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Contes populaires de Lorraine, comparés avec les contes des autres provinces de France et des pays étrangers, volume 2 (of 2)

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LXXIII
LA BELLE AUX CHEVEUX D'OR

Il était une fois des gens qui avaient autant d'enfants qu'il y a de trous dans un tamis. Il leur vint encore un petit garçon. Comme personne dans le village ne voulait être parrain, le père s'en alla sur la grande route pour tâcher d'en trouver un. A quelques pas de chez lui, il rencontra un homme qui lui demanda où il allait. C'était le bon Dieu. «Je cherche un parrain pour mon enfant,» répondit-il.—«Si tu veux,» dit l'homme, «je serai le parrain. Je reviendrai dans sept ans et je prendrai l'enfant avec moi.» Le père accepta la proposition, et l'homme donna tout l'argent qu'il fallait pour le baptême; puis, la cérémonie faite, il se remit en route.

Le petit garçon grandit, et ses parents l'aimaient encore mieux que leurs autres enfants. Aussi, quand au bout des sept ans le parrain vint pour prendre son filleul, ils ne voulaient pas s'en séparer. «Il n'y a pas encore sept ans,» disait le père.—«Si fait,» dit le parrain, «il y a sept ans.» Et il prit l'enfant, qu'il emporta sur son dos.

Chemin faisant, l'enfant vit par terre une belle plume. «Hé! ma mule, hé! ma mule!» dit-il, «laisse-moi ramasser cette plume[113]!—Non,» dit le parrain. «Si tu la ramasses, elle te fera bien du mal.» Mais le petit garçon ne voulut rien entendre, et force fut au parrain de lui laisser ramasser la plume. Il continuèrent leur route et arrivèrent chez un roi. Ce roi avait de belles écuries et de laides écuries; il avait de beaux chevaux et de laids chevaux. L'enfant passa sa plume sur les laides écuries du roi, et elles devinrent aussi belles que les belles écuries du roi; puis il la passa sur les laids chevaux du roi, et ils devinrent aussi beaux que les beaux chevaux du roi. Le roi prit l'enfant en amitié et le garda près de lui.

Les serviteurs du palais devinrent bientôt jaloux de l'affection que le roi témoignait au jeune garçon. Ils allèrent un jour dire à leur maître qu'il s'était vanté d'aller chercher l'oiseau de la plume. Le roi le fit appeler. «Mon ami, on m'a dit que tu t'es vanté d'aller chercher l'oiseau de la plume.—Non, sire, je ne m'en suis pas vanté.—Que tu t'en sois vanté ou non, mon ami, si je ne l'ai pas demain pour les neuf heures du matin, tu seras pendu.»

Le jeune garçon sortit bien triste. «Hé! ma mule, hé! ma mule!—Elle te fera bien du mal, cette plume!» dit le parrain. «Je t'avais bien dit de ne pas la ramasser. Allons, viens avec moi dans les champs, et le premier oiseau que nous trouverons dans une roie[114], ce sera l'oiseau de la plume.» Ils s'en allèrent donc dans les champs, et le premier oiseau qu'ils trouvèrent dans une roie, ce fut l'oiseau de la plume.

Le jeune garçon s'empressa de porter l'oiseau au roi; mais, au bout de deux ou trois jours, l'oiseau mourut. Alors les serviteurs dirent au roi que le jeune garçon s'était vanté de ressusciter l'oiseau. Le roi le fit appeler. «Mon ami, on m'a dit que tu t'es vanté de ressusciter l'oiseau.—Non, sire, je ne m'en suis pas vanté.—Que tu t'en sois vanté ou non, mon ami, si l'oiseau n'est pas ressuscité demain pour les neuf heures du matin, tu seras pendu.»

«Hé! ma mule, hé! ma mule!—Elle te fera bien du mal, cette plume! Je t'avais bien dit de ne pas la ramasser. Allons, coupe-moi la tête. Tu y trouveras de l'eau, que tu donneras à boire à l'oiseau, et aussitôt il reviendra à la vie. Puis tu me rajusteras la tête sur les épaules, et il n'y paraîtra plus.» Le jeune garçon fit ce que son parrain lui conseillait, et, dès qu'il eut versé l'eau dans le bec de l'oiseau, celui-ci fut ressuscité. Puis il remit la tête sur les épaules du parrain, et il n'y parut plus.

Les serviteurs, de plus en plus jaloux, dirent au roi que le jeune garçon s'était vanté d'aller chercher la Belle aux cheveux d'or, qui demeurait de l'autre côté de la mer. Le roi fit venir le jeune garçon. «Mon ami, on m'a dit que tu t'es vanté d'aller chercher la Belle aux cheveux d'or, qui demeure de l'autre côté de la mer.—Non, sire, je ne m'en suis pas vanté. Je n'ai jamais entendu parler de la Belle aux cheveux d'or, et je ne sais pas même où est la mer.—Que tu t'en sois vanté ou non, mon ami, si la Belle aux cheveux d'or n'est pas ici demain pour les neuf heures du matin, tu seras pendu.»

«Hé! ma mule, hé! ma mule!—Elle te fera bien du mal, cette plume! Je t'avais bien dit de ne pas la ramasser. Allons, viens avec moi. Nous emporterons un tambour, et, quand nous aurons passé la mer, nous battrons la caisse dans le premier village où nous entrerons, et la première jeune fille qui se montrera, ce sera la Belle aux cheveux d'or. Je la rapporterai sur mon dos.» Ils traversèrent donc la mer. Dans le premier village où ils entrèrent, ils battirent la caisse, et la première jeune fille qui se montra, ce fut la Belle aux cheveux d'or. Ils la prirent avec eux et se remirent en route pour revenir chez le roi. Quand ils furent sur la mer, la jeune fille jeta dedans son anneau et sa clef.

