Contes populaires de Lorraine, comparés avec les contes des autres provinces de France et des pays étrangers, volume 2 (of 2)
LVIII
JEAN BÊTE
Il était une fois un jeune garçon qu'on appelait Jean Bête. Sa mère lui dit un jour: «Jean, tu iras porter ma toile au marché, mais tu ne la vendras pas à des gens trop bavards.—Non, maman; soyez tranquille.»
Il se rendit donc au marché. Bientôt un homme s'approcha de lui: «Combien voulez-vous de votre toile!—Hon.—A combien votre toile?—Hon.—Répondez donc.—Vous n'aurez pas ma toile; vous êtes trop bavard.»
Jean s'en alla un peu plus loin. Arriva un autre homme: «Vous avez de bien belle toile.—Hon.—Combien la vendez-vous?—Hon.—Parlerez-vous?—Vous n'aurez pas ma toile, vous êtes trop bavard.»
«Je vais m'en retourner,» se dit Jean; «je vois bien qu'il n'y a ici que des bavards.»
En quittant le marché, il eut l'idée d'entrer à l'église. Voyant à la porte un saint de pierre, il s'en approcha et lui présenta sa marchandise, en disant: «Voulez-vous de ma toile?» Il se trouva qu'au même instant le vent fit remuer la tête du saint, qui n'était plus trop solide: Jean crut qu'il faisait signe que oui. «Vous aurez ma toile,» lui dit-il, «vous n'êtes pas bavard, vous.» Il lui mit la toile sur le bras et s'en retourna au logis.
«Eh bien! Jean,» lui dit sa mère, «as-tu vendu ta toile?—Oui, maman.—A qui l'as-tu vendue?—Il n'y avait sur le marché que des bavards. J'ai vu à la porte de l'église un brave homme qui ne dirait rien du tout, et je la lui ai donnée. Il ne me l'a pas payée, mais il n'y a rien à craindre.—Malheureux!» dit la mère, «cours vite reprendre ma toile.»
Jean retourna à l'église; la toile était toujours sur le bras du saint. «Rends-moi ma toile,» lui dit Jean. A ce moment, le vent fit branler la tête du saint à droite et à gauche. «Ah!» cria Jean, «tu ne veux pas me la rendre; attends un peu.» Il donna au saint une volée de coups de bâton, reprit la toile et revint tout joyeux à la maison.
REMARQUES
Voici la première partie d'une variante, également recueillie à Montiers-sur-Saulx:
Il était une fois une femme qui avait un fils qu'on appelait Jean Bête. Elle lui dit un jour: «Nous allons entasser la lessive; tu apporteras l'eau, moi je mettrai le linge dans le cuvier. De cette façon nous aurons vite fait.»
A ce moment, on vint dire à la femme que quelqu'un la demandait. «Jean,» dit-elle, «tu mettras dans le cuvier tout ce que nous avons de noir (de sale); ensuite tu jetteras la lessive de haut.—Oui, maman.» La mère étant partie, Jean ramassa dans la maison les chapeaux, les habits des dimanches, tout ce qu'il put trouver de noir, et les entassa dans le cuvier. Puis il monta au grenier, fit un trou au plancher et de là il jeta la lessive dans le cuvier.
La mère revint pendant qu'il était à sa besogne. «Vous voyez, maman,» cria-t-il, «je la jette de haut.—Malheureux!» dit la mère, «que fais-tu? et qu'as-tu mis dans le cuvier?—J'y ai mis tout ce que nous avons de noir.—Ah!» dit la mère, «voilà un bel ouvrage! maintenant ma toile est toute gâtée. Tu iras me la porter à la foire; mais tu ne la vendras pas à des babillards: ils attireraient le monde, et l'on remarquerait les taches.»
Suit une histoire analogue à celle que nous avons donnée dans notre texte.
Dans une autre variante de Montiers, Jean va à la foire pour acheter un pot. En revenant, arrivé à un endroit où le chemin se partage en deux, il met le pot par terre à l'entrée d'un des deux chemins et lui dit: «Tu as trois pattes; moi, je n'ai que deux pieds; tu peux bien marcher. Nous verrons qui sera le plus tôt arrivé.» Et il s'en va par l'autre chemin.
Dans une troisième variante, la grand'mère de Jean voudrait le marier; mais personne ne veut de lui. Elle lui recommande de se poster un dimanche à la porte de l'église, à la sortie de la messe, et de «lancer des œillades» aux jeunes filles qui passeront devant lui, dans l'espoir que quelqu'une le trouvera de son goût. Jean va dans l'étable, arrache les yeux de tous les moutons et les lance aux jeunes filles[59].
