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Vers la lumière... impressions vécues : $b affaire Dreyfus

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LEMERCIER-PICARD


 

La Cour de cassation se réunit jeudi prochain, pour statuer sur la revision.

Il me semble donc, qu’à cette heure, chacun a le devoir de dire ce qu’il sait, peu ou beaucoup ; de publier ce qu’il a entre les mains ; de se dessaisir de ces parcelles de vérité, qui ne sont pas la vérité entière, mais qui, rapprochées de ce qu’en peut posséder le voisin, sont susceptibles d’aider, par l’extension du fragment, à la reconstitution intégrale.

Personne, actuellement, n’a le droit de se dire : « Je n’en sais pas assez pour parler » ; car personne n’est sûr qu’un autre (qui s’en dit autant) ne détient pas le mot de ce qui lui semble énigme, indéchiffrable mystère !

Il n’est que ceux à en savoir trop, qui, armés de certitudes, sont en état de doser, au mieux de ce qui doit advenir, la révélation ou le silence...

On se souvient de Lemercier-Picard, le « pendu » de la rue de Sèvres, l’homme qui fut, le 2 mars, retrouvé étranglé, presque à genoux, au bout d’une ficelle, après entretien avec un visiteur demeuré inconnu ; chez qui fut saisi un papier identifié des initiales H. R. (je l’ai vu sur le bureau du magistrat-instructeur) 3 disant : « Devant le juge, opposez le silence absolu à toutes les questions qui vous seront posées. Votre avenir en dépend ; » qui, sous le nom de Vandamme, avait dit à M. le colonel Sever : « J’ai été employé au service des renseignements (2e bureau de l’État-Major général) comme agent secret » ; qui avait dit à M. Émile Berr, du Figaro, qu’il avait reçu trois cents francs, à titre d’indemnité pour services rendus, du ministère de la guerre ; qui avait écrit à M. Reinach dans la lettre que publia, sauf trois noms, le Temps, et que compléta le Radical : « Aujourd’hui, je ne me crois plus tenu au secret ; aussi, vous me voyez tout à fait résolu à m’expliquer sur le rôle que j’ai joué à l’instigation de M. Rochefort, du colonel Henry et de M. du Paty de Clam » — ladite lettre datée du 18 JANVIER.

Peu de jours après, le 29 JANVIER, il adressait à Émile Zola la lettre que voici. Elle est inédite. J’en tiens (les originaux étant en lieu sûr) soit les clichés, soit les épreuves, à la disposition de qui de droit.

Paris, 29 janvier 98.

Monsieur,

La cause que vous défendez ne saurait plus longtemps me laisser dans l’indifférence. Admirateur de vos œuvres, je professe, pour votre haute personnalité, le plus profond respect ; c’est pourquoi, en présence de votre noble attitude dans l’affaire Dreyfus, je viens vous apporter un concours qui, dans les circonstances actuelles, étant donné le rôle d’agent que j’ai joué dans l’affaire Reinach-Rochefort, peut, au cours des débats engagés, et par mes révélations et par des documents en ma possession, apporter la plus vive lumière sur les agissements de plusieurs officiers de l’État-Major général, de concert avec Rochefort.

Qu’il me suffise pour le moment de vous dire que les ordres m’étaient transmis par ce dernier, dans une propriété Villa-Saïd. A cette adresse, se tenaient les conciliabules auxquels j’assistais fréquemment et où se retrouvaient fréquemment le lieutenant-colonel Henry, du Paty de Clam et Cie. Cette adresse, du reste, ne fut choisie qu’après que les trente jours d’arrêts furent infligés à Pauffin de Saint-Morel.

Ici, je ne puis vous en dire plus ; si vous croyez devoir donner une suite à ma proposition, ou plutôt si vous désirez m’entendre, je crois à l’avance pouvoir vous affirmer que vous n’en aurez pas de regret.

Ma déposition seule, justifiée du reste par des documents, suffirait à produire sur le jury une telle impression que, quel que soit son parti pris contre les défenseurs de Dreyfus, il ne saurait se soustraire à l’obligation de faire éclater la vérité.

