Le livre commode des adresses de Paris pour 1692, tome 1/2
CHAIR ET POISSON.
Pour le Bureau des Marchands-Bouchers, voyez l’article des Bureaux publics.
Les Boucheries de Paris qui sont ordinairement ouvertes sont près l’aport de Paris, place aux Rats[1], quartier des Quinze-vingts[2], marché du Temple[3], coin de S. Paul[4], porte S. Antoine[5], marché Neuf[6], montagne sainte Geneviève[7], place Maubert[8], Fontaine S. Severin, quartier S. Nicolas des Champs[9], rue Montmartre[10], rue Comtesse d’Artois, pointe saint Eustache ; rue de Bussy, petit Marché, Croix rouge[11], et ruë des Boucheries saint Germain.
[1] Rue Saint-Jacques-la-Boucherie, près de l’impasse du Chat-Blanc. Sous Louis XV, cette boucherie de l’Apport-Paris appartenoit aux anciennes familles bouchères La Dehors et Saint-Yon. Mercure, mars 1739, p. 439.
[2] C’est-à-dire en face des Quinze-Vingts, de l’autre côté de la rue Saint-Honoré, à l’endroit où se trouvoit la rue Jeannisson, qui, jusqu’en 1830, s’étoit appelée pour cela rue des Boucheries.
[3] Il étoit où fut construite, en 1811, la rotonde du Temple, pour la Halle aux vieux linges.
[4] Dans la rue Saint-Antoine même.
[5] Du côté de la Bastille.
[6] Dans la partie qui avoisinoit le pont Saint-Michel. C’étoit une des plus anciennes boucheries de Paris. Il s’y trouvoit, au-dessus de la porte, des sculptures qu’on disoit de Jean Goujon. On l’abattit au XVIIIe siècle, et le Marché-Neuf en fut de beaucoup agrandi. Suivant la légende, les mouches n’entroient pas dans cette boucherie, et « les viandes, dit M. de Paulmy, s’y conservoient par conséquent beaucoup plus fraîches que partout ailleurs. » Mélanges d’une grande Bibliothèque, t. XLIII, p. 263.
[7] Un peu au-dessus du collége de la Marche.
[8] Auprès de la fontaine, qu’on y avoit depuis peu transférée de la place de Grève.
[9] Dans la rue Saint-Martin même.
[10] Près de l’égout, c’est-à-dire à la hauteur à peu près du passage du Saumon.
[11] Vis-à-vis la rue du Cherche-Midi.
Dans toutes ces Boucheries, un Boucher seulement vend les jours maigres pour les malades.
En Carême, le détail de la viande de Boucherie, de la Volaille et du Gibier appartient à l’Hotel Dieu où se tient alors la principale Boucherie[12], mais on ne laisse pas de vendre de la viande pour les malades au profit de cet Hopital à la Boucherie du petit Marché saint Germain, à celle du marché du Temple, à celle de la place aux Rats, et à celle de la rue saint Honoré près les Quinze-vingts.
[12] La rigueur étoit telle sous Louis XV, pour cette observance du maigre en carême, que Servandoni ayant voulu, dans la pièce de Léandre et Héro, jouée pendant le carême de 1750, au théâtre des Tuileries, mêler un sacrifice à son spectacle, dut obtenir de l’Hôtel-Dieu la permission d’acheter la génisse et le veau, qui devoient y jouer les rôles de victimes. V. à cette date, l’Inventaire des archives de l’Hôtel-Dieu, t. I. V. aussi Rev. des Provinces, 15 fév. 1866, p. 351.
M. Thibert, Boucher de cet Hopital, demeure près l’aport de Paris[13].
[13] Il étoit — nous l’avons déjà vu plus haut, note sur Le Coulteux — d’une des plus anciennes familles de Paris. Son nom, comme celui des Saint-Yon, des Legoix, etc., remontoit à l’époque du règne des bouchers et de Caboche. Il le savoit, et, de concert avec les représentants des autres vieilles familles bouchères, il en usoit pour se créer un privilége et un monopole sur tous les étaux de la grande boucherie — celle de l’Apport-Paris — et sur ceux du cimetière Saint-Jean. (Depping, introduct. au Livre des Métiers d’Est. Boileau, p. LVI.) Le roi, pour en finir avec ce monopole de Thibert et des autres, en fit don à Mme de Montespan et à sa sœur Mme de Thiange. Ils résistèrent, et, en 1691, l’époque même où nous sommes, il en résulta un curieux procès, dont on peut lire, aux mss. de la Bibliothèque Nationale, les pièces et les factums dans la Collection Delamarre, no 21, 656, fol. 1-185.