Dans un conte bourguignon (Beauvois, p. 203), Cadet Cruchon est aussi envoyé par sa mère vendre de la toile au marché, avec recommandation de ne pas entrer en pourparlers avec des gens bavards. Ainsi que notre Jean Bête, il renvoie tous ceux qui lui demandent le prix de sa toile et la vend finalement à une statue de saint. Comme, malgré ses réclamations, la statue ne veut pas le payer et qu'il ne peut pas reprendre sa toile, qui a disparu, il donne des coups de bâton à la statue; elle est brisée, et Cadet Cruchon trouve dans le socle un trésor.
Cette forme est plus complète; car le dernier trait (la découverte du trésor) fait partie de presque tous les contes que nous avons à citer[60].
Dans un conte du Tyrol italien (Schneller, nº 57), dans un conte toscan (Pitrè, Novelle popolari toscane, nº 32), dans un conte italien de Rome (miss Busk, p. 371), dans un conte napolitain (p. 14 de la revue Giambattista Basile, année 1884), dans un conte sicilien (Pitrè, t. III, nº 190, 1), dans un conte de la Basse-Autriche (Zeitschrift für deutsche Philologie, VIII, p. 94), c'est, comme dans notre conte et dans le conte bourguignon, une pièce de toile qu'une mère envoie son fils vendre. Dans un conte allemand (Simrock, nº 18),—le seul, avec notre conte et les contes autrichien, breton et basque dont nous allons parler, où il ne soit pas question de trésor,—au lieu du fils, c'est un valet, et il est envoyé vendre du beurre.
Dans un conte de la Haute-Bretagne (Sébillot, I, p. 224), Jean le Diot vend la vache de sa mère à une statue de saint, qu'il brise ensuite à coups de bâton après lui avoir vainement réclamé ses vingt écus. Puis, voyant une poignée de liards et de sous dans une petite tasse auprès de la statue, il les met dans sa poche et s'en retourne à la maison (ce dernier trait est évidemment un souvenir affaibli du trésor).—Dans un conte basque (Vinson, p. 95), où le niais vend également une vache à la statue, ce souvenir lui-même a disparu complètement.
Un autre conte breton, celui-ci de la Bretagne bretonnante (Luzel, 3e rapport), est fort altéré: Jean de Ploubezre est envoyé par sa mère à la ville pour vendre une pièce de toile et acheter un trépied. Sur le bord de la route, il s'agenouille dans une chapelle de saint Jean, et il lui semble que son patron grelotte de froid. Il enroule toute sa pièce de toile autour de la statue. Près de la statue de saint Jean était la statue d'un autre saint, qui avait l'air de tendre la main; une vieille femme y ayant mis un sou, Jean se dit que ce saint paiera le trépied. Il prend le sou, va chez un quincaillier, où il choisit un trépied, puis il. jette le sou sur le comptoir et s'enfuit à toutes jambes avec le trépied. En montant une côte, il se dit: «Il faut que je sois bien bête de porter ainsi celui qui a trois pieds, tandis que moi je n'en ai que deux.» Et il pose son trépied à terre au milieu de la route.—Il y a ici, comme on voit, une combinaison de l'épisode de la statue avec celui du pot de notre seconde variante lorraine.
Ce second épisode se trouve aussi dans le conte bourguignon: Cadet Cruchon, ennuyé de voir un pot qu'il a acheté remuer constamment dans sa voiture, le met par terre, pensant qu'avec ses trois pieds le pot pourra toujours le rattraper.—En Picardie, on raconte aussi une histoire analogue de Gribouille et de sa marmite (Carnoy, pp. 179-180); dans la Haute-Bretagne (Sébillot, Littérature orale, p. 98), de Jean le Fou et de son trépied.
L'épisode de la statue reparaît, sous une forme un peu différente, dans un conte russe (Ralston, p. 49): Le plus jeune de trois frères, garçon plus que simple, n'a eu qu'un bœuf pour sa part d'héritage. S'en allant pour le vendre, il passe devant un vieil arbre, que le vent agite. Il s'imagine entendre l'arbre lui demander à acheter le bœuf; il laisse là sa bête et dit qu'il reviendra le lendemain chercher l'argent. Quand il revient, le bœuf a disparu. Le jeune homme réclame son paiement, et, ne recevant pas de réponse, il prend sa hache et commence à couper l'arbre, quand soudain d'un creux s'échappe un trésor que des voleurs y avaient caché.—Même histoire dans un conte wende de la Lusace (Veckenstedt, p. 64), dans un conte du «pays saxon» de Transylvanie (Haltrich, nº 61), dans un conte valaque (Schott, nº 22, 3), et aussi, en Sibérie, dans un conte des Ostiaks (A. Ahlqvist, Ueber die Sprache der Nord-Ostjaken, Helsingfors, 1880, p. 15).
