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Vers la lumière... impressions vécues : $b affaire Dreyfus

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NOTRE ŒUVRE


Réponse à quelques-uns.

Du chagrin, oui, certes on peut en avoir — pour la patrie et pour l’humanité !

Que notre France soit ainsi avilie par ceux-là mêmes qui la prétendent défendre ; que certaines scélératesses d’âme soient possibles, se fassent visibles, comme la charogne qui remonte à la surface de l’eau, oui, telles choses sont faites pour provoquer la nausée et la mélancolie.

Mais ces sentiments-là sont du luxe, dans la bataille : on ne saurait s’y attarder, ni s’y amollir. Que nos sens se trouvent offusqués, que la fierté collective souffre, il importe peu à la continuité de l’effort, au courant ininterrompu d’énergie qui doit relier demain à hier.

Le vrai sentiment de la situation, l’orgueil nécessaire à retremper les muscles, le viatique, le réconfort, on le puisera dans l’examen de ce que nous avons obtenu — en dépit de quels obstacles !

Un homme était au bagne, interné dans des conditions illégales après avoir été jugé illégalement. Il était en proie à Lebon, à Deniel, à l’emmurement, au silence éternel, à la double boucle, aux mensonges crucifiants, seul, tout seul, aussi mort que les défunts dans le sépulcre !

Il ne devait plus jamais revoir la France, ni ses semblables, ni ses parents ! Sa femme était veuve, ses enfants orphelins : tous les pouvoirs sociaux, coalisés, avaient tracé la croix sur son nom. Il était rayé à jamais du nombre des vivants.

Bernard Lazare alluma la première torche, à laquelle d’autres flambeaux, ensuite, vinrent s’allumer. On était une poignée de précurseurs, dans les ténèbres, et la lumière devint cible à nous lapider.

Toutes les calomnies, tous les outrages, toutes les proscriptions nous les connûmes ! Les plus forts soutenaient les plus faibles : on n’abandonnait pas de blessés sur la route ; personne, jamais ne lâcha pied. Ainsi, lentement, on avança.

Lors, le Destin se mit des nôtres. Ce qui devait nous desservir, nous servit, au contraire, puissamment. Aux heures critiques, survint le miracle. Les adversaires, comme par un doigt invisible, étaient marqués, frappés. Même les échecs apparents se transformaient en victoires, sans fanfares, mais d’une portée considérable.

De vingt, nous étions cent, puis mille... et, dès lors, à chaque démonstration publique, à chaque fait nouveau, le nombre des partisans de la Vérité grandissait. Le reflet de son miroir gagnait du terrain, envahissait, comme l’aube, des coins jusqu’alors obscurs, des consciences encore ténébreuses.

Nous avons tiré l’homme de son bagne, notre volonté a fait lever Lazare du tombeau. Rappelez-vous : on défiait que cela se fît jamais, sous peine d’une révolution générale ? Il a suffi de quatre douaniers et de quelques gendarmes, pour maintenir non pas la furie, mais la curiosité populaire dans de décentes limites.

On niait que l’esprit de caste ou de chapelle ait pu influer sur sa condamnation ? L’événement a montré Mercier essayant de renouveler, auprès des juges de 1899, le coup de la communication secrète de 1804. On a pu voir les généraux coalisés s’efforcer de sauver un des leurs aux dépens de l’innocent ; préférer l’impunité d’Esterhazy à la confession de l’erreur initiale, que couvrirent après tant de crimes !

La conquête morale est immense. En plein Forum, sous la lumière crue et cruelle du jour, le peuple, juge à son tour, a pu estimer certains de ses chefs ; jauger leur spéciale mentalité ; apprécier leur intempérance de langue et la puérilité de leurs manœuvres ; se rendre compte comment ces sous-Trochu le pourraient mener aux boucheries promises...

Cette évolution-là vaut deux révolutions car elle ne fut pas sanguinaire et affranchit les cerveaux.

FIN

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