Le livre commode des adresses de Paris pour 1692, tome 1/2
COMMERCE DE CURIOSITEZ
ET DE BIJOUTERIES.
Les Marchands tenans boutique, Acheteurs, Vendeurs et Troqueurs de Tableaux, Meubles de la Chine[1], Porcelaines[2], Cristaux, Coquillages, et autres Curiositez et Bijouteries, sont Messieurs d’Hostel[3], à l’entrée du quay de la Mégisserie, Malaferre[4] et Varenne[5], quay de l’Orloge ; la Fresnaye[6] et Laisgu[7], rue saint Honoré ; Quesnel, rue des Bourdonnois[8] ; Protais, rue des Assis ; Fagnany, quay de l’Ecole[9] ; Antheaume, derriere l’Hotel de Bourgogne ; Naneau[10], au Palais, etc.
[1] Il n’y en avoit pas de plus à la mode. Sénecé, dans ses Epigrammes et autres pièces (1717, in-12, p. 272-274), nous parle de ce goût pour les meubles et les porcelaines de Chine, le « lachinage », comme on disoit en langage de marchands (voy. plus bas p. 239). Limojon de Saint-Disdier, dans son curieux livre, le Voyage du Parnasse (1716, in-12, p. 174) nous fait voir le cabinet d’un curieux tout lambrissé de laque : « c’est, dit-il, une pièce ovalle, revêtue du haut jusqu’en bas de morceaux de lacq (sic) de la Chine, d’une grandeur et d’une beauté surprenantes. »
[2] On ne les vouloit que de la Chine : — « Rappelez-vous, dit Lisette, dans la Maison de campagne de Dancourt (acte I, sc. 5), celle qui en riant vous cassa toutes ces porcelaines de Hollande, parce qu’elle disoit qu’il n’en falloit avoir que de Chine. » Une déclaration royale du 2 juillet 1709 défendit l’importation des porcelaines, faïences et poteries étrangères.
[3] Lisez Dautel ou Dotel. Il est continuellement cité dans les pièces du temps. Le Sage, par exemple, le nomme dans Turcaret, et Regnard dans l’Homme à bonnes fortunes, scène des Curiosités. — « Est-il curieux ? dit Brocantin. — Bon, répond Arlequin, c’est le Dotel du pays. Il troque de nippes à tout moment, et je vous réponds qu’avant qu’il soit deux jours il aura troqué sa femme. » Le financier du Voyage du Parnasse se vante, p. 205, d’avoir acheté chez lui « une belle jatte de la vieille porcelaine verte du Japon », V. aussi le Théophraste moderne, p. 422 ; l’Ambigu d’Auteuil, p. 16-17 ; Gacon, le Poëte sans fard, p. 41.
[4] Il n’étoit pas moins célèbre que Dautel. L’abbé de Villiers le nomme avec lui dans ses Poésies, p. 149, et seul dans son poëme de l’Amitié, p. 48 :
Il collectionnoit pour son propre compte, et possédoit notamment, sans vouloir le vendre ni le troquer, le Saturne coupant les ailes de l’Amour, par Nicolas Perrier. Il voyoit beaucoup artistes et poëtes. La veuve Laurent l’avoit comme habitué dans son café du coin des rues Dauphine et Christine ; il fut ainsi mêlé à l’affaire des couplets de Rousseau. Il avoit écrit une histoire des peintres, dont nous ne connoissons qu’une notice, celle de Santerre, publiée par le Mercure, sept. 1718, p. 69.
[5] Spon, en 1673, l’avoit mis non parmi les marchands de curiosités, mais parmi les curieux : « M. Varenne, dit-il, près la Monnoie, tableaux et diverses curiosités. »
[6] Il est, aussi bien que Dautel, nommé dans plusieurs pièces du temps, comme brocanteur célèbre, et peut-être aussi un peu comme prêteur sur gages. (V. Dancourt, la Foire Saint-Germain, sc. XII, et la Femme d’intrigue, acte V, sc. IX.) Ses deux fils Eléonor et Pierre lui succédèrent au Palais, l’un à l’enseigne de la Croix d’or ; l’autre à celle du Dauphin. — On trouve, dans les Mss. Delamarre, no 21, 627, p. 170, le procès-verbal d’une visite faite chez La Fresnaye, après l’édit contre les dorures, décrété en 1669 et renouvelé en 1687 et 1689.
