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Contes populaires de Lorraine, comparés avec les contes des autres provinces de France et des pays étrangers, volume 2 (of 2)

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LIX
LES TROIS CHARPENTIERS

Il était une fois une veuve qui avait trois fils, tous les trois charpentiers. Ceux-ci, voyant qu'ils ne gagnaient pas assez dans leur pays pour nourrir leur mère, lui dirent adieu et se rendirent dans un village à sept ou huit lieues de là. Ils entrèrent comme domestiques dans une grosse auberge, où l'on avait justement besoin de trois garçons et où ils restèrent un an; leur année finie, ne se trouvant pas assez payés, ils allèrent chercher fortune ailleurs, après avoir envoyé cent écus à leur mère.

Un jour qu'ils traversaient un bois, ils rencontrèrent un homme d'une taille extraordinaire: c'était un génie, qui leur dit: «Où allez-vous, mes amis?—Nous sommes en route pour gagner notre vie et celle de notre mère.»

Le génie dit à l'aîné: «Tiens, voici une ceinture sur laquelle il y a une étoile d'or; quand tu toucheras cette étoile, il en sortira des perles, des rubis, des diamants, des émeraudes, des plats d'or et d'argent.»

Il dit ensuite au cadet: «Tiens, voici une sonnette; en la faisant sonner tu ressusciteras les morts.—Et toi,» dit-il au plus jeune, «prends ce sabre dont le nom est: Quiconque me portera sera vainqueur

Il leur donna de plus à chacun du baume vert qui guérissait toutes les blessures, et, après les avoir bien régalés, il les congédia. Les trois frères le remercièrent et le prièrent de porter mille écus à leur mère.

Après avoir marché pendant deux jours encore dans la forêt, ils arrivèrent chez un roi qui était en guerre avec son voisin, et lui offrirent leurs services. L'aîné lui dit qu'il n'avait qu'à toucher l'étoile d'or de sa ceinture pour en faire sortir des perles, des diamants, des émeraudes, des rubis, des plats d'or et d'argent. Le second dit qu'en faisant sonner sa sonnette, il ressuscitait les morts. Le troisième parla de son sabre Quiconque me portera sera vainqueur. Ils n'oublièrent pas le baume vert qui guérissait toutes les blessures. Enfin, le roi promit sa fille à celui qui se distinguerait le plus à la guerre.

Les trois frères combattirent comme des lions; la sonnette ressuscitait les morts, le baume vert guérissait les blessures, le sabre faisait merveille. Bref, le roi qu'ils servaient remporta la victoire, la paix fut signée au bout de deux mois, et le roi vaincu fut obligé de financer.

La princesse épousa celui des trois frères qui avait la sonnette; les deux autres se marièrent avec les nièces du roi.


REMARQUES

Ce conte présente, d'une façon tout à fait embryonnaire, le thème auquel se rattache notre nº 42, les Trois Frères, et aussi notre nº 11, la Bourse, le Sifflet et le Chapeau. Voir, au sujet des objets merveilleux, nos remarques sur ces deux contes.—Comparer aussi notre nº 71, le Roi et ses Fils.

La ceinture d'où sortent des diamants, des perles, etc., est au fond la même chose que la bourse où l'on trouve toujours de l'argent.

Quant au sabre Quiconque me portera sera vainqueur, nous le retrouvons identiquement dans un conte de la Bretagne non bretonnante (Sébillot, I, p. 64), où un soldat découvre un vieux sabre portant ces mots écrits sur la lame: «Celui qui se sert de moi a toujours la victoire.» Dans un conte allemand (Wolf, p. 393), le héros possède une épée qui rend invincible.—En Orient, dans un conte arabe (Contes inédits des Mille et une Nuits, traduits par G.-S. Trébutien, 1828, t. I, p. 296), figure, entre autres objets merveilleux, un sabre qui détruit en un instant toute une armée.—Enfin, dans un conte indien du Bengale, analysé dans les remarques de notre nº 19, le Petit Bossu (I, p. 219), le dieu Siva fait présent à son protégé Siva Dâs d'un sabre qui donne la victoire à son possesseur, le protège contre les dangers et le transporte où il le désire.

La sonnette qui ressuscite les morts rappelle le violon merveilleux de notre nº 42, l'Homme de Fer, et d'un conte flamand (Wolf, Deutsche Sagen und Mærchen, nº 26), ainsi que la guitare du conte sicilien nº 45 de la collection Gonzenbach.

Enfin, dans un conte irlandais (Kennedy, I, p. 24), le héros reçoit de trois géants qu'il a successivement vaincus une massue «avec laquelle, tant qu'il se préservera du péché, il gagnera toutes les batailles», un fifre qui force à danser ceux qui l'entendent, et un flacon d'onguent vert, qui empêche d'être «brûlé, échaudé ou blessé».



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