Contes populaires de Lorraine, comparés avec les contes des autres provinces de France et des pays étrangers, volume 2 (of 2)
LXXIV
LA PETITE SOURIS
Un jour, la petite souris était allée moissonner avec sa mère. Celle-ci lui dit de retourner à la maison pour tremper la soupe. Pendant que la petite souris y était occupée, elle tomba dans le pot et s'y noya. Voilà sa mère bien désolée; elle se met à pleurer.
La crémaillère lui dit: «Grande souris, pourquoi pleures-tu?—La petite souris est morte: voilà pourquoi je pleure.—Eh bien!» dit la crémaillère, «je m'en vais grincer des dents.»
Le balai dit à la crémaillère: «Pourquoi donc grinces-tu des dents?—La petite souris est morte, la grande la pleure: voilà pourquoi je grince des dents.—Eh bien!» dit le balai, «je m'en vais me démancher.»
La porte dit au balai: «Pourquoi donc te démanches-tu?—La petite souris est morte, la grande la pleure, la crémaillère grince des dents: voilà pourquoi je me démanche.—Eh bien!» dit la porte, «je m'en vais me démonter.»
Le fumier dit à la porte: «Pourquoi donc te démontes-tu?—La petite souris est morte, la grande la pleure, la crémaillère grince des dents, le balai se démanche: voilà pourquoi je me démonte.—Eh bien!» dit le fumier, «je m'en vais m'étendre.»
La voiture dit au fumier: «Pourquoi t'étends-tu donc?—La petite souris est morte, la grande la pleure, la crémaillère grince des dents, le balai se démanche, la porte se démonte: voilà pourquoi je m'étends.—Eh bien!» dit la voiture, «je m'en vais reculer jusqu'au bois.»
Les feuilles dirent à la voiture: «Pourquoi donc recules-tu jusqu'au bois?—La petite souris est morte, la grande la pleure, la crémaillère grince des dents, le balai se démanche, la porte se démonte, le fumier s'étend: voilà pourquoi je recule jusqu'au bois.—Eh bien,» dirent les feuilles, «nous allons tomber.»
Le charme dit aux feuilles: «Pourquoi tombez-vous donc?—La petite souris est morte, la grande la pleure, la crémaillère grince des dents, le balai se démanche, la porte se démonte, le fumier s'étend, la voiture recule jusqu'au bois: voilà pourquoi nous tombons.—Eh bien!» dit le charme, «je m'en vais me fendre.»
Les petits oiseaux dirent au charme: «Pourquoi te fends-tu donc?—La petite souris est morte, la grande la pleure, la crémaillère grince des dents, le balai se démanche, la porte se démonte, la voiture recule jusqu'au bois, les feuilles tombent: voilà pourquoi je me fends.—Eh bien!» dirent les oiseaux, «nous allons nous noyer dans la fontaine.»
Et ils se noyèrent tous dans la fontaine.
REMARQUES
Ce conte est une variante de notre nº 18, Peuil et Punce (Pou et Puce). Voir les remarques de ce conte. Aux rapprochements que nous y avons indiqués, on peut ajouter un conte toscan (Pitrè, Novelle popolari toscane, nº 50).
⁂
Parmi les contes mentionnés dans ces remarques, celui qui ressemble le plus à la Petite Souris, par la série de personnages qu'il met en scène, est le conte hessois (Grimm, nº 30). Voici ce qu'on pourrait appeler le couplet final, dit par une jeune fille, qui de chagrin casse sa cruche à la fontaine: «Petit pou s'est brûlé,—Petite puce pleure,—Petite porte crie,—Petit balai balaie,—Petit chariot court,—Petit fumier brûle,—Petit arbre se secoue.» «Eh bien! dit la fontaine, je vais me mettre à couler.» Et elle noie tout, jeune fille et le reste.
On le voit, malgré l'identité de titre entre notre Peuil et Punce et le Pou et Puce allemand, ce dernier ressemble beaucoup plus à notre Petite Souris.
Divers traits particuliers de ce dernier conte se retrouvent, indépendamment du conte hessois, dans des contes d'autres collections dont nous avons déjà parlé dans les remarques de notre nº 18. La porte qui se démonte figure dans les deux contes de la Haute-Bretagne, dans le conte messin, et aussi dans le conte milanais et le conte vénitien. Dans le conte sicilien, le conte italien d'Istrie et le conte norvégien, la porte se met à s'ouvrir et à se fermer avec bruit. (Comparer le volet qui bat, dans Peuil et Punce).—Dans le conte messin, le fumier «se répand», comme dans la Petite Souris. On a vu que, dans le conte hessois, il se met à «brûler». Dans Peuil et Punce, le fumier qui «danse» est évidemment amené par le coq qui «chante».—A la voiture qui recule jusqu'au bois, correspondent le chariot qui s'enfuit, du conte d'Istrie, le chariot qui court, du conte hessois, la charrette qui court les chemins, du second conte de la Haute-Bretagne, le chariot qui s'en va sans les bœufs, du conte milanais.—Enfin, si, dans le conte lorrain, les petits oiseaux vont se noyer dans la fontaine, un ou plusieurs oiseaux s'arrachent les plumes dans le conte français du Magasin Pittoresque, dans le conte italien d'Istrie, le conte toscan de M. Pitrè, le conte sicilien, le conte roumain, le conte norvégien, et un petit oiseau se coupe le bec, dans le conte espagnol.