Contes populaires de Lorraine, comparés avec les contes des autres provinces de France et des pays étrangers, volume 2 (of 2)
LXV
FIROSETTE
Il était une fois un jeune homme, appelé Firosette, qui aimait une jeune fille nommée Julie. La mère de Firosette, qui était fée, ne voulait pas qu'il épousât Julie; elle voulait le marier avec une vieille cambine[91], qui cambinait, cambinait.
Un jour, la fée dit à Julie: «Julie, je m'en vais à la messe. Pendant ce temps, tu videras le puits avec ce crible.»
Voilà la pauvre fille bien désolée; elle se mit à puiser; mais toute l'eau s'écoulait au travers du crible. Tout à coup, Firosette se trouva auprès d'elle. «Julie,» lui dit-il, «que faites-vous ici?—Votre mère m'a commandé de vider le puits avec ce crible.» Firosette donna un coup de baguette sur la margelle du puits, et le puits fut vidé.
Quand la fée revint: «Ah! Julie,» dit-elle, «mon Firosette t'a aidée!—Oh! non, madame, je ne l'ai pas même vu; je me soucie bien de votre Firosette et de votre Firosettan!» Elle ne voulait pas laisser voir qu'elle l'aimait.
Une autre fois, la fée dit à Julie: «Va-t'en porter cette lettre à ma sœur, qui demeure à Effincourt[92]; elle te récompensera.»
Chemin faisant, Julie rencontra Firosette, qui lui dit: «Julie, où allez-vous?—Je vais porter une lettre à votre tante, qui demeure à Effincourt.—Ecoutez ce que je vais vous dire,» reprit Firosette. «En entrant chez ma tante, vous trouverez le balai les verges en haut; vous le remettrez comme il doit être. Ma tante vous présentera une boîte de rubans et vous dira de prendre le plus beau pour vous en faire une ceinture. Prenez-le, mais gardez-vous bien de vous en parer. Quand vous serez dans les champs, vous le mettrez autour d'un buisson, et vous verrez ce qui arrivera.»
En entrant chez la fée, la jeune fille lui dit: «Madame, voici une lettre que madame votre sœur vous envoie.» La sœur de la fée lut la lettre, puis elle dit à Julie: «Voyons, ma fille, que pourrais-je bien vous donner pour votre peine? Tenez, voici une boîte de rubans: prenez le plus beau et faites-vous-en une ceinture; vous verrez comme vous serez belle.» Julie prit le ruban et s'en retourna. Lorsqu'elle fut à Gerbaux[93], elle mit le ruban autour d'un buisson; aussitôt le buisson s'enflamma.
Quand elle fut de retour, la fée lui dit: «Ah! Julie, mon Firosette t'a conseillée!—Oh! non, madame, je ne l'ai pas même vu; je me soucie bien de votre Firosette et de votre Firosettan!» Elle ne voulait pas laisser voir qu'elle l'aimait.
Un soir, on fit coucher la vieille cambine au chevet d'un lit, et Julie à l'autre bout, avec des chandelles entre les dix doigts de ses pieds. Au milieu de la nuit, la fée, qui était dans la chambre d'en haut, se mit à crier: «Mon Firosette, dois-je féer[94]?—Non, ma mère, encore un moment.» Puis il dit à la vieille: «N'allez-vous pas prendre la place de cette pauvre fille?»
La fée cria une seconde fois: «Mon Firosette, dois-je féer?—Non, non, ma mère, encore un moment.» Et il dit encore à la vieille: «N'allez-vous pas prendre la place de cette pauvre fille?»
La fée cria une troisième fois: «Mon Firosette, dois-je féer?» Et Firosette dit une troisième fois à la vieille: «N'allez-vous pas prendre la place de cette pauvre fille?»
La vieille fut bien obligée de céder et de mettre les chandelles entre les dix doigts de ses pieds. Aussitôt Firosette cria: «Oui, oui, ma mère, féez vite.—Je veux,» dit alors la fée, «que celle qui a les chandelles entre les dix doigts de ses pieds soit changée en cane, pour que je la mange à mon déjeuner.» Au même instant, la vieille se trouva changée en cane, sauta en bas du lit et se mit à marcher tout autour de la chambre: can can can can.
Lorsque la fée vit qu'elle s'était trompée, elle entra dans une si grande colère qu'elle tomba morte.
NOTES:
[91] Cambine, boiteuse.
[92] Village de Champagne, à une petite lieue de Montiers.
[93] Endroit situé entre Effincourt et Montiers, où se trouve une fontaine.
[94] Féer, faire acte de fée, faire un enchantement.
REMARQUES
Ce conte,—on le reconnaîtra en l'examinant d'un peu près,—a de grandes analogies avec la dernière partie de la fable de Psyché, où l'héroïne est au pouvoir de Vénus. Du reste, le plus grand nombre des contes qui, à notre connaissance, doivent être rapprochés de Firosette, ont une introduction qui n'est autre, au fond, que la première partie de Psyché, de sorte qu'ils présentent tout l'ensemble du récit latin. Nous avons étudié, dans les remarques de notre nº 63, le Loup blanc, cette première partie de Psyché; nous aurons ici à nous occuper de la seconde.
