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Contes populaires de Lorraine, comparés avec les contes des autres provinces de France et des pays étrangers, volume 2 (of 2)

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XLVI
BÉNÉDICITÉ

Il était une fois des pauvres gens qui n'avaient qu'un fils, nommé Bénédicité. Le jeune garçon avait déjà dix-huit ans, et jamais il n'était sorti de son lit. Son père lui dit un jour: «Lève-toi, Bénédicité; il est temps enfin que tu travailles.»

Bénédicité se leva donc et alla s'offrir comme domestique à un fermier des environs, auquel il demanda pour salaire sa charge de blé au bout de l'année; du reste, il entendait ne pas se lever avant cinq heures et manger à son appétit. Le fermier accepta ces conditions.

Le lendemain, tous les gens de la ferme devaient se lever à deux heures du matin pour aller chercher des chênes dans la forêt. Le maître appela Bénédicité à la même heure que les autres; mais il fit la sourde oreille et ne se leva qu'à l'heure convenue, pas une minute plus tôt. La fermière lui dit alors de venir manger la soupe, et lui en servit une bonne écuellée. «Oh!» dit Bénédicité, «voilà tout ce qu'on me donne de soupe? Il m'en faut une chaudronnée et quatre miches de pain.» La fermière se récria, mais son mari avait promis à Bénédicité qu'il mangerait à sa faim; elle fut bien obligée de lui donner ce qu'il demandait.

Quand Bénédicité eut mangé, le fermier lui dit de prendre dans l'écurie les cinq meilleurs chevaux et de les atteler à un grand chariot pour aller au bois retrouver les autres domestiques. Bénédicité partit avec les chevaux les moins bons. Arrivé au bois, il ne se donna pas la peine d'aller jusqu'à l'endroit où étaient ses camarades; il prit quatre chênes et les mit sur son chariot, puis il voulut retourner à la ferme; mais les chevaux ne pouvaient seulement ébranler le chariot. «Ah! rosses,» dit Bénédicité, «vous ne voulez pas marcher!» Et il mit encore un chêne sur le chariot, puis encore un autre, et fouetta l'attelage; mais il eut beau faire et beau crier, les pauvres bêtes n'en avancèrent pas davantage. Alors Bénédicité détela les cinq chevaux, les mit sur le chariot par dessus le bois, et ramena le tout à la ferme. Les autres domestiques, qui étaient partis bien avant lui, s'étaient trouvés arrêtés par une grosse pierre, et Bénédicité fut de retour avant eux.

Le fermier commença à s'effrayer d'avoir chez lui un gaillard d'une telle force; il l'envoya couper un bois qui avait bien dix journaux[38], lui disant que, si tout n'était pas terminé pour le soir, il le mettrait à la porte. Bénédicité se rendit au bois et s'étendit au pied d'un arbre. A midi, quand la servante vint lui apporter sa chaudronnée de soupe, il était toujours couché par terre. «Comment, Bénédicité,» lui dit-elle, «vous n'avez pas encore travaillé?—Mêle-toi de ta cuisine,» répondit Bénédicité. A l'heure du goûter, la servante vit qu'il n'avait encore rien fait. Avant le soir, tout le bois était coupé et Bénédicité était de retour à la maison. Le maître ne pouvait revenir de son étonnement.

Le lendemain, il dit au jeune homme d'aller passer la nuit dans un moulin qui était hanté par des esprits et d'où jamais personne n'était revenu. Bénédicité entra le soir dans ce moulin et s'installa dans la cuisine. Au milieu de la nuit, il entendit un grand bruit de chaînes: c'était un diable qui descendait par la cheminée. «Que viens-tu faire ici?» lui dit Bénédicité. Et, sans attendre la réponse, il le tua. Le lendemain matin, il était de retour à la ferme.

Le maître, ne sachant comment se débarrasser de lui, le chargea d'aller porter une lettre à son fils, qui était capitaine en garnison à Besançon. Il y avait trente lieues à faire. Bénédicité prit un cheval et le porta sur ses épaules pendant quinze lieues, puis il se fit porter par le cheval le reste du chemin. Arrivé à Besançon, il remit au capitaine la lettre du fermier, laquelle recommandait de faire bon accueil au messager, de lui donner à manger tant qu'il en demanderait, et, à la première occasion, de le tuer.