Entre les Bouchers qui font de grosses fournitures à la livre pour les grands Seigneurs, sont à l’aport de Paris, Messieurs Boücher, Maücousin, Crochet et Tibert ; au cimetiere saint Jean, Messieurs Charles de Liziere et Aubry ; près saint Nicolas des Champs, Mrs Laval, Triplet, Laurent et la veuve Hotaüt ; à la grande Boucherie saint Germain, Mrs Madelin, Cottard, Valet, Bricet et Gallier ; à la rue Montmartre, M. Parisot ; et montagne sainte Genevieve, Mrs Gaudron et le Lievre.
Les Detailleurs de Tripes et de Pieds de Moutons qui sont dispersez dans tous les quartiers, les achetent en gros tous les matins près l’aport de Paris.
Le Marché aux Bœufs et Moutons se tient à Sceau près le Bourg la Reine, les Lundis et Mardis ; et celui des Veaux à Paris sur le Port de la Greve presque tous les jours et principalement le Vendredi[14].
[14] Lister, tout anglois qu’il fût, ne trouva pas, sauf sur un point, la viande de Paris mauvaise : « le mouton et le bœuf, dit-il, sont bons, et valent à peu près les nôtres, sans les surpasser toutefois. Quant au veau, il n’en faut pas parler : il est rouge et grossier. Je ne pense pas, d’ailleurs, qu’il y ait pays en Europe, où l’on réussisse pour cet élevage aussi bien qu’en Angleterre. » (Voyage à Paris, ch. VI.) Quoique inférieure, cette viande entroit pour beaucoup dans la consommation, que la lettre du Sicilien, déjà citée, évalue ainsi, probablement avec plus de fantaisie que de vérité : « On dit que l’on mange à Paris, chaque jour, quinze cents gros bœufs, et plus de seize mille moutons, veaux ou porcs. » V. plus bas, note 17, sur les offices de Vendeurs de veaux.
Le Marché de la Volaille, du Gibier[15], des Agneaux et des Cochons de lait se tient sur le quay des grands Augustins presque tous les jours[16], mais principalement les Mercredis et Samedis[17].
[15] La même lettre dit que la consommation du gibier et de la volaille étoit « prodigieuse. »
[16] La consommation de la viande étoit telle, même à l’Hôtel-Dieu, qu’on y avoit dressé un tournebroche qui pouvoit en faire rôtir 1,200 livres à la fois. (Inventaire des Archives hospitalières, Hôtel-Dieu, p. 330.)
[17] Il y avoit, pour ce marché, des « jurés vendeurs et conducteurs de volailles », dont les jetons — le Cabinet des médailles en possède un de 1709 — sont des plus curieux. Ils représentent, au revers, Adam et Eve entourés des animaux de la création, et on y lit cette devise : Proderit his pecus et volucer, le troupeau et l’oiseau viendront à eux. — En 1694, on créa de nouveaux offices de vendeurs de veaux et volailles, qui produisirent, avec ce que rapporta en même temps « le traité des eaux et fontaines », 4,536,400 liv. (Forbonnais, Essai sur les Finances, année 1694.)
Les Rotisseurs fameux pour les grandes fournitures, sont les Sieurs Guerbois près la Boucherie saint Honoré[18], et Meüsnier rue du Temple, qui entreprend d’ailleurs les plus grandes Nopces et Festins avec beaucoup de réputation.
[18] C’étoit, en effet, un des plus renommés de Paris pour les bons repas. Il étoit du meilleur ton d’aller, comme on disoit, dîner chez La Guerbois, car c’est la femme qui étoit en réputation plus encore que le mari. V. ce que nous avons dit de ce cabaret dans notre Histoire de la Butte Saint-Roch, p. 126-128. Le nom de Guerbois, qui se trouve comme enseigne sur la boutique de quelques pâtissiers-traiteurs : rue Croix-des-Petits-Champs, rue des Saints-Pères, etc., est un dernier débris de cette renommée culinaire.
Entre les Charcutiers renommez, sont les Sieurs du Cerceaü rue de l’Arbre sec, pour les Jambons façon de Mayence ; Robinot montagne sainte Genevieve[19] pour les Andoüilles ; et de Flandres ruë des Barres pour les bons cervelats.
[19] « Devant le portail des Carmes de la place Maubert. » Edit. 1691, p. 27. Il y est, comme ici, nommé pour la façon des « bonnes andouilles. » Après lui vient, pour la même renommée, « la veuve Maheult, rue Montmartre. »
La foire du Lard et des Jambons se tient le Mercredi Saint ruë et parvis Notre Dame[20].
[20] Il est parlé ainsi de cette foire du Parvis dans une mazarinade, Suite de la révélation, ou le second oracle rendu par le Jeûneur du Parvis Nostre-Dame, 1649, in-4o p. 3 :
Le Jeûneur de la mazarinade étoit une statue que l’on croyoit antique, et qui se trouvoit entre la fontaine du Parvis et la porte de l’Hôtel-Dieu. On l’appeloit ainsi parce qu’elle étoit seule à ne pas prendre sa part des monceaux de victuailles de la foire « au Lard et aux Jambons » du Parvis. « Oyez », dit une autre mazarinade :
M. Fagnaült Ecuyer de cuisine[21] de Monseigneur le Prince, fait de très excellentes andoüilles qu’il vend à des personnes de connoissance.
