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Contes populaires de Lorraine, comparés avec les contes des autres provinces de France et des pays étrangers, volume 2 (of 2)

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LXII
L'HOMME AU POIS

Il était une fois un homme et une femme, qui étaient les plus grands paresseux du monde. Quand vint le temps de la moisson, l'homme se loua à un laboureur; mais il ne travailla guère. La moisson terminée, il alla trouver son maître et lui dit: «Maintenant, comptons ensemble; dites-moi combien j'ai gagné.—Mon ami,» répondit le maître, «je te donnerai un pois: c'est encore plus que tu ne mérites.—Eh bien!» dit l'homme, «donnez-moi mon pois.—Ne devrais-tu pas être honteux?» lui dit la femme du laboureur. «Si tu n'étais pas un fainéant, tu gagnerais de bonnes journées.—Ne vous mettez pas en peine de mes affaires,» répondit l'homme. «Donnez-moi mon pois, c'est tout ce que je demande.»

Quand il eut son pois, il s'en alla chez le voisin et lui dit: «Voulez-vous me loger, moi et mon pois?—Nous logerons bien votre pois; mais vous, nous ne vous logerons pas.—Eh bien! logez mon pois; moi, j'irai ailleurs.»

On mit le pois sur le dressoir; mais il arriva qu'une poule sauta sur le dressoir et avala le pois. «Bon!» dit la femme, «voilà le pois mangé! que va dire cet homme?—Il dira ce qu'il voudra,» répondit le mari.

Bientôt après, l'homme revint. «Bonjour, madame.—Bonjour, monsieur.—Voulez-vous me rendre mon pois?—Votre pois? je ne peux vous le rendre: une poule l'a mangé.—Madame, rendez-moi mon pois, madame, rendez-moi mon pois, ou bien j'irai à Paris.—Allez où vous voudrez; je ne puis vous le rendre.—Eh bien! donnez-moi votre poule.—Une poule pour un pois!—Madame, donnez-moi votre poule, madame, donnez-moi votre poule, ou bien j'irai à Paris.» Il le répéta tant de fois qu'à la fin la femme, impatientée, lui dit: «Tenez, prenez ma poule, et qu'on ne vous revoie plus.»

L'homme partit et entra dans une autre maison: «Pouvez-vous me loger, moi et ma poule?—Nous logerons bien votre poule; mais vous, nous ne vous logerons pas.—Eh bien! logez ma poule; moi, j'irai ailleurs.»

On mit la poule dans l'écurie; mais, pendant la nuit, une truie, qui était renfermée à part dans un coin de l'écurie, s'échappa et mangea la poule.

Le lendemain matin, l'homme revint. «Bonjour, madame.—Bonjour, monsieur.—Je viens chercher ma poule.—Votre poule? J'en suis désolée; nous l'avions mise dans l'écurie; la truie s'est échappée la nuit et l'a mangée.—Madame, rendez-moi ma poule, madame, rendez-moi ma poule, ou bien j'irai à Paris.—Allez où il vous plaira; je ne puis vous la rendre.—Eh bien! donnez-moi votre truie.—Comment! une truie pour une poule!—Madame, donnez-moi votre truie, madame, donnez-moi votre truie, ou bien j'irai à Paris.—Tenez, prenez-la donc, et débarrassez-nous de votre présence.»

En sortant de là, l'homme entra dans une auberge. «Pouvez-vous me loger, moi et ma truie?—Nous logerons bien votre truie; mais vous, nous ne vous logerons pas.—Eh bien! logez ma truie; moi, j'irai ailleurs.»

On mit la truie dans l'écurie: un jeune poulain qui se trouvait là se détacha pendant la nuit et vint près de la truie; la truie voulut lui mordiller les jambes, le poulain rua et tua la truie. «Hélas!» dit la femme, «qu'allons-nous faire? fallait-il nous embarrasser de cette truie?»

Le lendemain, l'homme revint. «Bonjour, madame.—Bonjour, monsieur.—Où est ma truie?—Votre truie? notre poulain l'a tuée; la voilà. Emportez-la si vous voulez; je ne puis vous la rendre en vie.—Madame, rendez-moi ma truie, madame, rendez-moi ma truie, ou bien j'irai à Paris.—Allez où vous voudrez; ce n'est pas ma faute si votre truie a mordu notre poulain.—Eh bien! donnez-moi votre poulain.—Un poulain pour une truie!—Madame, donnez-moi votre poulain, madame, donnez-moi votre poulain, ou bien j'irai à Paris.—Prenez-le donc, et partez vite, car vous me rompez la tête.»

L'homme continua son chemin et entra dans une autre auberge. «Pouvez-vous me loger, moi et mon poulain?—Nous logerons bien votre poulain; mais vous, nous ne vous logerons pas.—Eh bien! logez mon poulain; moi, j'irai ailleurs.»

Le soir venu, la petite fille de l'aubergiste dit à sa mère: «Maintenant que le poulain a bien mangé, je vais le mener boire.—N'y va pas,» dit la mère, «il pourrait t'arriver un accident.—Oh!» dit l'enfant, «je sais bien mener boire un cheval.» Elle emmena le poulain et le fit descendre dans la rivière; mais par malheur le poulain tomba dans un trou et s'y noya. Voilà les gens de l'auberge bien désolés.