Dès que le roi vit la Belle aux cheveux d'or, il voulut l'épouser; mais elle déclara qu'elle ne voulait pas se marier, si son père et sa mère n'étaient de la noce. Les serviteurs dirent alors au roi que le jeune garçon s'était vanté d'aller chercher les parents de la Belle aux cheveux d'or. Le roi fit appeler le jeune garçon. «Mon ami, on m'a dit que tu t'es vanté d'aller chercher le père et la mère de la Belle aux cheveux d'or.—Non, sire, je ne m'en suis pas vanté.—Que tu t'en sois vanté ou non, mon ami, s'ils ne sont pas ici demain pour les neuf heures du matin, tu seras pendu.»

«Hé! ma mule, hé! ma mule!—Elle te fera bien du mal, cette plume! Je t'avais bien dit de ne pas la ramasser. Allons, viens avec moi. Nous emporterons encore un tambour; et, quand nous aurons passé la mer, nous battrons la caisse dans le premier village où nous entrerons, et le premier et la première qui se montreront seront les parents de la Belle aux cheveux d'or.» Ils traversèrent donc la mer. Dans le premier village où ils entrèrent, ils battirent la caisse, et le premier et la première qui se montrèrent, ce furent les parents de la Belle aux cheveux d'or.

Quand ses parents furent arrivés, la Belle aux cheveux d'or dit qu'elle avait laissé tomber son anneau et sa clef dans la mer, et qu'elle voulait les ravoir avant de se marier. Les serviteurs dirent au roi que le jeune garçon s'était vanté de retirer du fond de la mer l'anneau et la clef de la Belle aux cheveux d'or. Le roi le fit appeler. «Mon ami, on m'a dit que tu t'es vanté de retirer du fond de la mer l'anneau et la clef de la Belle aux cheveux d'or.—Non, sire, je ne m'en suis pas vanté;—Que tu t'en sois vanté ou non, mon ami, si tu ne les as pas rapportés ici demain pour les neuf heures du matin, tu seras pendu.»

«Hé! ma mule, hé! ma mule!—Elle te fera bien du mal, cette plume! Je t'avais bien dit de ne pas la ramasser. Allons, viens avec moi sur le bord de la mer. Le premier pêcheur que nous verrons, nous lui demanderons son poisson, et, quand on ouvrira le poisson, on trouvera dedans l'anneau et la clef.» Tout arriva comme le parrain l'avait dit.

Alors la Belle aux cheveux d'or déclara qu'elle ne voulait pas se marier avant que le jeune garçon ne fût pendu. Le roi dit à celui-ci: «Tu m'as rendu bien des services; je suis désolé de te faire du mal; mais il faut qu'aujourd'hui tu sois pendu.»

Le jeune garçon sortit en pleurant. «Hé! ma mule, hé! ma mule!—Elle te fait bien du mal, cette plume! Je t'avais bien dit de ne pas la ramasser. Ecoute: quand tu seras sur l'échafaud, au pied de la potence, il y aura sur la place quantité de curieux. Demande au roi une prise de tabac: il ne te la refusera pas. Puis jette le tabac sur les assistants, et tous tomberont morts.»

Etant donc au pied de la potence, le jeune garçon demanda au roi une prise de tabac. «Volontiers, mon ami,» dit le roi; «tu m'as rendu bien des services; je ne puis te refuser ce que tu me demandes.» Alors le jeune garçon jeta le tabac sur les gens qui se trouvaient là, à l'exception de la Belle aux cheveux d'or, et tous tombèrent morts. Puis il descendit de l'échafaud et se maria avec la Belle aux cheveux d'or.

Moi, j'étais à la cuisine avec un beau tablier blanc; mais j'ai laissé tout brûler, et l'on m'a mise à la porte.

NOTES:

[113] Bien que le récit ne le dise pas expressément, le parrain, que nous venons de voir emporter l'enfant sur son dos, a pris la forme d'une mule.—La jeune fille dont nous tenons ce conte interprétait dans un sens figuré ces mots: «Hé! ma mule, hé! ma mule!» Il est évident qu'il faut les prendre à la lettre. Dans la plupart des contes de ce type, le héros est aidé dans ses entreprises par un cheval merveilleux, et nous ajouterons que, dans un de ces contes, recueilli en Basse-Bretagne, la Sainte-Vierge est envoyée par Dieu au jeune homme sous la forme d'une jument blanche.

[114] Roie, raie, sillon tracé par la charrue entre deux champs.


REMARQUES

Ce conte, altéré sur divers points, se rattache au même thème principal que notre nº 3, le Roi d'Angleterre et son Filleul. Voir les remarques de ce nº 3.

