Contes populaires de Lorraine, comparés avec les contes des autres provinces de France et des pays étrangers, volume 2 (of 2)
LVII
LE PAPILLON BLANC
Il était une fois un homme qui était toujours ivre. Comme il revenait un jour du cabaret, il passa par le cimetière et trébucha contre une tête de mort. «Tu n'es pas ici pour tes mérites,» lui cria-t-il en colère.—«Demain,» répondit la tête, «à cette même heure, tu y seras pour les tiens.»
A l'instant même, l'ivrogne fut dégrisé et retourna chez lui tout épouvanté. Sa femme lui dit en le voyant rentrer: «Il est bien étonnant que tu n'aies pas bu aujourd'hui.—Ah!» répondit l'homme, «je suis bien dégrisé; il m'est arrivé une terrible aventure.»
Quand la femme sut ce qui s'était passé, elle courut chez le curé pour lui demander secours. Le curé dit à l'ivrogne: «Allez sur la tombe de votre filleul; frappez, et il en sortira un petit papillon blanc, qui combattra pour vous.»
Le lendemain, l'homme, suivant le conseil du curé, se rendit au cimetière et frappa sur la tombe de son filleul; aussitôt il en sortit un papillon blanc qui combattit contre la tête de mort et fut vainqueur. Puis le papillon dit à l'homme: «Mon cher parrain, je vous devais une place en Paradis, et je vous la gardais; maintenant je suis quitte avec vous.»
REMARQUES
Nous n'avons à rapprocher de ce petit conte qu'une légende de la Basse-Bretagne (Luzel, Légendes, II, p. 126): Un jeune homme, qui va se marier, passe, en revenant de chez sa fiancée, devant un gibet où un de ses anciens rivaux est pendu. Excité par le cidre, il invite le pendu à ses noces. Le pendu s'y rend, en effet, mais visible seulement pour le marié, et, à son tour, il invite celui-ci à venir souper chez lui, le soir. Comme dans le conte lorrain, c'est l'âme d'un petit enfant, filleul du marié, qui sauve celui-ci. Elle le rend invisible aux yeux des diables rassemblés auprès du gibet.—M. Luzel donne (op. cit., II, p. 201) une seconde version presque identique de cette légende, recueillie dans l'île de Bréhat.
Il est assez remarquable que, dans notre conte, l'âme du filleul apparaisse sous la forme d'un papillon, ψυχή, comme chez les Grecs.