Dès le grand matin, l'homme revint. «Bonjour, madame.—Bonjour, monsieur.—Je viens prendre mon poulain.—Votre poulain? eh! mon pauvre garçon, votre poulain s'est noyé.—Madame, rendez-moi mon poulain, madame, rendez-moi mon poulain, ou bien j'irai à Paris.—Allez où vous voudrez. Votre maudit poulain a manqué de faire noyer notre petite fille.—Eh bien! donnez-moi votre petite fille.—Vous donner ma fille! mais vous ne savez ce que vous dites. Combien voulez-vous d'argent pour votre poulain?—Je ne veux pas d'argent; c'est la petite fille que je veux. Madame, donnez-moi votre petite fille, madame, donnez-moi votre petite fille, ou bien j'irai à Paris.» Les gens se dirent: «Il faut en passer par là; s'il allait à Paris, que nous arriverait-il?»

L'homme prit donc la petite fille, la mit dans un sac et alla frapper à la porte d'une autre maison. «Pouvez-vous me loger, moi et mon sac?—Nous logerons bien votre sac; mais vous, nous ne vous logerons pas.—Eh bien! logez mon sac; moi, j'irai ailleurs.»

Or, c'était justement la maison de la marraine de l'enfant. L'homme ne fut pas plus tôt parti, que la petite fille se mit à crier: «Ma marraine! ma marraine!» La marraine regarda de tous côtés, ne sachant d'où venaient ces cris. «Venez par ici,» dit l'enfant, «c'est moi qui suis dans le sac.»

Quand la marraine eut appris ce qui s'était passé, elle fut bien embarrassée; mais la petite fille, qui était très avisée, lui dit: «Vous avez un chien; mettez-le dans le sac à ma place.» On prit le chien et on l'enferma dans le sac.

Le lendemain, l'homme chargea le sac sur ses épaules et se remit en route; mais, pendant qu'il marchait, le chien ne cessait de gronder. Et l'homme disait:

«Paix, paix, ma gaçotte,
Nous allons passer là-bas sous un poirier, et tu auras des poirottes.»

Arrivé auprès du poirier, il dénoua le sac. Le chien lui sauta à la gorge et l'étrangla. Ce fut un bon débarras pour le pays.


REMARQUES

Comparer un conte de la Bretagne non bretonnante (Sébillot, I, nº 64). Ici, c'est un grain de blé que l'homme donne à garder à une bonne femme. Une poule mange le grain de blé. «Je vais vous faire un procès, bonne femme, je vais vous faire un procès.—Prenez plutôt la poule.» La poule est tuée d'un coup de pied par une vache dans l'étable de laquelle on l'avait mise. L'homme se fait donner la vache et la mène dans une troisième maison. Pendant que la servante trait la vache, celle-ci lui donne un coup de pied, et la servante, en colère, la frappe d'un tel coup d'escabeau qu'elle la tue. L'homme se fait donner la fille, la met dans un sac et va déposer le sac chez une vieille femme qui justement est la marraine de la fille. La vieille dit à sa servante, qu'elle croit près d'elle, de venir manger une écuellée de soupe. «J'en mangerais bien une,» dit la fille de dedans le sac. La vieille ouvre le sac et reconnaît sa filleule; elle met à sa place une grosse chienne. L'homme reprend son sac. Quand il est un peu loin, il en desserre les cordons. «Jeannette, embrasse-moi par dessus mon épaule.—Houoh! houoh!» répond la chienne. L'homme est si épouvanté qu'il laisse tomber le sac et s'enfuit au plus vite.—Comparer un second conte français, recueilli dans la Basse-Normandie (Fleury, p. 186): Le «bonhomme Merlicoquet», qui a glané trois épis de blé, se fait donner successivement une poule, qui a mangé les épis, une jument, qui a écrasé la poule, et finalement la petite fille qui a noyé la jument en la menant boire. C'est aussi chez la marraine de la petite fille qu'il dépose son bissac, et on y met un chien et un chat.

Dans un conte de la Lozère (Revue des Langues romanes, tome III, p. 206), Turlendu, pour toute fortune, n'a qu'un pou. Il entre dans une maison et demande si on ne lui gardera pas ce pou. On lui répond: «Laisse-le sur la table.» Il revient au bout de quelques jours pour le prendre. «Mon cher,» lui dit-on, «la poule l'a mangé.—Tant je me plaindrai, tant je crierai que cette poule j'aurai.—Ne vous plaignez pas, ne criez pas; prenez la poule et allez-vous-en.» Turlendu obtient successivement de la même manière, dans d'autres maisons, le cochon qui a mangé la poule, la mule qui a tué le cochon d'un coup de pied, et finalement la chambrière qui, en menant la mule à l'abreuvoir, l'a laissée tomber dans le puits. Il met la chambrière dans un sac et va demander dans une maison si on ne veut pas lui garder son sac. «Certainement. Laissez-le là, derrière la porte.» Et il s'en va. A peine est-il dehors qu'on sort la jeune fille du sac (il n'est pas dit comment on s'est aperçu qu'elle était dedans), et on met à sa place un gros chien. Turlendu revient prendre son sac. Après l'avoir porté un instant: «Marche un peu,» dit-il, «je me lasse de te porter.» Mais, comme il ouvre le sac, le chien lui saute au visage et lui emporte le nez.