Dans un conte breton (Luzel, Veillées bretonnes, p. 148), nous trouvons réunis et comme juxtaposés plusieurs des traits distinctifs des deux contes. L'introduction est celle du Roi d'Angleterre et son Filleul; puis vient bientôt l'épisode de la plume, qui appartient proprement au thème de notre Belle aux cheveux d'or et autres contes analogues. Voici le résumé de ce conte breton: Le fils du roi de France, s'étant égaré à la chasse, arrive dans la maison d'un charbonnier dont la femme est en couches; il se propose pour être parrain de l'enfant et laisse une lettre que son filleul doit lui rapporter à lui-même lorsqu'il sera en état de la lire. Quand l'enfant se met en route pour Paris, son père lui recommande de ne voyager ni avec un bossu, ni avec un boiteux, ni avec un cacous (sorte de paria, de lépreux). Ayant rencontré d'abord un bossu, puis le lendemain un boiteux, Petit-Louis rebrousse chemin. Le troisième jour, en longeant un grand bois, il aperçoit sur un arbre une plume qui brille comme le soleil. Malgré les avertissements de son vieux cheval, il ramasse la plume; puis il s'arrête pour boire à une fontaine. Pendant qu'il est penché, un cacous le pousse dans l'eau, après lui avoir pris dans sa poche la lettre du parrain, saute sur le chevalet et part au galop. Le roi l'admet à sa cour, le croyant son filleul. Petit-Louis arrive à son tour au palais, où il s'engage comme valet d'écurie. Il retrouve son vieux cheval dans les écuries du palais. Tous les soirs il se sert de sa plume merveilleuse pour s'éclairer pendant qu'il panse ses chevaux. Le cacous, ayant remarqué cette lumière, va prévenir le roi, qui surprend Petit-Louis et lui demande ce que c'est que cette plume. Petit-Louis lui répond que c'est une plume de la queue du paon de la princesse aux cheveux d'or, qui demeure dans un château d'argent. Le roi prend la plume, et le cacous lui dit que Petit-Louis s'est vanté de pouvoir amener au roi la princesse aux cheveux d'or. Petit-Louis est obligé de tenter l'entreprise. Conformément aux conseils de son vieux cheval, il emporte des provisions de diverses sortes et rassasie, chemin faisant, différents animaux. (Ce trait des animaux secourus et se montrant plus tard reconnaissants, qui figure d'ordinaire dans les contes de cette famille, a complètement disparu de notre Belle aux cheveux d'or. On se rappelle qu'il existe, bien conservé, dans le Roi d'Angleterre et son Filleul.) Arrivé au palais de la princesse aux cheveux d'or, il se voit imposer par celle-ci diverses épreuves dont il vient à bout, grâce à l'aide des animaux ses obligés. Enfin la princesse consent à suivre Petit-Louis chez le roi, qui veut aussitôt l'épouser. Mais elle exige d'abord qu'on lui apporte son château d'argent. Puis,—le château ayant été apporté par Petit-Louis, à peu près par le moyen qu'emploie en pareille occasion le héros de notre nº 3,—la princesse demande les clefs de son château qu'elle a jetées dans la mer. Le roi des poissons, par reconnaissance, les procure à Petit-Louis. Enfin la princesse dit au roi qu'il devrait se rajeunir au moyen de l'eau de la vie et de l'eau de la mort. C'est encore Petit-Louis qui reçoit l'ordre d'aller chercher une fiole de chacune de ces eaux. Le vieux cheval lui indique le moyen de se faire apporter les deux fioles par un corbeau. Quand Petit-Louis rentre au palais, le roi demande aussitôt à être rajeuni. La princesse verse sur lui quatre gouttes d'eau de la mort, et aussitôt le roi meurt. Alors elle épouse Petit-Louis.

Cette fin du conte breton présente une lacune, l'eau de la vie n'y jouant aucun rôle. Nous trouverons dans d'autres contes, que nous citerons tout à l'heure, cette dernière partie plus complète.

Parmi les contes du type de la Belle aux cheveux d'or, nous n'en connaissons qu'un petit nombre qui, pour l'introduction, se rapprochent du conte lorrain. Dans un conte de la Haute-Bretagne (Sébillot, III, nº 13 bis), la ressemblance est très grande: le parrain de l'enfant de pauvres gens est Jésus, et la marraine, la «bonne Vierge».—Dans un conte danois (Grundtvig, II, p. 1), des pauvres gens ne peuvent trouver un parrain pour leur dernier enfant. Un mendiant, à qui ils ont fait l'aumône, s'offre à être parrain du petit garçon. On l'accepte, et, quand il s'en va, la cérémonie faite, il donne aux parents une petite clef, en leur disant de la garder soigneusement jusqu'à ce que l'enfant ait quatorze ans. Avec cette clef, le jeune garçon ouvre la porte d'une belle petite maison qui est tout d'un coup apparue devant la cabane de son père. Il y trouve un petit cheval, sur lequel il va chercher fortune. (Cette introduction se rencontre, presque complètement semblable, dans le conte westphalien nº 126 de la collection Grimm. Du reste, le conte danois correspond presque sur tous les points à ce conte westphalien, avec cette seule différence qu'il est en général moins altéré).—Un conte portugais (Coelho, nº 19) commence presque identiquement comme notre conte; seulement le parrain est saint Antoine, et l'enfant est une fille. Arrivée à l'âge de treize ans, la jeune fille se déguise en garçon, sur le conseil du parrain, et entre en qualité de page au service d'une reine. Celle-ci, voyant ses avances repoussées par le beau page, dit au roi, pour se venger, qu'Antonio (c'est le nom du prétendu jeune homme) s'est vanté de pouvoir accomplir plusieurs tâches impossibles: trier en une nuit un gros tas de graines mélangées; retirer du fond de la mer l'anneau de la reine; retrouver la fille du roi depuis longtemps captive des Mores. Saint Antoine vient en aide à sa filleule. (Il n'y a pas ici, pas plus que dans notre conte, d'animaux reconnaissants.) Le passage relatif à la seconde tâche présente beaucoup de rapport avec le conte lorrain: Saint Antoine dit au page d'aller pêcher; le premier poisson qu'il prendra, il l'ouvrira, et l'anneau sera dedans.

