← Retour

Vers la lumière... impressions vécues : $b affaire Dreyfus

16px
100%

L’ÉCOLE DE PICQUART


Rennes, 26 août 1899.

— Qui va-t-on bien tenter d’assassiner ?

Ainsi l’on s’interrogeait, ce matin, au sortir de la séance où le capitaine Freystætter avait convaincu l’ex-général Mercier d’illégalité et d’usage de faux.

Car voici les coupables acculés, pris dans les rêts de leurs mensonges, dans le tissu de leurs infamies ! Comment, par quelle diversion échapper à la Loi qui attend, au gendarme qui guette, à l’opinion qui s’émeut ? Ou, simplement, par quels gestes sanguinaires, tenter de se défendre, essayer de se venger ? La fureur met de la folie dans des yeux d’ordinaire impassibles ; des poings se crispent — le rêve rouge d’Esterhazy, croyez-le bien, hante des cervelles...

Loin d’ici on ne peut savoir tout ce qui se trame dans l’ombre : les conciliabules de chaque après-midi pour préparer les témoignages du lendemain (chacun devant donner sa note, jouer son rôle, corroborer, appuyer, démentir, en raison de l’audience du matin) ; M. Cavaignac embusqué place de la Comédie, foyer de la résistance, centre de l’agitation ; M. Auffray, « l’un des jeunes conseils les plus écoutés du comte de Paris » jadis, veillant à la sécurité juridique de l’entreprise, fréquentant à toute heure chez l’ex-général Mercier... et le va-et-vient éperdu entre tous ces nids de réaction !

Comme intermède, le coup de revolver sur Labori, le coup de couteau ou la bombe que nous attendons pour demain !

Est-ce à dire que tels actes proviennent directement d’ici ? Aucunement. Ils ne sont qu’une résultante, un ricochet, le fait d’alliés remplis de zèle. L’esprit prétorien procède autrement : par masse — le pronunciamiento, Brumaire ou Décembre, les « coupes sombres » dans le bois sacré de la Pensée.

Cela, beaucoup y songent : on le lit, comme en un livre, dans leurs regards haineux...

Surtout quand une conscience s’affirme sous l’uniforme, quand un Picquart hier, un Freystætter aujourd’hui, un Hartmann demain, viennent, parce qu’ils sont soldats et suivant la conception qu’ils se sont faite du devoir professionnel, proclamer la vérité.

Car la beauté de l’exemple c’est d’être suivi ; c’est d’entraîner, dans la voie noble de l’abnégation et du désintéressement, des âmes peut-être hésitantes.

Georges Picquart aura connu, ce matin, en entendant le capitaine Freystætter témoigner, la plus pure joie qui lui puisse être récompense. Il n’est plus seul, dans ce grand combat : un compagnon de sa race a pris place à ses côtés, et Hartmann va bientôt les rejoindre.

Avenir, avancement, faveurs, ils auront tout sacrifié à l’obligation d’une vertu supérieure, à l’accomplissement d’une tâche qui semblait incompatible avec leur fonction.

Et je songe avec une fierté attendrie, qu’une femme, une jeune fille, présida aussi à la détermination du capitaine Freystætter ; que sa fiancée répondit à qui lui faisait observer les risques de telle attitude :

— Mieux vaut plus d’honneur et moins de galons !

Ainsi pensent les soldats du Droit, les jeunes chefs qui entendent que le glaive, dans la balance ne fausse pas l’arrêt de Justice !

Chargement de la publicité...