← Retour

Le livre commode des adresses de Paris pour 1692, tome 1/2

16px
100%

PANNETERIE ET PATISSERIE.

Entre les Patissiers renommez pour la patisserie, sont les Sieurs le Coq, rue de l’Université, quartier saint Germain[1] ; le Hongre, rue saint Antoine, près les Jesuites ; Mignot, rue de la Harpe[2] ; Berthelot, rue saint Louis du Palais ; Luce, près les Basions Royaux[3] ; Sonnet, près saint Roch ; Bouliet, rue des Déchargeurs ; Gravier, à l’entrée de la rue saint Antoine ; la veuve Langlois, à la Bazoche, rue saint André[4], et pour ce qui regarde les Biscuits, Macarons, Craquelins, Massepains, Cornets, voyez l’article precedent.

[1] Dans la 1re édit., il est donné, p. 27, comme ayant « une grande réputation pour toutes sortes de patisseries. » Puis on lit à la suite : « Ainsi en est-il du sieur Flechmer, rue Saint-Antoine, au coin Saint-Paul, celuy-ci fait un grand débit de fines brioches que les dames prennent chez luy en allant au Cours de Vincennes. » — Les marguilliers de Saint-Paul, avec lesquels, en bon voisin, il s’entendoit, lui faisoient commander tous les pains bénits de la paroisse. Ils en avoient une part du profit, ou tout au moins une paraguante, comme on appeloit alors le pourboire. Marigny, après leur avoir dit, dans son poëme du Pain Bénit, qui parut en 1673, tout ce qu’il y avoit de scandaleux dans leurs exigences pour que le gâteau fût bien large, bien épais, « bien étoffé », ajoute :

Encor ne pouvez-vous souffrir
Que le pain que l’on doit offrir
S’achète ailleurs qu’en la boutique
De Fléchemer, qui pour l’argent,
Afin d’avoir votre pratique,
Se qualifie effrontément
De patissier de la fabrique.
Que son pain soit grand ou petit,
Il est selon votre appétit.
S’il vous donne une paraguante,
Et s’il fait bien boire Regnault,
Votre fabrique est fort contente :
L’offrande est faite comme il faut.

[2] « Le sieur Mignot, rue de la Harpe, n’a pas seulement beaucoup de réputation pour la patisserie, mais encore pour toutes espèces de ragoûts, étant patissier traiteur. » Edit. de 1691, p. 28. — Voilà qui le venge de Boileau. C’est, en effet, le Mignot de la Satire du Repas, où il est donné, il vous en souvient, pour « l’empoisonneur » qui sait le mieux son métier. De notre temps, il eût fait au satirique un procès en diffamation. Il s’y prit, pour sa revanche, comme on s’y prenoit du sien. Il rendit satire pour satire. Cotin venoit d’en faire une contre Boileau, dont il vouloit aussi se venger. Ils s’entendirent ensemble, et, pendant plusieurs semaines, il ne sortit pas un gâteau de chez Mignot qui ne fût enveloppé du papier satirique de Cotin. Sa boutique, du reste, ne prospéra que mieux du mal qu’on en avoit dit : « Ce matin, dit Brossette, à la date du 22 oct. 1702, dans ses Mémoires sur Boileau, en passant dans la rue de la Harpe, l’on m’a montré la maison où Mignot, patissier et traiteur, tenoit autrefois sa boutique. C’est vis à vis la rue Percée. Un nommé Couterot tient la même boutique de patissier. Mignot a quitté sa profession en 1700, et il vit de son bien. » Il avoit eu surtout une grande réputation pour les biscuits (Vigneul-Marville, Mélanges, t. III, p. 291).

[3] Cabaret de la rue Saint-Honoré, dont il sera dit un mot plus loin.

[4] On y mettoit fort bien les levrauts en pâtés, si l’on en croit le procureur de la 3e Satire de Furetière. On m’a fait, dit-il,

On m’a fait un présent d’un levreau d’importance,
Que j’aurois plus gardé, n’étoit cette occurence ;
Si je le mangeois seul j’aurois quelque remords ;
J’ai dit qu’on luy fît faire un brillant juste au corps
Et l’ai fait envoyer exprès à la Bazoche.
Il fait plus de profit en pâte qu’à la broche.

M. Prevost, Boulanger de Monsieur et de Madame[5], demeure près le Palais Royal.

[5] Dans l’Etat de France pour 1692, p. 774, c’est Jacques Converset qui est indiqué comme boulanger de la maison de Madame. Pour celle de Monsieur, p. 736, l’indication manque.

Le Sieur Verité, Boulanger, près la Magdelaine[6], fournit Nosseigneurs du Parlement, et est fort renommé pour le Pain de Seigle et pour le Pain au lait[7].

[6] En la Cité.

[7] Ces « pains au lait » étoient spéciaux aux boulangeries dites « de petits pains », et ils y avoient des noms particuliers suivant leurs formes. On les appeloit pains à la mode, pains de Ségovie, et encore pains à la Montauron, mais ce nom avoit à peu près passé pour faire place à un autre, comme on le verra plus loin. Fagon avoit défendu au Roi l’usage de ces pains au lait. (Journal de la Santé, p. 211, 223.)

Il y a plusieurs autres Boulangers renommez pour diverses sortes de Pains, par exemple, les Sieurs Dantan, près les Jacobins, pour le petit pain ; de Lorme, rue aux Ours ; et le Comte, au cimetiere saint Jean, pour le pain molet[8] ; des Monceaux, rue de Tournon, et le Comte, rue Galande, près la place Maubert, pour différentes sortes de Pains[9].

