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Vers la lumière... impressions vécues : $b affaire Dreyfus

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RÉQUISITOIRES


Rennes, 7 septembre 1899.

Grâce à Dieu, notre bonheur a passé notre espérance — quand M. le Commissaire du Gouvernement a parlé !

Non qu’il ait été, le digne homme, méchant, venimeux ou perfide ! Tout le fiel de la séance devait passer par la bouche de feu le général Mercier. Vous souvient-il du coup de Lajoux, cet agent du service des renseignements, accusé de démence alors qu’il menaçait de scandale ; enlevé, interné huit jours dans un cabanon, puis expédié au loin, très loin ?

L’ancien ministre de la Guerre (dont le parti venait d’exhiber le Cernusky, convaincu d’aliénation mentale et de bien autres choses) a tenté de reprendre la manœuvre dont Lajoux fut autrefois victime, devinez contre qui ?... Contre le capitaine Freystætter : cet être d’équilibre admirable et de froide raison !

Ce n’est pas un témoin déloyal, oh ! non ! C’est seulement un bon loufoque, qui, sous l’influence du milieu, a fini par s’imaginer avoir vu, dans les pièces communiquées illégalement aux juges de 1894, la fausse traduction de la dépêche Panizzardi !

Il ne tombe pas sous l’action de la loi qui châtie le parjure en justice, mais il devrait être mis sous le jet de la douche qui calme les imaginations vagabondes.

Tandis que se formulaient, d’un accent insinuant, d’une voix mielleuse, telles infamies, des mots de colère étaient crachés en riposte des bancs de la presse.

Et il n’a fallu rien moins que l’apparition et le laïus du « petit père Carrière », pour détendre les esprits et dérider les fronts.

Car il nous reposa.

Lent d’expression, bavard de gestes, bref dans l’ensemble, il nous fut la bonne oasis où l’on fait halte. Son discours se résume en ceci : « Rien n’est certain, tout est possible. Je ne suis compétent en rien, mais laissons tout de côté — et condamnez ! »

Mais si le verbe se résume, la mimique demeure intraduisible, d’une puissance comique inimaginable. Gémier, dans la salle, les yeux hors de la tête, regardait, notait.

Jamais en accord avec la phrase, traçant dans l’espace, sans aucune sorte de motif, des courbes, des ronds, des parenthèses, les mains papillonnantes du commandant Carrière allaient, venaient, tourbillonnaient, semblaient attraper les mots, comme des mouches, entre le pouce et l’index.

D’autres fois, abandonnées, les phalanges défaillantes, la paume en l’air, elles laissaient tomber des vérités premières, sous lesquelles, friands d’éloquence, nous tendions nos tabliers.

Mais, le plus souvent, sur quelque clavier invisible, les doigts exécutaient les trilles, les « traits » de quelque sonate impétueuse ; plaquaient des accords ; tricotaient des chromatiques, s’égaraient en de vagues arpèges.

Ce fut une bien jolie séance de harpe !

Seulement, sur cet air-là, de pauvres gens s’en vont au bagne — ce qui m’empêche d’y prendre goût !

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