Dans un conte hanovrien (Colshorn, nº 30), un paysan va porter au marché un sac de pois. Il entre d'abord chez un homme de sa connaissance et lui confie ses pois; le coq et les poules les mangent. L'homme se fait donner le coq et les poules et les porte chez un autre ami, qui les met dans sa porcherie, où ils sont tués par les cochons. L'homme se fait donner les cochons et les mène dans l'écurie d'un voiturier; les cochons vont entre les jambes des chevaux, qui les tuent. L'homme prend les chevaux et les mène chez un ancien officier. Le petit garçon de la maison veut monter un cheval: tous les chevaux s'échappent. Le paysan met l'enfant dans sa hotte, qu'il dépose chez le boulanger, pendant qu'il s'en va boire le schnaps. C'est justement le jour de naissance de l'enfant du boulanger, et l'on a fait des gâteaux. Le petit garçon dans la hotte sent la bonne odeur et dit tout haut: «Je mangerais bien aussi du gâteau!» On le tire de la hotte et l'on met à sa place un gros chien. L'homme reprend sa hotte, et, en chemin, il coupe des branches à tous les arbres pour battre le petit garçon; mais le chien lui saute à la tête et la lui arrache.

Un conte italien recueilli à Rome (miss Busk, p. 388) présente le même thème, avec un pois pour point de départ de la progression, comme notre conte: Un mendiant demande l'aumône à une femme; celle-ci n'a qu'un pois chiche à lui donner. Le mendiant la prie de garder le pois jusqu'à ce qu'il revienne et de veiller à ce que la poule ne le mange pas. La poule le mange. Le mendiant demande son pois ou la poule. Quand il a cette poule, il la porte chez une autre femme, en lui disant de prendre garde que le cochon ne la mange. Le cochon mange la poule. Le mendiant se fait donner le cochon. Il le conduit chez une troisième femme en lui recommandant bien de ne pas le laisser tuer par le veau. Le veau tue le cochon, et la femme est obligée de donner le veau au mendiant, qui le mène dans une quatrième maison. Il dit à la femme de prendre garde que sa petite fille, qui est malade, n'ait envie du cœur du veau (!). Cela ne manque pas. La petite fille quitte son lit et égorge le veau pour avoir le cœur. Le mendiant réclame son veau ou la petite fille. La mère de celle-ci dit au mendiant qu'on la mettra dans son sac pendant qu'elle sera endormie. Il laisse son sac pour le reprendre le lendemain; on y met un chien enragé qui l'étrangle quand il ouvre le sac en rentrant chez lui.—Dans un conte toscan (Pitrè, Novelle popolari toscane, nº 46), il s'agit aussi d'un pois chiche; la série est la même; finalement le chien coupe le nez à l'homme, comme dans le conte de la Lozère.

Un troisième conte italien, recueilli dans le Mantouan (Visentini, nº 10), ressemble à tous ces contes pour l'enchaînement du récit: fève, poulet, cochon, cheval (qui mange le cochon!), petite fille (qui, par maladresse, tue le cheval d'un coup de fourche), chien (substitué à la petite fille par la tante de celle-ci, qui l'a appelée de dedans le sac). Mais ici,—comme, du reste, dans d'autres contes dont nous parlerons tout à l'heure,—l'homme à la fève est représenté comme ayant voulu s'enrichir au moyen de sa fève: s'il l'a remise en dépôt à une paysanne, c'est qu'il espérait qu'elle serait perdue et qu'il se ferait donner autre chose à la place. C'est par la force qu'il s'empare du poulet, du cochon, etc.

Dans un conte sicilien (Pitrè, nº 135), où maître Jseppi le sacristain prie une boulangère de lui garder un pois chiche, la série est celle-ci: coq, cochon, jeune fille et chienne, substituée dans le sac à la jeune fille. La chienne, ici encore, coupe le nez à maître Jseppi; alors celui-ci lui demande de son poil pour mettre sur la plaie. «Si tu veux du poil, donne-moi du pain.» Maître Jseppi court chez le boulanger. «Si tu veux du pain,» dit celui-ci, «donne-moi du bois,» etc. Cette seconde partie se rattache au thème de notre nº 29, la Pouillotte et le Coucherillot (voir les remarques de ce nº 29, I, p. 282).