Si, après avoir consulté Me Labori, vous croyez devoir donner une suite, je vous serai très obligé de me fixer un rendez-vous, à moins que vous ne préfériez que je fasse ma déposition en l’étude de votre défenseur.

Le cas échéant, veuillez tout simplement mettre sous enveloppe l’adresse où je vous rencontrerai, sans rien ajouter, sans signature ; je comprendrai.

En cette attente, je vous prie de bien vouloir agréer, avec toute mon admiration, les respectueuses salutations de votre très humble serviteur,

LEMERCIER-PICARD

T. S. V. P.

Adresse :

23-12-1853, Poste restante,
Place de la Bourse,
Paris.

P.-S. — Pour vous donner une idée, si petite soit-elle, sur le concours que je puis vous apporter, je joins à ma lettre un des nombreux feuillets qui sont en ma possession ; comme tous les autres, celui-ci sort des bureaux de l’État-Major. Cette écriture est facile à reconnaitre.

A cette missive, en effet, était jointe une page évidemment détachée d’un travail sur quart de papier écolier très ordinaire ; numérotée 4, en haut, au milieu ; et tracée d’une écriture fine, presque féminine, à tendance très ascendante vers la droite : ce que les graphologues appellent l’écriture d’ambitieux.

En voici le texte :

(4)

a commandé le 161e régiment d’infanterie depuis 1892 jusqu’au jour où il partait pour Madagascar comme général de brigade ;

2° Le lieutenant-colonel Henry, accusé d’écrire dans les journaux — ce qui ne serait, on en conviendra, qu’un crime très relatif — s’en défend avec une énergie qui vaut bien la violence de ses dénonciateurs ;

3° Le général Gonse, accusé d’avoir manifesté une opinion favorable à Dreyfus, est peut-être l’homme de l’armée le plus convaincu de la culpabilité du traître ;

4° Le général de Boisdeffre. Celui-là est simplement le Deus ex machina qui a tout combiné pour perdre Dreyfus — dont sans doute il convoitait

Au 29 janvier, si en éveil que l’on pût être, tout cela pouvait passer encore pour œuvre d’imagination ou d’exagération.

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Dix-neuf jours plus tard ; le 17 FÉVRIER, M. le général de Pellieux, à l’audience faisait la déclaration que l’on sait, quant à l’existence de la fameuse pièce secrète, survenue au ministère de la guerre postérieurement à la condamnation de Dreyfus, lors de l’interpellation Castelin.

Autrement dit : le faux du colonel Henry.

M. de Pellieux traitait ce document, on s’en souvient, « de preuve absolue de la culpabilité de Dreyfus, absolue ! dont l’origine ne pouvait être contestée. »

M. le général Gonse appuyait, attestait l’existence, la réalité, et l’absolutisme de la preuve.

A l’audience suivante, M. de Boisdeffre, chef de l’État-Major général, confirmait de tous points la révélation de M. de Pellieux, « comme exactitude et authenticité ».

Et LE LENDEMAIN, 19 FÉVRIER, voici (portant le timbre de l’avenue Marceau, 5e levée, et mentionnée « Urgent et personnel »,) la lettre qui m’arrivait à la Fronde.

Paris, samedi 3 heures.

Madame Séverine,

Trop étroitement lié à l’affaire qui se déroule en ce moment aux Assises, jusqu’à présent, pour des raisons d’ordre intime, j’ai cru devoir conserver une attitude pleine de réserve et me suis tenu dans l’ombre ; mais quelques révélations faites par des chefs de l’État-Major, me visant directement, m’autorisent, par ce fait même, à lever le voile sur le rôle que j’ai joué.

Voudriez-vous m’accorder une audience ce soir ? j’aurai besoin de vous consulter. Si je viens à vous de préférence, c’est que je ne vous suis pas inconnu : je vous rappellerai en même temps en quelle circonstance j’ai eu l’honneur de m’adresser à vous.

En cette attente, veuillez agréer, je vous prie, mes respectueuses salutations.

M. DURANDIN.

P.-S. — Je repasserai rue Saint-Georges, à la Fronde, à 11 heures du soir, prendre votre réponse.

J’ai raconté, dans les numéros de ce journal datés des 7, 8, 9 et 10 mars, les moindres incidents de cette correspondance personnelle ; et, comme quoi, le rendez-vous ayant été indiqué, l’homme ne vint pas.

