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Vers la lumière... impressions vécues : $b affaire Dreyfus

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III

LA JOURNÉE DES GÉNÉRAUX

9 février.

Voilà que c’est changé, que les grands chefs arrivent ; qu’un papillotement de pourpre et d’or reluit sous le jour faux.

Qu’en restera-t-il ? On ne sait... Une injure du général Gonse aux « robins » de la défense ; l’équivoque d’une négation du général Mercier s’appliquant non à l’existence de la pièce secrète communiquée hors séance aux juges du 1er Conseil de Guerre — sur ce point l’ex-ministre refuse de se prononcer, sans s’apercevoir que, tel, le silence est affirmatif — mais à l’allégation qu’il en aurait parlé à qui que ce soit.

Puis, encore, sa parole de soldat, hors et, pense-t-il, au-dessus de toute discussion, que Dreyfus était un traître « justement et légalement condamné ».

Et c’est tout. Pas assez pour nous convaincre, après tant d’irrégularités et de mystères ; pas assez pour imposer silence au besoin d’examen et d’investigation.

Entre la double haie de municipaux, immobiles, qui font passage, du prétoire à la porte du corridor, M. le général Le Mouton de Boisdeffre, chef de l’État-Major de l’armée, s’avance.

Il a une couronne de comte dans le fond de son képi ; la taille très droite, le crâne très chauve, le parler circonspect.

Ainsi qu’il sied à un guerrier qui commanda, je crois, trois mois dans l’active, et fit le restant de sa carrière dans les ambassades, il est, à la fois, distingué, vain et puéril.

Présentement, il fait l’autruche ; s’imagine qu’il s’abrite dans un silence partiel et éphémère.

Lui tirer une parole est métier de puisatier : le pauvre Labori y sue sang et eau !

Tantôt il s’abrite derrière le secret professionnel, dont il a fait réserve en son serment. Tantôt il se retranche derrière l’arrêt de la Cour, restreignant la preuve. Il décline, rompt, échappe, glisse entre les doigts.

Et, de tout ce qu’on lui demande, il ne sait rien, jamais rien ! Sur le document chipé aux bureaux de la Guerre ; rentré dans les cartons par l’entremise de la Dame voilée et d’Esterhazy ; que celui-ci qualifiait de « libérateur » et dont le Ministère a délivré reçu ; « M. le témoin », comme dit Labori, en un malin lapsus, ou ne peut parler, ou ignore.

Jamais on n’aurait supposé que situation si haute comportât telle absence d’informations !

Le général Gonse, petit, boulot, la bouche en O, le nez en croquignole, a l’air bourru et bonhomme d’un gardien de square.

Il est rageur.

A Labori, qui le questionne, il décoche ce coup de boutoir :

— Ce sont des traquenards, çà !

Tumulte, cris, évacuation de la salle, suspension de l’audience, intervention de Me Ployer, le bâtonnier, excuses. Après, on est tout à fait des bons amis.

Le commandant Lauth, face plate et dure, maxillaire anguleux, physionomie fermée, vient témoigner d’intentions qu’il crut saisir de la part de son ancien chef, le lieutenant-colonel Picquart, quant à l’identification d’écriture et le timbrage postal du petit bleu qui mit sur la piste d’Esterhazy.

Seulement, un mot nous laisse rêveur « falsification de clichés ». Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Falsification d’épreuves, on comprendrait. Mais de clichés ! Alors que sur la plaque, la moindre retouche apparaît, visible, indéniable ! Les « photographes » de l’assistance s’entreregardent, éberlués, interrogateurs...

Le lieutenant-colonel Henry, comme par hasard, est en mission depuis hier. Oh ! oh ! Les défenseurs, âprement, insistent pour qu’on le fasse revenir.

Et voici Gribelin, pauvre être, sûrement honnête, sûrement dévoué, borné comme une pioche, et qui détient, paraît-il, tous les secrets de la défense. C’est-à-dire qu’il a la clef de l’armoire, de ce coffre-fort bizarre d’où les documents voltigent, vont, viennent, comme oiseaux d’une cage ouverte, tantôt dans le giron de la Dame voilée, tantôt sur le poing d’Esterhazy, qui, contre reçu, les ramène à la volière !

Gribelin, pour tous renseignements de temps et d’heure et de détails, quant à la communication qu’il aurait surprise, d’un dossier, par Georges Picquart à M. Leblois, s’en tient à ceci : « La lampe était allumée ». Rien ne l’en fera sortir. Il se cantonne, dans cette observation psychologique, avec la plus touchante obstination. Cette lampe est son phare, son étoile ; elle l’absorbe et l’hypnotise.

— La lampe était allumée !

Si bien que le président, tout à l’heure, par un lapsus qui coupera, de rire, la solennité des débats, le prendra pour le lampiste !

Le général Mercier, on le connaît : il a le physique d’un bottier de régiment ! Les cheveux cirés, trop noirs, le nez en croc, il s’en est tenu aux réponses citées plus haut.

M. Trarieux, dans le crépuscule s’harmonisant à merveille avec sa silhouette mélancolique, sa parole sereine, dit comment MM. Scheurer-Kestner et Leblois l’amenèrent à partager leur conviction. Il raconte aussi comment dans l’original d’un des documents reproduits par la presse, il y avait seulement l’initiale D... (cette canaille de D...) et que l’on mit Dreyfus.

Car, avec lui, un fait nouveau, et d’une importance capitale, apparaît.

En 1894, alors que Dreyfus vient d’être arrêté, et que le public n’en sait encore rien, des indiscrétions émanant certainement des bureaux de la Guerre (ne pouvant provenir que de là) sont commises envers la presse afin de rendre les faits publics et le scandale inévitable.

En 1896, alors que l’enquête du colonel Picquart, avec l’assentiment de ses chefs, va peut-être aboutir, les mêmes indiscrétions, ne pouvant émaner que du même lieu et des mêmes gens, sont à nouveau perpétrées dans l’intention non moins évidente d’effrayer, d’enrayer, en provoquant une effervescence d’opinion.

Mais la nuit survenue interrompt la déposition de l’ancien Garde de sceaux.

— « Le Garde des faux ? », prononce Gribelin, qui blèse...

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