Un conte de la Flandre française, intitulé les Trente-six rencontres de Jean du Gogué (Deulin, I, p. 304), nous montre notre thème en combinaison avec deux autres[72]: Jean du Gogué s'en va à Hergnies pour manger de l'oie. Il lui arrive d'abord des aventures ridicules du genre de celles du nº 143 de la collection Grimm. Finalement on lui a donné une gerbe de blé. Pendant qu'il dort le long d'un clos, survient un coq qui dîne, avec ses poules, des grains de la gerbe. Le maître du clos, ému des pleurs du pauvre garçon, lui donne le coq. Jean était à manger tranquillement, ayant mis auprès de lui son coq, les pattes liées, quand une vache marche sur le coq et l'écrase. Le seigneur du village donne à Jean la vache. Jean demande l'hospitalité dans une ferme, où on le loge à l'étable avec sa bête. Le fermier envoie une servante pour traire la vache; celle-ci, souffrant beaucoup de ses pis, cingle de sa queue le visage de la servante, qui, dans un accès de colère, saisit une fourche et éventre la vache. Jean pousse les hauts cris. Le fermier lui dit: «Eh bien! prends la méquenne (la fille, la servante), et cesse de braire.» Jean lie bras et jambes à la fille, la met dans un sac et l'emporte sur son dos. «Quand je serai à Hergnies,» pensait-il, «j'épouserai ma méquenne et nous mangerons de l'oie.» En route, il s'arrête à un estaminet (on est en Flandre), laissant son sac devant la porte. Un homme avise le sac, et, remarquant que quelque chose y remue, il l'ouvre, délivre la fille, qui s'enfuit, et il met un chien à la place. Jean reprend son sac et arrive enfin à Hergnies. Il dépose son sac et l'entr'ouvre en disant: «Dites donc, méquenne, voulez-vous qu'on nous marie, nous deux?» Un grondement lui répond. Jean, effrayé, lâche la corde: le chien sort du sac et fait mine de lui sauter à la gorge. Jean grimpe sur un vieux saule; mais l'arbre craque et tombe sur le chien, qui s'enfuit. Jean aperçoit dans le creux du saule quelque chose de luisant; il regarde: c'est une oie d'or. Suit le thème du nº 64 (l'Oie d'or) de la collection Grimm.

Certains contes présentent ce thème privé de son dénouement caractéristique (la substitution d'un chien à une jeune fille ou à un enfant). De là une modification dans le sens général du récit.

Ainsi, dans un conte provençal (Armana prouvençau, 1861, p. 94), un jeune garçon nommé Janoti demande un jour à sa mère de lui donner un pois chiche. «Pourquoi?—Pour faire fortune.» Il arrive à une ferme, où il demande l'hospitalité pour lui et son pois. Il met le pois dans le poulailler; une poule le mange; il se fait donner la poule. Il s'y prend de la même manière pour avoir un porc à la place de la poule, et un bœuf à la place du porc. Puis,—ici le thème primitif est altéré,—il rencontre un fossoyeur qui allait enterrer une femme; il obtient de lui l'échange du cadavre contre son bœuf. Alors il s'en va près d'un château et met la morte sur le bord du fossé en attitude de laveuse; après quoi, il s'engage au service des maîtres du château. Sa femme, ajoute-t-il, est restée à laver quelque chose dans le fossé. La demoiselle de la maison va pour dire à la femme d'entrer; pas de réponse. «Elle est sourde», dit Janoti. La demoiselle la touche à l'épaule, et la prétendue laveuse tombe dans l'eau. Janoti se plaint qu'on lui ait noyé sa femme, et, pour la remplacer, il demande la demoiselle du château. Comme on craint une fâcheuse affaire, on la lui donne, et, en l'épousant, il devient grand seigneur.—Comparer un conte portugais du Brésil (Roméro, nº 5), parfois assez confus, et où un cadavre de femme joue également un rôle.

Dans un conte du «pays saxon» de Transylvanie (Haltrich, nº 8), ce thème a pris une allure quasi épique: Un jeune garçon n'a eu de sa mère, pour tout héritage, qu'un grain de millet. Il se met en route pour courir le monde. Un vieillard qu'il rencontre lui dit qu'il perdra le grain de millet, mais qu'il gagnera à cette perte. Un coq ayant mangé le grain de millet, le jeune garçon reçoit, comme dédommagement, le coq; puis un cochon pour le coq, une vache pour le cochon et un cheval pour la vache. Il monte sur son cheval, fait toute sorte d'exploits, délivre une princesse et finalement devient roi.

Outre les trois contes dont nous venons de parler, nous citerons, comme rentrant dans la même catégorie, un conte esthonien et un conte russe. Dans le conte esthonien (H. Jannsen, nº 1), un voyageur, hébergé par un paysan, lui dit qu'en se couchant il a coutume de mettre ses chaussons d'écorce sur une perche dans le poulailler. Le paysan lui dit de faire à sa guise. Pendant la nuit, le voyageur se lève sans bruit, entre dans le poulailler et met en pièces les chaussons. Le jour venu, il réclame un dédommagement pour les chaussons que, dit-il, les poules ont déchirés. Il prend un coq et s'en va dans un autre village. Il met son coq dans une bergerie et va le tuer pendant la nuit; puis il se fait donner un bélier comme indemnité. Il se procure ensuite de la même manière un bœuf et finalement un cheval. Le reste de ses aventures avec un renard, un loup et un ours ne se rattache en rien au conte lorrain et à ses similaires.—Le conte russe, résumé par M. J. Fleury à la suite du conte normand cité plus haut, a beaucoup de rapport avec ce conte esthonien. Le héros est un renard. Il a trouvé une paire de lapty, chaussures de tille dont se servent les paysans russes. Il demande à un paysan l'hospitalité pour la nuit: il tiendra peu de place; il se couchera sur un banc et mettra sa queue dessous; quant à ses lapty, il les déposera dans le poulailler. On le laisse entrer. Pendant la nuit, il va prendre les lapty, puis, le matin, il les réclame. On ne les trouve pas. «Alors donnez-moi une poule.» On la lui donne. Il va demander l'hospitalité dans une autre maison et met sa poule avec les oies. La poule disparaît; il se fait donner une oie à la place. Dans une troisième maison, il met l'oie avec les brebis, et obtient une brebis, puis un veau dans une quatrième. (M. Fleury s'arrête à cet endroit, en ajoutant que le conte finit par un tour joué par le renard à ses bons amis l'ours et le loup.)

