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Contes populaires de Lorraine, comparés avec les contes des autres provinces de France et des pays étrangers, volume 2 (of 2)

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LXVIII
LE SOTRÉ

Il y avait autrefois à Montiers un sotré[103], qui venait toutes les nuits dans l'écurie du père Chaloine; il étrillait les chevaux, leur peignait la crinière et la queue; il emplissait leur mangeoire d'avoine et leur donnait à boire. Les chevaux devenaient gras et luisants, mais l'avoine baissait, baissait dans le coffre, sans qu'on pût savoir qui la gaspillait ainsi.

Le père Chaloine se dit un jour: «Il faut que je sache qui vient panser mes chevaux et gaspiller mon avoine.»

La nuit venue, il se mit donc aux aguets et vit entrer dans l'écurie le sotré, coiffé d'une petite calotte rouge. Aussitôt le père Chaloine saisit une fourche en criant: «Hors d'ici, coquin, ou je te tue!» Et il enleva au sotré sa calotte rouge. «Rends-moi ma calicalotte,» lui dit le sotré, «sinon je te change en bourrique.» Mais l'autre ne voulut pas lâcher la calotte et continua à crier: «Hors d'ici, coquin, ou je te tue!»

Le sotré étant enfin parti, le père Chaloine conta l'aventure aux gens de sa maison, et leur dit que le sotré l'avait menacé de le changer en bourrique, parce qu'il lui avait pris sa calotte rouge.

Le lendemain matin, les gens de la maison, ne voyant pas le père Chaloine, s'avisèrent d'entrer dans l'écurie et furent bien étonnés de voir un âne auprès des chevaux. On se souvint alors de la menace du sotré; on lui rendit sa calotte rouge, et la bourrique redevint le père Chaloine.

NOTES:

[103] Sorte de lutin.


REMARQUES

Dans une variante de ce conte, également de Montiers, le sotré, au lieu de panser les chevaux, les harcèle pendant toute la nuit; ils maigrissent à vue d'œil.


En Bretagne (Luzel, Veillées bretonnes, p. 76), on raconte l'histoire d'un lutin familier, qui a soin des chevaux d'une certaine maison, les brosse, les lave, renouvelle leur litière; aussi le domestique n'a-t-il presque rien à faire, et nulle part on ne voit un attelage comme le sien. Mais, un soir, étant ivre, il insulte le lutin et le provoque à la lutte. Le lendemain, on le retrouve sur le flanc, et, depuis ce temps, il ne fait plus que dépérir; quant aux chevaux, bientôt ils sont devenus de misérables rosses.

Les sotrés, follets et autres lutins affectionnent la couleur rouge: notre sotré a une calotte rouge, et nous donnerons plus loin un autre conte lorrain où un follet est tout habillé de rouge. En Irlande aussi, certain lutin porte un habit et un bonnet rouges (Kennedy, I, p. 125, 126). De même en Allemagne (Kuhn et Schwartz, pp. 19 et 48;—Wolf, Deutsche Mærchen und Sagen, nº 373) et chez les Wendes de la Lusace (Veckenstedt, pp. 177, 185, 186, 187, 196, 197). Dans d'autres récits allemands, il n'est parlé que d'un bonnet rouge (Schambach et Müller, légende nº 153;—Müllenhoff, p. 322), ou d'un bonnet pointu rouge (Müllenhoff, p. 319).



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