[7] « Près les pères de l’Oratoire. » Edit. de 1691, p. 24. — Il est nommé par l’abbé Bordelon dans son Livre à la Mode, 1696, in-12, p. 33. Marianne demande en quoi consistent les façons du bel air :
[8] Dans l’édit. de 1691, il est à la suite des autres, sans indication d’adresse, mais avec un détail qui manque ici : « Ils vendent pareillement des coquillages, mais le sieur Quenel est celui d’entre eux qui s’y attache le plus. »
[9] « A la descente de la Samaritaine. » Edit. de 1691. — Nous avons beaucoup parlé de cet intrigant du brocantage dans notre Histoire du Pont-Neuf, t. II, p. 277-281. On nous permettra d’y renvoyer. Nous rappellerons seulement ici les altérations qu’il fit subir aux planches de Callot, dont il possédoit un grand nombre, que son fils mit en recueil (Mercure, mars 1723, p. 561), et sa fameuse loterie qui ne fut qu’un immense vol organisé. Dancourt en fit une pièce, où il l’appela Sbrigani, et les Italiens, dans leur comédie les Bains de la porte Saint-Bernard, allèrent encore plus loin : ils le nommèrent « el signor Furbagnani. » On lit dans le Théophraste moderne, à propos de cette loterie : « lui-même y a plus gagné sans avoir de billets que tous ceux qui ont eu des lots. » Il gagna beaucoup aussi avec ses tabatières à scandales, où toutes les aventures scabreuses du moment étoient satiriquement représentées. Il en est parlé dans le Retour de la foire de Bezons, et mieux encore dans les Souhaits joués en 1693 : « Momus. Qui est-ce qui porte cet épicier à éventer la honte de son lit, et à solliciter une place sur les tabatières de Fagnany ? La Folie. »
[10] Nous trouvons pour Nanot (sic) dans la Collect. Delamarre, no 21, 627, p. 170, un procès-verbal de visite, comme celui qui fut dressé chez La Fresnaye.
Mademoiselle de Tournon, qui tient aussi boutique sur le Pont au Change, fait le même trafic.
Il y a d’ailleurs en chambres hautes plusieurs Vendeurs et Troqueurs de Curiositez ; comme Messieurs Raclot, rue de Harlay ; Poignan, rue de Mommorancy ; Roussel, cul de sac de la ruë Beaubourg ; Paris, près la Jussienne[11] ; des Dieux, rue des Assis au petit Broc, etc.
[11] L’édit. de 1691, p. 24, le place dans un art. non reproduit ici : « M. l’abbé Du Plessis, près le puits d’Amour, le sieur Dalançon, rue Chapon, et le sieur Paris, près la Jussienne, se plaisent à troquer des tableaux. »
Mesdames Noel, rue de Grenelle saint Honoré, et Tonnetti, quay de la Mégisserie, ont aussi chez elles beaucoup de Curiositez dont elles font trafic.
M. Dorigny, rue Quinquempoix, M. Laittier et Mademoiselle le Brun, à l’aport de Paris, ont aussi ordinairement de belles pièces de Porcelaines et de Lachinage[12].
[12] V. sur ce mot une des notes précédentes, p. 236.
M. l’Argilliere, rue sainte Avoye, fait commerce de bons Tableaux[13].
[13] Nicolas de Largillière, le fameux peintre de portraits. Il ne quitta la rue Sainte-Avoye que peu de temps avant sa mort, en 1746, à quatre-vingt-dix ans. C’étoit, comme on sait, la partie de la rue du Temple actuelle qui s’étendoit de la rue Croix-de-la-Bretonnerie à celle des Vieilles-Haudriettes. Il logeoit en face de la fontaine placée entre les nos 40 et 42. V. G. Brice, 3e édit., t. I, p. 255.
Autant en font Messieurs Guillemart, prés saint Yves, et Muguet, au milieu de la ruë Bourlabé.
M. de Cauroy, ruë Briboucher, tient magasin de Bijouteries et Coffres d’Angleterre[14], de Porcelaines, de Pagottes[15], de terre cizelées et de Meubles de la Chine[16].
[14] Ces « articles » anglais furent longtemps à la mode. Le 30 juillet 1743, un privilége de dix ans fut accordé à Claude-Imbert Gérin, qui s’établit rue de Charenton, pour fabriquer « toutes sortes de fayences, à l’imitation de celles d’Angleterre. »
[15] Pour « pagodes. » C’étoit une des chinoiseries les plus recherchées. Au siècle suivant, Gersaint, le fameux marchand de curiosités, en avoit fait son enseigne. Voici le texte de l’adresse que M. de Caylus avoit gravée pour lui, en 1740 : « à La Pagode, Gersaint, marchand jouaillier sur le Pont-Notre-Dame, vend toute sorte de clainquaillerie nouvelle et de goût, bijoux, glaces, tableaux de cabinet, pagodes, vernis et porcelaines au Japon, coquillages et autres morceaux d’histoire naturelle, cailloux, agathes, et généralement toutes marchandises curieuses et étrangères.