En regard de ce groupe de contes où le dénouement ordinaire fait défaut, nous trouvons trois contes qui, de ce dénouement, font un récit à part. Dans un conte catalan (Rondallayre, III, p. 100), une jeune fille mange des cerises sur un cerisier. Un homme, à qui elle a refusé d'en donner, la prend et la met dans un sac. Il va au village voisin, et, voulant assister à la messe, il entre dans une maison et demande qu'on lui garde son sac. C'est justement la maison de la tante de la jeune fille. Celle-ci est retirée du sac, dans lequel on met des chiens et des chats. Quand l'homme ouvre le sac, il n'a qu'à s'enfuir bien vite.—Comparer un conte espagnol, tout à fait du même genre (Caballero, II. p. 72), et aussi un conte portugais (Braga, nº 3).

Il y a donc, en réalité, dans le conte lorrain et les autres contes semblables, combinaison de deux thèmes; et la preuve, c'est que, dans plusieurs contes orientaux, ce même dénouement forme l'élément principal d'un récit différent du nôtre pour le reste.

Voici d'abord un conte annamite (Chrestomathie cochinchinoise, recueil de textes annamites, par Abel des Michels. 1er fascicule. Paris, 1872, p. 3): Il était une fois une jolie fille qui voulait absolument épouser un homme de noble race, un roi ou un général d'armée. C'est pourquoi elle allait chaque jour au marché acheter des baguettes parfumées; elle les portait à la pagode et invoquait Phât-ba, le priant de lui donner le mari de ses rêves. Or le marchand de baguettes était un jeune homme qui à la fin s'étonna de voir cette jeune fille venir tous les jours acheter des parfums. Il eut l'idée de la suivre et il la vit entrer dans la pagode. Ayant compris ce dont il s'agissait, il se rendit le lendemain à la pagode avant l'heure où la jeune fille y allait d'ordinaire, et se cacha derrière la statue du Bouddha. La jeune fille arriva bientôt; elle alluma ses baguettes, se prosterna et supplia le Bouddha de lui envoyer un mari qui fût roi, et pas un autre. Le marchand de baguettes, du fond de sa cachette, lui répondit: «Jeune fille, ce que tu désires ne peut se faire; le mari que tu dois épouser est le marchand de baguettes du marché; car ton destin le veut.» La jeune fille s'en retourna, et, docile à l'ordre de Phât-ba, se mit à la recherche du marchand de baguettes. Ils firent leurs accords et convinrent que tel jour, à telle heure et à tel endroit, le jeune homme viendrait la prendre et l'emmènerait chez lui. En effet, à l'heure dite, ce dernier arriva avec un sac, y mit la jeune fille d'un côté, ses baguettes de l'autre, et, chargeant le tout sur ses épaules, prit le chemin de sa maison. Pour y arriver il fallait traverser un bois, dans lequel chassait justement, ce jour-là, le fils du roi. Voyant venir vers lui des soldats de l'escorte, notre homme déposa son sac sur le bord du chemin et alla se cacher dans les broussailles. Les soldats trouvèrent le sac, et, l'ayant ouvert, en tirèrent la jeune fille, qu'ils conduisirent au prince. Celui-ci lui fit raconter son histoire. Comme il avait pris un tigre à la chasse, il le fit mettre dans le sac, qu'on laissa à l'endroit où on l'avait trouvé. Quant à la jeune fille, il l'emmena pour en faire sa femme.—Pendant ce temps, le marchand de baguettes était toujours caché dans les broussailles. Entendant les voix s'éloigner, il sort du fourré et reprend son sac, sans se douter de rien. Il arrive à la maison et porte le sac dans sa chambre pour en tirer sa femme; mais à peine l'a-t-il délié, qu'il en sort un tigre qui saute sur lui et l'étrangle.

