← Retour

Le livre commode des adresses de Paris pour 1692, tome 1/2

16px
100%

TAPISSERIES[1]
ET MEUBLES ORDINAIRES.

[1] Le Sicilien, dont la lettre sur Paris fut traduite dans le Saint Evremoniana, s’étonna de voir des tapisseries partout, sur les murailles des chambres. « C’est un usage général, dit-il, comme en Italie de les embellir par des sculptures. »

Il y a un magasin de Tapisseries de Flandres[2], rue du petit Lion[3], et un autre pour les Tapisseries de Beauvais[4], rue de Richelieu.

[2] Tapisseries de haute lisse — c’est-à-dire faites sur un métier perpendiculaire — et à personnages ou à verdures. Les ouvriers flamands que Henri IV avoit fait venir en 1603, avoient perfectionné ce genre de fabrication aux Gobelins, où ils avoient été établis.

[3] « Derrière l’hôtel de Bourgogne. » Edit. 1691, p. 35.

[4] « Au milieu de la rue de Richelieu. » Id. — La manufacture de Beauvais étoit une création de Colbert, en 1660. Les ouvriers flamands, qu’il y avoit établis, y travailloient en haute lisse comme aux Gobelins.

Les Marchands Forains qui negotient les Tapisseries d’Aubusson[5], sont rue de la Huchette et aux environs.

[5] Elles étoient de basse lisse, c’est-à-dire faites sur un métier horizontal. Fabriquées par des femmes, et avec des laines moins fines, le bon marché en rendoit le débit bien plus général que celui des tapisseries de Beauvais. Le tarif des douanes de 1664 et années suivantes le prouve.

M. Dansvüiche[6], carrefour sainte Opportune, fait commerce en gros de Bergames[7] et Tapisseries de Rouen, façon de Hongrie[8].

[6] Son nom est écrit « D’Answihc » dans l’édit. précéd. — C’étoit certainement un flamand.

[7] Les bergames étoient un mélange de laine et de bourre de soie que l’on teignoit ordinairement en gris ou en rouge.

[8] On en faisoit aussi à Paris. Elles étoient fabriquées avec de la tonture ou tontisse de laine. C’est de là que les premiers papiers peints, qui remplacèrent les tapisseries, en les imitant de leur mieux, furent appelés des papiers-tontisses.

Les Tapisseries Bergames, Damas-Caffart[9], petites Etoffes, Satin de Bruge[10], Taffetas des Indes et diverses etoffes à faire du meuble, se vendent en détail et en diverses boutiques et magasins près l’aport de Paris.

[9] Sorte de damas, dont la trame étoit de fil, et les chaînes de soie. C’étoit une étoffe « légère, commode et de grand débit », qu’en 1604, un marchand de Troyes demanda au Roy de fabriquer dans son pays avec privilége. (Archives curieuses, 1re série, t. XIV, p. 232.)

[10] Sorte de damas-caffart, mais avec une rayure différente, et qui se rapprochoit aussi beaucoup du satin de Chine. Le marchand de Troyes, cité dans la note précédente, demanda aussi à fabriquer de ces satins de Bruges, en 1604.

Les Marchands Tapissiers renommez pour les meubles magnifiques, sont entre plusieurs autres Messieurs Bon l’ainé, Tapissier du Roy, rue Tictonne ; Bon le cadet, Tapissier de Monsieur, rue aux Ours[11] ; Barelle, à Luxembourg ; Montonnet, Cellier et Mendron, rue Michel le Comte[12] ; Bernier et Malet, rue des Bourdonnois, etc.

[11] « Les sieurs Le Bon frères, fameux tapissiers, demeurant rue aux Ours et rue Platrière. » Edit. 1691, p. 36. — Leur vrai nom étoit, en effet, Le Bon. C’est ainsi que l’aîné, Louis, est nommé dans l’Etat de France de 1692, p. 179 et 682, en qualité de tapissier du Roi pour le trimestre d’avril, et de tapissier ordinaire du duc de Bourgogne. Coulange le nomme dans sa chanson sur Un vieux lit de famille, p. 72 de son Recueil, mais c’est Bon qu’il l’appelle pour la mesure du vers :

Autant de modes que d’années,
Aujourd’hui le tapissier Bon,
A si bien fait par ses journées
Qu’un lit tient toute une maison.

Ces énormes lits des frères Le Bon étaient célèbres. V. le Mercure galant, t. III, p. 300.