Le nom m’était inconnu et je n’ai jamais su en quelles circonstances l’individu avait pu s’adresser à moi.

Le surlendemain, seconde lettre, non moins curieuse par le début. En voici la teneur, sauf sept mots indiquant le but du voyage et me prouvant péremptoirement que l’homme n’était pas dénué de ressources, ne s’adressait pas à moi pour une aide pécuniaire :

Paris, 21, 9 h. 30 soir.

Madame Séverine,

Dans la crainte que les menaces incessantes dont je suis l’objet depuis quelque temps ne fussent mises à exécution, j’ai pris une précaution qui me paraissait d’ordre supérieur ; samedi soir, j’ai pris le rapide et ai déposé en lieu sûr tout ce que je possédais relativement à l’affaire Dreyfus-Esterhazy. Rentré à Paris ce soir, mon premier soin fut de venir prendre votre réponse que je trouvai effectivement au bureau de la rédaction. Je regrette vivement ce fâcheux contre-temps, mais je m’empresse de dire qu’il n’y a rien de perdu.

Demain soir (mardi) je serai à la rédaction (Fronde) à 11 heures précises : il importe beaucoup que ma présence soit l’objet de la plus grande discrétion ; ici je ne puis pas vous en donner la raison, vous devez me comprendre suffisamment.

Dans cette attente, je vous prie d’agréer mes respectueuses salutations.

DURANDIN.

Mais, harcelé, traqué, pourchassé, encore cette fois, il ne parut point.

Et trois jours après (portant le timbre de la rue de Bourgogne, 9e levée) cette dernière missive :

Paris, 25 février.

Madame Séverine,

Rien de ma faute. Je suis venu mardi soir à la Fronde, conformément au rendez-vous que je vous avais demandé, mais je vous l’ai déjà dit, je suis surveillé de près. Je suis arrivé à onze heures précises rue Saint-Georges, mais, filé, je n’ai pu réussir à pénétrer au journal ; il faut cependant que je vous voie. Pouvez-vous me donner rendez-vous autre part qu’au journal ou chez vous ?

Inclus, je vous envoie une petite note dont vous apprécierez le contenu ; si vous croyez devoir me voir avant de l’insérer, adressez-moi un mot poste restante à l’adresse ci-dessous et fixez-moi un rendez-vous dans la soirée.

Recevez mes bien sincères salutations.

DURANDIN.

A. D. B. 1885. Poste restante.

Chambre des députés.

Je passerai prendre votre réponse entre 4 et 6 heures. Le cas échéant, après en avoir pris la copie, veuillez vous-même la faire parvenir à son adresse.

· · · · · · · · · ·

Le 2 mars on le retrouvait mort.

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La « petite note » en question était une lettre à M. Henri Rochefort. Bien que l’auteur, ainsi qu’il est écrit ci-dessus, me l’eût envoyée aux fins d’insertion, il ne m’aurait point paru correct, lui décédé, de ne la point faire tenir, d’abord, au destinataire.

J’avisai donc celui-ci, publiquement, à cette même place (et par un excès de scrupule et de courtoisie appréciable en la circonstance), que je tenais le document à sa disposition.

Voici en quels termes répliqua l’Intransigeant :

« Une collaboratrice du journal en question déclare, de plus, avoir reçu de cet individu une lettre « ouverte » adressée à notre rédacteur en chef et dont le contenu, « bizarre et énigmatique », était destiné à être livré à la publicité.

» L’original de cette lettre, ajoute le journal féministe, est à la disposition de M. Rochefort.

» Un individu qui envoie à un journal une lettre qu’il aurait soi-disant écrite à quelqu’un est ou un aliéné, ou un maître-chanteur, ou un homme à la côte qui essaye de se faire payer ses inventions.

» M. Rochefort n’ayant eu affaire à personne autre que celui qui apporta à notre journal la copie du faux « Otto » faite par M. Émile Berr, n’a aucun motif de s’intéresser à un papier signé d’un homme qu’il ne connaît pas et qui ne peut être qu’un fou ou un mystificateur.