Un jour que le jeune garçon se promenait, le capitaine fit tirer sur lui à balles; Bénédicité se secoua et continua son chemin. «Eh bien! Bénédicité,» lui dit le capitaine, «comment vous trouvez-vous ici?—Oh!» répondit-il, «il y a des mouches dans votre pays, mais elles ne sont pas bien méchantes.» Le capitaine fit tirer le canon sur lui, mais les boulets ne firent pas plus d'effet que les balles. Enfin, de guerre lasse, il le renvoya chez le fermier.

Celui-ci dit alors à Bénédicité de curer un puits profond de cinq cents pieds, qui était comblé depuis cinq cents ans. Bénédicité eut bientôt fait la besogne. Pendant qu'il était encore dans le puits, on jeta dedans, pour l'écraser, une meule de moulin qui pesait bien mille livres: la meule, ayant un trou au milieu, lui tomba sur les épaules et lui fit une sorte de collier; du reste, il n'eut pas le moindre mal. On jeta ensuite dans le puits une cloche de vingt mille livres, qui tomba de telle façon que Bénédicité s'en trouva coiffé. Tout le monde le croyait mort, quand tout à coup on le vit sortir du puits. Il ôta la cloche de dessus sa tête avec une seule main. «Voilà mon bonnet de nuit,» dit-il, «prenez garde de me le salir.» Puis il ôta la meule en disant: «C'est mon écharpe; il faut me la garder pour dimanche....... Maintenant, maître, mon année est-elle finie?—Oui,» répondit le fermier.—«Eh bien! donnez-moi ma charge de blé.»

On lui en apporta deux sacs. «Qu'est-ce que cela?» dit-il; «j'en porterai bien d'autres.» On apporta encore huit sacs. «Bah! c'est seulement pour mon petit doigt.» On en apporta trente-deux. «Allons,» dit-il, «en voilà pour deux doigts.» Son maître alors lui déclara qu'il lui en donnerait cent, mais pas davantage. Bénédicité s'en contenta; il chargea le blé sur ses épaules et s'en retourna chez ses parents.

NOTES:

[38] Mesure locale.


REMARQUES

Dans une variante de ce conte, également recueillie à Montiers-sur-Saulx, nous relevons les passages suivants:

Louis a déjà deux ans, et il ne s'est pas encore levé. «Louis, levez-vous!» lui disent ses parents.—«Quand vous m'aurez donné une blouse et une culotte, je me lèverai.» A huit ans, il est toujours au lit. «Allons donc, Louis, levez-vous!—Donnez-moi une blouse et une culotte, et je me lèverai.» Quand il a douze ans, on le presse encore de sortir du lit; mais il répète toujours: «Apportez-moi d'abord une blouse et une culotte.» Enfin, lorsqu'il a quinze ans, on lui fait des habits avec trente-six pièces, et il se lève.

Il se met, comme Bénédicité, au service d'un fermier, aux mêmes conditions. Il lui faut tous les jours un tombereau de pain et une feuillette de vin.

Quand il va au bois rejoindre les autres domestiques, il les trouve essayant de tirer leur chariot des ornières; il dételle les chevaux et dégage le chariot sans être aidé de personne.


Comparer nos nos 14, le Fils du Diable, et 69, le Laboureur et son Valet.

L'ensemble de notre conte, ainsi que bon nombre de détails, doit être rapproché de divers contes recueillis dans la Hesse (Grimm, nº 90), en Westphalie (Kuhn, Westfælische Sagen, II, p. 232), en Poméranie (Knoop, p. 208), dans le nord de l'Allemagne (Kuhn et Schwartz, p. 360), en Allemagne encore (Wolf, p. 269), dans le Tyrol allemand (Zingerle, II, p. 220), en Suisse (Sutermeister, nº 21), dans le «pays saxon» de Transylvanie (Haltrich, nº 16), en Flandre (Wolf, Deutsche Mærchen und Sagen, nº 22), en Danemark (Grundtvig, II, p. 67), en Norwège (Asbjœrnsen, Tales of the Fjeld, p. 48), chez les Wendes de la Lusace (Veckenstedt, pp. 59 et 68), chez les Roumains de Transylvanie (dans la revue l'Ausland, 1856, p. 692), dans le Mantouan (Visentini, nos 2 et 11).—Comparer un conte tchèque de Bohême (Waldau, p. 288) et un conte portugais du Brésil (Roméro, nº 19).

