Le livre commode des adresses de Paris pour 1692, tome 1/2
MARCHANDISE DE VINS
ET D’APRESTS.
La Halle aux Vins[1] est à la porte saint Bernard, où il y a des Bureaux pour les droits du Roy[2]. On y trouve de bon et franc vin de Bourgogne chez le Sieur Compagnot.
[1] Elle avoit été établie en 1662.
[2] La porte Saint-Bernard, qui avoit la forme d’un arc de triomphe, datoit de 1674. Elle se trouvoit sur le quai de la Tournelle, un peu au-dessus du pont. On la démolit au commencement de la Révolution. Sous l’Empire, la Halle aux vins, sa voisine, fut reportée plus haut, sur la plus grande partie de l’enclos de l’abbaye Saint-Victor, qu’elle occupe toujours. Les travaux d’installation commencèrent en 1811.
Le Bureau des Maîtres et Gardes de la marchandise de vin[3], est rue Grenier, sur l’eau, derriere saint Gervais.
[3] Ils jouissoient des mêmes priviléges que ceux des six corps marchands, et ils pouvoient, comme eux, devenir échevins ou consuls. Ils avoient pour armoiries, depuis 1629, un navire d’argent à bannière de France, flottant avec six nefs autour, et une grappe de raisin en chef sur champ d’azur.
Tout proche rue des Barres, M. Milon fait commerce en gros de Vins de Champagne[4].
[4] La mode n’en faisoit que commencer, et le plus souvent on ne l’appeloit que Vin de Sillery ou Vin de la Maréchale, à cause de la maréchale d’Estrées, à qui appartenoit le vignoble de Sillery, par lequel avoit préludé cette première vogue. Le Roi y contribua. Le vin de Champagne fut longtemps sa seule boisson. (Journal de la Santé, p. 211 et 350.)
Du nombre des douze Marchands de Vins du Roy[5], qui font les grandes fournitures en pieces et en bouteilles, pour la Cour, pour l’armée et pour le public, sont Messieurs Cresnay rue Notre Dame[6], de Bray rue de la Huaumerie, Bourdois au bout du Pont saint Michel, Petit rue des Petits Champs, Bourdois près l’aport de Paris, Morisson[7] rue de la Huchette, Darboullin rue Coquilliere[8], Tardiveau Fauxbourg saint Marcel, Hardon[9] rue Beaubourg, Triboulleau rue de la Mortellerie[10], Alexandre rue des Assis, etc.
[5] Ils étoient, suivant l’Etat de France, p. 628, les premiers privilégiés suivant la Cour. On les appeloit « la Cave des Douze. »
[6] Son enseigne étoit « à la Pomme de pin », et c’est par conséquent son cabaret que doit désigner ainsi l’édit. précédente, p. 28 : « la Pomme de pin, derrière la Magdelaine. » Un autre, portant la même enseigne, indiqué aussi dans cette première édition, se trouvoit rue d’Orléans. — On sait que Crenet est, comme Mignot, assez maltraité dans la Satire du Repas, pour les mélanges « d’auvernat et de lignage » qu’il vendoit, dit Boileau, « pour vin de l’Ermitage. » Le reproche étoit, paroît-il, assez juste, d’après une anecdote que raconte Brossette ; aussi Crenet ne réclama-t-il pas. Dancourt l’a mieux traité dans l’Eté des Coquettes, joué en 1690. On y chante à la fin :
[7] Edme Maurisson, d’après l’Etat de France, p. 628.
[8] Dancourt, à la scène IV des Agioteurs, joués en 1710, parle de sa veuve, qui lui avoit alors succédé : « Suzon… Vous irez de là chez Madame Darboulin, rue Coquillière, dire qu’on porte au même endroit, dès ce matin, les douze douzaines de bouteilles de vin de Bourgogne, et la douzaine de Champagne que je payai hier. »
[9] Hugues Hardoin, et non Hardon.
[10] Il étoit le plus en vogue à la fin du siècle. Suivant le Théophraste moderne, p. 422, on ne trouvoit bons que les vins qu’il vendoit.
Et du Nombre des vingt cinq[11] sont Mrs Groü Doyen, Avrillon près le Puits Certain, Coquart rue du Temple, Charles rue de la Huchette, Baron rue du Paon, Rousseau rue d’Avignon[12], Sellier montagne sainte Genevieve, Paris près la Grève, Moricault l’ainé place Maubert, Roussillard près le Pont Marie, Riberolle Isle Notre Dame, Moricault le jeune rue des Boucheries saint Germain, Forel joignant la Comedie Françoise[13], Baron et Guibault au cimetiere saint Jean[14], Gaudin près le Pont Notre Dame, True rue Galande, la Nopce près le Palais, Courtois, rue saint Honoré, le Gendre rue des Noyers, Migret Fauxbourg de Richelieu, etc.