» Que la rédactrice de la Fronde garde donc ou ne garde pas la lettre du nommé Durandin, laquelle lettre ne vaut certainement pas le timbre-poste que nécessiterait son envoi au destinataire. »

Cette réponse, il faut bien le dire, renfermait quelques inexactitudes. Le paragraphe par exemple, où il est affirmé que M. Rochefort ne connaissant que l’homme du faux Otto, également connu de M. Émile Berr — soit Lemercier-Picard, sous le pseudonyme d’Émile Durand, — ne reconnaissait pas Durand en Durandin, équivalait au télégramme expédié de Monte-Carlo, par M. Rochefort, au Jour :

« Jamais le rédacteur en chef de l’Intransigeant n’a été en relation avec l’homme de la rue de Sèvres. Jamais M. Rochefort ne lui fit remettre une somme d’argent. Tout ce que l’on a raconté hier et aujourd’hui, sur les rapports de M. Henri Rochefort et du sieur Lemercier-Picard est aussi faux qu’absurde. »

Pour l’identité de l’individu, après la constatation que fit M. Berr, à la Morgue — « J’ai, dès l’entrée, reconnu Lemercier-Picard » — il y eut celle non moins décisive de M. Charles Roger (Daniel Cloutier) ainsi résumée dans l’Intransigeant même : « C’est bien Émile Durand, l’homme qu’on vit dans nos bureaux. »

Pour l’écriture, lettres signées Roberty, Durieu, Martin, Vergnes, Lemercier-Picard, Durand, Durandin, celles que je publie ici et celles que la justice détient, sont identiques.

Et c’est bien à ce même homme que M. Rochefort, en audience publique de la 9e Chambre correctionnelle, le 3 février, reconnut avoir fait remettre, en deux fois, quatre cents francs.

Munie de l’autorisation en règle qu’on a pu lire, je publie aujourd’hui, sans m’associer aucunement à ce qu’elle peut renfermer et sans y changer une virgule, à titre de document, l’épître de Lemercier-Picard à M. Henri Rochefort. On remarquera que, faite pour être expédiée, elle est signée Durandin ; ce qui semble comporter qu’à deux lettres près, le signataire pensait (hors même la similitude d’écriture avec les manuscrits de même origine que le destinataire possédait déjà) être reconnu.

Elle est la réponse à un article paru du matin, dans l’Intransigeant.

Paris, 25 février 1898.

A Monsieur Henri Rochefort.

Bravo, Monsieur ! Voilà un aveu sur (sic) lequel je ne m’attendais pas et qui au moment où il se produit a, sur les événements qui viennent de se dérouler, une importance réelle et d’une très grande portée. Seriez-vous en veine de confidence ! Si oui, je puis vous apporter mon concours qui, comme vous le savez, peut, dans un bref délai (et quelques (sic) soient les entraves que le gouvernement y mette), provoquer la revision du procès Dreyfus, pour laquelle tant d’honnêtes gens se sont vus traîner dans la boue par une presse immonde, et dont une sommité littéraire, que la France honore malgré tout, vient d’être la victime.

Ce sont de ces phénomènes qui se produisent assez fréquemment chez certaines natures : Peut-être dans l’isolement de votre cellule, pris d’un juste remords, sur la fin d’une vie assez tourmentée, vous êtes-vous posé cette question : « Si, par un juste retour des choses d’ici-bas, ne devrais-je pas expier pour Zola la peine que les 12 jurés viennent de lui infliger ? »

Peut-être aussi que, dans votre article d’aujourd’hui, HEUREUX CONDAMNÉ, votre plume a trahi votre pensée en faisant cet aveu spontané : « Zola n’a jamais rien su du procès Dreyfus, pas davantage du procès Estherazy (sic), et pas beaucoup plus de son procès. »

Eh oui ! Monsieur, vous, mieux que personne, avez qualité pour lui faire ce reproche et avec vous, j’ajouterai, à part, les membres du comité de la Villa-Saïd, nul ne pourra pénétrer les secrets du syndicat Esterhazy dont vous aviez la haute direction.

