysterique qui abaisse les vapeurs des femmes et qui les delivre sur le champ des plus violentes suffocations et de la plupart des mauvais travaux.
Les Eaux d’Ange[25], de Cordoüe, d’Amarante, de fleurs d’Oranges, de Thim, et généralement les Eaux odoriférantes et medecinales qui servent aux cassolettes philosophiques, pour parfumer et des-infecter les chambres, et pour guérir les maladies de sympathie[26].
[25] On l’appeloit ainsi, parce que c’étoit l’eau de senteur par excellence, l’eau des Anges. On la faisoit avec de l’iris de Florence, du benjoin, du storax, du sental citrin, etc., sur lesquels on versoit des eaux de rose et de fleurs d’orange distillées.
[26] Cet article est beaucoup plus curieux dans l’édit. de 1691, p. 17, surtout pour les « cassolettes philosophiques. » Blégny, comme on va voir, ne les appelle alors que « cassolettes royales. » Il parle d’abord d’une sorte d’appareil pour le café et le chocolat, dont l’invention rappelle singulièrement celle de nos « caléfacteurs », et devoit être d’une grande commodité pour les gens qui aimoient comme certain gourmet de Regnard à porter « cuisine en poche. » Voici ces deux articles : « les caffetières et chocolatières portatives, qui n’occupent à peine qu’une seule poche, et ne laissent pas de contenir tout ce qu’il faut de thé, de caffé, de chocolat et de sucre pour faire trois prises de chaque boisson, la lampe, le fourneau, l’esprit de vin, le fusil, les gobelets, les soucoupes, les cuillères, etc. — Les cassolettes royales, par lesquelles on réduit très-agréablement et très-utilement en vapeur les eaux d’Ange, de Roses, de Cordoue, de fleurs d’Orange et d’Amaranthe, pour parfumer et désinfecter les chambres sans fumée et à très-peu de frais, au moyen d’une lampe à esprit de vin, au-dessus de laquelle on place sur deux petites consoles de cuivre, un globule de cristal ayant un bec alongé, par lequel ces liqueurs sont attirées au-dedans du globule dès qu’on lui a fait ressentir quelque chaleur que ce soit, et par lequel aussi elles sont ensuite exhalées en vapeur presque imperceptibles, par la flamme de la lampe, qui les fait bouillir jusqu’à leur entière consommation sans casser le globule, ce qui est d’un effet fort plaisant, mais principalement pour les malades, à qui l’on peut faire respirer par ce moyen un air chargé de liqueurs médicamenteuses qui conviennent à leurs indispositions. »
Plusieurs Remèdes infaillibles pour guerir très promptement les Decentes, sans opération, sans rien prendre par la bouche, et quelquefois sans bandage[27] ou sans retraite[28].
[27] V. sur les bandages ou brayers, depuis le moyen-âge jusqu’au XVIIe siècle, le Vieux-Neuf, 2e édit., t. I, p. 134, et plus haut p. 13.
[28] « A cause de quoy il a pareillement établi la manufacture royale des bandages à vis et à ressort qui arrêtent les descentes que les bandages ordinaires ne peuvent arrêter, et qui contribuent beaucoup par cet assujétissement à la guérison de ces maladies. » Edit. 1691, p. 16.
Une Eau diûrétique pour la dissolution et l’expulsion des glaires, du gravier et de la pierre des reins et de la vessie, et un grand nombre d’autres spécifiques expérimentez pour les maladies des yeux, la sourdité, les bourdonnemens d’oreilles, les ulcères du nez, les loupes, les signes, les porreaux, etc.
Une Eau et un Sel fébrifuges, qui guérissent les fièvres sans retour en très peu de prises.
Tous ces Remèdes sont distribuez dans des bouteilles et boëttes cachetées[29], sur lesquelles on fait coller l’imprimé qui enseigne leurs vertus et leurs usages[30].
[29] Ces boîtes étoient toujours très-soignées, aussi disoit-on proverbialement : propre comme une boîte d’apothicaire. C’est ce qu’au temps de Rabelais on appeloit des Silènes : « Silenes estoyent, dit-il (Liv. I, prologue), petites boytes, telles que voyons de présent ès bouticques des apothecaires, paintes au dessus de figures joyeuses et frivoles, comme des harpyes, satires, oysons bridez, lièvres cornuz, canes bastées… et aultres telles painctures contrefaictes à plaisir pour exciter le monde à rire… mais au dedans, l’on reservoit ces fines drogues, comme baulme, ambre gris, amomon, muscq, zivette… » Silènes passoient aussi pour boîtes à secret. Erasme se servit du mot dans ce sens, lorsqu’il fit, en 1527, son petit livre les Silènes d’Alcibiade. (V. le Bulletin du bibliophile, 1857, p. 152.)
[30] On ne fait pas autrement aujourd’hui pour les boîtes de pâte de Regnault, et autres.
Une personne solvable qui connoit la vertu de ces Remedes, s’oblige quand on le veut d’en payer la valeur en l’acquit des malades en cas qu’ils ne guérissent pas, pourvu qu’ils conviennent de les payer au double pour une parfaite guérison.
Le Sieur Fillesac, rue de la Bucherie joignant les Ecoles de Medecine, vend toutes sortes d’Eaux minérales artificielles[31].
