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Histoire du XIXe siècle (volume 3/3) : $b III. Jusqu'à Waterloo

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APPENDICE
GRAINVILLE[127]
Le poème du dernier homme.

[127] Voy. le chapitre X de ce volume.

J’étais dans la Syrie, non loin des ruines de Palmyre. Là, s’ouvre une caverne profonde, où nul n’entra jamais pour revenir au jour. Nos vaillants de l’armée d’Égypte en tentèrent l’aventure et ne reparurent pas.

Et moi aussi, pourtant, j’osai m’engager sur leurs traces. Après avoir longtemps marché dans l’horreur des ténèbres, j’eus le bonheur de revoir un jour pur. Je me voyais comme au milieu d’un cirque bâti de roc, et vis-à-vis d’un trône ou trépied de saphir. Du trépied, une voix vint frapper mon oreille : « Ne crains rien ; je t’ai appelé… Je suis l’Esprit de l’avenir, le père des songes vrais et des pressentiments. Je commence la justice pour les bons et pour les méchants, en les faisant prophètes de leur sort.

« Dans les miroirs magiques que tu vois près de moi, vont t’apparaître ensemble le premier et le dernier homme. Celui-ci n’aura pas de postérité qui le bénisse et le connaisse ; je veux qu’avant de naître, il vive dans la mémoire, qu’on célèbre ses combats, sa victoire sur lui-même. A toi de raconter quelles peines il souffrira pour abréger les maux du genre humain, pour l’aider à mourir, pour finir le règne du temps, pour hâter les récompenses éternelles. »

Cependant une île apparaît, île affreuse, tout près des portes des enfers. Elle n’a d’habitant qu’un vieillard, l’infortuné Adam, père des hommes, qui, pour sa désobéissance, est condamné à voir incessamment tomber dans les enfers ses fils que sa faute a perdus. Un ange vient à lui, le même qui jadis, sous les berceaux d’Éden, lui apportait les messages de Dieu. L’ange ramène Adam sur la terre. La mission pénible que Dieu lui donne, c’est de persuader au dernier homme de délivrer le monde de la vie, de couper le fil qui l’y retient encore ; fil sacré… c’est l’amour.

Adam s’effraye, s’afflige… Ah ! combien il est attristé lorsqu’il revoit la Terre telle que le temps l’a faite ! Comme un fils qu’une longue absence a séparé de sa mère, jeune encore et qui pleure en la revoyant changée, ridée, courbée sous le poids des années, Adam voit la terre et gémit : « Je t’ai quitté si belle ! et voilà maintenant, tu n’es plus qu’une ruine ! Le soleil lui-même a vieilli, son front est pâle, je soutiens son regard… »

Il avance pourtant. D’une cité déserte et d’un palais désert, il voit sortir le dernier homme et sa femme, la charmante Sidérie. Aimable et dernière fleur de l’humanité, bientôt disparue, ce couple accueille Adam avec une joie touchante, comme un hôte, un père, comme un homme ; ce dernier titre est grand dans la solitude universelle. « Nous étions effrayés, dirent-ils ; des présages terribles nous remplissaient d’alarmes… Nous cherchions un consolateur et vous êtes venu… Enseignez-nous à apaiser le ciel ! »

Adam est attendri. Dans Sidérie il revoit Ève et tout ce qu’il aima. Les voilà ses beaux cheveux blonds et sa grâce, son charme enivrant, sa ravissante pudeur.

Il leur demande, il apprend de leur bouche toute l’histoire de leur destinée. Ils ont péché ; le dernier homme en fait l’aveu à son père vénérable ; leur faute, c’est d’aimer malgré Dieu, de continuer la vie du monde au delà du destin.

« Mon père, dit le dernier homme, fut roi comme ses pères, bientôt roi sans sujets ; déjà, vingt années avant que je naquisse, l’hymen était devenu stérile. Ma naissance fut un phénomène qui fit la joie de tous. Mon père me prit dans ses bras et s’écria : « Le genre humain vit donc encore !… O Dieu ! conserve celui-ci !… » Des femmes vinrent du bout du monde pour voir, toucher dans leurs transports celui qu’elles saluaient de ce nom : l’homme-enfant !