Voyons d'abord les principaux contes actuels qui ressemblent à Firosette.
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Nous commencerons pas rapprocher du conte lorrain un conte sicilien, recueilli par M. Pitrè (Nuovo Saggio, nº 5). La première partie de ce conte, dont nous avons résumé l'introduction dans les remarques de notre nº 63, le Loup blanc (II, p. 223), se rattache au thème de Psyché. Nous n'en dirons qu'un mot: A l'instigation de ses sœurs, jalouses de son bonheur, Rusidda, épouse d'un jeune homme mystérieux, commet la faute de demander avec instance à son mari comment il se nomme. Le nom de «Spiccatamunnu» est à peine prononcé, que Rusidda se trouve seule, au milieu d'une campagne déserte.—Ici commence la seconde partie, qui se rapporte à Firosette: Rusidda arrive chez une ogresse, la mère de Spiccatamunnu. Pour se débarrasser de la jeune femme, l'ogresse l'envoie chez une autre ogresse, sa sœur, en la chargeant de lui rapporter un coffret. Le coffret est remis à Rusidda par la sœur de l'ogresse, avec défense de l'ouvrir. Mais, en chemin, la jeune femme entend sortir du coffret des sons si mélodieux qu'elle ne peut résister à sa curiosité. Elle ouvre le coffret, et il s'en échappe une foule de petites poupées qui se mettent à danser; elle essaie de les faire rentrer: impossible. Alors elle appelle à son aide Spiccatamunnu, qui, sans se faire voir, lui jette une baguette dont elle doit frapper la terre pour faire rentrer les poupées dans le coffret. Quand elle est de retour chez l'ogresse, celle-ci lui dit que son fils Spiccatamunnu va se marier, et elle lui commande de laver un grand tas de linge. Rusidda appelle Spiccatamunnu, et en un instant le linge est lavé. «Ah!» dit l'ogresse, «ce n'est pas toi qui as fait cela; c'est mon fils Spiccatamunnu.» Et elle commande à Rusidda de remplir plusieurs matelas de plumes d'oiseaux. Par l'ordre de Spiccatamunnu, quantité d'oiseaux viennent secouer leurs plumes, de manière à remplir les matelas. Le soir des noces, l'ogresse ordonne à Rusidda de se mettre à genoux au pied du lit des nouveaux mariés, une torche allumée à la main. Au bout de quelque temps, la mariée, qui a pitié d'elle, lui fait prendre sa place et se met elle-même à genoux avec la torche. A minuit, l'ogresse ordonne au sol de s'entr'ouvrir et d'engloutir celle qui tient la torche. Et c'est la mariée qui est engloutie au lieu de Rusidda.
Nous retrouvons dans ce conte sicilien les principaux éléments de Firosette: les tâches imposées à la jeune fille par la fée et exécutées par le fils de cette fée, qui aime la jeune fille; l'envoi de cette dernière chez la sœur de la fée, et aussi le dénouement, mais moins bizarre et certainement plus voisin de la forme primitive.
On aura pu remarquer que, dans le conte sicilien, il n'est pas question de recommandations faites par Spiccatamunnu à Rusidda, quand celle-ci est envoyée chez la sœur de l'ogresse. Dans notre conte, Firosette en fait deux, mais la première,—celle qui est relative au balai, qu'il faut remettre «comme il doit être»,—paraît, au premier abord, n'avoir aucune importance. Il y a là, en effet, une altération, et la plupart des contes qu'il nous reste à résumer vont le faire voir. Dans la forme primitive, si Firosette engageait la jeune fille à rendre service au balai, c'était afin que, plus tard, le balai ne lui fît point de mal: ainsi, dans plusieurs contes, l'héroïne graisse une porte, afin que, par reconnaissance, la porte ne l'écrase point quand elle s'enfuira.