[12] C’est le fils de ce Mandron, tapissier comme lui, mais Vieille rue du Temple, qui créa chez lui le théâtre de société, d’où sortit Lekain. Mandron lui-même y jouoit « les rois ». V. une lettre de lui dans le Journal de Paris, 1er mars 1778, p. 238.

Messieurs Cussy aux Gobelins, Boulle aux galeries du Louvre[13], le Febvre, rue saint Denis au Chesne vert[14], etc., travaillent par excellence aux meubles et autres ouvrages de marquetterie.

[13] Il a beaucoup mieux l’article qu’il mérite dans l’édit. de 1691. Le voici avec celui qui le précède, et qui devroit aussi se retrouver ici : « les meubles d’orfèvrerie sont fabriquez avec grande perfection par M. De Launay, orfèvre du Roy, devant les galeries du Louvre. M. Boul, son voisin, fait des ouvrages de marquetterie d’une beauté singulière. » — Nous n’avons pas à nous étendre sur Charles-André Boulle, le merveilleux ébéniste du grand règne, que l’on connoît aujourd’hui par de si intéressantes notices, à commencer par celle de Mariette dans l’Abecedario, où il dit : « Ses meubles enrichis de bronzes magnifiques et d’ingénieux ornements de marquetterie sont d’un goût exquis, et la mode ne leur fait rien perdre de leur prix. » Il avoit le goût passionné des tableaux, des estampes plus encore, et des dessins. Il s’y ruina. En 1686, il étoit déjà la proie de ses créanciers, et se trouvoit bien que le Louvre, où il logeoit, fut lieu d’asile. Louvois, furieux un jour de ce qu’il ne s’exécutoit pas assez vite pour quelques meubles de l’appartement du Dauphin, où il avoit déjà décoré un si admirable cabinet tout de glaces et de marquetteries, menaça de lui enlever ce refuge. Voici la lettre impitoyable qu’il écrivit à ce sujet, le 4 février 1686, à son agent La Chapelle : « Boulle promet à Mgr le Dauphin, depuis longtemps, quelques sièges, lesquels il n’achève point. Je vous prie de voir en quel état ils sont, et de lui dire que, s’il ne les achève, je le ferai sortir du Louvre, et le ferai mettre au For-l’Evêque à la discrétion de ses créanciers, et que je ferai faire son ouvrage par d’autres. » Citée par M. Rousset, Hist. de Louvois, t. III, p. 381. En 1704, la gêne de Boulle étoit encore plus grande et ses embarras plus pressants. Le Roi l’en sauva. (Correspond, admin. de Louis XIV, t. II, p. 843.) Le plus grand deuil de sa vie fut l’incendie de son chantier au Louvre, et la destruction par les flammes de la plus grande partie de sa collection, dans la nuit du 20 août 1720. Quoique déjà bien vieux, il eut assez d’énergie pour survivre. Il ne mourut que douze ans plus tard, le 1er mars 1732. Il avoit quatre-vingt-neuf ans et quelques mois. V. sur lui, dans les Archives de l’Art françois, par MM. de Chenevières et de Montaiglon, t, IV, p. 321-350, un travail qui résume à peu près tout ce qu’on sait sur lui.

[14] Fils de Claude Lefebvre, dit Saint Claude, qui avoit travaillé comme tapissier chez Fouquet, à Vaux.

M. Marseille, ruë S. Denis, près la Sellette, vend des Tapisseries de cuir doré de Flandres.

Celles de France se fabriquent près la porte saint Antoine.

Les Cabinets[15], Bureaux, Biblioteques et autres meubles de placages[16], de noyers, d’ébène, de cedre, etc., sont fabriquez et vendus au Fauxbourg saint Antoine, à la porte saint Victor, rue neuve saint Mederic, rue Grenier S. Lazare, rue du Mail, etc.

[15] Richelet décrit ainsi, en 1688, dans son Dictionnaire, ces meubles, dont la mode revient : « Espèce d’armoire avec des tiroirs, faite d’ébène, de noyer ou d’autre beau bois, propre à serrer des hardes. » On en vendoit aux foires. Le Sganarelle de L’Amour médecin, act. I, sc. 2, veut donner à sa fille « un cabinet de la foire St-Laurent. » Dans le Tarif des droits d’entrée, etc., du 18 sept. 1664, se trouvent de curieux détails sur ces cabinets.

[16] « Et de marqueterie. » Edit. 1691, p. 35.

Il y a sur la Ville Neuve un très grand nombre de Menuisiers qui travaillent à toutes sortes de meubles tournez et non tournez[17].