Cette joie dura peu. Bientôt je restai seul. Tout s’éteignit autour de moi. J’enterrai de mes mains mon père, ma mère. Seul, j’habitais cette demeure immense. Un jour, je la quittai, tourmenté du désir d’épancher mon cœur, de communiquer mes pensées ; j’allais voir dans le monde s’il restait encore des humains.

Un jour, dans ce voyage, une figure étrange m’apparut, m’arrêta, celle d’un sombre génie qui respirait le feu et vivait dans le feu, homme et volcan mobile ; des larmes roulaient dans ses yeux, mais les feux dévoraient les larmes : « Je suis le génie de la Terre, dit-il, et la Terre va mourir. Dieu me l’avait bien dit le jour de la création : « les hommes vivent peu, mais ils renaissent, me dit alors le Créateur ; toi, tu vivras longtemps, mais ta mort sera éternelle. Elle aura lieu le jour où l’homme n’aura plus de fécondité. » Le jour est arrivé ; il n’est plus qu’une femme qui pourrait recommencer le monde… Cherche-la, trouve-la… Sauve-toi, sauve-nous ! »

Le génie m’indiqua un guide, le savant Idamas. Ce sage, qui savait toutes choses, me lut, aux divines annales, comment la Terre infortunée fut épuisée par ses enfants. Ils exprimèrent de ses entrailles les derniers principes de vie. Eux-mêmes jouirent trop, se prodiguèrent, languirent. Idamas pleurait d’abondantes larmes sur la défaillance du monde et la langueur du genre humain : « Jour affreux, disait-il, où nous vîmes la lune horriblement large et sanglante descendre à nous, brûlée par un volcan !… C’est ainsi que nous la perdîmes. On cherchera à jamais dans le ciel l’astre aimable des nuits. »

Adam interrompt à ces mots : « Quoi ! mon fils, nous ne la verrons plus ?… Ah ! j’aimais sa douce lumière. Faut-il, hélas ! la pleurer ! lui survivre ! »

Le dernier homme continua : « Ce fut en vain qu’un génie surhumain essaya de combattre la stérilité du globe défaillant. On ouvrit aux fleuves des routes nouvelles, on mena la charrue aux fertiles limons de leur lit. Mais quoi ! la terre eût-elle été féconde, les hommes même étaient stériles. Bien plus ! ils devenaient barbares. Effarouchés par la faim, ils se regardaient d’un œil ennemi. Plusieurs, dit-on, formaient l’exécrable complot d’exterminer la moitié du genre humain pour le salut de l’autre.

» Idamas, avec ses amis, m’enlevèrent au moyen d’un vaisseau aérien, me firent passer les mers et trouver les parages qui me gardaient l’heureuse épouse dont le sein peut renouveler le monde. C’était aux rives du Brésil. Le genre humain s’était réfugié aux terres ardentes qui gardaient l’étincelle. Mais là, même, l’homme l’avait perdue. La Cité du soleil, où nous descendîmes, était riche et superbe, riche d’or, pauvre d’hommes ; c’était un somptueux désert. La terreur de la faim y planait ; une loi barbare punissait de la mort l’étranger qui osait y chercher un asile. Épargnés à grand’peine, nous dîmes notre recherche, le bienfait d’un hymen qui serait le salut de tous.

» Le roi du pays fit comparaître devant moi les filles de l’Amérique. Belles, blanches comme la neige des monts, il ne leur manquait que la vie. Une seule avait la flamme, la passion ; son souffle était pressé, rapide ; des éclairs jaillissaient de ses longues paupières abaissées ; de son sein, malgré elle, s’échappaient des soupirs.

» Sidérie est la fille d’une race indomptée. Son père est le dernier des sauvages du Nord, qui toujours dédaignèrent les villes, et, jusqu’à leur fin, préférèrent les forêts et la liberté.