[11] Les vingt-cinq « cabaretiers », suivant la Cour, qu’il ne falloit pas confondre avec les douze « marchands de vin », quoiqu’ils en portassent le titre et eussent les mêmes privilèges. On pouvoit chez eux non-seulement vendre « le vin à pot, mais donner des repas complets. V. Le Traité de la Police, t. III, p. 719, et la Correspondance de Colbert, t. II, 1re partie, p. 169. Les cabaretiers ordinaires, qui n’étoient pas en même temps marchands de vin comme les vingt-cinq, ne pouvoient au contraire fournir pour les noces et repas que leur salle, le pain, le vin, les couverts, linges et salades. Il falloit apporter le reste. V. à ce sujet un arrêt du 1er août 1705, rendu contre le cabaretier Joseph Filastreau. — Il sera parlé plus loin des marchands de vin qui vendoient surtout au pot.
[12] C’est son cabaret qui est indiqué ainsi dans l’édit. précéd., p. 28 : « à la Galère, derrière Saint-Jacques la Boucherie. » Il avoit, en effet, cette enseigne, déjà ancienne dans la rue d’Avignon, qui en prenoit parfois le nom de « rue de la Galère. » Sauval, t. I, p. 111. — V. sur la maison qu’y occupoit Rousseau, de curieux renseignements dans l’édition que M. Cocheris a donnée de l’Histoire du Diocèse de Paris, par l’abbé Le Beuf, t. III, p. 506. — Il est continuellement parlé de ce fameux cabaretier dans les pièces du temps : le Chevalier à la mode, de Dancourt, les Chinois et la Fille de bon sens de la Comédie italienne, etc. Coulange ne l’a pas oublié dans ses couplets. Il y chante :
[13] Il tenoit le cabaret de l’Alliance, qui étoit, en effet, près de la Comédie françoise établie, depuis 1688, rue des Fossés-Saint-Germain. (Hist. amour. des Gaules, t. III, 435.) C’est à sa porte que mourut subitement, en 1701, le gros comédien-auteur Champmeslé. L’Alliance est citée, pour les débauches qui s’y faisoient, dans plusieurs pièces du théâtre italien : la Cause des femmes, Pasquin et Marforio, les Aventures des Champs-Elysées, où Forel est nommé.
[14] Les cabarets y étoient déjà nombreux sous Louis XIII. Saint-Amand l’appelle « un cimetière »
Il y a plusieurs autres Marchands renommez pour les fins Vins et pour la belle Viande, par exemple, Messieurs Lamy aux trois Cuilleres rue aux Ours[15], Loisel aux bons Enfans[16] près le Palais Royal, Fitte au grand Loüis rue Bailleul[17], Berthelot à la Conférence rue Gémis Laurent, du Monchel au Soleil d’or rue saint André, du Test à la Corne rue Galande, de Sercy à la petite Galere rue de Seine[18], etc.
[15] Celui-ci étoit en telle vogue, qu’il avoit fini par dédaigner le nom de cabaretier, pour prendre celui de traiteur, que tous les autres, cela va de soi, prirent aussitôt comme lui, même ceux des guinguettes. « Colombine, déguisée en chevalier. Quand vous donnerai-je à souper chez Lamy ? — Isabelle. Vous perdez le respect, chevalier, une fille de ma qualité au cabaret ! — Colombine. Oh ! s’il vous plaît, Lamy n’est pas un cabaret, c’est un traiteur de conséquence… » Le Banqueroutier (1687), théâtre de Ghérardi, t. I, p. 390. Il est nommé dans le prologue du Grondeur (1691).
[16] Il avoit pris pour enseigne le nom même de sa rue, qui alloit, du reste, fort bien à un cabaret.
[17] Fitte, qui est aussi nommé deux fois dans Turcaret, comme l’homme des meilleurs repas, a eu l’honneur d’être cité par Chaulieu, en 1704, dans son épître au chevalier de Bouillon :
[18] C’est chez lui que Saint-Amand étoit mort le 29 décembre 1661, après une maladie de deux jours : « Son ami, l’illustre abbé de Villeloin, si connu dans la République des Lettres, dit Fr. Colletet dans l’Abrégé des Annales de Paris, 1664, in-12, p. 439, l’assista en ce dernier moment et luy rendit ce dernier devoir de son amitié qu’il luy avoit juré depuis tant d’années. »
Il y a d’ailleurs en différens quartiers de la Ville et du Fauxbourg des Traiteurs et Marchands de Vins qui font nopces ou qui tiennent de grands Cabarets, et où il se fait de gros Ecots, par exemple, Mrs Clossier à la Gerbe d’or rue Gervais Laurent, Blanne à la Galere rue de la Savaterie, Bedoré au petit Panier rue Tirechape[19], Robert près les Consuls[20], Aubrin à la Croix Blanche rue de Bercy[21], Martin aux Torches cimetiere saint Jean[22], Guérin à la Folie rue de la Poterie, Payen au petit Panier rue des Noyers, Cheret à la Cornemeuse rue des Prouvaires[23].
[19] L’édit. de 1691, p. 28, le loge « rue Troussevache. »
[20] « Au cloître Saint-Méderic, chez Robert. » Id.
