Le livre commode des adresses de Paris pour 1692, tome 1/2
PENSION
POUR LES MALADES.
Cette pension est une nouvelle commodité qu’on a procurée au public depuis deux ans. Ceux qui sçavent ce que les Officiers, les Provinciaux et les Etrangers souffrent, depensent et risquent dans les Auberges de Paris, lorsqu’ils y tombent malades, en comprendront facilement l’utilité, sur tout lors qu’ils apprendront que cette Pension est placée à Pincourt[1], c’est à dire dans une grande et belle rue qui étoit n’aguère un hameau, qui fait maintenant partie des Fauxbourgs de Paris[2], et qui se trouve entre la porte saint Louis[3] et la porte saint Antoine[4].
[1] C’est-à-dire Popincourt, qui devoit son nom, qu’il a repris tout entier, à la maison qu’y possédoit M. Jean de Popincourt, premier président du Parlement, de 1403 à 1413.
[2] C’est vers la fin du règne de Louis XIII qu’il avoit été réuni au faubourg Saint-Antoine.
[3] Elle se trouvoit au bout de la rue du Pont-aux-Choux. (Registres de l’Hôtel de Ville pendant la Fronde, t. I, p. 48.)
[4] Il y eut toujours de ce côté des maisons de santé. C’est au no 70, rue de Charonne, par exemple, que se trouvoit, à la fin du dernier siècle, celle du docteur Belhomme, où tant de prévenus du tribunal révolutionnaire firent leur temps de prison, et dans laquelle mourut Ramponneau, le fameux pitre, le 4 avril 1802. C’est aussi d’une de ces maisons, celle du docteur Dubuisson, près de la barrière du Trône, que partit le général Malet, avec ses complices, pour faire son incroyable coup d’Etat contre l’Empire.
La maison qu’on a fait bâtir à cet effet, est au milieu de cette ruë, à l’opposite du cours planté sur le rempart[5] dont elle n’est separée que par de vastes marais bien cultivez, ce qui forme le plus bel aspect du monde. Outre la face et les deux ailes du principal corps de logis, il y a encore au bout d’un grand jardin au dessus d’une haute terrasse en parterre, un pavillon de Belveder, d’où l’on découvre de tous costez des vignobles, des plaines, des collines, des jardins et des maisons de plaisance[6].
[5] C’est le Cours de la porte Saint-Antoine, qui faisoit alors grande concurrence au Cours la Reine, et qui commença la réputation des promenades du Rempart ou du Boulevard.
[6] Cette maison, qui avoit pris de l’endroit où elle se trouvoit, le nom de Pincourt, existait encore en 1715, et sembloit même en pleine prospérité. Liger en parloit alors ainsi dans le Voyageur fidèle, p. 241-242 : « c’est une maison établie pour les étrangers qui tombent malades, et où on les traite moyennant une pension, et à bien meilleur prix que dans les auberges. Cette maison est située entre la porte de Saint-Louis et la porte Saint-Antoine, dans une grande rue où il y avoit autrefois un hameau, et composée de deux ailes, qui accompagnent le principal corps de logis. Au bout d’un grand jardin, et au-dessus d’une grande terrasse, s’élève un pavillon en belvédère, d’où l’on découvre différents objets lointains, qui forment une perspective fort agréable. — C’est aussi dans cette maison que plusieurs personnes bons bourgeois domiciliez même à Paris, vont pour se faire traiter lorsqu’ils sont malades ; ceux qui sont convalescents seulement choisissent ce séjour agréable pour y prendre l’air et de nouvelles forces. Il y a même des dames qui vont y faire leurs couches pour jouir d’un plus grand repos et y trouver plutôt qu’ailleurs les secours qui, pour lors, sont nécessaires. — Il n’y a point de maladies qu’on n’y traite, exceptés les maux vénériens. A cela près, on y reçoit tous ceux qui veulent y aller, de quelque condition qu’ils soient. Il y a aussi, pour cela, des pensions plus ou moins fortes, et proportionnées aux moyens des malades qui s’y font porter. On y est même traité à forfait si on le souhaite, et le médecin soir et matin n’y manque point. »
Cette belle situation et le bon air de Pincourt, n’en sont pas les seuls agrémens ; les Lumières de celuy par qui elle est dirigée, la Bibliotèque, le Laboratoire, les Plantes medecinales et les autres commoditez qui s’y trouvent, la diverse situation et la propreté des appartemens, la Liberale economie qu’on y observe et l’exactitude du service, y font trouver goût aux personnes mêmes qui sont domiciliées à Paris, et qui ne sont au plus qu’à demi malades, puis que beaucoup de convalescens et de valetudinaires y vont prendre le Lait, les Eaux minéralles, les Bains, les Etuves, etc.
Il arrive même bien souvent que des Dames de Paris aussi bien que celles de Provinces y vont faire leurs couches, pour y être plus éloignées du monde et du bruit, et pour être plus seures du secours qu’elles desirent, y ayant un Accoucheur et une Sage femme d’une expérience consommée.
C’est au même lieu que les Gouteux, les Paralitiques ; et ceux qui souffrent des Rhumatismes opiniatres ou des douleurs causées par le mercure, trouvent le secours dont il sera parlé à l’article suivant.
On dit qu’on y pratique des moyens infaillibles pour rectifier les constitutions vicieuses et guerir radicalement toutes les indispositions habituelles qui en dependent, Asthme, Phtisie, Poulmonie, Migraine, Vapeur, Epilepsie, Hidropisies, Hemorrhoïdes, Vieux Ulcères, Cancers, Varices, etc.
On sçait même qu’il y a des lieux destinez pour les maniaques et géneralement pour les personnes qui doivent être privées de la liberté.
Les personnes atteintes de Maux vénériens n’y sont pas reçues, mais elles sont traitées sous la même direction dans une autre maison du voisinage.
A cela près telle que puisse être la condition des gens et la nature des maladies chacun y peut être reçu. Il y a des lieux où les personnes indigentes sont traitées à vingt et trente sols par jour selon le regime qu’elles doivent observer. Il y en a d’autres où les gens de service sont placés à quarante sols[7] ; enfin il y a des chambres particulières et des ordinaires distinguez pour les personnes de considération à trois, à quatre, à cinq et à six livres par jour selon la dépense qu’ils doivent faire, et les peines qu’ils doivent exiger.
[7] « Les malades qui s’y font traiter, y trouvent cet avantage, qu’ils y sont agréablement logez, exactement traitez et libéralement nourris pour un écu par jour, et même pour quarante sols lorsqu’il s’agit de fièvres, de pleurésies, et généralement des maladies qui demandent un régime exact, ce qui est d’une commodité particulière pour les gens d’auberge et de service. » Edit. 1691, p. 16.
Soit que la pension soit grosse ou modique, toute la dépense s’y trouve comprise sans en rien excepter, Traitement, Remedes, Logement, Nourriture, Service, Feu, Lumière, etc.
On y trouve même cette commodité quand on le souhaite, qu’on y est traité à forfait pour une somme dont on convient, au de là de la quelle on ne paye rien de plus, si opiniâtre et si longue que puisse être la maladie.
En tel temps et à telle heure qu’on y puisse arriver, on y est reçu, et on y trouve une chambre prete en payant par avance la pension de huit jours ; et on est même assuré d’y trouver le Medecin tous les matins au moins jusqu’à dix heures, et tous les soirs depuis six heures jusqu’au temps du coucher.
Au surplus, quoy que les Edifices et les jardins de cette maison ayent une considérable etendue, le progrez de cet établissement fait prendre des mesures pour les accroître de beaucoup.