Ce qui, dans les contes étrangers de notre connaissance, ressemble le plus au commencement du conte lorrain et surtout de la variante, c'est le début d'un conte irlandais (Kennedy, I, p. 23): Une veuve est si pauvre qu'elle n'a pas de vêtements à donner à son fils. Elle le met dans le cendrier auprès du foyer et entasse autour de lui les cendres chaudes; à mesure que l'enfant grandit, elle fait le trou plus profond. Quand le jeune homme a dix-neuf ans, elle finit par se procurer une peau de bique qu'elle attache autour des reins de son fils, et elle l'envoie gagner sa vie. Le jeune homme, qui est d'une force extraordinaire, fait toute sorte d'exploits et épouse une princesse.—Dans une chanson populaire russe (Grimm, III, p. 341), le héros reste trente ans sans rien faire; alors sa force se révèle. Comparer un conte breton (Sébillot, II, nº 26.)

Ailleurs, c'est pour avoir été allaité pendant plusieurs années, soit par un géant (sic) (conte hessois: Grimm, nº 90), soit tout simplement par sa mère (contes allemands: Grimm, III, p. 160; Kuhn et Schwartz, loc. cit.; conte roumain de Transylvanie), que le jeune homme est devenu si fort[39].—Dans le conte norwégien, le héros, sorte de monstre, est né d'un œuf que des bonnes femmes ont trouvé et couvé.—Enfin, dans un conte du «pays saxon» de Transylvanie (Haltrich, nº 16), un forgeron qui n'a pas d'enfants s'en forge un, à la demande de sa femme, et l'enfant devient d'une force extraordinaire. Même introduction dans le conte poméranien.

Nous raconterons brièvement le conte allemand de Transylvanie, qui est curieux: Jean de Fer,—c'est le nom de l'enfant,—mange tant que ses parents ne peuvent le rassasier; ils lui disent d'aller s'engager comme domestique. Il s'en va donc avec le fouet de fer que son père lui a forgé, et entre au service d'un pope. Il commence par manger tout le souper des douze valets; le lendemain, il dort jusqu'à midi, mange d'abord à la maison le dîner des servantes, puis, aux champs, celui des valets, et s'étend par terre pour dormir. Pendant son sommeil, les valets, pour se venger, lui promènent des branches d'arbre sur le visage. Jean de Fer, impatienté, se lève, empoigne les douze valets par le pied et se sert d'eux comme d'un râteau pour ramasser le foin de toute la prairie. Le lendemain, les douze valets vont au bois. Jean de fer part plus tard; un loup et un lièvre à trois pattes lui ayant mangé chacun un bœuf de son attelage, il les attelle à la place des bœufs[40]; un diable ayant brisé l'essieu du chariot, il le met à la place de l'essieu, puis il ramène sur son chariot moitié de la forêt. Sur son chemin, il rencontre les valets embourbés; il dégage leurs douze voitures (Cf. notre variante), et il est rentré avant eux à la maison. Pour se débarrasser de lui, le pope lui dit d'aller à la recherche d'une de ses filles que les diables lui ont enlevée, lui promettant en récompense un sac rempli d'autant d'argent qu'il en pourra porter. Jean de Fer se met en route. Arrivé à la porte de l'enfer, il fait claquer son fouet et demande qu'on ouvre. Celui des diables auquel il a déjà eu affaire l'ayant reconnu, la panique se met parmi les diables, qui s'enfuient tous. Jean de Fer enfonce la porte et ramène au logis la fille du pope, puis il réclame son salaire. On lui fait un sac avec cent aunes de toile; le pope met dedans tout son grain et, par dessus, tout son argent. Jean de Fer porte le sac à ses parents et s'en va courir le monde.

Le conte roumain, également de Transylvanie, mentionné ci-dessus, va nous offrir des traits du conte lorrain qui n'existent pas dans le conte de Jean de Fer: l'épisode du moulin et celui du puits. Juon a été allaité pendant douze ans et il est devenu d'une force extraordinaire. Il entre au service d'un laboureur et ne demande pour gages que le droit de donner à son maître un soufflet au bout de l'année. «C'est bon», pense le maître, «je saurai bien me débarrasser de toi avant ce moment-là.» Il envoie Juon labourer avec les autres valets. Juon leur dit de se reposer et laboure le champ à lui seul. Le laboureur s'effraie. Il envoie Juon moudre dans le moulin du diable, d'où jamais personne n'est revenu vivant. Juon moud tranquillement son grain et revient sans le moindre mal. Alors son maître lui dit de curer un puits, et, quand il y est descendu, le laboureur fait jeter dans le puits de grosses pierres et enfin une meule de moulin. Juon fait un petit effort et sort du puits avec la meule sur la tête en guise de chapeau. Alors, d'un revers de main il étend le laboureur raide mort, lui coupe la tête et s'en va ailleurs.