Nous avons dit plus haut, en note, qu'évidemment, dans notre conte, le parrain avait pris la forme d'une mule. Un conte de la Basse-Bretagne, intitulé Trégont-à-Baris (Luzel, 4e rapport), auquel nous avons fait allusion dans la même note, a quelque chose d'analogue: Un enfant nouveau-né abandonné est trouvé par Notre-Seigneur et saint Pierre, qui le confient à une nourrice. A seize ans, il veut voyager, va à Paris et devient valet d'écurie chez le roi. Ses chevaux sont les plus beaux; il est félicité par le roi. Les autres valets, envieux, disent au roi que Trégont-à-Baris (ainsi se nomme le jeune garçon) s'est vanté de pouvoir aller demander au soleil pourquoi il est si rouge quand il se lève. Le roi ordonne au jeune garçon d'y aller. Trégont-à-Baris trouve à la porte une belle jument blanche qui l'emporte et plus tard lui donne des conseils.—Le conte entre ensuite dans le cycle d'aventures du conte hessois nº 29 de la collection Grimm, le Diable aux trois cheveux d'or, puis passe dans celui de notre Belle aux cheveux d'or[115]. Quand, à la fin, Trégont-à-Baris épouse la «princesse au château d'or», on voit entrer, pendant le festin des noces, une femme d'une merveilleuse beauté, qui dit qu'elle est la Vierge Marie, que Dieu avait envoyée vers Trégont-à-Baris sous la forme d'une jument blanche.

On a déjà remarqué, dans le premier conte breton dont il a été parlé ici, le passage où il est question de la plume que le jeune homme ramasse malgré les avertissements de son cheval. Ce passage, qui manque dans Trégont-à-Baris, existe encore dans un troisième conte breton, intitulé la Princesse de Tréménézaour (Luzel, 4e rapport). Là, c'est une mèche de cheveux d'or, brillante comme une flamme, que le héros ramasse, et cette mèche de cheveux, avec laquelle il éclaire le soir son écurie, est cause que le roi lui ordonne d'aller chercher la princesse de Tréménézaour, de qui viennent ces cheveux.

Dans un conte russe (Ralston, p. 287), un chasseur trouve dans une forêt une plume d'or de l'«oiseau de feu». Malgré les avis de son cheval, il ramasse cette plume et la porte au roi, qui l'envoie à la recherche de l'oiseau lui-même. Il est probable que la suite des aventures se rapporte à notre thème; mais M. Ralston ne cite que ce passage.—Dans un conte des Tsiganes de la Bukovine (Miklosisch, nº 9), le héros, Tropsen, dénoncé par ses méchants frères, est également envoyé à la recherche de l'«oiseau de la plume», comme dit notre conte, puis d'une certaine jeune fille. Ici ce n'est pas sur un chemin que Tropsen a ramassé la plume. Se trouvant avec ses frères chez une vieille qui possède un oiseau d'or, il a pris, malgré son cheval, une plume de cet oiseau[116]. Ensuite, chez le comte au service duquel il entre comme cocher, il attache chaque soir sa plume au mur de l'écurie, et elle éclaire comme un cierge. (Dans le conte serbe nº 58 de la collection Jagitch, dans le conte croate nº 80 du premier volume de la collection Krauss, dans un conte slovaque, p. 528 de la collection Leskien, le thème du séjour chez la vieille est également combiné avec celui de la Belle aux cheveux d'or, et dans tous se trouvent plusieurs objets lumineux, plumes, cheveux, fer à cheval, etc., ramassés par le héros.)—Un conte du «pays saxon» de Transylvanie (Haltrich, nº 10) a ceci de particulier que c'est sur le conseil de son cheval, et non malgré ses avertissements, que le jeune garçon ramasse successivement trois plumes, l'une de cuivre, la seconde d'argent et la troisième d'or.—Le conte danois déjà cité offre sur ce point un détail assez singulier: Le héros a ramassé trois plumes d'or, malgré les observations de son cheval; quand on rapproche ces plumes, on voit la plus belle tête de femme qu'on puisse imaginer. Le jeune homme entre au service d'un roi comme valet d'écurie. Tous les soirs il s'enferme dans sa chambrette, que les plumes éclairent, et copie la belle image. Comme il est défendu d'avoir de la lumière dans les chambres auprès de l'écurie, le palefrenier en chef entre chez le jeune homme, qui a le temps de cacher ses plumes; mais le palefrenier s'empare de son dessin. Le roi reconnaît ce dessin pour être le portrait de la plus belle princesse du monde, dont il a fait périr le père après s'être emparé de son royaume. Elle a disparu, et les recherches du roi ont été inutiles. Il dit au jeune homme qu'il doit savoir où elle est, puisqu'il a son portrait, et il lui ordonne de la lui amener.—Dans la Basse-Bretagne, on a recueilli une forme curieuse de ce même thème (A. Troude et G. Milin. Voir le conte intitulé la Perruque du roi Fortunatus): Jean, qui s'est mis en route sur son cheval, aperçoit un jour deux corbeaux qui se battent. Il voit tomber par terre un objet qu'ils ont lâché. «Que peut être cela? Il faut que je le sache.—Il vaudrait mieux poursuivre ta route,» dit le cheval. Mais le jeune homme ne veut rien entendre; il ramasse l'objet et voit que c'est une perruque, sur laquelle est écrit en lettres d'or que c'est la perruque du roi Fortunatus; il la met dans sa poche. Il entre comme garçon d'écurie chez le roi de Bretagne. La première nuit qu'il couche au dessus de ses chevaux, il est réveillé par la clarté qui illumine sa chambre; il voit que c'est la perruque, qui brille comme le soleil. Désormais l'écurie est mieux éclairée que le palais du roi. Au carnaval, Jean se déguise et met sa perruque: la ville est éclairée partout où il passe. Le roi va pour le voir et ne le reconnaît pas. A la fin, Jean lui dit qu'il est le garçon d'écurie. Le roi s'empare de la perruque. Les autres garçons d'écurie, jaloux de Jean, vont dire au roi que le jeune homme connaît le roi Fortunatus et qu'il a dit plusieurs fois que, s'il avait voulu, il aurait obtenu de lui sa fille en mariage. Le roi ordonne à Jean de lui aller chercher la fille du roi Fortunatus.—Dans un conte roumain (Gubernatis, Florilegio, p. 66), ce que le héros trouve, c'est une corde d'or, qui brille pendant la nuit et qui appartient à une belle jeune fille (altération évidente de la mèche de cheveux ou de la plume).—Nous signalerons encore un conte ou plutôt un lied populaire allemand (L. Bechstein, p. 102): Un père prend pour parrain de son petit garçon un bel enfant, qui est Notre-Seigneur, et qui laisse comme cadeau à son filleul un cheval blanc. Devenu grand, le filleul monte sur son cheval et s'en va courir le monde. Chemin faisant, il voit par terre d'abord une plume de paon, puis une seconde, qu'il ne ramasse ni l'une ni l'autre, sur le conseil du cheval. Il en ramasse une troisième, et il est nommé roi dans une ville où il arrive. S'il n'avait pas ramassé cette troisième plume, il en aurait trouvé une quatrième et serait devenu empereur.