[31] « On trouve d’ailleurs des eaux de Forge, rue de la Truanderie, au bureau du Messager de Forge. » Edit. de 1691, p. 19. — Les eaux minérales artificielles sont vivement moquées par Bernier dans ses Essais de médecine, 1re part, chap. XIII. On les fait, dit-il, avec beaucoup d’eau pure et un peu de vitriol — nous dirions aujourd’hui d’acide sulphurique ; — or, les limonades gazeuses ne se font pas aujourd’hui autrement. Les eaux minérales de Fillesac n’étoient donc qu’une sorte de limonade gazeuse. On trouve un curieux prospectus imprimé de sa drogue en bouteille dans les Mss. de la collection Delamarre, no 21, 738, ad finem. Un certain Barbereau, que La Bruyère a désigné par B. B. dans son chapitre des Jugements, § 21, lui fit concurrence. Dès 1670, il étoit connu. Nous trouvons aux Mss. de la Bibl. nat., dans un des registres du Secrétariat, une permission, en date du 12 avril 1670, donnée « au sieur Barbereau, médecin ordinaire du Roy, de vendre et debiter les remèdes de son invention. »
Les Eaux distilées, le Cristal minéral, la Crême de tartre, le Sel policreste ordinaire, et généralement les Drogueries Chimiques se vendent en gros chez le Sieur Courtier au cul de sac des petits Carreaux.
Les huiles d’amandes douces, de noix, de semences froides, de pavôts, et autres tirées sans feu, sont extraites et vendues aux Apoticaires et Droguistes par un Epicier qui demeure rue Montmartre près l’égout, et par un autre qui demeure au carrefour saint Benoist, quartier saint Germain.
Les essences fortes et les huiles grasses de Provence et de Montpellier sont commercées par le Sieur Verchant devant saint Honoré, et par les Provenceaux du cul de sac saint Germain l’Auxerrois[32].
[32] Ce cul-de-sac existe encore presque en face du chevet de Saint-Germain-l’Auxerrois, rue de l’Arbre-Sec. Après avoir quatre ou cinq fois changé de nom depuis le XIIIe siècle, il prit, pour ne plus le quitter, celui de Cul-de-sac des Provençaux, qu’il doit aux marchands d’huiles et d’essences de Provence, que nous trouvons ici, et dont il sera reparlé.
L’Esprit de vin est commercé en gros à la devise Royale, sur le quay de Nesle ; chez le Sieur Butet, devant saint Roch ; et chez la veuve des Barres, rue S. André.
Les Eaux de vie sont aussi commercées en gros par ledit sieur Butet, et encore par les Sieurs Hazon, rue saint Martin[33], et Frotin, rue des Canettes.
[33] La famille Hazon étoit d’Orléans, dont les eaux-de-vie furent si longtemps célèbres. C’est le père de celui que nous trouvons ici, qui avoit osé répondre à Colbert l’interrogeant, lui et les négociants de Paris et des villes voisines « sur le moyen de rétablir le commerce : — Je vous dirai franchement, Monseigneur, que, lorsque vous êtes venu au Ministère, vous avez trouvé le chariot renversé, et que, depuis que vous y êtes, vous ne l’avez relevé que pour le renverser de l’autre côté. » Le ministre fit grise mine, ce qui empêcha non-seulement Hazon d’achever, mais les autres de rien dire. (Amelot de la Houssaye, Mémoires histor., t. II, p. 365.)
Le Sieur Guyon Apoticaire Epicier à la place Maubert, et un autre au cimetiere saint Jean, font venir des vipères en vie de Poitiers[34].
[34] La vipère entroit pour une grande part dans les préparations de la polypharmacie du XVIIe siècle, surtout dans celles qui devoient combattre la blessure même faite par la morsure des vipères. C’étoit de l’homœopathie par anticipation. Il entroit aussi des trochiques de vipères dans la composition de la thériaque. L’apothicaire Charas, dont nous avons parlé, p. 167, et qui fut si célèbre, avoit, pour cela, donné à sa boutique de la rue des Boucheries, au coin de celle du Cœur-Volant, des Vipères d’or pour enseigne. Cette apothicairerie fameuse, dont le titulaire étoit encore un Charas en 1777, n’a cessé d’exister qu’au commencement de ce siècle.
M. Alary Apoticaire[35] privilegié du Roy, qui (par l’infidelité de ses Commis) s’est trouvé mal des Bureaux qu’il avoit établi dans les Provinces, pour la distribution de ses tablettes fébrifuges[36], et de son Sirop purgatif de la bile, ne laisse pas d’en continuer la distribution chez luy au bout du pont saint Michel devant le quay des Augustins à l’enseigne du Page du Roy.
[35] « De Grou en Provence. » Edit. de 1691, p. 18. — Son fils, l’abbé Alary, fut de l’Académie française, et président du club philosophique, qui se tenoit chez lui, à l’entre-sol de l’hôtel du président Hénault, place Vendôme, d’où lui étoit venu le nom de Club de l’entre-sol. L’abbé de Longuerue l’avoit stylé à l’érudition : « Il se mit, dit le marquis d’Argenson, dans ses Mémoires (édit. Jannet, t. I, p. 65), il se mit à dicter à l’abbé Alary, qui n’étoit alors qu’un petit garçon, fils de son apothicaire, trop heureux d’écrire sous lui. »
[36] « A cinq sols la prise. » Edit. 1691, p. 18.
Ledit Sieur Alary se propose de publier bien tot un spécifique pour les fièvres continues, pour la pleuresie, etc., qui agira avec une promptitude extraordinaire[37].
[37] L’édit. de 1691, p. 32, donne un article que celle-ci ne reproduit pas : « le sieur Soubiron, apoticaire, rue de la Vieille-Monnoie, et le sieur Andry, apoticaire-épicier, au carrefour de l’Ecole, vendent des drogues et compositions pour les maladies des chevaux. »
On vend rue saint Denis à l’enseigne de la Providence près la rue des Précheurs, une pomade qui répare tous les deffauts de la peau du visage, et qui donne une fort grande fraicheur au teint.