Le moulin du diable figure,—en dehors de ce conte roumain et de notre nº 14,—dans les contes poméranien, westphalien, tyrolien et flamand, ainsi que dans un conte du Jutland (Grimm, III, p. 162).

L'épisode du puits,—avec la meule seulement et non la cloche,—se retrouve, indépendamment du conte roumain, dans les contes allemands des collections Grimm et Wolf, dans les contes tyrolien et flamand, dans le conte du Jutland, le conte danois, le premier conte italien du Mantouan, et aussi,—avec la meule et la cloche, tout à fait comme dans notre conte,—dans un conte hessois (Grimm, III, p. 160), dans le conte westphalien, dans le conte poméranien et dans le conte suisse.

Dans ces divers contes, le héros fait, au sujet de la meule et de la cloche, des plaisanteries du genre de celles de Bénédicité. Ainsi, dans le conte poméranien, il remercie de la «cravate» et du «bonnet de nuit» neufs qu'on lui a donnés; ailleurs il parle de sa belle «collerette».

Du reste, on pourrait également rapprocher de quelque conte étranger tous les détails, pour ainsi dire, du conte lorrain. Ainsi, dans le conte hessois (Grimm, nº 90), le «jeune géant» refuse de se lever quand on l'appelle; il mange, avant d'aller à la forêt, deux boisseaux de pois en purée; il est revenu bien avant les autres valets. Dans un conte grec moderne (Hahn, nº 64), dont tout le reste se rapporte à un autre thème, Jean, étant aux champs avec son père et ses frères, se couche par terre et dort jusqu'au soir; alors il prend sa faux, et il a encore terminé sa besogne le premier.

Dans le conte allemand de la collection Kuhn et Schwartz, le héros s'est mis au service d'un laboureur. Les autres valets, un jour qu'il y a du bois à aller chercher dans la forêt, se mettent en route de grand matin, avec les meilleurs chevaux de l'écurie, pendant que leur camarade dort. Celui-ci prend les deux rosses qui restent. Arrivé au bois, il déracine deux chênes et les met en travers du chemin, de sorte que les autres valets, lorsqu'il veulent revenir à la ferme, ne peuvent passer. Quant à lui, sa voiture chargée, il débarrasse le chemin et s'en va devant eux. Ses mauvais chevaux ne voulant pas marcher, il en met un sur la voiture, attelle l'autre par derrière et traîne la voiture lui-même; il est encore le premier à la maison.—Comparer le conte hessois de la collection Grimm, et aussi les contes westphalien, suisse, tyrolien, flamand, danois, tchèque, et le second conte du Mantouan.

Pour le passage où l'on fait tirer à balles et à boulets sur Bénédicité, comparer un conte suisse (Sutermeister, nº 52), où le roi fait aussi tirer sur le héros; celui-ci rejette les balles aux soldats, qu'il tue. Comparer aussi le conte norwégien et le second conte italien du Mantouan. Dans ce dernier, le héros dit des balles: «Quelles mouches ennuyeuses!»

Au sujet de la charge de blé demandée comme salaire, et du dénouement qui en résulte, comparer les deux contes wendes de la Lusace. Dans l'un (Veckenstedt, p. 60), Jean, qui est d'une force extraordinaire, s'est engagé comme valet chez un gentilhomme, en demandant pour tout salaire le droit de donner à son maître un soufflet au bout de l'année. L'année finie, le gentilhomme, effrayé à la pensée de ce qui l'attend, le prie de demander un autre salaire. Jean demande alors autant de pois qu'il en pourra battre en un jour. Il prend les draps de tous les lits du château et s'en fait un sac, qu'il remplit et emporte. Tous les pois du gentilhomme y passent.—Dans l'autre conte (ibid., p. 69), le maître de Jean, qui veut le congédier, offre de lui donner autant de pois qu'il en pourra porter.