L'épisode en question se trouve d'abord dans un deuxième conte sicilien qui fait partie de la grande collection de M. Pitrè (nº 18). L'introduction est à peu près celle de Spiccatamunnu; mais le fils de l'ogresse se nomme lu Re d'Amuri (le Roi d'Amour). Arrivée chez l'ogresse, Rusidda est envoyée par celle-ci porter une lettre à une autre ogresse, sa commère. Le Roi d'Amour lui apparaît et lui indique ce qu'elle aura à faire pour se préserver de tout danger. Quand elle arrivera auprès d'un fleuve dont l'eau est du sang, elle devra en boire quelques gorgées et dire: «Quelle belle eau! jamais je n'en ai bu de pareille!» Elle devra de même se récrier sur la bonté des poires d'un poirier et du pain d'un four, près desquels elle passera. Puis il lui faudra donner du pain à deux chiens affamés, balayer et nettoyer l'entrée de la maison ainsi que l'escalier, bien frotter un rasoir, des ciseaux et un couteau qu'elle trouvera dans la maison. Enfin, Rusidda remettra la lettre à l'ogresse, et, pendant que celle-ci sera occupée à la lire, elle prendra sur une table une cassette et s'enfuira en l'emportant. La jeune femme suit ponctuellement ces recommandations. Quand l'ogresse s'aperçoit que Rusidda s'est enfuie, elle crie au rasoir, aux ciseaux et au couteau de la mettre en pièces; mais tous répondent que Rusidda les a nettoyés, tandis que l'ogresse ne l'a jamais fait. L'ogresse ordonne alors à l'escalier et à l'entrée de la maison d'engloutir Rusidda; elle reçoit la même réponse. De même, les chiens refusent de la manger, le four de l'enfourner, l'arbre de l'embrocher, le fleuve de sang de la noyer. Suit l'épisode de la cassette ouverte, et ensuite celui des matelas à remplir de plumes pour les noces du Roi d'Amour avec la fille du roi de Portugal. L'ogresse dit à Rusidda que c'est la coutume, aux mariages, qu'une personne se tienne à genoux près du lit avec deux torches à la main. Une heure avant minuit, le Roi d'Amour dit que Rusidda ne peut rester à genoux dans l'état où elle est (en effet, elle était enceinte, comme Psyché, quand elle s'est trouvée jetée hors du palais de son mari), et il prie la mariée de prendre les torches et de se mettre un peu à la place de Rusidda. A peine la mariée a-t-elle pris les torches, que la terre s'entr'ouvre et l'engloutit.
Ce conte est, croyons-nous, le plus complet et le mieux conservé des contes de ce type qui ont été recueillis.
Mentionnons un troisième conte sicilien (Gonzenbach, nº 15), dont l'introduction se rattache aussi au thème de Psyché et où se retrouvent les différentes parties du conte précédent, mais avec quelques altérations. Dans ce conte, nous relevons un détail curieux: la sorcière dit à la jeune femme, en lui imposant des tâches, qu'elle s'en va à la messe, absolument comme la fée de notre conte.
Un conte de l'Italie méridionale, recueilli dans la Basilicate (Comparetti, nº 33), qui présente le même enchaînement, est un peu altéré, particulièrement au dénouement;—un conte des Abruzzes (Finamore, nº 81) l'est beaucoup. Dans ce dernier conte, un passage est à rapprocher du conte lorrain: l'héroïne doit, pendant la nuit des noces du fils de celle qui la persécute, «tenir allumées dix chandelles, une sur chaque doigt de ses mains.» C'est presque, comme on voit, le détail singulier des «chandelles entre les dix doigts des pieds.»
Jusqu'à présent nous ne sommes pas sortis des pays de langue italienne. Nous allons rencontrer un conte de même famille dans le nord de l'Europe, en Danemark (Grundtvig, I, p. 252). Voici les principaux traits de ce conte: Un roi a promis sa fille en mariage à qui devinerait un certain secret. Un loup le devine, et l'on est obligé de lui donner la princesse. Il emmène celle-ci dans un château et lui fait promettre de ne jamais allumer de lumière. Pendant la nuit, il a une forme humaine. Cédant aux conseils de sa mère, à qui elle est allée faire visite, la princesse finit par manquer à sa promesse; elle voit son mari endormi, mais celui-ci se réveille, reprend sa forme de loup et s'enfuit pour toujours. La princesse le suit de loin, et, après diverses aventures, elle arrive au château d'une sorcière, celle qui avait transformé le prince en loup parce qu'il ne voulait pas épouser sa fille; elle se met au service de la sorcière. Celle-ci lui impose plusieurs tâches, qui sont exécutées par un mystérieux vieillard. Enfin la princesse est envoyée chez la sœur de la sorcière avec ordre de rapporter pour la fille de cette dernière une parure de fiancée. Sur le conseil d'un jeune homme inconnu, elle assujettit une porte qui ne cessait de battre; elle donne du grain à un troupeau d'oies, des fourgons (instrument pour attiser le charbon dans le four) à deux hommes qui n'avaient que leurs mains pour attiser ce charbon, de grandes cuillers à deux jeunes filles qui brassaient de la bière bouillante avec leurs bras nus, du pain à deux chiens; enfin elle graisse les gonds rouillés d'une seconde porte. La sœur de la sorcière lui remet une boîte avec ordre de n'y point regarder. Quand la jeune femme s'en retourne, la sœur de la sorcière dit à la porte de l'écraser, aux chiens de la déchirer, etc., mais tous refusent de lui faire du mal à cause des services qu'elle leur a rendus. En chemin, elle a la faiblesse d'ouvrir la boîte: il s'en échappe un oiseau, qui y est remis, grâce au jeune homme qu'elle a déjà rencontré. Le soir des noces du prince et de la fille de la sorcière, la princesse est placée à la porte de la salle du festin avec un flambeau allumé dans chaque main. Après le repas, quand la sorcière passe auprès de la princesse, celle-ci, qu'un charme empêche de bouger, et qui sent déjà la chaleur atteindre ses mains, lui dit que ses mains vont être brûlées. «Brûle, lumière, ainsi que ton chandelier!» dit la sorcière. La princesse implore le secours du prince, qu'elle a reconnu. Celui-ci lui arrache les flambeaux des mains et donne l'un à la sorcière et l'autre à sa fille, qui restent là comme des statues, et brûlent, ainsi que leur château.
