← Retour

Vers la lumière... impressions vécues : $b affaire Dreyfus

16px
100%

PIPELETS !


Rennes, 31 août 1899.

Non, vrai, je ne veux pas dire concierges, car j’ai connu trop de concierges sérieux, occupés uniquement du bon ordre de la maison et de l’entretien des escaliers.

Mais ça ! Le Dubreuil, le Mertian de Muller, le Moïse Blum dit colonel Fleur, tous les sous-... kutschs de Beaurepaire, et tous les sous-Lebrun-Renaud que nous avons vus défiler aujourd’hui ; tous les messieurs qui auraient reçu les confidences de Sganarelle, violé l’intimité de la chambre impériale, couru après l’introuvable secrétaire de « M. Alfred » ; tous ces militaires — « O soldats de l’An deux, ô guerres, épopées ! » qui ont entendu dire par Un tel qu’Un tel lui aurait dit que Dreyfus avoua (et qui le viennent répéter, imperturbables, sur l’estrade où, vêtu comme eux, après cinq ans d’épreuves, l’ancien frère d’armes apparaît supplicié !) tous ces commérages, tous ces potins, toutes ces cruautés, toutes ces vulgarités, c’est à faire lever le cœur !

En mon âme et conscience, de toutes mes faibles forces, de toute l’énergie de ma sincérité, je crois Alfred Dreyfus innocent ! Mais serait-il coupable, eût-il commis ce lâche forfait de vendre sa patrie, que mon horreur envers lui resterait atténuée de tout le dégoût que m’inspirent les autres.

Des hommes ! Des soldats !

On comprend que viennent là ceux qui, ayant réellement quelque chose à révéler de direct, de précis, croient que leur devoir est d’intervenir. Encore peut-être leur témoignage gagnerait-il à se restreindre aux faits plus qu’aux appréciations... et, s’il ne leur vient pas un mot de miséricorde, à ne point envenimer le débat, à ne point ajouter chacun sa pierre sur ce meurtri.

Mais que dire des échos de troisième, de quatrième degré ? Qui expliquera la mentalité spéciale qui pousse des hommes pas plus mauvais que d’autres, peut-être, pris isolément, à sortir du rang, de la neutralité ; à se mettre en avant pour coopérer à l’œuvre inexorable; à venir jouer un rôle dans la triste aventure ?

Certains s’y trouvèrent réduits. Seulement, qui dira les mobiles d’aucuns — et tout ce que des comparutions inexplicables dissimulent de basses, de laides spéculations ?

Au début, les témoins à charge ne pouvaient qu’être agréables aux grands chefs et aux Cinq ministres. C’est un peu changé... mais on ne s’y attendait pas. Du propos en l’air, aggravé, agrémenté, enjolivé, on avait fait un témoignage — tant répété qu’à la fin, soi-même on finissait par y croire.

On s’offrit, ou l’on fut pris. On fut cité ; et voilà que l’on vient s’asseoir, en uniforme, toutes décorations dehors, à côté de Savignaud ! égaux de Savignaud !

Commères de régiment, pies jacassantes, vous faites honte aux femmes !

Chargement de la publicité...