[17] C’étoient des ouvriers du faubourg Saint-Antoine, que, sous Henri IV et sous Louis XIII, grâce à une exemption de taille et au droit de pouvoir travailler sans maîtrise, on avoit attirés dans ce quartier encore désert de la Ville-Neuve-sur-Gravois, c’est-à-dire de la butte Bonne-Nouvelle, rue Bourbon-Villeneuve — aujourd’hui d’Aboukir, — et rue de Cléry, etc., où, comme on sait, le même métier et le même commerce des meubles s’exercent encore.

Les Tapissiers-Fripiers qui vendent et loüent toutes sortes de meubles[18] faits, sont pour la plupart sous les pilliers des Halles, rue de la Truanderie, Montagne sainte Genevieve, Descente du Pont Marie, et[19] rue Grenier sur l’eau.

[18] Ces « louages de meubles » aux Halles sont gaîment tournés en ridicule dans une pièce du Théâtre Italien, Le grand Sophy, jouée en 1689 : « Grognard. Je ne sais à quoi il tient que je ne jette tous les meubles par la fenêtre. — Mezzetin. N’allez pas faire cette sottise-là, s’il vous plaît, il faut que je les rende au fripier. Je ne les ai loués que pour deux heures. Allons, meubles, sous les piliers des Halles ! (Tous les meubles se plient et disparoissent.) » Théâtre de Ghérardi, t. II, p. 158.

[19] « Derrière Saint-Gervais. » Edit. précéd., p. 36.

Le Sieur Quenel, rue des Bourdonnois, fait venir des Chaises de Jonc d’Angleterre[20].

[20] « Les tourneurs qui vendent des chaises garnies de jonc et de paille, sont pour la plupart au Marché-Neuf, rue Grenier-Saint-Lazare et rue Neuve-Saint-Médéric. » Id. — L’usage ne s’en répandit pas chez nous, car lorsque Grosley alla en Angleterre au siècle suivant, il trouva ce genre de chaise excellent, et nous le recommanda, comme si l’essai n’en avoit pas encore été fait. Il a été plus heureux de nos jours. V. le curieux livre de Grosley, Londres, édit. de 1755, t. I, p. 238.

Il y a plusieurs Argenteurs et Doreurs pour les meubles de fer rue Dauphine, rue de la Verrerie et Fauxbourg saint Antoine[21].

[21] L’art. est plus détaillé dans l’édit. précéd., p. 36 : « les argenteurs et doreurs, qui vendent des chenets, foyers, girandoles, vaisselles et autres ouvrages de fer et de leton dorez et argentez, ont leurs boutiques rue Dauphine et rue de la Verrerie. »

Le Sieur Baudry, Tourneur, rue du petit Lion, fait et vend des Mortiers et Pilons de Boüis pour les officiers[22], d’une propreté particulière.

[22] Lisez : les officines.

Pour les Tableaux et Meubles de la Chine, voyez l’article des Curiositez de cabinet.

Il faut neanmoins ajouter que les Sieurs Charpentiers et Bourgeois, quay de l’Ecole, peignent et vendent les portraits de la Cour en bordures[23] pour l’ornement des chambres et des salles.

[23] Nous dirions « en cadres. » Richelet dit en effet dans son Dictionnaire : « BORDURE, bois de menuiserie pour mettre un portrait ou une glace de miroir. »

Pour les Lits de Camps, Tentes et Pavillons, voyez l’article des Armes et Bagages de Guerre.

Pour le Linge, voyez l’article des Toilles et Dentelles de fil.

Les Sieurs Roügeot, vieille rue du Temple, et Landois, rue Neuve saint Honoré, ont une grande habitude à bien raccommoder et remettre en couleur les Tapisseries de haute lisse.

Les Tapisseries peintes sur du Bazin façon de haute lisse[24], se vendent dans un magasin prés les Quinze vingts.

[24] On les peignoit aussi sur du coutil. L’abbé Jaubert en parle dans son Dictionnaire des arts et métiers, t. IV, p. 205 : « Ces autres tapisseries, dit-il, que l’on fait de coutil, sur lequel, avec diverses couleurs, on imite assez bien les personnages et les verdures de la haute lisse. » Il écrivoit cela en 1773, et ajoutoit que c’était une invention assez nouvelle. On voit ici qu’elle datoit de quatre-vingts ans au moins.

On vend des Coutils en gros au Bureau des Marchands Tapissiers rue saint Martin, et encore chez Messieurs Milon, même rue, et Prevost, près l’Hotel de la Monnoye.

Chargement de la publicité...