Le livre kalmouk du Siddhi-Kûr, déjà plusieurs fois cité par nous, contient un conte tout à fait du même genre (nº 11): Deux vieilles gens, qui n'ont qu'une fille, habitent auprès d'un temple où se trouve une statue d'argile du Bouddha. Un soir, ils se disent qu'ils voudraient bien marier leur enfant, à qui ils donneront pour dot une mesure remplie de pierres précieuses; ils conviennent que, le lendemain, ils iront offrir un sacrifice au Bouddha et lui demander s'il faut que leur fille se marie et, dans ce cas, à qui ils devront la donner. Un pauvre marchand de fruits vient à passer par là et entend leur conversation. Il s'introduit pendant la nuit dans le temple, fait un trou dans la statue du Bouddha et s'y glisse. Le matin arrivent les deux vieilles gens et leur fille. Le vieux bonhomme expose au Bouddha sa demande, le priant de répondre par un songe. «Il faut que ta fille se marie,» dit une voix qui sort de la statue; «donne-la au premier qui, demain, se présentera à la porte de ta maison.»—Le lendemain, de grand matin, le marchand de fruits frappe à la porte des deux vieilles gens, qui lui donnent leur fille et une mesure de pierres précieuses. L'homme s'en va donc avec la jeune fille. Arrivé non loin de son pays, il se dit qu'il faut user de ruse pour donner le change sur l'origine de sa fortune. Il met la jeune fille dans un coffre qu'il enterre ensuite dans le sable et s'en retourne chez lui. Il annonce alors qu'il va se livrer à des exercices ascétiques et que le lendemain il prononcera une prière qui procure instantanément la richesse.—Pendant ce temps, le fils d'un khan vient à passer avec ses serviteurs auprès du monticule de sable, traînant à sa suite un tigre vivant. Il découvre par hasard le coffre et délivre la jeune fille, à qui il propose de l'épouser. Celle-ci déclare qu'elle ne quittera pas ce lieu qu'on n'ait mis un autre dans le coffre à sa place. On y enferme le tigre. Un peu après, l'homme, ayant fini ses dévotions hypocrites, revient chercher le coffre, qu'il emporte chez lui: son dessein est de tuer la jeune fille et de vendre les pierres précieuses; de cette façon il deviendra riche. En rentrant à la maison, il dépose le coffre dans une chambre et s'enferme, après avoir dit à sa femme et à ses enfants qu'il va réciter la prière qui procure la richesse: personne ne devra entrer dans la chambre, quelque bruit, quelques cris que l'on puisse entendre. Il lève le couvercle du coffre, se préparant à tuer la jeune fille, quand le tigre s'élance sur lui. Il appelle au secours, mais, conformément aux ordres qu'il a donnés, personne ne vient, et le tigre le met en pièces.

L'existence de ces deux variantes d'un même conte chez deux peuples qui ont reçu de l'Inde leur littérature avec le bouddhisme indique bien qu'elles doivent dériver d'une même source indienne, qu'on découvrira peut-être quelque jour. Nous trouvons dans les récits indiens une forme très voisine, dont M. Th. Aufrecht a publié deux variantes dans la Zeitschrift der Deutschen Morgenlændischen Gesellschaft (tome XIV, 1860, p. 576 seq.). Ces deux contes sont extraits de deux collections sanscrites, la Bharataka-dvâtrinçatikâ et le Kathârnava. Comme ils diffèrent assez peu l'un de l'autre, il suffira d'en résumer un, celui du Kathârnava: Un changeur très riche avait une fille merveilleusement belle. Dans le voisinage de la ville qu'il habitait se trouvait un ermitage; l'ermite, qui avait fait vœu de perpétuel silence, se rendait chaque semaine à la ville pour recueillir des aumônes. Un jour qu'il était entré chez le changeur pour quêter, il vit la fille de celui-ci, et, frappé de sa beauté, il conçut aussitôt le dessein de s'emparer d'elle. Il poussa donc un grand cri. Le changeur accourut et lui demanda ce qui était arrivé. «J'ai longtemps observé le vœu de perpétuel silence,» lui dit l'ermite; «si j'y manque aujourd'hui, c'est par amitié pour toi. Cette jeune fille est d'une merveilleuse beauté, mais un terrible destin la menace. La maison habitée par elle sera détruite avec tous ses habitants, dans trois jours.» Le changeur lui demanda ce qu'il y avait à faire. L'autre répondit: «Fais enfermer la jeune fille dans un coffre, sur le couvercle duquel on fixera une lampe allumée, et fais mettre le tout dans la rivière.» Le changeur dit qu'il suivrait ce conseil. Alors l'ermite alla dire à ses disciples: «Aujourd'hui vous verrez un coffre flotter sur la Godâvarî. Si nous réussissons à nous en emparer, nous parviendrons enfin à la possession des huit grandes vertus magiques. Tâchez donc de ne pas le laisser échapper.»—Ce jour-là il arriva qu'un prince, fatigué d'une longue chasse, se reposait sur les bords de la Godâvarî. Tout à coup il aperçut un coffre qui flottait sur l'eau. Il le fit repêcher par sa suite et l'ouvrit. Il demanda à la jeune fille qui elle était. Celle-ci lui ayant raconté son aventure, le prince soupçonna là-dessous un mauvais tour de l'ermite, et il dit à son vizir: «Je vais mettre dans le coffre le vieux singe que j'ai pris à la chasse et faire rejeter le tout dans le fleuve. Ce sera le moyen de voir quelles étaient les intentions de l'ermite.» L'ermite, voyant flotter le coffre, le fait retirer de l'eau par ses disciples, et, après leur avoir dit de le porter dans sa cabane, il ajoute: «Gardez-vous bien, même si vous entendez un grand bruit, de pénétrer dans mon ermitage. Si je réussis dans mon opération magique, vous serez tous heureux, cette nuit même.» L'ermite ayant ouvert le coffre, le singe se jette sur lui et le met tout en sang. L'ermite a beau appeler ses disciples; ceux-ci se gardent bien d'aller troubler ses incantations. Le singe enfin s'étant échappé par la fenêtre, les disciples se décident à entrer et trouvent leur maître dans le plus piteux état. Les gens du prince vont raconter à celui-ci ce qui s'est passé, et le prince épouse la jeune fille.