Le conte westphalien déjà mentionné présente ici une altération notable, sur laquelle il convient d'insister, surtout à cause de l'interprétation que Guillaume Grimm a donnée de ce passage. Le jeune garçon du conte allemand ramasse, lui aussi, une plume. La suite de l'histoire ne montre en aucune façon quel rôle a pu jouer cette plume, qui est ici une plume à écrire (Schriffedder, en patois westphalien). Guillaume Grimm admet sans hésitation que cette plume est un bâton runique (wenigstens ist die gefundene Schreibfeder gewiss ein solcher [Runenstab]). S'il avait connu toutes les formes de cet épisode que nous avons citées, il aurait assurément laissé en paix les runes et les bâtons runiques. Nouvel exemple du danger des conclusions précipitées, surtout en des matières où l'on doit toujours se demander si l'on possède la forme primitive des thèmes sur lesquels on raisonne.

Au sujet des entreprises imposées au héros, nous avons déjà dit plus haut que, dans notre Belle aux cheveux d'or, un élément important a disparu: les services rendus par le héros à des animaux, qui ensuite, par reconnaissance, exécutent pour lui diverses tâches. La plupart des contes de ce type ont bien conservé sur ce point la forme primitive. Voir les remarques de notre nº 3.

Le dénouement de notre conte présente une altération, due évidemment à quelque conteur facétieux. Nous allons jeter un coup d'œil sur les diverses formes que prend ce dénouement dans les contes de cette famille.

Dans les uns figurent l'eau de la vie et l'eau de la mort, ou parfois l'eau de la vie seule. Ainsi, dans le conte danois ci-dessus mentionné, le héros ayant réussi à rapporter l'eau de la vie et l'eau de la mort demandées par la princesse qu'il a amenée au roi, celle-ci veut s'assurer si ce sont les eaux véritables. Le roi fait venir le jeune homme, sur lequel on essaie d'abord l'eau de la mort, puis l'eau de la vie; il meurt, puis ressuscite, plus beau qu'auparavant. Le roi veut devenir plus beau, lui aussi; il subit l'opération; mais, dans l'espoir d'embellir encore, il veut recommencer. Malheureusement pour lui, il ne reste plus d'eau de la vie pour le ressusciter. La princesse épouse le jeune homme.—Comparer le conte breton de Trégont-à-Baris, un conte tchèque de Bohême (Waldau, p. 368), un conte italien (Comparetti, nº 16), etc., et aussi notre nº 3.

Dans notre Belle aux cheveux d'or, l'eau de la vie se retrouve bien, mais simplement au milieu du récit, pour ressusciter l'«oiseau de la plume». A quelques traits de cet épisode,—le parrain tué pour procurer l'eau de la vie, puis ressuscité,—ne semblerait-il pas qu'il y a là un souvenir confus du dénouement que nous venons d'indiquer?

Dans d'autres contes il n'est pas question d'eau de la vie ni d'eau de la mort. Aussi le dénouement se trouve-t-il modifié, bien qu'il soit au fond le même dans son idée mère. Dans des contes siciliens (Gonzenbach, nos 30 et 83; Pitrè, nº 34), la princesse veut, avant d'épouser le roi, que le jeune homme entre dans un four chauffé pendant trois jours et trois nuits. Le cheval du jeune homme dit à son maître de s'oindre de son écume (ou de sa sueur), et le jeune homme sort du four sain et sauf et plus beau qu'il n'y est entré. Alors la princesse dit au roi d'y entrer lui-même. Le roi demande au jeune homme ce qu'il a fait pour ne pas être brûlé; l'autre lui répond qu'il s'est oint avec de la graisse. Le roi le croit, et, à peine est-il entré dans le four, qu'il est consumé par les flammes.—Dans le conte breton la Perruque du roi Fortunatus, cité plus hauts la princesse, qui s'est fait apporter par Jean son château, puis sa clef, déclare qu'avant d'épouser le roi de Bretagne, elle veut que Jean soit brûlé vif sur la place publique. Le cheval de Jean dit à celui-ci de bien l'étriller, de mettre dans une bouteille la poussière qui tombera, et de remplir d'eau la bouteille: Jean demandera au roi qu'on fasse une sorte de niche au milieu du bûcher; quand il y sera entré, il se lavera tout le corps avec l'eau de la bouteille. Jean se conforme à ces instructions, et il sort du brasier deux fois plus beau qu'il ne l'était auparavant. La princesse s'éprend d'amour pour lui et dit au roi: «Si vous aviez été aussi beau garçon que Jean, vous seriez devenu le miroir de mes yeux.—Et si je fais comme lui, ne deviendrai-je pas aussi beau?—Je le crois.» Le roi monte sur le bûcher, et il est consumé en moins de rien.—Dans un conte espagnol (Caballero, II, p. 27), se rattachant aussi à notre thème, la princesse Bella-Flor, que José a été obligé d'enlever par ordre du roi, demande, que José soit, non pas brûlé vif, mais frit dans de l'huile. Le cheval du jeune homme, comme dans un des contes siciliens, lui dit de s'oindre de sa sueur. (Comparer un conte italien de la Basilicate [Comparetti, nº 14], où cette forme de dénouement et la précédente sont assez gauchement combinées.)