[8] On l’avoit aussi appelé pain à la Reine. Comme il y falloit plus de levure qu’aux autres et qu’il n’étoit pas ainsi réglé selon les lois de la médecine, la Police ne l’avoit d’abord que toléré (O. de Serres, p. 822). En 1688, il faillit être tout à fait défendu à la suite d’un procès entre les Boulangers et les Cabaretiers, dont nous avons ailleurs donné longuement le détail. V. Le Roman de Molière, p. 191-227.

[9] Presque tous étoient fort grands, comme notre pain Jocko, dont le nom est une altération de celui du pain Coco du Languedoc. Le Sicilien, dont nous avons déjà cité la lettre, s’étonne de ces pains énormes, et il en parle avec une exagération amusante : « le pain est bon, il est blanc, bien fait, dit-il, et un seul pain est quelque fois si grand qu’il suffit pour rassasier une semaine entière pendant plusieurs jours ; ce qui a fait dire à un plaisant que si cette manière de faire de grands pains eût été dans la Judée au temps du Messie, les cinq mille Juifs qui furent rassasiés se seroient plutôt étonnés du four que du miracle. » — Le plus grand étoit le grand pain bourgeois, dont Jean Alassin avoit obtenu le privilège en juin 1649, et qui avoit fini par être accepté, malgré l’opposition des boulangers et surtout des meuniers. C’étoit un pain bis-blanc, qui se distribuoit au poids en échange du blé (Bibliog. des Mazarinades, t. I, p. 411-412). Une brochure in-4o de 7 pages et rarissime contient sur cette spéculation de boulangerie populaire des données curieuses : Tarif des droits que l’entrepreneur du Magasin de grand pain Bourgeois, estably dans la rue des Rosiers au petit hôtel d’O, a costé de la vieille rue du Temple, prend tant pour le déchet ordinaire de la farine au moulin ou ailleurs que pour les frais dudit moulin et de la fabrique ou du cuisson (sic) du pain.

La veuve Ronay, rue saint Victor, fait un pain de table excellent de toutes farines, qu’on nomme Pains à la Joyeuse[10].

[10] C’est un souvenir du règne de Henri III, où, après les noces du duc de Joyeuse avec la sœur de la Reine, tout fut « à la Joyeuse » dans Paris, même le pain.

Il y a dans la Cour des Quinze-Vingts plusieurs Boulangers qui font un Pain de menage[11] de toutes farines qui est trouvé d’un bon goût.

[11] Cette expression « pain de ménage » est déjà dans le Théatre d’agricult. d’O. de Serres, 1605, in-4o, p. 824.

Le Boulanger qui fabrique le petit pain de mouton pour les enfans[12], demeure rue de Seine, quartier saint Germain[13].

[12] Le pain-mouton étoit une sorte de petit pain saupoudré de grains de blés que les valets étoient chargés de donner aux enfants pauvres, quand venoient les étrennes. Il différoit beaucoup — sauf par le nom — du pain de mouton, qui se faisoit avec du beurre, du fromage, et de la pâte, et n’étoit guère plus grand, dit Richelet, qu’un écu d’argent. On le donnoit aussi aux enfants « un peu devant et un peu après le jour de l’an. » L’abbé de Marolles a parlé dans les notes de sa traduction d’Athénée, 1680, in-4o p. XXXIX, où certes l’on ne l’attendoit guère, d’une femme qui fut célèbre en son temps, par le débit qu’elle faisoit de ces petits pains, en criant par les rues : « à mes petits pains de mouton, Mesdames ! »

[13] Dans l’édit. précéd., p. 62, son adresse est « rue des Mauvais Garçons », celle du faubourg Saint-Germain, sans doute, près de la rue de Seine.

Le Sieur Ozanne, rue de Guenegaud, est renommé pour le pain Paget[14] et pour une sorte de pain façon de Gonesse[15].

[14] C’étoit, croyons-nous, le pain à la Moutauron, avec un nom plus nouveau, mais déjà ancien lui-même. Jacques Paget Du Plessis, d’abord maître des requêtes, puis intendant des finances, avoit fait fortune en s’arrangeant avec les partisans, lorsque Moutauron, un de ceux-ci, avoit sombré après quelques années de la plus grande magnificence, qui lui valut, comme on sait, la dédicace de Cinna. Tout étant de mode, le pain à la Moutauron fut remplacé par le pain Paget, comme la fortune de Paget avoit succédé à celle de Moutauron.

[15] On sait que le pain de Gonesse, qui devoit, dit-on, ses qualités à l’eau du pays, étoit celui qu’on préféroit à Paris, dont il formoit en grande partie l’approvisionnement. L’arrivage s’en faisoit deux fois par semaine, et il avoit sa halle particulière : « On ne prendra pas Paris, disoit Condé, suivant le cardinal de Retz, par des mines, comme Dunkerque, et par des attaques, mais si le pain de Gonesse lui manquoit huit jours. » Lister le trouva excellent et bien supérieur à celui de Paris. « Il est extrêmement blanc, dit-il (chap. VI), ferme, léger et fait avec du levain. Il est ordinairement en pain de trois livres. » Le prix de trois deniers anglois la livre, qu’il donne ensuite, équivaut à trente-et-un centimes d’à présent.

Le Sieur Jacques, rue saint Honoré, est renommé pour le pain biscuit qu’on mange avec les liqueurs.

Les Sieurs l’Esteuve, près saint Medard, et Adam, rue saint Denis, au Roy François[16], fabriquent des Fours pour le public.

[16] C’est-à-dire Cour du Roy François, ancienne Cour des Miracles, qui n’a disparu que dans ces derniers temps, et qui devoit son nom à cette enseigne.

Il y a plusieurs Paindepiciers rue Marivaux[17] et porte S. Denis.

[17] On les appeloit aussi « patissiers de pain d’épice. » Ils étoient peu nombreux à Paris, à cause de la concurrence de ceux de Reims.

Chargement de la publicité...