Le livre commode des adresses de Paris pour 1692, tome 1/2
COMMERCE DES OUVRAGES D’OR,
D’ARGENT, DE PIERRERIES, DE PERLES, ETC.
La Chapelle aux Orphevres, où les Maitres et Gardes de l’Orphevrerie ont leur bureau, et où ils font les Mardis et Vendredis l’essai de tous les Ouvrages d’or et d’argent, est dans la ruë des Lavandieres[1].
[1] Le bureau étoit rue des Lavandières-Sainte-Opportune, mais la chapelle se trouvoit dans la rue des Orfèvres, qui alloit de la rue Saint-Germain-l’Auxerrois à la rue Jean-Lantier. Elle avoit été dédiée par la corporation, en 1399, à saint Eloi.
C’est au même lieu qu’est le Bureau des Controlleurs de la marque pour l’or et pour l’argent[2].
[2] Tous les ouvrages sans marque — nous dirions sans contrôle — étoient saisis. Il y eut, par arrêt du 4 août 1693, une exécution de ce genre contre les orfèvres Bastier, Prévost, Turmelle, Ladoireau et Gauché.
Les Maîtres et Gardes en charge de l’Orfevrerie sont, Messieurs Bretault, place Dauphine, Bulot, rue saint Louis du Palais, Juillet, quay de l’Orloge, de Ronel, Grenier et l’Evesque, quay des Orphévres[3].
[3] On voit que la plupart des orfèvres étoient groupés dans la place Dauphine ou sur les quais et les rues qui l’entourent. Cette réunion de riches boutiques, sur un même point, avoit obligé, au siècle dernier, de placer tout près, au terre-plain du Pont-Neuf, un corps de garde du Guet, dont une sentinelle se tenoit toute la nuit au coin du quai des Orfèvres.
M. de Launay, Orphevre du Roy, demeure devant les Galleries du Louvre[4].
[4] Il étoit, en effet, « un des illustres qui sont logez sous la grande gallerie », comme dit G. Brice. « De Launay, orfèvre, ajoute-t-il (t. I, p. 75), conduit ordinairement les ouvrages magnifiques que le roi fait faire. » Tout l’ameublement de Versailles, « en meubles d’orfèvrerie », tels que les bancs d’argent massif, qui se trouvoient devant chaque fenêtre de la galerie des glaces, avoit été fait sous sa direction. Quand arrivèrent les lois somptuaires dont nous avons parlé, il n’en fut pas pour cela plus épargné. Le commissaire Delamarre fit chez lui une visite le 4 mars 1687, et il lui fallut déclarer tout ce qu’il avoit d’ouvrages d’or et d’argent, achevés ou à finir. V. les papiers Delamarre à la Biblioth. Nat., no 21, 627, fol. 102 et suiv. On apprend par le procès-verbal qu’il étoit défendu aux orfèvres de vendre des soufflets et des grils d’argent, mais qu’en revanche ils avoient le droit de mise en vente pour les boîtes à poudre, boîtes à savonnettes, sonnettes, écritoires, bassinoires et pots de chambre en argent !
M. de Villers qui travaille aussi pour Sa Majesté aux ouvrages d’Orphevrerie, demeure aux Gobelins[5].
[5] Les Gobelins n’étoient pas alors qu’une manufacture de tapisseries, mais une sorte d’école d’arts et métiers sous la direction de Le Brun, puis de Mignard, avec ateliers de bijouterie, d’ébénisterie, de marqueterie, de peinture, de gravure, etc. Il n’est donc pas étonnant que nous y trouvions l’orfèvre De Villiers, en 1692. Trois ans après, le malheur des temps fit fermer la plupart de ces ateliers.
M. de Montarsis qui a soin des Ouvrages de pierreries de Sa Majesté, demeure devant la place du Carrousel[6].
[6] C’étoit encore un des illustres des galeries. Voici son nom complet : Pierre Le Tessier de Montarsy. Il se qualifioit « joaillier ordinaire du Roi », puis, quand son père, qui étoit « garde des pierreries de la Couronne », fut mort, il prit le même titre, mais en le partageant avec le président Du Metz. C’est lui qui, en 1697, fut chargé de constater à la Sainte-Chapelle, sur le reliquaire de la couronne d’épines, la soustraction que Henri III y avoit fait faire de plusieurs rubis des plus précieux. (Morand, Hist. de la Sainte-Chapelle, p. 199-200.) Montarsy, avant de figurer ici au premier rang des joailliers, auroit pu être classé parmi les curieux : « Il a, dit G. Brice, une très-belle galerie remplie de tableaux des plus grands maîtres, de bronzes, de bijoux précieux, de porcelaines rares, de vases de cristal de roche, et de mille curiositez d’un goût exquis et d’un prix très-considérable. Ces belles choses sont dans sa maison, située à l’extrémité du cul-de-sac de Saint-Thomas du Louvre. » C’est chez lui qu’on se fournissoit des boîtes à portrait du Roi : « Je m’adresse à vous, lui écrit Phélypeaux, le 10 oct. 1694, ne sachant si M. Du Metz est à Paris, pour vous dire de m’envoyer le plutôt qu’il se pourra une boëtte à portrait de huit cents ou mille escus. Il faut que le portrait du Roy soit d’émail, en relief, de la façon du Suédois, en cas que vous en ayez un prêt. » Jal, à qui nous devons de connoître cette lettre, se demande quel peut-être ce peintre suédois. C’est, sans aucun doute, Kleintgel ou Klingstet, qui étoit déjà célèbre alors à Paris pour ses miniatures.
