Vers la lumière... impressions vécues : $b affaire Dreyfus
INCORRIGIBLES !
Rennes, 4 septembre 1899.
Tandis que M. le général Gonse bafouille et que M. le général Roget blêmit ; que les sous-Roget (Lauth, Yunck, Cuignet, etc.) jappent aux trousses de la défense, pour retarder sa marche en avant dans ce labyrinthe de mensonges souvent puérils, toujours odieux ; que des chefs militaires — « Face à l’ennemi ! » — font l’autruche ou font le zèbre pour échapper à la vérité ; celle-ci, tantôt lentement, tantôt par à-coups, surgit, se délivre des obstacles, se dégage des ténèbres, apparaît distincte et quelque peu brutale.
Elle ne fait pas honneur à ces messieurs ! En fait de bleus, il n’en est pas que de petits, dans l’affaire : au fond de son puits, et pour l’empêcher d’en sortir, la pauvre déesse a reçu de sérieuses raclées. Elle en porte les marques ; et déjà, sur ce qu’on voit d’elle, l’empreinte de quelques poignes apparaît. Demi-étranglée, demi-étouffée, c’est bataille encore pour la tirer à peu près sauve de leurs mains.
La séance d’aujourd’hui a été, sous ce rapport, particulièrement instructive.
Erreur (je tiens à demeurer courtoise) de M. le général Gonse, attribuant à M. Painlevé des propos que celui-ci déclare n’avoir jamais tenus, et contre lesquels, dès qu’il en eut connaissance, il s’inscrivit véhémentement.
Erreur de M. le général Roget, attribuant à M. Hadamard, dans une déposition signée, un degré de parenté avec Dreyfus autre que le réel, et aggravant de ce fait, très sérieusement, des charges contre l’accusé.
Déposition d’un rapport de M. Hennion sur l’agent Pommier... ce qui permit de déclarer celui-ci introuvable et d’éviter la discussion de son témoignage.
Production inattendue et sensationnelle d’un témoin extraordinaire, fourni par le colonel Moïse Blum, dit Fleur, et du même cru : du cru Quesnay — le premier témoin étranger aux débats et sur assignation du Président — ce qui, supprimant les scrupules ingénus et patriotiques de la défense, va lui permettre quelques ripostes variées et bien senties.
J’allais dire : oubli de verser au dossier une dépêche importante de notre ambassadeur à Rome, et escamotage d’une pièce non moins importante remise par M. de Freycinet à M. Cavaignac ; mais ce serait inexact, étant donnée la révélation stupéfiante que l’État-Major, ni à la Cour de Cassation, ni au Conseil de guerre, ne s’était résigné à tout donner, à tout livrer... avait gardé des munitions de réserve, une provision de hasard !
Personnellement, je le savais depuis quelque temps ; une allusion légère de M. Cuignet l’avait fait pressentir assez pour que M. le général Chamoin, représentant du Ministre de la Guerre, se fut mis en mesure de représenter ledit dossier à première requête des membres du Conseil — au cas où le pétard éclaterait.
Il a éclaté : c’est Labori qui y a mis le feu en questionnant le général Gonse... et ce pétard-là me fit tout l’effet d’une dernière cartouche !
Si l’effet en rate, c’est fini : il ne restera plus que la honte de la manœuvre, de cette série de manœuvres diverses d’aspect, mais aux mêmes fins si pareilles, si peu conformes à ce qu’on s’imagine de la franchise militaire, à ce qui est le génie français !