← Retour

Vers la lumière... impressions vécues : $b affaire Dreyfus

16px
100%

RÉSULTAT


Rennes, 16 août 1899.

Hier, elle était curieuse, la lecture des journaux « bien pensants ». C’était à qui, de tous ces crocodiles, verserait le plus de pleurs ; à qui témoignerait davantage d’indignation à qui dirait le mieux : « C’est l’acte d’un fou. Tous les partis réprouveront » — et autres boniments !

On le connaît, le désaveu de paternité vis-à-vis du phénomène faisant honte à qui l’enfanta ; le déclinatoire envers les responsabilités trop lourdes ou périlleuses !

« Odieux attentat, crime d’un fou », dit la Patrie ; « Odieux attentat », répète le Soir. « Crime aussi absurde qu’odieux », déclare le Gaulois ; « Attentat imbécile, acte d’un fou », proclame l’Écho de Paris ; « Violence imbécile d’un fou », prononce l’Intransigeant. « Crime odieux », formule la Libre Parole — qui « fait des vœux pour le prompt rétablissement ». Et le Petit Journal est de même farine.

Alors, moi, songeant à mes collections de Paris, aux articles de journaux depuis deux ans recueillis et classés alphabétiquement, aux monceaux d’injures quotidiennes déversées sur Labori, je me demande quelle est la puissance de raisonnement, la force de logique des gens qui, goutte à goutte versant la haine, s’étonnent, s’effraient du résultat.

L’homme qui a tiré a cru bien faire ; a pensé abattre le monstre que vous lui aviez dépeint. Son geste n’est que le signe de sa crédulité ; le gage farouche de sa foi en votre sincérité. Ceci mène à Cela : c’est inéluctable !

J’étais là, hier, tandis qu’on plaçait sa civière dans la petite voiture d’ambulance qui devait l’amener vers un logis plus aéré, plus rustique. Sur la blancheur des draps, son visage de bonté et de force se détachait, dominant l’expression de la douleur pour sourire à tous. Sa voix encore nous encourageait. « Bonjour, Séverine ! Ils ne m’ont pas tué, vous voyez ! On vivra, pour combattre... et pour vaincre ! » Des larmes d’émotion et d’enthousiasme, devant cette belle vaillance, nous montaient aux yeux. Celui-là est vraiment un « professeur d’énergie ».

Et maintenant que tous se défendent d’avoir versé — inconsciemment, involontairement, c’est entendu, pour les uns, je le crois, pour les autres, je veux le croire — l’enivrement du meurtre dans le verre de l’assassin, je me rappelle le seul jour où je vis ce même front, tout pâle, se dresser au banc de la défense pour un incident d’ordre privé.

C’était dans la période où le Soir publiait les lettres de sa cuisinière, trop patriote pour s’abstenir de révéler les noirs complots qu’en servant à table elle avait surpris et qu’elle dénonçait, en même temps que son ex-maître, à l’indignation des citoyens ! C’était le temps où les nationalistes, tous les jours, traitaient Labori de « vendu, d’employé du Syndicat, de traître à la patrie, de danger public ».

Ouvrez donc la sténographie du Procès Zola, tome I, page 445, au débat de la septième audience, 13 février 1898. Ou mieux, remontez à cette date dans le présent volume.

· · · · · · · · · ·

Il n’est pas à ajouter de commentaires. Mais l’on peut, sans trop d’invraisemblance, supposer que le scrupule était mince, pour un sectaire, de « tuer Dreyfus » à travers le « Prussien Labori ».

Chargement de la publicité...