» Rien ne manquait à mon bonheur. On fit venir un vieux pontife pour bénir notre hymen. Ormus, c’était son nom, vint, mais triste et plein de douleur. Lui-même il avait bien longtemps médité, essayé tous les arts régénérateurs qui pouvaient raviver le monde. Vaincu par la nature, il n’espérait plus rien. Notre hymen lui semblait du plus sinistre augure : « Hymen fatal ! dit-il. Le jour où le dernier des races royales de l’Europe épousera la jeune Américaine, le monde sera près de finir. Si je me trompe, s’il en est autrement, Dieu nous avertira ; il fera germer les semences qu’on a déposées dans la Terre. »

» Avec quel empressement on ouvrit le sillon !… Mais la Terre était trop intéressée à l’union qui pouvait lui donner quelques moments encore. On vit avec surprise qu’elle avait accueilli les semences, les avait fait germer. Tous se jetaient aux bras les uns des autres, s’embrassaient en pleurant : « La nature n’est pas morte ; elle revit pour nous et nous vivrons ! »

» Le pontife ne résiste plus ; il obéit, mais sans persuasion. Il bénit notre hymen : « S’il doit être funeste, dit-il, puisse Dieu me frapper moi-même, et vous avertir par ma mort ! » Il dit, tombe frappé aux marches de l’autel : « Malheur ! malheur ! dit-il, si cet hymen s’achève !… Une race en naîtrait maudite, qui se dévorerait elle-même, et n’aurait de Dieu que la faim ! »

» Tous s’effrayent, et l’on nous sépare. Plusieurs complotent d’égorger la nuit même ces funestes époux, qui tôt ou tard pourraient se rapprocher. Nous périssions si le père de Sidérie n’eût veillé sur nos jours, ne nous eût réunis, embarqués l’un et l’autre sur un navire ailé, qui nous rapporta jusqu’ici à travers les airs. »


Le dernier homme en était à ce point du récit, quand Sidérie, craignant la suite de ses révélations naïves, se leva rougissante, et saisit un prétexte pour s’éloigner de son époux.

Celui-ci, en effet, contait au vieillard, sans réserve, comment la nouvelle épousée résista, comment elle repoussait l’amour qu’elle-même avait au cœur. « Elle avait juré à son père que cette union resterait pure, qu’elle s’ôterait la vie plutôt que de compromettre les destinées du monde et de prolonger sa durée contre l’ordre de Dieu. Elle aimait, refusait, combattue cruellement d’amour et de douleur. La fraude la vainquit. Le génie de la Terre lui apparaît sous les traits de son père, et lui commande l’union. Il fait apparaître à ses yeux, dans une image de volupté touchante, Ève presque enfant encore, et déjà absorbée au bonheur de l’allaitement, pressant son fils au sein charmant où il boit la vie. Sidérie ne résiste plus ; elle veut et désire… Il devient son époux. »

Le dernier homme termine son récit. Il avoue à Adam qu’à ce moment si doux, si solennel, la Terre refleurit d’espérance ; mais, hélas ! le soleil pâlit, le ciel rougit de taches sanglantes.

Là commence la dure, la cruelle mission d’Adam ; mais Dieu le veut ainsi.

Celui qui commença la race humaine doit, pour dernière douleur, la finir, clore l’amour ici-bas, consommer le divorce et la séparation suprême, ordonner le mortel adieu…

Tels furent les mots d’Adam au dernier homme, ou plutôt les mots de Dieu même : « Fuis, mon fils, fuis-la, cette femme trop aimée, et pour toujours !… Tremble de devenir père de la race maudite ; crains d’engendrer des monstres ! »

L’infortuné, à ces paroles, pâlit et recula : « O mon père, disait-il, n’avez-vous pas vous-même voulu vous perdre avec la mère des hommes ?… Eh bien, je ferai comme vous ! » Sa douleur est si grande, si vraie, si pathétique, qu’Adam pleure avec lui. Le premier homme et le dernier ont confondu leurs larmes dans le plus tendre embrassement.

» Sois le libérateur du monde, ô mon enfant, son bienfaiteur ! Ne prolonge pas sa misère ! Permets-lui de finir. Tes pères attendent au sépulcre que, le monde expiré, leurs cendres se raniment, leurs os se lèvent, et que le genre humain revive avec mille bénédictions pour toi.