[21] Un autre cabaret de « la Croix blanche », étoit rue aux Ours. Edit. de 1691, p. 28. — Chapelle fréquentoit celui de la rue de Bercy, au Marais. Il avoit deux entrées, l’une sur cette rue, l’autre sur une rue parallèle, qui en avoit pris le nom de rue de la Croix-Blanche. Elles étoient toutes deux fort étroites, et il a suffi, en 1850, d’enlever l’îlot de maisons qui les séparoient, pour n’avoir qu’une seule rue de largeur réglementaire.
[22] Ce cabaret est déjà nommé comme un des fameux dans les Visions admirables du Pelerin du Parnasse. 1635, in-12.
[23] Il est cité dans la pièce Les Souffleurs, acte I, sc. XI. Les auteurs y alloient beaucoup. (V. notre Notice sur Regnard.) — Dancourt qui, on le sait, par une anecdote connue, se consoloit chez Chéret de la chute de ses pièces, l’a nommé, dans sa comédie, Madame Artus. Acte I, sc. XI. — Chéret fit fortune. Son fils devint procureur au Parlement, et ce sont ses petites-filles, Mlles Chéret, très-ardentes jansénistes, qui, en 1758, pour tenir tête au curé de Saint-Séverin, créèrent une sorte de petite église qu’elles opposèrent à la sienne. (Journal de Barbier, édit. in-18, t. VII, p. 81 et 377.)
On peut aussi boire et manger proprement et agréablement au Loüis près le Jeu de Metz[24], à la porte S. Germain rue des Cordeliers, à la Reine de Suède rue de Seine, aux Carneaux rue des Déchargeurs, à la petite Bastile rue Betizy[25], au petit Pere noir rue de la Bucherie[26], aux trois Chapelets rue saint André, à la Galère rue saint Thomas du Louvre[27], au Soleil des Perdreaux[28] rue des Petits Champs, au Panier fleuri rue du Crucifix saint Jacques de la Boucherie[29], à la Porte saint Denis chez Hory, à la Boule blanche, et au Jardinier[30] Fauxbourg saint Antoine.
[24] Deux autres cabarets avoient cette enseigne du « Louis » ; l’un, qui étoit peut-être celui de Le Gendre, nommé tout-à-l’heure, se trouvoit rue des Noyers ; l’autre, rue Bourg-l’Abbé.
[25] Il y avoit au port Saint-Paul un autre cabaret de « la petite Bastille. » Edit. de 1691, p. 28.
[26] On y venoit de tout Paris, pour la beauté de la cabaretière et l’excellence des vins. C’est pour l’hôtesse que Coulange fit son couplet :
Dans la farce italienne des Deux Arlequins, le vin du cabaret du Père Noir est chanté, acte I, sc. III :
[27] C’est le même cabaret de la Galère, qui, dans l’édit. précédente, est indiqué « près le Palais-Royal. »
[28] « Des six perdreaux. » Id.
[29] Un autre « Panier fleury » est indiqué rue Tirechappe, dans l’édit. précédente. Il donna son nom à un passage, qui alloit de cette rue à celle des Bourdonnois. Rousseau et Diderot dînoient souvent en pick-nik, au cabaret du Panier fleury, dans les premiers temps de leur séjour à Paris. (V. les Confessions, 2e part., liv. VII.)
[30] « Au Jardinet. » Id.
Les Marchands de Vins qui vendent quelquefois en gros et qui debitent beaucoup au pot[31] et en bouteilles, sont entr’autres, Messieurs Mariette, au carrefour saint Benoist, de la Cour rue du Crucifix saint Jacques de la Boucherie, Bernard devant le Pont Neuf, Saulsay rue des Poulies, Rougeault près l’aport de Paris, Bricet Butte saint Roch, Haumont et Berthelot rue des Boucheries saint Germain, des Hottes rue de la Fromagerie, Darlu, Hardouin et Joly près le Palais Royal.
[31] Les bourgeois faisoient vendre la plupart « à pot » ou « au pot », chez ces marchands de vin, le produit de leurs vendanges : « M. Bernard. Ne vaut-il pas autant vendre mon vin à la campagne que de le faire vendre à pot dans Paris, comme la plupart de mes confrères. » Dancourt, la Maison de campagne, scène XXXII.
Le même M. Joly donne fort bien à manger à trente sols par tête[32].
[32] L’édition de 1691, p. 28, cite encore quelques autres cabarets : « Au petit Paris, rue de la Verrerie ; à la petite Epousée, rue Saint-Jean en Grêve ; chez Tessier, au coin Saint-Paul ; au Cormier, rue des Fossez-Saint-Germain ; à la Vallée Tissart, rue Vaugirard ; au Milieu du Monde, à la Grenouillère, où demeure Lognon, renommé pour les matelottes ; à la Chasse Royale, près la porte Saint-Louis ; aux Bâtons royaux, rue Saint-Honoré. » Les Bâtons royaux se trouvoient près de Saint-Roch, dont les marguilliers y alloient faire bombance. (V. notre Histoire de la Butte, p. 52.)