Un conte recueilli en Afrique, chez les Cafres, présente aussi du rapport avec le dénouement des contes européens. Le voici (G. Mac Call Theal, Kaffir-Folklore, Londres, 1882, p. 125): Une jeune fille, dont le père est un chef, est prise par un «cannibale», qui la met dans son sac. Il s'en va, l'emportant de village en village, demandant de la viande, et, quand on lui en donne, faisant chanter la jeune fille, qu'il appelle son oiseau; mais il a grand soin de ne jamais ouvrir le sac. Un jour qu'il passe dans le pays de la jeune fille, un petit garçon, frère de celle-ci, croit reconnaître le chant de sa sœur; il dit au cannibale d'aller là où sont les hommes: on lui donnera beaucoup de viande. Le cannibale entre dans le village et fait chanter son oiseau. Le chef, père de la jeune fille, désirant beaucoup voir l'oiseau, trouve moyen d'éloigner pendant quelque temps le cannibale, en lui promettant de ne pas ouvrir son sac. Dès que le cannibale est un peu loin, le chef ouvre le sac et en retire sa fille; il met des serpents et des crapauds à la place. Quand le cannibale est de retour chez lui, sans s'être aperçu de rien, il invite ses amis à venir se régaler: il apporte, dit-il, un friand morceau. Les autres étant arrivés, il ouvre le sac: quand on voit ce qu'il y a dedans, toute la troupe est furieuse; on tue le prétendu mauvais plaisant et on le mange[73].

Jusqu'ici nous n'avons encore cité aucun récit oriental qui rappelle la première partie de notre conte. La collection de miss Stokes nous fournit un conte indien de Lucknow (nº 17), où se trouve la même progression, d'un objet insignifiant à des objets de plus en plus importants, dont s'empare successivement le héros de l'histoire: Un rat a eu la queue piquée par des épines. Il va trouver un barbier et lui dit de retirer les épines. «Je ne le puis sans te couper la queue avec mon rasoir,» dit le barbier.—«Peu importe; coupe-moi la queue.» Le barbier coupe donc la queue du rat; mais voilà celui-ci furieux: il se saisit du rasoir et s'enfuit en l'emportant. Il arrive dans un pays où l'on n'avait ni couteaux ni faucilles pour couper l'herbe; on l'arrachait avec les mains. Le rat demande à un homme pourquoi il s'y prend ainsi; l'autre lui répond que dans le pays on n'a pas de couteaux. «Eh bien!» dit le rat, «prends mon rasoir.—Et si je le casse?» dit l'homme.—«Peu importe,» répond le rat. Le rasoir est cassé, et le rat, en colère, prend la couverture de l'homme. Il donne ensuite cette couverture à un autre homme, pour que celui-ci la mette sous les cannes à sucre qu'il coupe. La couverture ayant été trouée pendant l'opération, le rat s'empare des cannes à sucre. Il les donne à un marchand de pâtisseries qui n'a pas de sucre; puis, quand le marchand les a employées, il les réclame et s'adjuge les pâtisseries. Ensuite il arrive dans le pays d'un roi qui a beaucoup de vaches; il voit que les pâtres mangent du pain tout durci; il leur offre ses pâtisseries. Les pâtisseries mangées, le rat fait des reproches aux pâtres et prend les vaches. Il donne ces vaches à un autre roi, qui n'a pas de viande pour les noces de sa fille. Le repas terminé, le rat réclame les vaches, et, comme on ne peut les lui rendre, il emporte la mariée. Passant auprès de jongleurs et de danseurs de corde, il leur dit de prendre sa femme et de la faire danser sur la corde; car elle est jeune et les femmes des jongleurs sont vieilles. «Mais si elle tombe et se casse le cou?—Prenez-la toujours.» La jeune femme tombe et se tue. Alors le rat fait grand tapage et se saisit de toutes les femmes des jongleurs et danseurs de corde. Il s'établit avec elles dans une maison, et finit par mourir de male mort[74].