Vous enfin qui avec une feinte mal déguisée, avez insulté les magistrats, de la 9e chambre, vous vous êtes posé en martyr d’un acte arbitraire, pourquoi n’avoir pas interjeté appel de ce jugement, et pourquoi cet empressement avant l’expiration des délais d’appel, à vous constituer prisonnier ? Cet aveu, vous ne le ferez jamais, parce qu’il entraînerait votre popularité illusoire au fond du précipice, d’où même avec l’appui des collègues de l’État-major général, elle ne saurait plus briller qu’aux yeux de quelques aveugles.

Si cependant votre conscience, plus ou moins élastique se révoltait à faire cet aveu, je pourrais vous suppléer dans cette tâche si délicate, en ce moment même où vous promenez dans Paris les quelques lauriers apportés par des gens à votre dévotion, mais payés sur les fonds mis à votre disposition par le révérend Père Bailly ; inutile d’ajouter que le rôle que j’ai joué près de vous, avec ce que je possède, me donnent une certaine autorité en la matière, vous le savez ; du reste, il est de certains documents que l’on ne peut contester, ceux-là pour votre confusion je les tiens en réserve.

Nous entrons dans la troisième période de ce procès mémorable, période non moins aiguë que les précédentes, où devront s’effacer devant la vérité toute nue, tous ceux qui, pour des raisons de lucre, avaient cru devoir prendre position contre sa manifestation.

Quant à cette vérité que tous les honnêtes gens réclament, je compte sur vous, mon cher monsieur H. Rochefort, pour m’aider à la faire éclater, dussiez-vous après solliciter le pardon de Léon XIII.

Je vous salue bien,

DURANDIN.

Je ne déduis rien de cette lettre ; je n’y ajoute rien. Je la publie, parce qu’on m’en a laissée libre, et que je crois que c’est aujourd’hui le devoir. Mais j’y insiste — car je tiens à ce que le fait soit acquis — sans aucune sorte de commentaires.

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La fabrication du faux de 1896 est imputable, la chose est établie, à un triple personnel : instigation, entremise, main-d’œuvre.

Le colonel Henry, esprit faussé, cerveau capable d’assimilation, mais hors d’état de concevoir par lui-même, fut-ce le crime, fut le complice, je dirai presque le comparse, l’intermédiaire effectif entre la pensée et l’acte.

Il ne venait que secondairement, sur l’échelle des responsabilités, dans la hiérarchie des coupables ; et il s’est trouvé le plus durement châtié, il a eu, au moins, le courage de l’expiation.

Les instigateurs... l’immanente justice s’en chargera.

Mais quant au reste, de tout ce qui précède, du rapprochement des dates, des circonstances, de la patiente mosaïque que je me suis appliquée à reconstituer, il ressort que, matériellement, manuellement, l’ouvrier, l’artisan du faux fut Lemercier-Picard.

Rappelez-vous sa phrase, au lendemain de la production de ladite pièce par les trois généraux : « quelques révélations faites par des chefs de l’État-Major me visant directement ? »

Et faut-il une autre preuve ? Qu’on se souvienne de la description du faux par M. de Pellieux : « La note n’est pas signée d’un nom connu, mais elle est appuyée d’une carte de visite ; et, au dos de cette carte de visite, il y a un rendez-vous insignifiant, signé d’un nom de convention, qui est le même que celui qui est porté sur la pièce, et la carte de visite porte le nom de la personne. »

On voit la façon de procéder.

Or, chez Lemercier-Picard, on retrouve, au dos d’une carte du docteur Legrand — qui n’y est pour rien — cette indication mystérieuse et d’écriture inconnue : « Les fonds sont déposés rue Denfert-Rochereau. »

Et l’on s’explique pourquoi, en dépit du mandat décerné contre lui pour des faits à côté, par un juge ignorant, le 15 janvier, Lemercier-Picard surveillé, filé, n’est pas arrêté ; pourquoi il tremblait pour sa vie — « dans la crainte que les menaces incessantes dont je suis l’objet depuis quelque temps ne fussent mises à exécution » (21 février) — et pourquoi, le 2 mars, n’ayant, ainsi que l’a déclaré sa maîtresse, en maintes interviews, aucune sorte d’idées de suicide, on l’a retrouvé étranglé, presque à genoux, au bout d’une ficelle... comme le prince de Condé !

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