[16] Cet art. est un peu différent dans l’édit. de 1691, p. 24. Après une liste à peu près pareille à celle qui commence ce chapitre, mais moins longue, on y lit : « Ces marchands vendent des porcelaines, des meubles de la Chine et des terres cizelées en détail, mais on en trouve en gros chez M. Du Cauroy, à la ville d’Anvers, rue Briboucher », c’est-à-dire, comme on sait, rue Aubry-le-Boucher.
M. de la Cousture, Cloitre S. Nicolas du Louvre, a un particulier talent pour damasquiner sur l’acier[17] en Figures et Ornemens de la Chine.
[17] Cet art de damasquiner n’étoit pas nouveau chez nous, mais il avoit été singulièrement perfectionné par un des maîtres de La Cousture, nommé ici, le fourbisseur parisien Cursinet, mort vers 1670. « Il a fait, dit Félibien, Des principes d’architecture, 1676, in-4o, p. 455, des ouvrages incomparables en cette sorte de travail, tant pour le dessin, que pour la belle manière d’appliquer son or, et cizeler de relief par dessus. »
Le Sieur Salé Peintre, rue de la Ferronnerie, dit avoir trouvé un secret d’Optique qui fait voir dans un Tableau toutes autres Figures que celles qui y sont peintes, et même au gré des Spectateurs.
Le Sieur l’Arche Fondeur et Cizeleur en Bronze, qui est fort renommé pour les Figures de Cabinet, demeure rue des Ciseaux, prés l’Abbaye saint Germain ; il donne une couleur de bronze antique aux figures modernes[18].
[18] Il se servoit de purpurine, ou bronze moulu, qui s’appliquoit soit à l’huile soit au vernis.
Les Sieurs Vilaine, rue Neuve saint Mederic, et la Pierre, quay des Orfèvres, ont un particulier talent pour bien nettoyer les Tableaux.
Le Sieur Pouilly[19], rue Dauphine, a trouvé un secret pour augmenter de beaucoup la vertu de l’Aymant et un Microscope qui grossit extraordinairement les objets[20].
[19] « Faiseur d’instruments mathématiques… vend un calandrier de cabinet propre et curieux. » Edit. de 1691.
[20] Ces derniers détails manquent dans l’édit. de 1691, p. 24, mais après l’article se lit celui-ci, qui n’a pas reparu ici : « On trouve des estampes de toutes sortes chez le portier de l’Académie des peintres, rue de Richelieu. »
Les Tableaux Cilindriques[21] se vendent chez le Sieur Amielle, près saint Hilaire.
[21] Il eût mieux valu dire « miroirs cylindriques. » V. à leur sujet, le Diction. des Arts et Métiers de l’abbé Jaubert, 1773, in-12, t. II, p. 612.
Il y a un Pere Theatin qui en fait pour luy et pour ses amis d’une beauté extraordinaire[22], aussi bien que des Figures de toutes espèces pour la Lanterne magique[23].
[22] Les religieux s’occupoient volontiers d’optique ; le P. Jean-François Niceron, auteur du Thaumaturgus opticus, 1646, in-fol., avoit fait chez les Minimes de la place Royale, qui étoient un couvent de son ordre, des tableaux changeants d’une habileté et d’un effet surprenants.
[23] Ce n’étoit pas encore devenu un amusement enfantin et vulgaire. On s’en divertissoit dans le monde, comme à cette soirée de l’hôtel de Liancourt, où le spectacle fut une lanterne magique, avec deux vielles pour orchestre. V. Loret, Muse historique, 13 mai 1656.
Le Sieur Hubin Emailleur, rue saint Denis, devant la ruë aux Ours, fait et vend des Baromettres, des Thermomettres et des Hidromettres d’une propreté particulière[24].