Les trois contes qu'il nous reste à citer pour l'ensemble n'ont pas l'introduction se rapportant au thème de Psyché.
Le premier est un conte breton de l'île d'Ouessant (Contes des provinces de France, nº 12): Un jeune «Morgan»[95] veut épouser Mona, une «fille de la terre», que le roi des Morgans, dont il est le fils, a entraînée au fond des eaux; mais le vieillard refuse son consentement, et le jeune Morgan est obligé d'épouser une fille de sa race. Pendant qu'on est à l'église, Mona, par ordre du vieux Morgan, doit préparer un bon repas, sans qu'il lui ait été donné autre chose que des pots et des marmites vides. Le jeune Morgan trouve moyen de rentrer un instant à la maison, et, par son pouvoir magique, il fait que le repas est prêt en un instant. Le soir, Mona reçoit l'ordre d'accompagner les nouveaux mariés dans leur chambre et d'y rester, tenant un cierge allumé: quand le cierge sera consumé jusqu'à la main, elle sera mise à mort. Le cierge étant presque complètement brûlé, le jeune Morgan dit à la mariée de le tenir à son tour. Alors le vieux Morgan, qui a déjà fait plus d'une fois cette question, demande si le cierge est consumé jusqu'à la main. «Répondez oui,» dit le jeune Morgan à la mariée. A peine a-t-elle prononcé ce mot, que le vieux Morgan entre dans la chambre et lui abat la tête. Il est bien obligé ensuite de laisser son fils se marier avec Mona.
Dans un quatrième conte sicilien (Pitrè, nº 17), nous retrouvons les tâches imposées à une jeune fille par une ogresse et exécutées par son fils, ici transformé en oiseau vert, et aussi le dénouement, mais avec une altération bizarre: pendant que Marvizia est à genoux au pied du lit, une torche à la main, le fils de l'ogresse dit à la mariée de se lever et de tenir un peu la torche, et la torche, qui, par ordre du jeune homme, a été remplie de poudre et de balles, éclate entre les mains de la mariée.
Dans un conte toscan (Imbriani, la Novellaja fiorentina, nº 16), figure l'épisode des tâches. Ici, les tâches, ou plutôt la tâche (il n'y en a qu'une) est imposée à Prezzemolina par des fées à qui sa mère a été obligée de la livrer et qui la mangeront si elle n'en vient point à bout. C'est le cousin des fées, appelé Memè, qui lui vient en aide. Suit l'envoi de la jeune fille chez la fée Morgane, à qui elle demandera une certaine boîte. Ici c'est de plusieurs femmes qu'elle reçoit successivement le conseil de graisser une porte, de donner du pain à deux chiens, etc. Le dénouement est différent. Les fées ordonnent à Prezzemolina de faire bouillir de l'eau dans un grand chaudron, se proposant d'y jeter la jeune fille et de la manger. Mais ce sont elles-mêmes qui sont jetées dans le chaudron par Memè et Prezzemolina. Les deux jeunes gens vont ensuite dans une cave où se trouvent une quantité de lumières dont chacune est l'âme d'une fée: la plus grande est celle de la fée Morgane. Ils éteignent ces lumières et demeurent maîtres de tout.—Il est probable que ces lumières qu'il faut éteindre pour faire périr les fées sont un souvenir confus des lumières que tient l'héroïne des contes que nous venons de citer, mais on a donné ici à ce passage un caractère qui le rattache à un groupe de contes d'un type tout différent, celui de la Mort et son Filleul (Grimm, nº 44).
Au XVIIe siècle, le Napolitain Basile donnait place dans son Pentamerone (nº 44) à un conte qui doit être rapproché des contes précédents. Après une introduction se rattachant au thème de Psyché, vient l'épisode des tâches. La sorcière, qui est la mère d'«Eclair et Tonnerre», l'époux mystérieux de Parmetella, ordonne à celle-ci de trier en un jour douze sacs de graines différentes, confondues en un même tas. Eclair et Tonnerre fait venir des fourmis, qui démêlent les graines. La sorcière dit ensuite à Parmetella de remplir de plumes douze matelas, et la jeune femme parvient à le faire, grâce aux conseils d'Eclair et Tonnerre. Envoyée chez la sœur de la sorcière pour lui demander les instruments de musique dont on doit se servir aux noces d'Eclair et Tonnerre avec une horrible créature, Parmetella, sur les recommandations du jeune homme, donne du pain à un chien, du foin à un cheval, et assujettit une porte qui ne cessait de battre. Aussi, quand elle s'enfuit après s'être emparée de la boîte aux instruments, peut-elle passer sans encombre auprès de la porte, du cheval et du chien. Parmetella, comme les héroïnes des autres contes, cède à la curiosité et ouvre la boîte, d'où les instruments s'échappent; elle est tirée d'embarras par Eclair et Tonnerre. Au repas des noces, la sorcière fait dresser la table tout près d'un puits; elle donne à chacune de ses sept filles une torche allumée, et deux à Parmetella, et elle place celle-ci sur le bord du puits, afin que si la jeune femme vient à s'endormir, elle tombe dedans. Eclair et Tonnerre, une fois dans la chambre nuptiale, tue la mariée d'un coup de couteau.—Toute cette fin est, comme on voit, complètement altérée.
