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Histoire du XIXe siècle (volume 3/3) : $b III. Jusqu'à Waterloo

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CHAPITRE II
WATT ET LA MACHINE. — INCROYABLE ENRICHISSEMENT DE L’ANGLETERRE

La machine de Papin, l’idée simple de la force de l’eau bouillante qui soulève par moment un couvercle, et par là crée un mouvement, était déjà connue. Watt partit de cette invention première et peu à peu la perfectionna[35].

[35] Voy. l’Éloge de Watt, par Arago.

Ce qui m’attire le plus en tout ceci, c’est moins la machine que l’homme, sa grande originalité.

Il n’était pas plus machiniste que propre à tout art, toute science.

Nous avons heureusement la connaissance de ses parents pendant un siècle. On voit avec étonnement que cet enfant maladif et précoce, de très bonne heure semblait savoir toute chose et d’avance résumait, en quelque sorte, la vie, les aptitudes de tous ses aïeux[36].

[36] Cette singulière faculté n’a encore été ni notée, ni observée sérieusement.

Watt naquit dans le comté d’Aberdeen, peu pittoresque, agricole, et, quoique si près de la mer, étranger à la marine. Il n’eut nulle envie de voyager, resta tout entier à la réflexion.

Son bisaïeul, un cultivateur, en combattant pour les Stuarts, sous Montrose, fut tué et ses biens confisqués. L’enfant semblait être de ces temps-là ; il savait toutes ces batailles, toutes ces aventures, et les racontait avec un charme si grand, qu’on passait les nuits à l’écouter. S’il n’eût été Watt, il aurait été Walter Scott. Le célèbre romancier dit lui-même combien il fut impressionné de ses récits.

Son grand-père, recueilli par des parents éloignés, fut mathématicien, enseigna les mathématiques pour la navigation. Notre Watt tint de lui, et, dès six ans, cherchait ses amusements dans la géométrie.

Les fils de ce grand-père suivirent sa profession. L’un d’eux fabriquait des instruments pour la marine. C’est ce qu’essaya de bonne heure son fils, James Watt, le grand inventeur, qui, sans cesse, montait, démontait ses jouets ; l’un n’était pas moins qu’une petite machine électrique qu’il avait construite.

Ainsi, la vie, les aptitudes de tous ses parents antérieurs revenaient dans cet enfant singulier, et il avait pour tout des germes, des commencements, comme une espèce de seconde vue qui le dispensait presque d’apprendre.

Comme malade, il aimait, dévorait les livres de médecine, et même en cachette fit de l’anatomie. Sur les rives du lac Lomond, il devint minéralogiste. Puis il analysa les minéraux, se fit chimiste, il fut frappé de voir à quel point l’air chaud et élastique, s’étendant, devient une force puissante : il était sur la voie de sa découverte.

Mais, avant tout, il voulut avoir un métier. Il alla à Londres. On n’y voyait pas bien les Écossais, depuis le ministère de lord Bute. Il n’y resta qu’un an, retourna à Glascow ; mais là, autre difficulté. Les ingénieurs de cette ville le regardaient, le traitaient comme Anglais, refusaient de le recevoir. Il fallut que l’Académie, alors si glorieuse par Adam Smith et autres inventeurs, l’établît dans un local à elle, une petite boutique où il construisait et vendait des instruments de mathématiques. Le soir, on s’y rassemblait volontiers pour l’entendre. Et l’échoppe devint célèbre. Ceci rappelle que Christophe Colomb, à Gênes, eut d’abord aussi une boutique de livres et de cartes de géographie.

Sa découverte date de 1769. Mais n’ayant pas réussi dans la première association qu’il fit pour l’exploiter, il eut la patience, l’incroyable courage d’attendre dix années, de changer de carrière, et comme ingénieur, de creuser un canal (au lac Lomond) rival du canal Calédonien, puis un autre canal pour porter la houille à Glascow. Enfin, en 1774, il revint à sa découverte, s’associa avec un exploiteur de grande intelligence, Bolton ; et d’abord la machine servit à l’épuisement des eaux dans les mines de Cornouailles, qui donnaient en retour le tiers du charbon économisé. Enfin Watt transforma sa machine en un moteur universel.