Certains contes présentent ce second dénouement sous une autre forme. Nous citerons, par exemple, le conte des Tsiganes de la Bukovine, indiqué précédemment. Là, le héros, après avoir amené au comte son maître certaine jeune fille, est obligé d'aller chercher le troupeau de chevaux de cette même jeune fille, puis de traire les cavales et de se baigner dans le lait bouillant. Son cheval merveilleux souffle sur le lait et le refroidit, et le jeune homme sort de la chaudière plus beau qu'auparavant. Le comte y entre à son tour; mais le cheval y a soufflé du feu, et le comte périt.—Comparer parmi les contes mentionnés plus haut le conte serbe, le conte croate, le conte slovaque, le conte du «pays saxon» de Transylvanie, le conte roumain, et, en outre, un conte valaque (Schott, nº 17), qui a du rapport pour l'ensemble avec notre Belle aux cheveux d'or.

Citons enfin, comme étant curieux, le dénouement d'un conte finnois, du même type, mais assez écourté, que M. E. Beauvois a publié dans la Revue orientale et américaine (tome IV, 1860, p. 386): Après avoir réussi dans les expéditions où il a été envoyé à l'instigation de l'ancien écuyer, dont il a pris la place, le héros est accusé par ce dernier auprès du roi de vouloir s'emparer de la couronne. Conduit au supplice, il se sauve deux fois en obtenant du roi, au pied de la potence, la permission de jouer d'une harpe ou d'un violon qui forcent les assistants à danser et qu'il a reçus d'un certain diable en récompense d'un service rendu (on se rappelle que le héros du conte lorrain obtient aussi du roi une faveur au pied de la potence). La troisième fois, le roi ne consent qu'à grand'peine à le laisser jouer d'une flûte, également reçue du diable; pour ne pas être forcé de danser, il a eu soin de se faire attacher à un arbre. Le diable arrive et demande au jeune homme pourquoi on veut le pendre. Après en avoir été instruit, le diable saisit le gibet et le lance en l'air, ainsi que l'arbre auquel le roi est attaché. Le peuple prend le jeune homme pour roi. (Comparer, pour cette manière de se sauver du supplice, le nº 110 de la collection Grimm, le Juif dans les épines, cité dans les remarques de notre nº 39, Jean de la Noix, II, p. 68).

Au milieu du XVIe siècle, Straparola recueillait en Italie un conte analogue à tous ces contes (nº 1 de la traduction allemande des contes proprement dits, par Valentin Schmidt): Livoretto reçoit du sultan, son maître, à l'instigation des autres serviteurs, l'ordre d'enlever la princesse Belisandra. Pendant son voyage, d'après le conseil de son cheval enchanté, il rend service à un poisson et à un faucon. Il enlève la princesse; mais celle-ci, avant d'épouser le roi, demande que Livoretto lui rapporte d'abord son anneau, qu'elle a laissé tomber dans une rivière, puis une fiole d'eau de la vie. Livoretto appelle le poisson et le faucon, qui lui procurent l'anneau et l'eau de la vie. Alors Belisandra tue le jeune homme et le coupe en morceaux qu'elle jette dans une chaudière, puis elle les asperge d'eau de la vie, et aussitôt Livoretto se relève, plus beau et mieux portant que jamais. Le vieux sultan prie la princesse de le rajeunir de cette manière. Elle le tue, et le jette à la voirie. Ensuite elle épouse Livoretto.

En Orient, nous avons à rapprocher de tous ces contes d'abord un conte des Tartares de la Sibérie méridionale (Radloff, IV, p. 373) qui, pour le dénouement, se rattache au dernier groupe indiqué ci-dessus (contes tsigane, serbes, etc.): Le héros, pauvre orphelin, est entré au service d'un prince comme valet d'écurie. Les autres valets, jaloux de lui parce que son cheval a meilleure mine que les leurs, vont dire au prince que le nouveau valet s'est vanté de connaître la fille du roi des péris. Aussitôt le prince ordonne à l'orphelin de la lui amener. Le jeune homme s'en va pleurer auprès de son cheval, qui lui donne le moyen d'enlever la péri. Celle-ci, arrivée chez le prince, refuse de l'épouser s'il ne lui rapporte son anneau qui est chez le «jeune homme qui fait marcher le soleil». L'orphelin, chargé de cette entreprise, en vient à bout[117]. Une fois en possession de son anneau, la jeune fille déclare qu'elle n'épousera le prince que s'il lui amène certain cheval. C'est encore l'orphelin qui l'amène. Alors la jeune fille dit de faire chauffer de l'eau dans une grande chaudière. Elle épousera le prince si celui-ci nage dedans. Le prince fait d'abord entrer dans la chaudière l'orphelin, que son cheval préserve de tout mal. Il s'y hasarde alors lui-même et meurt. L'orphelin épouse la fille du roi des péris.