⁂
Au XVIIe siècle, le Napolitain Basile insérait dans son Pentamerone (nº 4) un conte qu'il faut rapprocher des précédents: Vardiello vend sa toile à une statue, puis, en la brisant, il découvre un trésor. Sa mère, craignant son indiscrétion, s'avise d'une ruse; elle lui dit d'aller s'asseoir devant la porte de la maison. Pendant ce temps, elle fait pleuvoir d'une fenêtre des figues et des raisins secs, que Vardiello s'empresse de ramasser. Plus tard, ayant parlé imprudemment du trésor, il est conduit devant les juges. On lui demande quand il a trouvé les ducats; il répond que c'est le jour où il a plu des figues et des raisins secs. Les juges le croient encore plus fou qu'il ne l'est, et l'affaire en reste là. (Comparer le conte napolitain moderne, déjà cité.)
Dans un conte sicilien, se rattachant à cette famille de contes (Gonzenbach, nº 37), la mère de Giufà s'y prend d'une façon analogue pour infirmer le témoignage de son fils au sujet d'un trésor qu'il a trouvé. Là, Giufà a été envoyé par sa mère chez le teinturier pour lui porter une pièce de toile à teindre en vert. Il la laisse à un petit lézard vert, qu'il se figure être le teinturier. Quand il revient pour reprendre sa toile, il ne la retrouve plus, et il démolit la maison du prétendu teinturier, c'est-à-dire un tas de pierres, dans lequel il trouve un pot plein d'or[61].
Nous allons rencontrer la même fin dans un conte oriental, dont la première partie a beaucoup d'analogie avec les contes que nous étudions ici, et notamment avec le conte sicilien. Dans ce conte arabe (Mille et une Nuits, trad. allemande dite de Breslau, t. XI, p. 144), un mangeur d'opium croit vendre sa vache à une pie qui caquète sur un arbre. Quand il revient pour toucher son argent, il s'imagine que la pie déclare ne pas vouloir payer. Furieux, il lui lance une bêche qu'il porte. L'oiseau effrayé s'envole et va se poser à quelque distance sur un tas de fumier. Le mangeur d'opium croit que la pie lui fait signe de prendre là son argent; il fouille et trouve un pot rempli d'or. Il en prend la valeur de sa vache et remet le pot dans le fumier. Sa femme, ayant eu connaissance de l'histoire, va déterrer le pot et rapporte le reste du trésor. Le mangeur d'opium la menace de la dénoncer à la police. Alors la femme va acheter de la viande cuite et des poissons cuits, et éparpille le tout devant la porte de la maison, pendant la nuit. Puis elle réveille son mari et lui dit qu'il vient de faire un grand orage et qu'il a plu de la viande cuite et des poissons cuits. Le mangeur d'opium se lève, et voyant la viande et les poissons jonchant le sol, il ne doute pas du prodige. Le lendemain matin, il va dénoncer sa femme, comme il en avait manifesté l'intention. La femme est citée devant l'officier de police; elle nie le vol et dit que son mari est fou. «Pour vous en assurer,» ajoute-t-elle, «demandez-lui seulement quand le prétendu vol a été commis.» L'officier de police pose cette question au mangeur d'opium qui répond: «Dans la nuit où il a plu de la viande cuite et des poissons cuits.» En entendant ce langage, l'officier de police ne croit plus un mot de ce que l'homme a dit, et il fait mettre la femme en liberté.