Dans un conte slave de Moravie (Wenzig, p. 67), le diable s'offre à battre tout le grain d'un laboureur, qui lui promet pour salaire sa charge de blé. Le diable emporte tout le blé.—Il en est de même dans un conte du nord de l'Allemagne (Müllenhoff, p. 160), où un homme fort a fait une semblable convention.

En dehors de ces quelques contes, le conte du «pays saxon» de Transylvanie, analysé plus haut, est, à notre connaissance, le seul qui, pour le dénouement, se rapproche de Bénédicité.—La plupart des autres (contes allemands des collections Grimm, Kuhn, Knoop; conte suisse, conte flamand, second conte italien) ressemblent sur ce point au conte roumain et au premier conte wende, où, comme on l'a vu, le serviteur ne demande comme gages que le droit de donner à son maître un soufflet au bout de l'année. Plusieurs de ces contes empruntent ici des éléments au thème de notre nº 36, Jean et Pierre. Ainsi, dans le conte allemand de la collection Kuhn, il est convenu entre le maître et le valet que celui des deux qui voudra rompre le marché devra recevoir de l'autre trois soufflets; dans le conte tyrolien, celui des deux qui se fâchera devra perdre les oreilles, absolument comme dans des contes de la famille de Jean et Pierre.

Nous avons résumé dans les remarques de notre nº 1, Jean de l'Ours, l'ensemble d'un conte avare du Caucase (I, p. 18) et d'un conte des Kariaines de la Birmanie (I, p. 26). Ces contes renferment l'un et l'autre un épisode qui se rapproche de Bénédicité.

Dans le conte avare, Oreille-d'Ours, doué d'une force prodigieuse, entre comme valet au service d'un roi. Celui-ci se disposait à envoyer cent hommes couper du bois. Oreille-d'Ours s'offre à rapporter du bois en suffisance, si on lui donne à manger ce qu'on avait préparé pour les cent hommes. Il rapporte d'un coup cent arbres et rentre ainsi dans la ville, éventrant le mur de l'un, renversant la maison de l'autre. Le roi, effrayé, songe à se débarrasser de lui. Il l'envoie successivement faire des réclamations de sa part à une kart (sorte d'ogresse) et à un dragon. Oreille-d'Ours lui ramène la kart et le dragon eux-mêmes. Enfin le roi le fait attaquer par toute une armée qui le crible de flèches; mais les flèches ne font pas sur Oreille-d'Ours plus d'effet que des puces. Oreille-d'Ours, se voyant ainsi attaqué, déchire en quatre une jument que le roi lui avait donnée à garder; il lance le premier quartier, et, du coup, il étend mille hommes par terre; il recommence jusqu'à ce qu'il ait anéanti l'armée du roi.

Dans le conte kariaine, les gens deviennent envieux de Ta-ywa et de sa force, et ils cherchent à le faire périr. Ils font rouler sur lui une grosse pierre sous prétexte de la lui donner pour bâtir une maison à sa mère, puis un gros arbre qu'ils disent être pour lui faire du feu; enfin ils l'envoient chercher un tigre dont il devra faire une offrande pieuse pour guérir sa mère de la fièvre. Peine inutile. Ta-ywa se tire de tout sain et sauf. Un jour il apprend la méchanceté des gens. «S'il en est ainsi,» dit-il, «si on ne m'aime pas, je m'en vais.»

NOTES:

[39] Dans un conte du «pays saxon» de Transylvanie (Haltrich, nº 17), et dans d'autres contes qui se rattachent tous au même thème que notre nº 1, Jean de l'Ours (voir I, pp. 7-8), le héros a été allaité pendant une longue suite d'années.—Notons à ce propos que le très intéressant conte avare d'Oreille-d'Ours, déjà cité par nous dans les remarques de notre nº 1 (I, p. 18), réunit, juxtaposées, deux séries d'aventures se rapportant aux deux thèmes de Jean de l'Ours et de Bénédicité. Il en est de même dans les contes suisse et brésilien ci-dessus indiqués.

[40] Dans le second conte italien du Mantouan, le héros attelle un loup à la place de la vache qu'il lui a mangée; dans le conte poméranien, deux lions à la place des chevaux; dans le conte portugais du Brésil, des lions également à la place des bœufs.



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