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Dans les contes qu'il nous reste à examiner, nous allons retrouver non plus l'ensemble de notre conte, mais certains de ses épisodes.
Ainsi, dans un conte islandais (Arnason, p. 516), une jeune fille, Helga, est envoyée par une troll (sorte d'ogresse) chez la sœur de celle-ci, pour lui demander son jeu d'échecs. Un certain personnage, qui est déjà venu en aide à Helga, lui donne divers conseils. Elle devra notamment, quand la troll l'invitera à s'asseoir à sa table, ne pas oublier de faire le signe de la croix sur tous les objets qui seront sur la table. Helga suit cette recommandation, et, quand plus tard la sœur de la troll dit au couteau de couper la jeune fille, à la fourchette de la piquer, à la nappe de l'engloutir, couteau, fourchette et nappe répondent: «Nous ne le pouvons, Helga a si bien fait sur nous le signe de la croix!»
Dans un conte suédois (Cavallius, nº 14 B) du type de notre nº 32, Chatte blanche, ce n'est pas une jeune fille, c'est un jeune homme, un prince, qui est envoyé par une ondine chez la sœur de cette dernière pour lui demander les habits de noce de sa fiancée Messéria. Sur le conseil de Messéria, il graisse les gonds d'une vieille porte; puis il donne des haches de fer à deux bûcherons qui n'en ont que de bois, et des fléaux de bois à deux batteurs en grange qui n'en ont que de fer; enfin, il jette des morceaux de viande à deux aigles. Les aigles, les batteurs, les bûcherons et la porte refusent ensuite de lui faire du mal. Ici, comme dans plusieurs des contes précédents, le prince entr'ouvre la boîte que lui a donnée la sœur de l'ondine, et il s'en échappe des étincelles qui font comme un torrent de feu. Grâce à une formule magique qu'il a entendu prononcer par Messéria, il parvient à faire rentrer les étincelles dans la boîte.
Dans un conte russe (Ralston, p. 139; L. Léger, nº 10), une marâtre envoie sa belle-fille chez une Baba Yaga (ogresse), sa sœur, avec ordre de demander à celle-ci une aiguille et du fil. L'enfant va trouver d'abord sa vraie tante et apprend d'elle ce qu'il faut faire: elle orne d'un ruban le bouleau de la Baba Yaga, graisse les gonds de ses portes, donne du pain à ses chiens et du lard à son chat, et tous laissent passer la petite fille quand elle s'enfuit.
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Pour le passage où des objets et des personnages reconnaissants refusent de faire du mal à ceux qui leur ont fait du bien, on peut voir ce que M. Reinhold Kœhler dit de ce thème dans ses remarques sur le conte sicilien nº 13 de la collection Gonzenbach. Tous les contes mentionnés par M. Kœhler se rapportent, ainsi que le conte sicilien lui-même, au thème bien connu des Trois oranges. Nous y ajouterons un conte flamand du même type recueilli par M. Ch. Deulin, à Condé-sur-Escaut (II, p. 191). Dans tous ces contes, c'est un jeune homme qui est le héros. Voir, en outre, pour ce passage, l'ouvrage de M. Stan. Prato déjà cité (p. 72 seq., 121 seq.).
Dans une autre série de contes, qui appartiennent au thème du nº 24 de la collection Grimm (Frau Holle)[96] et où c'est une jeune fille qui est l'héroïne, le même passage se présente avec quelques modifications; ce sont, en effet, les objets ou animaux auprès desquels la jeune fille passe, qui lui demandent de leur rendre tel ou tel service. Ainsi, dans un conte irlandais (Kennedy, II, p. 33), un pommier demande à une jeune fille de le secouer, des miches de pain qui sont dans un four la prient de les défourner, une vache de la traire, etc., et ensuite, quand la jeune fille est poursuivie par une sorcière, ils déroutent celle-ci en lui donnant de fausses indications sur le chemin qu'a pris la jeune fille. (Comparer par exemple Grimm nº 24 et III, p. 41; Deulin, op. cit., p. 283.)