Un conte kabyle (Rivière, p. 179) présente la même combinaison. Dans ce conte, le niais vend son bouc à un coucou qui chante sur un frêne, et laisse le bouc attaché à l'arbre, en disant qu'il reviendra tel jour pour avoir son argent. Au jour dit, il revient. Furieux contre le coucou qui ne veut ni le payer, ni lui rendre son bouc (les bêtes sauvages l'ont mangé), il crie en montrant une vieille masure qui se trouve près de là: «Eh bien! je m'en vais démolir ta maison.» Il se met, en effet, à démolir la masure et y découvre un trésor[62]. Il prend seulement le prix du bouc. Quand il rentre chez lui et que sa mère entend parler du trésor, elle lui dit qu'ils iront le prendre le lendemain. Elle prépare, sans que son fils s'en aperçoive, des crêpes et des beignets, et ils partent ensemble pendant la nuit. La mère marche derrière le jeune homme et jette des crêpes en l'air. «O ma mère,» crie le niais, «il tombe une pluie de crêpes.» Plus loin, c'est une pluie de beignets qu'il croit voir tomber. Enfin ils arrivent à la masure et prennent le trésor. Le lendemain, le niais va dire aux hommes du village réunis dans la thadjemath: «Hier, pendant la nuit, nous avons rapporté un trésor de tel endroit.» Les propriétaires du terrain, l'ayant entendu, vont réclamer le trésor à la mère. «Ne le croyez pas,» dit celle-ci, «cet enfant est niais.—Comment?» dit le jeune garçon, «c'est si vrai, qu'il est tombé, pendant que nous étions en route, une pluie de crêpes, puis une pluie de beignets.» En l'entendant parler ainsi, les hommes sont convaincus qu'il ne sait ce qu'il dit et ne s'occupent plus du trésor[63].
⁂
Venons au passage des «œillades» de notre variante. Ce passage se retrouve à peu près identiquement, dans un conte picard (Carnoy, p. 185), dans des contes basques (Webster, p. 69; Vinson, p. 97), dans le conte bourguignon, dans un des contes de la Haute-Bretagne (Sébillot, Littérature orale, p. 104), et aussi dans un conte du Tyrol allemand (Zingerle, I, nº 40) et dans trois contes toscans (Imbriani, La Novellaja fiorentina, p. 595; Nerucci, nº 35; Pitrè, Novelle popolari toscane, nº 33).
Cette même histoire est racontée dans un livre allemand de 1557, cité par Guillaume Grimm (III, p. 62) et, d'après M. Imbriani (loc. cit., p. 596), dans les Facetiarum Libri tres (1506), de Henri Bebel.
Dans un conte écossais (Campbell, nº 45) et dans un conte irlandais (Kennedy, II, p. 79), qui se rapportent l'un et l'autre au thème de notre nº 36, Jean et Pierre, le valet feint, par malice et pour amener son maître à se fâcher, de ne pas comprendre l'ordre que celui-ci lui a donné de lancer de son côté à un certain moment une «œillade de bœuf» ou une «œillade de brebis», pour lui faire signe, et il lui lance de vrais yeux de bœufs ou de brebis.
Il est très probable que cet épisode des œillades, comme les autres, doit exister en Orient. M. Thorburn, dans son livre Bannu or Our Afghan Frontier, déjà cité par nous, fait allusion à diverses histoires afghanes du genre de Jean Bête, mais il n'en raconte qu'une seule, qui a son pendant en Europe et où il s'agit aussi de l'étrange galanterie du niais (pp. 207-208). On nous permettra de la résumer en quelques mots: Une vieille femme a un fils à moitié fou. Elle voudrait le voir se marier et elle l'engage à chercher à se faire bien venir de quelque jeune fille du village. «Pour cela,» lui dit-elle, «il ne sera pas mal, au contraire, de la bousculer un peu.» Le jeune homme se rend au puits du village, et, quand les jeunes filles viennent tirer de l'eau, il bouscule si bien celle qui arrive la première, qu'il la fait tomber dans le puits. Ensuite il s'en va tout fier conter son exploit à sa mère. Celle-ci, qui est fort avisée, tue une chèvre et la jette dans le puits. Naturellement, grâce au bavardage de son fils, tout le village sait bientôt l'histoire, et l'on vient au puits pour constater le crime. Mais, quand au lieu d'une jeune fille on retire une chèvre, tout le monde n'a plus que de la pitié pour le pauvre fou.—La collection de contes indiens du Kamaon, publiée par M. Minaef, contient un conte à peu près semblable (nº 15). Ici le niais demande à sa mère comment il faut s'y prendre pour gagner l'affection des jeunes filles. «Va t'asseoir sur le bord de l'étang,» lui dit la mère. «Quand il viendra une jeune fille, tu lui jetteras une petite pierre. Si elle sourit, tu sauras qu'elle t'aime. Sinon, jette-lui une pierre un peu plus grosse, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'elle rie.» Le jeune garçon suit ce conseil, et il finit par jeter à une jeune fille une pierre tellement grosse qu'il la tue. La jeune fille étant tombée la bouche ouverte, le niais s'imagine qu'elle rit, et il court tout joyeux annoncer à sa mère que la jeune fille l'aime. Sa mère fait disparaître le cadavre. Suit la substitution d'une chèvre morte au corps de la jeune fille.—Le conte indien du Bengale cité plus haut (miss Stokes, nº 7) renferme à peu près le même épisode.
