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Histoire du XIXe siècle (volume 3/3) : $b III. Jusqu'à Waterloo

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CHAPITRE II
MALET (OCTOBRE 1812). — DISPOSITIONS DE L’ARMÉE AU RETOUR

Au mois d’octobre 1812, je venais d’entrer à contre-cœur au collège Charlemagne. Comme externe, je me promenais en attendant huit heures, l’ouverture de la classe. Je vis des gendarmes rue Saint-Antoine, à la porte de la Force, la prison qui était en face. Et l’on nous dit qu’il y avait eu du bruit cette nuit, qu’un certain général Malet, assurant que l’empereur était mort à Moscou, avait pris le commandement de Paris. Tout cela étonnait, mais ne paraissait nullement désagréable aux auditeurs.

Quelques mois après, un élève un peu âgé et de figure rébarbative, que nous appelions Régulus, nous apporta une pièce satirique contre l’empereur, pièce qu’on attribua plus tard à un certain mauvais sujet, nommé Nodier, employé de l’administration dans l’Illyrie.

Ces attaques émouvaient peu, non pas qu’on ne haït Napoléon ; mais tout ce qu’on disait de ses revers paraissait incroyable, fabuleux. Tant la longue souffrance nous avait endurcis, habitués à l’empire de ce dieu du Mal. L’habitude fait tout. Aux autels du Mexique, ceux qui passaient par les mâchoires du dieu Viziputzli trouvaient cela tout naturel.

Pour revenir à Malet, héros analogue aux républicains militaires que Nodier a peints dans son colonel Oudet, il était difficile de découvrir son entreprise[115] ; il n’avait nuls complices, et sa conspiration était toute dans sa tête. Comment deviner cela ?

[115] Comme l’a très bien dit Rovigo (Savary), ministre de la police.

Malet, prisonnier depuis longtemps, ne savait pas où la France en était.

Il croyait qu’elle se souvenait beaucoup plus d’elle-même. Il s’imaginait être encore en 1800.

De plus, en une chose il hésita, ou fut humain. Il ne donna pas l’ordre de tuer Savary, ministre de la police. Dès lors tout devait avorter.

Il ne se décida à tirer qu’au dernier moment, blessa Hullin, gouverneur de Paris. Puis il se laissa arrêter.

Ne l’eût-il pas été, son projet de rétablir la république, sans l’autorité du Sénat, aurait-il convenu aux généraux qui revenaient et qui regardaient l’empereur comme le garant de leur fortune ?

Même ce qu’on eût peu deviné, et ce dont Malet ne se doutait guère, c’est que les derniers survivants de cette armée détruite par l’imprudence de son chef ne lui étaient pas ennemis. Ils avaient bien un peu murmuré en allant, mais au retour, ils mouraient sans rien dire, craignant de faire trop de peine à l’empereur.

Ce peuple est, par moments, d’une étonnante chevalerie.

Bonaparte dans un moment où les Cosaques le serraient et où il était presque pris, distribua le trésor qu’il avait avec lui à ses grenadiers de la garde. Quelle que fût la tentation des besoins pressants, dès qu’on fut en sûreté, ils rendirent tout, sans qu’il manquât une pièce d’or.

Des Polonais m’ont conté que, sur la neige, ces vieux grenadiers, qui n’en pouvaient plus, s’asseyaient pour mourir, et, voyant passer l’empereur dans son traîneau rapide, lui demandaient du pain, mais non pas en français, de peur de lui briser le cœur. Ils lui disaient en russe : « Papa Kléba ! » (Papa, du pain !) Il secouait la tête, disant tristement : « Niema Kléba ! » (Il n’y a pas de pain) ; puis, volait de toute la vitesse du traîneau.

Ces Polonais qui me contaient cela aidèrent eux-mêmes puissamment au passage de la Bérésina, qui sauva l’empereur.

Et ils aidèrent encore à Leipsick, où leur Poniatowski fut noyé. Eh bien, après Hanau, l’empereur ramassa autour de lui ceux qui restaient et leur dit froidement : « Messieurs, ma fortune est mauvaise. Vous êtes libres de ne pas me suivre… Mais, après tout, où iriez-vous ? »

Voilà tout ce qu’il trouva dans son cœur pour ces hommes héroïques.

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