[24] Il étoit célèbre depuis déjà longtemps. En 1673, Spon le plaçoit sur la liste de ses curieux : « M. Ubin, dit-il, émailleur, rue Saint-Denys, vis-à-vis la rue aux Ours : thermomètres, baromètres, larmes d’Hollande, et autres curiosités. » Suivant Huet, qui lui fit faire un anémomètre, qu’il avoit lui-même inventé, et qui le traite « d’excellent ouvrier », il étoit anglois. (Huetiana, p. 56.) C’est lui qui, avant Réaumur, construisit les thermomètres les plus parfaits : « les curieux en conservent encore dans leurs cabinets », écrivoit, en 1773, l’abbé Jaubert (t. III, p. 143). Il excelloit aussi pour les yeux de verre : « chez Hubins, le fabricant d’yeux de verre, dit Lister à la fin du chap. V de son Voyage à Paris en 1698, j’en vis de pleins tiroirs, de toutes couleurs, de façon à appareiller n’importe quels yeux : et il faut qu’il en soit ainsi, car la moindre différence seroit intolérable. » L’édit. de 1691, p. 31, n’oublie pas ce talent de Hubin pour les yeux artificiels, et elle lui donne pour concurrent Le Quin, rue Dauphine, que nous retrouverons plus loin. — Hubin était grand ami de Papin, dont, en 1674, il avait présenté à l’Académie des sciences l’ouvrage important, Nouvelles expériences du vuide.
Le Sieur Do aussi Emailleur, rue du Harlay, aux armes de France, en vend de plus simples et à meilleur marché[25].
[25] On lit, à la suite, dans l’édit. de 1691, p. 31 : « le sieur Roault, autre émailleur, rue Saint-Denis, fait en émail toutes sortes de figures humaines, et autres représentations. Il vend aussi des aigrettes d’émail, qui, avec une grande beauté, ont cette propriété de ne pas prendre la poussière. » Son fils lui succéda, et ses émaux furent encore plus célèbres que les siens. V. l’Année littéraire, 1755, t. VIII, p. 49, 50 ; et 1758, t. VII, p. 138. Piron en possédoit, dont il étoit très-fier.
Le Sieur Langlois père, et le Sieur Langlois fils ainé[26], qui imitent et qui raccommodent en perfection les Meubles de la Chine, demeurent grande rue du fauxbourg saint Antoine, prés l’Hôtel de Bel air[27].
[26] En outre d’un article à peu près pareil à celui-ci dans l’édit. précédente, p. 24, Langlois, père et fils, en ont un, p. 35, qui manque ici, et qui complète l’autre : « les sieurs Langlois, père et fils, font des cabinets et paravents, façon de la Chine, d’une beauté singulière ; ils demeurent l’un et l’autre, grande rue du Faubourg Saint-Antoine, près la rue de Charonne. »
[27] « Le sieur Paty, même faubourg, près l’enseigne du Tambourg, fait de moindres ouvrages, façon de la Chine. » Edit. 1691, p. 24.
Le Sieur Langlois le cadet qui excelle pour les Figures et Ornemens de la Chine, demeure rue de la Tixeranderie, chez M. Perducat Chirurgien[28].
[28] Son adresse, dans l’édit. précéd., p. 35, est : « au Cloître Sainte-Catherine de la Couture. »
Le Sieur Taboureux qui demeure sur le Quay de la Megisserie[29], prés le Fort l’Evêque, imite fort bien les Coffres et Ferrures d’Angleterre[30].
[29] « Au milieu du quai de la Mégisserie. » Edit. de 1691.
[30] Avant cet article se trouve celui-ci dans l’édit. de 1691, p. 24 : « le sieur Des Essarts, au haut des fossez de Condé, imite le La Chinage en creux et en relief. »
Les Sieurs Thierry, rue du petit Heuleu à l’Etoile ; de Monceau à la Bastille, et Darmé, chez un Cordonnier, rue de la vieille Draperie, font des Tablettes de poche d’une grande propreté.
Les Cassolettes philosophiques[31] à feu d’Esprit de vin et Globule de Cristal qui attire les Liqueurs à la façon de l’Eolipile[32], se vendent sur le quay de Nesle, à l’Apoticairerie royale[33], et servent non seulement à des-infecter et parfumer les chambres agréablement sans fumée et presque sans frais[34], mais encore à guérir plusieurs maladies par des vapeurs medecinales.
[31] Il en a été parlé plus haut, p. 172-173.
[32] L’esprit de vin chauffoit le globe comme un éolipyle, et la chaleur en chassoit les parfums, dont on vouloit parfumer les chambres. Ces cassolettes s’appeloient philosophiques, comme tout ce qui tenoit alors un peu à la chimie.
[33] C’est-à-dire chez Blegny.
[34] On les allumoit derrière les pilastres et les meubles des chambres ou des salles, pour qu’elles en fussent embaumées. V. l’Art de bien traiter. Paris, 1674, in-12, chap. de la Salle à manger.