Tout cet épisode se rencontre en Orient dans le livre kalmouk du Siddhi-Kûr, dont l'origine, nous l'avons déjà dit, est indienne (9e récit): Un khan est mort, et chaque mois, pendant une certaine nuit, il revient visiter sa femme. Celle-ci se lamentant de ce qu'ils ne peuvent être toujours réunis, le khan lui dit qu'il y aurait un moyen d'obtenir ce bonheur, mais que l'entreprise est bien hasardeuse. La jeune femme déclare qu'elle n'hésitera pas à s'exposer à tous les dangers. Alors le khan lui dit de se rendre telle nuit à tel endroit. «Là habite un vieillard de fer qui boit du métal en fusion et qui ensuite crie: «Ah! que j'ai soif!» Donne-lui de l'eau-de-vie de riz. Un peu plus loin sont deux béliers qui se battent à coups de tête; donne-leur du gâteau. Plus loin encore, tu rencontreras une troupe d'hommes armés; donne-leur de la viande et du gâteau. Enfin tu arriveras devant un grand bâtiment noir, dont le sol est abreuvé de sang et sur lequel est arboré un étendard de peau humaine; à la porte veillent deux serviteurs du juge des enfers; offre à chacun d'eux un sacrifice de sang. Dans l'intérieur de cet édifice, se trouve, au milieu de huit effroyables enchanteurs qui l'entourent, un cercle magique bordé de neuf cœurs. «Prends-moi, prends-moi», diront les huit vieux cœurs (sic). «Ne me prends pas», dira un nouveau cœur. Sans hésiter, prends ce dernier cœur et enfuis-toi sans regarder en arrière. Si tu peux revenir ici, nous pourrons être réunis pour toujours dans cette vie.» La jeune femme fait tout ce qui lui a été dit. Quand elle s'enfuit, emportant le «nouveau cœur», les enchanteurs se mettent à sa poursuite. Ils crient aux deux serviteurs du juge des enfers: «Arrêtez-la!» Mais ceux-ci répondent: «Elle nous a offert un sacrifice de sang.» Et ils la laissent passer. Les hommes armés répondent à leur tour: «Elle nous a donné de la viande et du gâteau;» les deux béliers: «Elle nous a donné du gâteau;» le vieillard de fer: «Elle m'a donné de l'eau-de-vie de riz.» La jeune femme arrive sans encombre à la maison et trouve son mari plein de vie.
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Voyons maintenant ce qui, dans la fable de Psyché, se rapporte à Firosette et aux contes du même genre. Comme l'héroïne de plusieurs de ces contes, Psyché se voit imposer diverses tâches par la mère de son mari (dans Firosette, par la mère de son amant), furieuse contre elle. Elle est envoyée par celle-ci chez Proserpine, comme «Julie» et autres sont envoyées chez une sorcière qui doit les perdre. Enfin, toujours comme l'héroïne de plusieurs de ces contes, elle cède à sa curiosité en ouvrant une boîte qu'elle rapportait de ce périlleux voyage. Nous allons examiner successivement ces trois passages.
La première des tâches imposées par Vénus à Psyché,—nous l'avons vu dans l'analyse du récit latin donnée dans les remarques de notre nº 63 (II, p. 225),—est de trier en un jour un tas énorme de graines de toute sorte mêlées ensemble. Une fourmi prend pitié de la jeune femme et appelle à son secours toutes les fourmis du voisinage.—Ne traitant qu'incidemment de la fable de Psyché, nous n'avons pas à énumérer ici les nombreux contes européens de différents types où une tâche semblable est imposée au héros ou à l'héroïne. Nous nous bornerons à montrer, par quelques rapprochements avec des contes orientaux, que l'origine de cet épisode est indienne, comme celle de la première partie de Psyché, et que, dans le récit latin, la forme primitive est altérée.
Pour quiconque est un peu familier avec les contes populaires, le service rendu à Psyché par la fourmi a dû être précédé d'un service rendu à la fourmi par Psyché elle-même. Dans le conte populaire indien de Tulisa et le Roi des serpents, résumé dans les remarques de notre nº 63 (II, p. 226), la Psyché indienne est aidée par un écureuil reconnaissant et ses compagnons, notamment quand la reine des serpents (la Vénus du conte indien) remet à Tulisa une jarre remplie de graines de toute sorte et lui ordonne d'en tirer la plus belle parure que jamais princesse ait portée. Les écureuils apportent à leur bienfaitrice de magnifiques pierreries.—On remarquera que, dans la tâche imposée à Tulisa, tâche assez singulière, et où certainement il y a une altération, il est question de graines de toute sorte, comme dans le récit latin.
D'autres contes orientaux, provenant directement ou indirectement de l'Inde, achèveront, croyons-nous, de justifier notre conviction que cet épisode de Psyché se rattache au thème bien connu des Animaux reconnaissants.
Voici d'abord un conte des Mille et une Nuits (t. XI, p. 216, de la traduction allemande dite de Breslau): Le prince de Sind se met en route pour aller conquérir la main d'une princesse qu'il aime sans l'avoir jamais vue. Il rencontre des animaux affamés, d'abord des sauterelles, puis des éléphants et autres grands animaux; il leur donne à manger; il régale ensuite magnifiquement des génies. Ces derniers lui indiquent le chemin qui conduit au pays de la princesse, et quand, arrivé au terme de son voyage, il doit accomplir des travaux d'où dépendent sa vie et son bonheur, il y est aidé par ceux qu'il a secourus. Les sauterelles font le tri de diverses sortes de graines confondues en un monceau; les éléphants et autres grands animaux boivent l'eau d'un réservoir que le prince doit mettre à sec en une nuit; les génies bâtissent pour lui, toujours en une nuit, un palais.