» Tu hésites… Ah ! je sens que mon supplice recommence. Je les vois dans la plaine aride, sous un ciel ténébreux, ces derniers humains, je les vois hideux et cruels, assis aux banquets exécrables, se disputant les membres de leurs frères, s’arrachant des lambeaux sanglants. »

Il dit. Le dernier homme les voyait aussi, ces images horribles. Il ne résista plus : « Mon père, que du moins Sidérie ne puisse me maudire ! Qu’elle sache que son époux la trahit malgré lui ! Qu’elle sache mon innocence ! » L’infortuné élève un autel sur la route et y inscrit ces mots, que Sidérie lira en recherchant sa trace : « Je ne fus point coupable[128]. »

[128] Dans cette fuite du dernier homme il y a une très belle page. Il passe où fut Paris. La ville n’existe plus. Tous les monuments sont détruits. Un seul reste, élevé à Bonaparte. Des hommes des quatre parties du monde y ont écrit ses bienfaits, ou plutôt les espérances qu’il donnait en brumaire où Lucien l’avait présenté comme un médecin qui allait guérir la France. De là aussi le beau tableau de Gros, où on le voit touchant les plaies des Pestiférés de Jaffa. De là l’erreur passagère de plusieurs philosophes et patriotes, Chénier, Garat, Cabanis, Daunou, Grainville et autres.

Il l’avait deviné sans peine. La pauvre abandonnée, ne le voyant plus revenir, hors d’elle-même et désespérée, avait fui son palais. Elle allait, elle errait, interrogeant le sable pour trouver ses vestiges ; elle voulait le suivre, le chercher par toute la terre. Et cependant le jour baissait, en plein midi ; il se faisait peu à peu de grandes ténèbres. Elle allait à tâtons, pleurant, se heurtant aux pierres du chemin. La terre, ébranlée par moments, se fendait de rides profondes ; de grands arbres tombaient, des monuments croulaient… Elle n’en allait pas moins échevelée, et se frappant le sein.

Quelles sont ces plaintes qui sortent des cavernes ? quelles sont ces voix qui gémissent dans l’air ? les animaux s’enfuient et hurlent : ils courent, se jettent aux abîmes. Les cloches vont d’elles-mêmes ; on dirait qu’elles sonnent la fin du genre humain… Ah ! que la mer devient livide ! sans tempête, elle s’agite, elle mugit, elle roule et vomit des cadavres. Ceux qui, dans tous les âges, furent engloutis par elle, elle les rend aujourd’hui. La terre ondule aussi bien que la mer ; elle craque, elle s’ouvre, et, béante, lance, comme un volcan, des cendres qui vécurent et des poussières humaines… O spectacle effroyable ! l’éruption des morts !…

Pénétrée d’horreur, Sidérie n’en cherchait pas moins son époux. Une pluie de cendres qui tombait ajoutait aux ténèbres. Elle traversait, distinguait (mais à peine) d’immenses champs de ruines ; c’étaient des cités disparues. Paris même n’était qu’un amas de décombres.

Une faible lumière brille pourtant là-bas, dans une demeure qui est debout encore. « Si c’était lui ! » Elle court, elle crie, ou veut crier du moins ; la voix lui manque, l’air dense, épais, sonore, ne permet plus la voix. Un vieillard et sa femme étaient dans cette maison effrayés et tremblants du naufrage de la nature. « N’ouvre pas !… c’est l’âme des morts ! » disait la femme épouvantée.

La pauvre Sidérie, muette, et voyant encore son espoir trompé, s’enfuit, lève les mains à Dieu… Un froid mortel l’avait saisie, elle croyait mourir ; elle entre dans un temple ; défaillante, elle tombe aux marches d’un autel. Là, Dieu en eut pitié. Il lui verse le sommeil, le repos et les songes. Il lui montra son Jugement, le triomphe des justes, la beauté de la vie nouvelle, transfigurée divinement ; elle se voit, légère, qui monte à Dieu, heureuse et près de son époux. Au réveil, elle est calme, résignée et prête à la mort.

