Vers la lumière... impressions vécues : $b affaire Dreyfus
DANS LA TOURMENTE
Rennes, 6 août 1899.
Un départ tel qu’il ne s’en vit jamais, dans le chaos tumultueux des êtres, des choses, des éléments, sous un ciel apocalyptique embrasé, tout zébré de foudres hurlantes !
Des cris de délivrance accueillant le vent survenu ; des cris de terreur, une galopade de fuite, des cris de colère à la gare ; dans la cour de Bretagne, une mêlée sans nom de bêtes, de véhicules, de gens : la bataille pour avancer, pour arriver !
Puis, sept heures durant, dans cette vraie nuit de Walpurgis, le train filant parmi les nuées, un paysage de flammes, l’horizon chevauché de zig-zags, de furieuses rafales secouant, tordant, courbant les arbres échevelés !
Enfin le jour qui naît, la Bretagne grise et noire, austère et plate, maisons basses, arbres rabougris, faces fermées.
L’aube toute pâle, comme morose, à regret blanchit le ciel...
Et une vision subsiste, ineffaçable pour moi désormais. Sur le fond vitré du hall de départ — un fond de Sinaï fulgurant, aveuglant, parmi les clameurs de la ville en épouvante et le fracas du ciel en détresse — une silhouette d’homme se découpant, se dressant, une face impassible pétrie de force et d’intelligence que bleuit le reflet des éclairs : c’est Bernard Lazare, c’est le porteur de torche qui part pour Rennes où s’achève l’œuvre que tout seul, voici trois ans, il entreprit.