La collection publiée par miss Stokes contient un conte indien de Calcutta (nº 22), dont l'idée générale est la même que celle du conte des Mille et une Nuits, mais qui est bien plus riche en épisodes et d'une couleur bien plus fraîche, bien plus primitive, si l'on peut employer cette expression. Là aussi un prince se montre bienfaisant à l'égard d'animaux; ainsi il donne à des fourmis des gâteaux qu'il avait emportés pour les manger en voyage, et le roi des fourmis lui dit: «Vous avez été bon pour nous. Si jamais vous êtes dans la peine, pensez à moi, et nous viendrons auprès de vous.» Quand le prince demande la main de la princesse Labam, le roi, père de celle-ci, fait apporter quatre-vingts livres de graine de sénevé et dit au prince que, s'il n'a pas pour le lendemain exprimé l'huile de toute cette graine, il mourra. Le prince se souvient du roi des fourmis; aussitôt celui-ci arrive avec ses sujets, et les fourmis font la besogne.
Cette idée de services rendus à des animaux, d'animaux reconnaissants, est une idée tout indienne. Il y a là l'empreinte du bouddhisme. D'après l'enseignement bouddhique,—reflet de croyances indiennes antérieures au Bouddha,—l'animal et l'homme sont essentiellement identiques: dans la série indéfinie de transmigrations par laquelle, selon cette doctrine, passe tout être vivant, l'animal d'aujourd'hui sera l'homme de demain, et réciproquement. Aussi la charité des bouddhistes doit s'étendre à tout être vivant, et, dans la pratique, comme l'a fait remarquer M. Benfey, les animaux en profitent bien plus que les hommes. Quant à la reconnaissance des animaux, le bouddhisme aime à la mettre en opposition avec l'ingratitude des hommes (voir l'Introduction de M. Benfey au Pantchatantra, § 71).
En examinant l'épisode de Psyché qui nous occupe, on remarquera les paroles adressées par Vénus à Psyché quand elle trouve le travail achevé; «Ce n'est pas là ton œuvre,» dit-elle; «c'est l'œuvre de celui à qui, pour son malheur et plus encore pour le tien, tu as osé plaire.» Faut-il voir dans ces paroles le souvenir à demi effacé d'une intervention de Cupidon en faveur de Psyché, intervention qui aurait disparu du récit d'Apulée? Dans ce cas, Cupidon aurait joué ici exactement le rôle de Firosette ou de Spiccatamunnu. Mais alors comment concilier l'intervention de Cupidon avec celle de la fourmi? On le pourrait, à la rigueur, et des contes indiens nous fournissent encore cette forme intermédiaire.
Dans un conte populaire indien, résumé dans les remarques de notre nº 32, Chatte blanche (II, p. 21), un roi, qui veut du mal à un jeune homme nommé Toria, fait ensemencer de graine de sénevé une grande plaine, et, quand tout est mûr, il commande à Toria de récolter la graine et de l'amasser en un tas; s'il ne l'a fait en un jour, il sera mis à mort. La fille du Soleil, que Toria a épousée, appelle ses colombes, et en une heure la besogne est terminée.—De même, dans un conte de la grande collection de Somadeva, remontant au XIIe siècle de notre ère (voir les mêmes remarques, II, pp. 23, 24), le jeune prince Çringabhuya, qui veut épouser la fille du râkshasa (mauvais génie) Agniçikha, reçoit de celui-ci l'ordre de ramasser en un tas cent boisseaux de sésame qui viennent d'être semés. En un instant, Rûpaçikha, la fille du râkshasa, fait venir d'innombrables fourmis, et les graines sont vite ramassées. (Comparer dans le conte du Pentamerone de Basile, le passage où «Eclair et Tonnerre» appelle, lui aussi, des fourmis.)
Comme troisième tâche, Vénus ordonne à Psyché de lui procurer une fiole de l'eau du Styx, qui est gardée par des dragons. L'aigle de Jupiter va chercher de cette eau pour l'épouse de son ami Cupidon. Il y a encore ici, au fond, le thème des Animaux reconnaissants: dans bon nombre de contes (voir les remarques de nos nos 3, le Roi d'Angleterre et son Filleul, et 73, la Belle aux cheveux d'or), un jeune homme reçoit l'ordre d'aller chercher une fiole d'eau de la mort et une fiole d'eau de la vie; des corbeaux, ses obligés, lui apportent l'une et l'autre.