Mais là encore il eut plusieurs difficultés. Dans la chambre des Communes, plusieurs faisaient obstacle pour la continuation de son brevet, entre autres le célèbre Burke. Il eut sept années de procès où tantôt on lui disputait son invention, tantôt on prétendait qu’elle était préjudiciable aux ouvriers. Ces procès l’irritaient, le détournaient et l’avaient obligé de devenir légiste. Parmi ces contrariétés sa femme mourut, et le plus aimé de ses fils. Il en resta inconsolable, et se retira en 1798, cédant son brevet à l’un de ses fils, qui, avec l’associé de son père, créa la célèbre manufacture Watt et Bolton.

Une partie, peut-être la plus curieuse de cette grande ère, nous est cachée : comment cet homme ingénieux et patient, aussi fort au point de vue moral que dans les choses mécaniques, se créa-t-il le monde d’auxiliaires qui, sous lui, purent réaliser ses conceptions ? Origine féconde de ce grand peuple d’ouvriers laborieux, consciencieux, qui surtout pendant trente années ont fait la supériorité de l’Angleterre, sa royauté industrielle sur le monde.


En 1798, ce grand résultat n’était pas visible encore, et sans doute Malthus, qui alors publiait son livre désolant, crut que la nouvelle invention, diminuant le travail, ôterait le pain à l’ouvrier et ne serait qu’une augmentation de misères. Les salaires crûrent sans doute pour ceux qu’on employait. Mais l’établissement des usines, qui travaillaient avec ces grandes machines, supprima peu à peu la petite industrie des tisserands, le travail en famille, si regrettable[37]. A Leeds, par exemple, il y avait quatre mille petits ateliers qui durent disparaître.

[37] Les détails sur l’ancienne industrie de la laine, qui fut la principale du moyen âge, se trouveront dans le grand et important ouvrage que M. Jules Quicherat doit publier sur ce sujet, et pour lequel il n’épargne ni soins, ni temps, ni voyages coûteux. — La savante Miss Toulmins Smith a publié, en 1860, les ordonnances relatives à ce métier, recueil préparé par son père. — Enfin, M. Brentano fils a fait, sur les English Gilds, un livre plein de recherches instructives. Cependant il néglige les passages si connus des chroniques, où l’on voit les efforts que faisaient les Anglais pour attirer l’ouvrier étranger. — M. Quicherat, dont l’autorité est si considérable, croit, comme moi, que l’industrie anglaise se recruta surtout dans les émigrations du continent.

Quoi qu’il en soit, on ne peut comparer ces inconvénients passagers avec le bien universel qui résulta du système nouveau.

La machine qui promettait une si grande économie de la main d’œuvre paraissait renvoyer l’ouvrier. Mais elle augmenta tellement la fabrication par le bon marché tout nouveau qu’elle mettait en chaque industrie, que des masses d’ouvriers y trouvèrent leur compte, eurent des salaires élevés (comme ouvriers du fer, mécaniciens, etc.), même les ouvriers primitifs, tisserands, filateurs, que la machine semblait surtout déposséder, furent employés aussi dans le nouveau système, où la fabrication exigeait encore, en mille choses secondaires, l’assistance de la main humaine.

Ces avantages tournèrent au profit de la famille. Beaucoup se marièrent, qui dans l’ancien système ne l’auraient pu, seraient restés compagnons et célibataires.

Le prix du vêtement et des outils en tout genre baissa tellement que les peuplades les plus pauvres purent se vêtir, avoir des instruments pour commencer quelque industrie. L’Angleterre, ce grand atelier, donna lieu à la création de milliers d’ateliers sur la terre.

La paix d’Amiens négociée depuis mars 1802 et conclue en octobre ; d’autre part, la paix de Lunéville ou d’Allemagne, en dispensant l’Angleterre de soudoyer l’Autriche, lui permit d’employer son argent dans les manufactures. De là ce miracle de production.

Le globe entier en fut pour ainsi dire renouvelé.

L’Angleterre, depuis bien des siècles, avait réclamé la gloire de fabriquer et de répandre ce grand bienfait (le premier dans le Nord) : le vêtement qui nous réchauffe et nous permet l’activité.

Dès 1300, le vieux chroniqueur disait :

« O Angleterre ! qui pourrait se comparer à toi ?… Tes vaisseaux, tes travaux vont sans cesse d’une extrémité à l’autre du monde. Les flancs des nations te bénissent réchauffés des toisons de tes brebis. »

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