Cependant l’horloge, désormais solitaire, vient de sonner la dernière heure. Le soleil s’est voilé de deuil. La nuit victorieuse prend possession du ciel. Elle adresse ces mots à l’armée des ténèbres : « C’en est fait, leur dit-elle, des caprices de l’astre du jour ! Il tombe, le tyran… Rappelez-vous, ô filles éternelles, le temps où nous régnions ensemble sur le vide et le chaos. Ce temps revient. La pâleur a couvert la face du soleil. Venez, achevons l’ennemi. » Elle dit, et sans peur, sans respect pour l’agonie du jour, d’un bond elle a franchi les cieux.

Grande était la terreur du Génie de la Terre. L’éruption des dépouilles humaines lui dénonçait sa fin. Il quitte ses abîmes, où, jour et nuit dans les flammes, il a si longtemps travaillé, fomenté et brassé la vie. Il va trouver la Mort :

« Quoi ! dit-il, est-ce fait ? Le dernier couple humain a-t-il fini ? Songez-vous bien, ô Mort, que la femme portait dans son sein le gage d’une postérité ? Seriez-vous assez ennemie de vous-même pour tuer l’espérance des mortels qui vous appartiennent ?

«  — Tu ressembles, dit la Mort en secouant la tête, à ces vieux décrépits qui, déjà sous ma faux, se promettent de longues années. Vois-tu le ciel ? Vois-tu la terre ? Tout finit. Et moi-même, je ne suis plus ce que j’étais ; à peine me reconnais-je. Je parcours lentement tous les climats ; plus de vies à frapper, plus de victimes, plus de sang… J’ai soif… Ta Sidérie, ton dernier homme, je veux pourtant les épargner. Je le jure, tant qu’ils aiment, je ne les touche pas, tant qu’ils ont la flamme féconde qui engendre et prépare des morts. »

Le génie ne la quitte que pour faire au centre du globe un sacrifice aux démons des enfers. Il se remet à eux, leur confie son péril, son effroi, et l’horreur qu’il a de disparaître : « La mort n’est rien pour l’homme ; il sait qu’il renaît immortel. Pour moi, je ne renaîtrai point. Je ne crains pas la mort, mais je crains le néant. Quoi ! je ne serai plus ! je ne serai jamais ! »

Vaines plaintes ! les démons lui échappent ! « C’en est fait, disent-ils, nous rentrons aux enfers. »

La Mort, voyant pourtant l’extinction du soleil, croit que le Génie l’a trompée. Elle ne tiendra pas son serment. Sidérie elle-même veut mourir. Et la Mort la touche, la délivre et la rend à Dieu.

Une voix s’élève alors dans l’air, grande et lugubre voix : « Le genre humain est mort ! » La nature, dès cette heure, est libre de mourir et de rentrer dans le repos.

« Ah ! barbare ! s’écrie le Génie de la terre. Mort barbare ! comment l’as-tu frappée ? Sidérie était le genre humain ; en elle tu l’as tué tout entier ! Voilà ce que j’avais prévu dès le jour où périt Abel. Je savais que, de meurtre en meurtre, tu en viendrais au dernier rejeton de cette pauvre humanité. »

Mais la Mort, d’un air ironique : « Remercie-moi, je suis la bienfaitrice du genre humain. Eh ! sans moi, sans le soin que j’ai pris de détruire à mesure cette race dangereuse, le monde se fût éteint plus tôt ; ils auraient épuisé la terre, et tu aurais fini ; tu serais mort, comme tu vas mourir. »

Il n’attend pas le coup, il plonge au centre du globe ; il s’établit sur la masse immense des soufres et des bitumes. Le flambeau à la main, il attend. Elle avance. Il jette l’étincelle. Telle est l’explosion, que la terre recule sur elle-même, elle vole en débris ; elle lance les Alpes au ciel, lance les Pyrénées. La Mort n’atteint pas moins, au sein de ce chaos, le Génie, qui expire.

Et avec lui, les ténèbres finissent. Un jour plus doux que celui de la lune, plus éclatant que le soleil, mais libre, et non concentré dans un astre, vient redorer le firmament. C’est l’aurore de l’Éternité.

FIN DU TOME TROISIÈME.

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