L'idée principale de cet épisode,—un cadavre jeté dans un puits et remplacé par une chèvre, grâce à la prudence de la mère du fou qui a été l'auteur du meurtre,—se retrouve, nous l'avons dit, en Europe, et notamment dans plusieurs des contes cités plus haut: le conte sicilien de la collection Gonzenbach, le conte napolitain moderne, le conte breton de la collection Luzel et le conte russe. Comparer un conte kabyle (Rivière, p. 43).
⁂
L'histoire de la lessive, de notre première variante, se retrouve, à peu près, dans le conte bourguignon. La mère du niais lui a dit: «Ce que tu verras de noir et de crasseux, tu le mettras dans la bue.» Il y met les chaudières et les marmites.
NOTES:
[59] Cette dernière variante a une seconde partie, que nous résumerons ici: La grand'mère de Jean, qui veut le marier, le conduit dans un village voisin, chez un homme qui a trois filles. On les invite à souper. La grand'mère dit à Jean: «Tu es grand mangeur. Cela pourrait faire mauvais effet. Quand je verrai que tu auras assez mangé, je te marcherai sur le pied.—Bien!» dit Jean. A peine commence-t-on à souper, qu'un chien qui est sous la table marche sur le pied de Jean. Aussitôt celui-ci dépose sa cuiller, et, malgré toutes les instances qu'on lui fait, il ne mange plus de tout le repas. Le souper terminé, la grand'mère lui demande pourquoi il s'est conduit ainsi. «Mais,» dit-il, «vous m'avez marché sur le pied.»
Cette histoire se retrouve, pour le fond, non seulement en France, dans la Haute-Bretagne (Sébillot, I, nº 35), en Picardie (Carnoy, p. 198), dans le pays basque (Vinson, p. 96), mais en Allemagne, dans un conte souabe (Meier, nº 52) et dans un conte de la région du Harz supérieur (Prœhle, I, nº 69).
Dans ces contes, à l'exception du conte picard et du conte basque, le personnage qui correspond à Jean a encore, pendant la nuit, après le souper, des aventures ridicules, que nous nous souvenons d'avoir aussi entendu raconter à Montiers dans un autre conte commençant par l'épisode du souper et du chien qui marche sur le pied du garçon. N'ayant pas de notes pour rédiger ce conte, nous nous bornerons à dire qu'il ressemble extrêmement au conte breton.
[60] Y aurait-il quelque relation de parenté entre ces contes et la fable ésopique où un homme, fatigué de demander en vain la richesse à Mercure, brise de colère la statue du dieu et trouve dans la tête un trésor (Babrius, nº 119, édition de la collection Teubner; Esope, nº 66, même édition; La Fontaine, Fables, III, 8)?
[61] Comparer, pour la ruse qu'on emploie dans ces trois contes, divers contes qui ne sont pas de cette famille: un conte danois (Grundtvig, I, p. 77), un conte suédois (traduit par M. Axel Ramm dans l'Archivio per le tradizioni popolari, II, p. 477), un conte wende de la Lusace (Veckenstedt, p. 231), un conte de la Petite Russie (L. Léger, nº 20), etc.
[62] Comparer le passage du conte sicilien de la collection Gonzenbach où Giufà démolit la «maison» du lézard.
[63] L'épisode de la pluie de friandises se rencontre dans un conte indien du Kamaon (Minaef, nº 5): Le fils niais d'une mère très avisée se trouve mis en possession d'un sac d'or qui appartient à un homme riche. Il apporte le sac à sa mère. Cette dernière achète des sucreries et les éparpille sur le toit et sur la vérandah de sa maison. «Vois, mon fils,» dit-elle, «quelle sorte de pluie vient de tomber.» Le jeune garçon mange les sucreries. Cependant le sac est réclamé par le crieur public, et une récompense est promise à qui le rapportera. Le jeune garçon va dire que le sac est chez sa mère. On arrive. «Ma mère, où est le sac que je t'ai donné?—Quand m'as-tu donné un sac?—Le jour où il a plu des sucreries.» La mère dit aux gens: «Quand a-t-il jamais plu des sucreries?» Les gens se mettent à rire en disant: «Pauvre niais!» et ils s'en vont.—Même récit à peu près dans un conte indien du Bengale, probablement de Bénarès (miss Stokes, nº 7).