Nous citerons encore un épisode enclavé dans un conte des Avares du Caucase (Schiefner, nº 1), très voisin de notre nº 19, le Petit Bossu (voir les remarques de ce nº 19, I, p. 217). Cet épisode, sous certains rapports moins complet que le conte tartare, contient le trait de la plume, qui manque dans ce conte[118]. En voici l'analyse: Un prince s'est rendu maître d'un cheval merveilleux. Comme il chevauche, après le coucher du soleil, vers le royaume de son père, il voit tout à coup la nuit s'illuminer. Il regarde et aperçoit au milieu d'un steppe un objet tout brillant: c'est une plume d'or. «Faut-il la ramasser ou non?» demande-t-il à son cheval.—«Si tu la ramasses,» répond le cheval, «tu en souffriras; si tu ne la ramasses pas, tu en souffriras aussi.» (Comparer, pour ce passage, les contes serbe et valaque.) Le prince ramasse la plume et la met à son chapeau. Il arrive près d'une ville et s'étend par terre pour dormir, au milieu de la campagne, après avoir mis la plume dans sa poche. Le lendemain matin, le roi du pays, qui, ainsi que ses sujets, a été effrayé de voir la nuit aussi claire que le jour, envoie des hommes armés à la découverte. Ces hommes rencontrent le prince et l'amènent au roi. Celui-ci demande au jeune homme s'il connaît les causes du phénomène qui a eu lieu pendant la nuit. Le prince tire la plume de sa poche et la montre au roi, qui lui ordonne aussitôt d'aller lui chercher l'être, quel qu'il soit, de qui provient cette plume. Le prince apprend de son cheval que la plume vient de la plus jeune fille du Roi de la mer: chaque jour, sous forme de colombe, elle arrive avec ses deux sœurs sur un certain rivage pour se baigner dans la mer. Il faudra, quand elle sera dans l'eau, s'emparer de ses vêtements de plumes, et elle sera obligée de suivre le prince. (Voir les remarques de notre no 32, Chatte Blanche, II, p. 22.) Le prince s'empare ainsi de la jeune fille et la conduit au roi; mais elle déclare à celui-ci qu'elle ne l'épousera que s'il redevient un jeune homme de vingt ans. «Comment faire?» demande le roi. La jeune fille lui dit de faire creuser un puits, profond de cinquante aunes, de le remplir de lait de vaches rouges et de se baigner dedans. Quand tout est prêt, comme le roi hésite à tenter l'expérience, elle se fait amener un vieillard et une vieille femme, et les rajeunit en les plongeant dans le puits. Alors le roi saute dans le puits, tombe au fond et périt.

Un passage du livre sanscrit la Sinhâsana-dvâtrinçikâ (les «Trente-deux récits du Trône») offre quelque analogie avec le dénouement des contes tsigane, serbes, avare, etc. (Indische Studien, t. XV, 1878, p. 364-365): Une princesse de race divine, qui règne dans une certaine ville, a promis d'épouser celui qui se précipiterait, pour s'offrir en sacrifice, dans une chaudière remplie d'huile bouillante. L'héroïque roi Vikramâditya saute sans hésiter dans la chaudière. Tous les assistants poussent un cri d'horreur. Mais la princesse arrive, asperge d'amrita (eau d'immortalité) le corps du roi, qui n'était plus qu'une informe masse de chair, et Vikramâditya ressuscite, plus beau qu'auparavant.

Quant au passage où les serviteurs, jaloux du héros, cherchent à le faire envoyer par le roi en des expéditions périlleuses,—passage que nous venons de rencontrer dans le conte tartare,—nous avons encore à citer un conte oriental, un conte des peuplades sarikoli de l'Asie centrale, et aussi un conte berbère, d'Algérie.

Dans le conte berbère, extrait d'un manuscrit de la Bibliothèque Nationale et donné par de Slane à la fin de sa traduction de l'Histoire des Berbères d'Ibn Khaldoun (p. 540), un roi prend pour vizir un marchand, dont il fait son favori. Les trois vizirs qui étaient en fonctions à l'arrivée de ce dernier sont jaloux et vont dire au roi: «Le roi des Turcs a une fille belle comme la lune, mais personne ne pourra l'amener que le nouveau vizir qui est venu avec toi.»

Dans le conte sarikoli (Journal of the Asiatic Society of Bengal, vol. 45, part. I, nº 2, p. 183), un jeune homme a épousé la fille d'un roi. Quand les gens viennent faire leurs compliments au roi, ils lui disent: «Puisse ta fille être heureuse! Tu as été un bon roi, mais tu n'as pas eu un arbre de corail.—Qui peut en trouver?» dit le roi.—«Ton gendre en trouvera un.»

Faisons remarquer, en terminant, que, dans un groupe de contes de cette famille qui a été étudié dans la revue Germania (années 1866 et 1867) par MM. Kœhler et Liebrecht, c'est un cheveu d'or tombé du bec d'un oiseau, en présence du roi, qui donne à celui-ci l'idée d'envoyer le jeune homme à la recherche de la jeune fille aux cheveux d'or. Nous résumerons un conte de ce groupe, tiré d'un livre qui a été publié à Bâle, en 1602, par un Juif, sous le titre hébraïco-allemand de Maase Buch. Il s'agit, dans ce conte, d'un roi très impie à qui les anciens du peuple viennent un jour conseiller de prendre femme pour devenir meilleur. Le roi les renvoie à huit jours. Pendant ce délai, un oiseau laisse tomber sur lui un long cheveu d'or. Le roi déclare qu'il n'épousera que la femme de qui vient ce cheveu. Il y avait à la cour un favori du roi, nommé Rabbi Chanina, qui connaissait soixante-dix langues et le langage des animaux. Ses ennemis obtiennent du roi qu'il sera chargé d'aller chercher cette femme. Chemin faisant, Rabbi Chanina vient en aide à un corbeau, à un chien et à un poisson. Les trois animaux reconnaissants accomplissent à sa place les tâches qui lui sont imposées par la princesse aux cheveux d'or. Le corbeau va chercher une fiole d'eau du paradis et une fiole d'eau de l'enfer[119]. Le poisson rapporte sur le rivage l'anneau de la princesse. Chanina s'apprête à saisir cet anneau, lorsqu'un sanglier se jette dessus, l'avale et s'enfuit; le chien tue le sanglier et retrouve l'anneau. Rabbi Chanina, après avoir amené la princesse au roi, est assassiné par des envieux. La jeune reine lui rend la vie en l'aspergeant d'eau du paradis. Le roi veut se faire ressusciter aussi. On le tue; mais la reine verse sur son corps de l'eau de l'enfer, qui le réduit en cendres. «Vous voyez», dit-elle au peuple, «que c'était un impie; autrement il serait aussi ressuscité.» Et elle épouse Chanina.—Comparer un conte tchèque de Bohême (Chodzko, p. 77) un conte allemand (Prœhle, II, nº 18), un conte grec d'Epire (Hahn, nº 37), résumé dans les remarques de notre nº 3. (Ces deux derniers contes présentent sous une forme altérée le passage relatif à l'oiseau et au cheveu d'or).—Dans le célèbre conte de Mme d'Aulnoy, de même titre que le nôtre, les cheveux de la princesse ne sont plus qu'une métaphore.