Messieurs Bins[7] et Guyon distinguez pour mettre toutes sortes de Pierreries en œuvre, demeurent aux Galleries du Louvre.
[7] « Bain, émailleur, dit G. Brice (t. I, p. 76), presque le seul en France qui entende à présent le travail des émaux clairs. » Il avoit un logement aux galeries du Louvre, depuis le 14 sept. 1671. (Arch. de l’Art françois, t. I, p. 220.)
Messieurs le Lorrain, à l’aport de Paris, du Grenier, quay de Nesle, Pierre, quay de la Megisserie, et Legare[8], rue de Harlay, sont encore renommez pour le même fait.
[8] Lisez Légaré. Il étoit fils de Gilles Légaré, qui avoit publié, en 1663, un très-curieux volume sur son art : Livre des ouvrages d’orfèvrerie, fait par Gilles Légaré, orfèvre du Roy, rue de la Vieille-Draperie, devant le Palais au Barillet, proche Saint-Pierre des Arcis.
Messieurs Alvarez, rue Thibault aux dez[9], Catilon, quay de l’Orloge, et Poirier, prés la Croix du Tiroir, font grand commerce de Pierreries.
[9] Nous avons déjà parlé de lui, quand nous l’avons vu passer comme trésorier payeur des Cent Suisses. Nous ajouterons à ce que nous avons dit, que — ce qui n’étonnera pas — il prêtoit sur gages : « Elle sortit dès huit heures du matin, lisons-nous dans La France devenue Italienne, pamphlet galant de 1686, et fut mettre des pierreries et de la vaisselle d’argent en gage chez Alvarès, fameux joaillier, pour quatre mille pistoles. » Il brocantoit de joyaux et d’antiques même à l’étranger, en se disant agent du Roi. V. dans la Correspondance inédite de Mabillon et de Montfaucon avec l’Italie, t. I, p. 220-227, deux lettres écrites en février 1686 par Michel Germain à Claude Bretagne.
Messieurs Loir[10], quay des Orphèvres, et Jacob, rue de Gesvres, sont des Orphèvres renommez pour la fabrique des Ornemens d’Eglise.
[10] Alexis Loyr, fils d’un orfèvre, qui avoit eu sa célébrité, « surtout, suivant Mariette, pour les grands ouvrages. » Il fut lui-même très-habile dans l’art de son père. De plus, il gravoit, et l’Académie le reçut comme graveur et orfèvre, en 1678. Il mourut à soixante-treize ans, en 1713. Son frère, Nicolas Loyr, fut un peintre de talent, qui l’aida pour ses dessins. On a d’eux à la Biblioth. Nat., un recueil contenant « dessins de brasiers, dont les ornements peuvent servir aux cuvettes ; nouveaux dessins de guéridons, éventails, écrans, etc. »
Messieurs Vaudine, rue du Harlay, Bel, place du College Mazarini, Blanque, rue Dauphine, et les frères Sehut, même rue, ont un particulier talent pour les petits Ouvrages et Bijouterie d’or.
Messieurs Berthe, rue des deux Ecus[11], et Rondé, rue Bertin Poirée, trafiquent de Barres, Lingots et Grenailles d’or et d’argent.
[11] Dans l’édit. précédente, p. 23, il est qualifié « orfevre », et son adresse est donnée ainsi : « joignant l’hôtel de la Monnoye. »
Les Garnitures et Joyaux de fausses Perles et Pierreries, se vendent chez plusieurs Marchands et Ouvriers etablis aux environs du Temple[12].
[12] On les appeloit « diamants du Temple. » Dict. des Arts, 1732, in-fol., I, 334.
Les fausses Perles de nouvelle invention argentées par dedans, qui ressemblent fort aux naturelles[13], se vendent chez les Sieurs Gregoire, rue du petit Lion, Huvé et Desireux, rue saint Denis.
[13] Il s’agit, sans nul doute, des perles faites avec cette « essence d’ablettes », dont le hasard fit découvrir le secret au bijoutier Jaquin, en 1684. Il s’associa, pour l’exploiter, avec un nommé Breton, et tous deux le perfectionnèrent si bien que, suivant le Mercure galant (août 1686, p. 230), ces perles, « façon de fines », trompoient tous les jours les joailliers eux-mêmes. Les Jaquin faisoient encore ce commerce à la fin du règne de Louis XV. Hubin avoit appris à Lister comment elles se fabriquoient : « la pâte, dit-il, dont on les étame à l’intérieur, se fait uniquement d’écailles d’ablettes, sans autre mélange… un collier de ces perles revient à deux ou trois pistoles. »