Un conte kabyle (Rivière, p. 79) nous offre, non point une forme voisine de celle de notre conte et des autres contes européens, mais la forme même de tous ces contes. C'est là,—nous avons déjà donné les raisons de cette induction,—un indice de l'origine indienne de cette forme, venue évidemment chez les Kabyles par le canal des Arabes. Voici le conte kabyle: Un chacal a une épine dans la patte; il rencontre une vieille femme. «O mère,» lui crie-t-il, «tire-moi mon épine.» Elle tire l'épine et la jette. «Donne-moi mon épine.» Et il se met à pleurer parce que son épine est perdue. La vieille lui donne un œuf pour le consoler. Le chacal va aussitôt dans un village et frappe à une porte. «Gens de la maison, hébergez-moi.» Il entre. «Où mettrai-je mon œuf?—Mets-le dans la crèche du bouc.» Pendant la nuit, le chacal mange l'œuf et en pend la coquille aux cornes du bouc. Au point du jour, il se lève. «Donnez-moi mon œuf.—Nous te dédommagerons de ton œuf.—Non, c'est le bouc qui a mangé mon œuf; j'emmènerai le bouc.» Il emmène le bouc. Dans d'autres villages, il se fait donner successivement, de la même manière, un cheval et une vache. Il emmène la vache, et marche jusqu'à un autre village. «Gens de la maison, hébergez-moi. Où mettrai-je ma vache?—Attache-la au lit de la jeune fille.» Pendant la nuit, il se lève, mange la vache et en met les entrailles sur le dos de la jeune fille. Le lendemain matin, il demande sa vache. «Nous t'en donnerons une autre.—Non, c'est la jeune fille que j'emmènerai.» Ils lui remettent un sac dans lequel il croit emporter la jeune fille. Arrivé à une colline, il délie le sac pour manger sa proie; aussitôt il en sort des lévriers. En les voyant, il prend la fuite; mais les lévriers le poursuivent, l'attrapent et le mangent[75].

Dans un autre conte kabyle (Rivière, p. 95), le chacal est remplacé par un enfant. Celui-ci se fait donner successivement un œuf pour son épine, une poule pour son œuf, un bouc pour sa poule, un mouton pour son bouc, un veau pour son mouton, une vache pour son veau. Alors il va dans une maison où on lui dit d'attacher sa vache au pied du lit de la vieille. Pendant la nuit, il emmène la vache. Le lendemain matin, il la réclame. «Prends la vieille.» Il va dans une autre maison où il laisse la vieille, qu'il tue pendant la nuit. Le lendemain, il demande sa vieille. «La voilà près de la jeune fille.» Il la trouve morte. «Donnez-moi ma vieille.—Prends la jeune fille.» Et l'enfant dit à celle-ci: «De l'épine à l'œuf, de l'œuf à la poule; de la poule au bouc; du bouc au mouton; du mouton au veau; du veau à la vache; de la vache à la vieille; de la vieille à la jeune fille. Viens t'amuser avec moi.»

On voit que le dénouement des contes européens manque complètement dans ce second conte kabyle[76].

NOTES:

[72] Ne serait-ce pas M. Deulin qui, ici et dans d'autres cas, aurait combiné plusieurs contes ensemble? Nous nous le sommes plus d'une fois demandé, pour des raisons qu'il serait trop long d'exposer.

[73] Ce conte cafre a une grande analogie avec les contes espagnol, catalan et portugais, cités précédemment. Ainsi, dans le conte espagnol, l'homme qui a mis la jeune fille dans son sac, lui ordonne de chanter toutes les fois qu'il dira: «Chante, sac!» Tout le monde veut entendre le sac qui chante, et l'homme gagne beaucoup d'argent. Allant de maison en maison, il arrive un jour chez la mère de la jeune fille, qui reconnaît la voix de son enfant. Elle invite l'homme à loger chez elle, lui donne bien à boire et à manger, et, pendant qu'il dort, elle retire la jeune fille du sac et met à sa place un chien et un chat.—Dans le conte catalan et le conte portugais, l'homme dit aussi: «Chante, sac!»

[74] Un conte portugais (Coelho, nº 10) présente une grande ressemblance avec ce conte indien: Un chat étant allé se faire faire la barbe chez un barbier, celui-ci lui dit: «Si tu avais la queue plus courte, tu serais beaucoup plus joli.—Eh bien! coupes-en un peu. «La chose faite, le chat s'en va; mais bientôt il revient et réclame son bout de queue. Le barbier ne pouvant le lui donner, le chat s'empare d'un rasoir. Il voit ensuite une marchande de poissons qui n'a pas de couteau; il lui donne son rasoir; puis, revenant sur ses pas, il le réclame, et, à défaut du rasoir, il prend une sardine. Il donne la sardine à un meunier qui n'a que du pain sec à manger, et ensuite il prend un sac de farine. Il donne la farine à une maîtresse d'école pour qu'elle fasse de la bouillie à ses écolières; puis il prend une des petites filles. Il donne la petite fille à une laveuse qui n'a personne pour l'aider; puis il lui prend une chemise. Il donne la chemise à un musicien qui n'en a pas, et lui prend ensuite une guitare. Alors il grimpe sur un arbre et se met à jouer de la guitare et à chanter: «De ma queue j'ai fait un rasoir; du rasoir j'ai fait une sardine,» et ainsi de suite.

[75] Dans le conte russe cité plus haut, c'est aussi un animal, un renard, qui est le héros de l'histoire; et, autant qu'on en peut juger par le résumé de M. Fleury, il joue, comme le chacal, un rôle plus actif que le héros de la plupart des contes européens: ainsi, c'est lui-même qui fait disparaître les chaussures qu'il réclame ensuite. (Comparer le conte esthonien.)

[76] Il est curieux de rapprocher des paroles qui terminent ce conte kabyle, celles que dit Turlendu, à la fin du conte de la Lozère, résumé ci-dessus: «D'un petit pou à une poulette; d'une poulette à un porcelet; d'un porcelet à une petite mule; d'une petite mule à une fillette; d'une fillette à un gros chien, qui m'a emporté le nez!»



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