[21] C’étoit le nom que prenoient la plupart des gens de cuisine dans les maisons princières. Chez le Roi, où le principal s’appeloit « Ecuyer-bouche », il y avoit, rien que pour le cuisinier-commun ou du grand commun : douze écuyers, plus huit maîtres queux, et douze enfants de cuisine ou galopins.
Le Sieur Olivet près la porte de Richelieu, fait un commerce particulier de Boudin blanc et de pieds à la sainte Menehoult.
Le Sieur Boursin Traiteur près la place des Victoires, est renommé pour le Boudin blanc[22].
[22] Au chapitre XXXIX, p. 59, de l’édition de 1691, il est aussi mentionné. On y trouve, de plus, l’indication de son enseigne : « Au Mont Sainte-Catherine », ce qui prouveroit qu’il étoit de Rouen. — Les boudins blancs commençoient d’être une friandise à la mode, quoique ce ne fût guère que l’ancien « blanc manger » du moyen-âge, qui, suivant Didier Christol, dans sa traduction du De obsoniis de Platine, au chapitre Jusculum album, se composoit d’amandes et de blancs de chapons pilés avec de la mie de pain mollet, du sucre et du gingembre, etc.
On peut par le Messager de Blois recouvrer en hiver de très bonnes Andouilles et Langues de porc fourrées, et par celuy de Troyes des Langues de porc et de mouton fumées.
On trouve des Mortadelles d’Italie et des Saucissons de Boulogne[23], chez le Sieur Pilet Epicier grossier[24] rue de l’Arbre sec devant saint Germain l’Auxerrois.
[23] C’est ainsi qu’on prononçoit Bologne.
[24] Epicier en gros.
On en trouve aussi quelque fois tout proche chez les Provençaux[25].
[25] V. plus haut ce que nous avons dit sur eux et sur le cul-de-sac auquel ils ont laissé leur nom.
Le marché du Poisson d’eau douce pour la vente en gros, se tient au quartier des Halles à l’entrée de la rue de la Cossonnerie.
La vente en gros du poisson de mer se fait à la Halle au Poisson[26] par les Officiers vendeurs de marée[27].
[26] Il arrivoit par la voie du Nord, en traversant le Val-Larroneux, qui en prit le nom de faubourg et de rue Poissonnière. Il étoit apporté, comme on le voit dans les lettres-patentes enregistrées le 12 mars 1519, « tout de fresche pondeure, par les voituriers et chasseurs de marée, à chevaux, sommes et paniers. »
[27] Comme aujourd’hui, ils vendoient à la criée. L’exposition du poisson se faisoit de trois heures du matin à sept heures. Le revers du jeton des marchands et jurés faisoit allusion à ces heures matinales. On y voyoit un coq, avec cette devise : « Vigilantibus omnia fausta. »
Passé huit heures du matin on ne trouve plus de Poisson de mer ni d’eau douce aux Halles, si ce n’est de la seconde main comme dans les autres marchez.
Les Marchands qui font commerce en gros de Morues et Harangs, sont M. Corrüe et la veuve de Coste rue des Prescheurs, et Mesdames Thibault, Levier, Estancelin et Ferrand sous les Pilliers des Halles[28].
[28] Voici les noms tout autres qu’on trouve dans l’édit. précédente, p. 61 : « Messieurs Gelée, rue Chanverrerie ; De La Marche, rue des Prêcheurs ; Iacinthe, rue Saint-Denis ; et Regnauld, sous les piliers des Halles. » Levier, nommé tout-à-l’heure, et Gelée étoient de la famille de Regnard, enfant des Halles, comme on sait, et de parents qui étoient dans ce commerce. V. notre Notice sur lui.
Il y a des bateaux et boutiques de poisson sur la riviere entre le Pont neuf et le Pont au change, où l’on vend des carpes et brochets en gros.
Le Ton mariné se vend chez les Epiciers de la rue des Lombars et de la ruë de la Cossonnerie.
La Gelée pour les malades se vend en tous les quartiers de Paris chez presque tous les Traiteurs, et chez quelques Apoticaires, et encore aux Enfans trouvez parvis Notre Dame.
Les Hameçons qui servent pour la pêche à la ligne, se vendent chez les Chaisnetiers[29] du quay de Gesvre[30] et chez ceux de la rue saint Denis.
[29] Richelet dit à ce mot dans son Dictionnaire : « Ouvrier, qui fait des agrafes, et de toutes sortes de petites chaînes, pour pendre des clefs et des trousseaux, et pour attacher des chiens, etc. »
[30] « Sous la galerie de Gesvres. » Edit. 1691, p. 112. On appeloit ainsi les boutiques en galerie couverte que le marquis de Gesvres, gouverneur de Paris, avoit fait construire sur le quai, qui porte son nom, vers 1642.