Le conte avare cité plus haut fait lien entre ce groupe de contes et celui auquel se rattache le conte lorrain. En effet, dans ce conte avare, figure la plume lumineuse ramassée par le héros, trait spécial au second de ces deux groupes, et cette plume, qui vient de l'enveloppe emplumée dont se revêt chaque jour une jeune fille merveilleuse, tient la place du cheveu d'or, caractéristique du premier groupe.—Le conte breton la Perruque du roi Fortunatus, cité également ci-dessus, tient aussi des deux groupes: de l'un, par l'objet lumineux, ramassé malgré les conseils du fidèle cheval; de l'autre, par cette circonstance que cet objet, que se disputent des oiseaux, se compose de cheveux. Dans la forme primitive, il ne s'agissait certainement pas de la «perruque» du roi, père de la princesse, mais d'une mèche de la chevelure de celle-ci, d'une mèche lumineuse, comme celle de la «princesse de Tréménézaour», l'héroïne d'un autre conte breton déjà mentionné.

En Orient, nous trouvons, réunis dans le cadre d'un même récit, le trait de l'anneau retiré de l'eau par un animal reconnaissant, et celui du cheveu. Le conte en question a été recueilli par M. Minaef chez les Kamaoniens, cette peuplade voisine de l'Himalaya dont nous avons déjà parlé, et il a été traduit en russe par cet orientaliste (nº 3 de sa collection). Voici le passage: Une péri, qui est devenue la femme d'un prince chassé du palais de son père, va un jour se laver la tête dans un fleuve. A quelque distance de là se trouvait une ville bâtie sur le bord de ce fleuve. Le fils du roi du pays, étant allé se baigner, trouve dans l'eau un cheveu de la péri, long de quarante-quatre coudées. Il dit à son père qu'il veut épouser la femme qui a de tels cheveux. Le roi envoie un de ses serviteurs, qui parvient à enlever la péri. Le prince, mari de la péri, entre au service de ce roi, ainsi qu'une grenouille et un serpent, ses obligés, qui, par reconnaissance, l'accompagnent, la première sous forme de brahmane, l'autre sous forme de barbier. Pour se débarrasser du prince, le roi, d'après le conseil d'un des serviteurs, laisse tomber son anneau dans une rivière et ordonne au jeune homme de le repêcher; sinon il lui enverra une balle dans la tête. Alors le barbier reprend sa forme de grenouille, plonge dans l'eau et appelle les autres grenouilles, qui arrivent avec leur roi, ainsi que le roi des poissons et ses sujets. Ils retrouvent l'anneau, et la grenouille le rapporte au prince. Alors le roi veut se battre avec le jeune homme; mais le serpent, qui était devenu brahmane, dit à son bienfaiteur qu'il lui sauvera la vie à son tour; il pique le roi, qui meurt[120].

Pour les autres contes,—tout différents des contes du type de la Belle aux cheveux d'or,—où une boucle de cheveux flottant sur l'eau donne l'idée de rechercher la femme à qui cette boucle appartient, nous renverrons à notre travail sur le vieux conte égyptien des Deux Frères, donné à la suite de notre introduction.

NOTES:

[115] Cette même combinaison se retrouve dans un conte des Tartares de la Sibérie méridionale, que nous donnerons plus loin.

[116] Au sujet des aventures du héros et de ses frères chez la vieille, et du thème auquel elles se rapportent, voir les remarques de notre nº 3, le Roi d'Angleterre et son Filleul (I, pp. 46-48).

[117] Tout cet épisode, que nous avons déjà rencontré intercalé dans le conte breton de Trégont-à-Baris, offre une grande ressemblance avec le nº 29 de la collection Grimm, le Diable aux trois cheveux d'or, et avec les autres contes européens de même type. Dans le conte tartare, dans le conte breton, comme dans le conte allemand, le héros rencontre successivement sur son chemin des gens qui le prient de demander au personnage mystérieux chez qui il va, la solution de telle ou telle question.—Ce type de conte existe chez les Annamites (A. Landes, nº 63).

[118] Dans un conte arabe des Mille et une Nuits (t. XI, p. 175, de la traduction allemande dite de Breslau), se trouve un passage qui n'est pas sans analogie avec celui de la plume: Le plus jeune des trois fils du sultan d'Yémen trouve un jour dans une plaine un collier de perles et d'émeraudes. Ce collier ayant été remis au sultan, celui-ci déclare qu'il ne sera content que quand il aura «l'oiseau qui a dû porter ce collier».

[119] L'eau du paradis et l'eau de l'enfer se retrouvent dans un conte italien (Comparetti, nº 16).

[120] Une grande partie de ce conte kamaonien a beaucoup de rapport avec un conte persan du Toûti-Nâmeh (Th. Benfey, introd. au Pantchatantra, p. 217), qui n'a pas l'épisode du cheveu.



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