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Histoire du XIXe siècle (volume 3/3) : $b III. Jusqu'à Waterloo

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CHAPITRE VIII
MARIAGE D’AUTRICHE (1810)

Les royalistes disaient que Bonaparte était « un être accidentel, un de ces champignons, nés d’hier, qui doivent disparaître demain ». En attendant, ils tiraient, de leur mieux, parti du champignon. Par Joséphine, ils se faisaient rendre leurs biens. M. de Maistre, leur coryphée, avait obtenu de la cour de Russie, sa protectrice, la permission de demander une entrevue à Bonaparte. Celui-ci ne répondit pas, et ne voulut pas voir ce présomptueux intrigant.

Lui qui avait tant fait pour le parti rétrograde, épargné par deux fois l’Autriche, relevé le papisme en 1802, il savait bien que ce parti attendait, souhaitait toujours sa mort, sa chute[108], le voyait volontiers enchaîné à la stérile Joséphine. Elle suivait partout Bonaparte, qui ne cachait point son dégoût.

[108] Pendant qu’il était à Schœnbrun, il avait failli être assassiné.

Chacun prévoyait le divorce. Les sœurs y poussaient fort, mais craignaient l’arrivée d’une princesse étrangère, voulaient lui faire épouser une Française. C’était aussi l’idée des meilleurs courtisans, entre autres de M. de Narbonne, qui croyait que Bonaparte ne pouvait s’appuyer que sur la France. Les sœurs ménageaient cette affaire, bien peu délicatement, menant sans cesse l’empereur à la maison de Saint-Denis, le tentant par la vue de belles jeunes filles. On le faisait arriver surtout au moment où la plus belle (déjà impératrice par sa grâce majestueuse) distribuait aux pauvres les aumônes de la maison[109].

[109] J’ai connu cette belle et vertueuse personne ; j’ai eu tous ces détails et par madame Augelet, dame de Saint-Denis, et par M. Villemain, secrétaire de M. de Narbonne.

Cependant, à l’entrevue d’Erfurth, il eut l’idée d’un mariage avec une sœur du czar. Mais la mère d’Alexandre, qui en eut horreur, se hâta de marier sa petite fille à un prince d’Allemagne.

En décembre 1809, après Wagram, Bonaparte, qui avait si bien payé la douteuse amitié du czar, par la Finlande et les Principautés, se crut en droit cette fois de lui demander une autre de ses sœurs. Mais avant de se lier à Napoléon, Alexandre eût voulu lui faire signer ce mot : « Que la Pologne ne serait jamais rétablie », c’est-à-dire ôter aux Polonais leur espoir dans la France, et enlever à Napoléon cette épée de Pologne, que peut-être quelque matin ce dangereux ami pourrait lui porter à la gorge. C’était lui dire : « Marions-nous, d’accord ; mais, d’abord, quittez cette épée. »

Napoléon y répugnait, sous prétexte de l’honneur de la France. Pour avoir une princesse russe, il fallait donc qu’il mît dans la corbeille la mort de la Pologne et sa propre humiliation. D’autre part, il craignait que cette cour curieuse ne vît trop à travers les murs de Saint-Cloud ; il savait que l’impératrice mère exigeait que ses filles lui écrivissent heure par heure tout ce qu’elles auraient vu.

Sans attendre le délai de dix jours, qui était convenu, il rompit, et demanda une fille de l’empereur d’Autriche.

Grand éclat. C’était épouser décidément le parti rétrograde, dont l’Autriche avait été jusque-là le principal représentant.

Tout était en lui contradiction. Il venait d’enlever le pape, et, pour fortifier son ascendant sur l’Église, il pensionnait le clergé, créait cinq mille cures de plus et des bourses dans les séminaires.

Mais, en même temps qu’il se décidait pour le vieux parti, pour l’Autriche, il n’en traitait pas mieux la famille où il entrait. Il n’avait qu’un but, se relever au moment où il sentait pâlir sa fortune. Si l’on veut voir la disposition de l’Autriche pour ce mariage, qu’on regarde à Versailles le médiocre mais très fidèle tableau, où le triste François marche à sa première entrevue avec Napoléon. Marche ? Non, est traîné d’un mouvement mécanique, étranger à sa volonté. Ce spectre blond et rose est quelque chose d’étrange et fait horreur. Automate lugubre, où déjà on pressent le geôlier du Spielberg.

Ce fut un sacrifice humain. Marie-Louise, sous son éclat sanguin, et sous sa fraîcheur de vingt ans, était comme une morte. On la livrait au Minotaure, au grand ennemi de sa famille, à l’assassin du duc d’Enghien. N’allait-il pas la dévorer ?… Sa peau jaune de Corse, par la graisse était devenue d’un ton blanchâtre, tout fantasmagorique. La fille du Nord, une rose (un peu vulgaire, telle que Prudhon l’a peinte), était effrayée du contact.

Tout fut noué avec une précipitation extraordinaire. La demande fut faite le 7 mars. Le 8, le contrat fut signé. Le 11, le mariage eut lieu à Vienne ; ce fut le prince Charles, qui, avec la procuration de Napoléon, épousa, c’est-à-dire eut le chagrin de livrer la victime, comme une dépouille de sa dernière défaite.

Le 13 mars, éplorée, elle quitta son père et Vienne. Sur la route, une sœur de l’Empereur la reçut et lui ôta sa dame autrichienne. Enfin, après tant de fatigue, sur la route de Compiègne, elle rencontra Napoléon, qui, sans respect des convenances, sans délai, s’empara d’elle comme d’une proie.

Précipitation sauvage, et de nature à créer moins un lien qu’une blessure dans la famille qui, malgré elle, sacrifiait un de ses enfants.

Blessure empoisonnée ; il avait fait d’avance ce qui eût pu semer la discorde, la défiance entre ses membres, proposant de donner la paix sans condition si l’empire autrichien était partagé entre ses trois royaumes, ou si tout entier il passait à l’un des archiducs. Cette proposition insidieuse, dans une autre famille, eût pu créer une méchante tentation.

Il n’avait guère idée de la nature humaine, s’il crut que ce mariage forcé apaiserait l’Autriche pour celui qui s’était montré si ennemi. François le prit comme une humiliation nouvelle et ne le notifia aux puissances qu’après deux ans, lorsque (par sa défection) il crut avoir poignardé l’Empereur.

Napoléon de même, maladroitement poussa à bout, ulcéra le roi de Prusse, qui ne put rentrer à Berlin qu’en condamnant à mort ses propres partisans.

Ainsi s’accumulait la haine contre lui, contre nous, par toute la terre. Et le pis, c’est qu’on ne prévoyait pas la fin de cette sauvage tyrannie. On croyait beaucoup plus à ses succès nouveaux qui auraient rivé les fers du monde.

Un envoyé prussien écrivit (sans doute à Hardenberg) : « Napoléon va soumettre l’Espagne, et peut-être vaincre la Russie, employant le dernier moyen, l’insurrection des serfs. »

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