Venons à l'envoi de Psyché aux enfers, chez Proserpine. Ici nous rentrons de plain-pied dans le conte lorrain. Vénus donne une boîte à Psyché et lui ordonne d'aller aux enfers demander à Proserpine un peu de sa beauté. On a vu dans l'analyse donnée par nous (II, p. 225), que c'est une tour,—idée fort étrange,—qui donne à Psyché les conseils que Firosette ou le personnage correspondant des autres contes de ce type donne à sa bien-aimée, envoyée chez la sœur de la sorcière ou de l'ogresse. Parmi ces conseils il en est un qu'il faut noter. «Aussitôt entrée,» dit la tour, «tu iras droit à Proserpine qui te recevra avec bienveillance et t'engagera même à t'asseoir sur un siège moelleux et à partager un excellent repas. Mais toi, assieds-toi à terre, et mange un pain grossier que tu demanderas.» Psyché suit ces conseils.—Dans un conte suédois (Cavallius, nº 14 B), cité plus haut, où le héros est envoyé par une ondine chez une sorcière, sœur de celle-ci, sous prétexte d'en rapporter des cadeaux de noce, il s'abstient, d'après les recommandations de sa fiancée, de s'asseoir sur diverses chaises qui lui sont offertes; car, si l'on s'assied sur telle ou telle chaise, on est exposé à tel ou tel danger. Il a soin également de ne rien manger chez la sorcière.
Il convient d'ajouter que, dans le conte indien de Somadeva dont nous avons cité un passage, le prince est envoyé par le râkshasa Agniçikha, qui veut le perdre, chez un autre râkshasa, son frère, pour lui annoncer qu'il va épouser la fille d'Agniçikha. Sa fiancée lui donne un cheval très rapide et divers objets magiques, et elle lui dit de s'enfuir à toute bride une fois son invitation faite. Suit l'épisode de la poursuite et des objets magiques que l'on jette derrière soi. (Voir les remarques de notre nº 12, le Prince et son Cheval, I, p. 154.)
Il ne nous reste plus qu'à examiner rapidement un dernier trait de la fable de Psyché. Sortie des enfers, Psyché, cédant à une téméraire curiosité, ouvre la boîte que lui a remise Proserpine. Aussitôt un sommeil magique se répand dans tous ses membres. Cupidon accourt, fait rentrer ce lourd sommeil au fond de la boîte et éveille Psyché, qui se hâte de porter à Vénus le présent de Proserpine. On se rappelle le passage tout à fait similaire de plusieurs des contes résumés plus haut.
Dans le conte lorrain, ce passage est remplacé par l'envoi d'une lettre de la fée à sa sœur et le don par celle-ci à la jeune fille aimée de Firosette d'une ceinture qui doit la faire périr. Ce trait se retrouve dans un conte de Mme d'Aulnoy, le Pigeon et la Colombe, où une reine, qui veut faire épouser à son fils certaine princesse, envoie chez une fée la jeune fille aimée du prince, et lui dit de rapporter la «ceinture d'amitié», espérant qu'elle mettra cette ceinture et qu'elle sera consumée.—M. R. Kœhler, dans la Zeitschrift für romanische Philologie (VI, p. 173), indique un certain nombre de contes recueillis dans la Haute-Bretagne (Sébillot, I, nº 24), dans le pays basque, en Allemagne, en Suisse, dans le Tyrol, en Styrie, en Danemark et en Suède, où une ceinture, mise pour en faire l'essai autour d'un arbre, le fait éclater, ou voler en l'air, ou dépérir.
M. Kœhler renvoie également à un passage d'une légende des Tartares de la Sibérie méridionale (Radloff, IV, p. 187). Dans cette légende, le héros Mangysch dit au héros Ak Kübæk, qui va le tuer, de manger son cœur et de se faire une ceinture avec ses entrailles: alors il deviendra un véritable héros et sera invincible. Ak Kübæk est au moment de manger le cœur, quand un «prophète» lui dit de jeter ce cœur à la mer. Il le fait, et aussitôt la mer commence à bouillir comme une chaudière. Il se prépare à se mettre les entrailles de Mangysch autour du corps, quand le prophète lui dit de les mettre autour d'un arbre. A peine l'a-t-il fait, que l'arbre prend feu.
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On a remarqué que, dans les contes du genre de Firosette, les tâches imposées à la jeune fille sont différentes de la tâche unique de notre conte: vider un puits avec un crible. Dans un conte allemand de la Lusace (Grimm, nº 186), une marâtre ordonne à sa belle-fille de vider en une journée un étang avec une cuiller percée. C'est une mystérieuse vieille qui exécute cette tâche; elle touche l'étang, et toute l'eau s'évapore.—Nous avons cité tout à l'heure un conte arabe où un prince doit mettre à sec en une nuit un réservoir; mais, dans le conte oriental, ce sont des animaux reconnaissants qui boivent toute l'eau. C'est là, à notre avis, la forme primitive.
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Notre conte est du petit nombre de ceux où la scène est placée dans le pays même où ils se racontent.
NOTES:
[95] Les Morgans sont, dans les contes bretons, des êtres mystérieux habitant les profondeurs de la mer.