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Histoire du XIXe siècle (volume 3/3) : $b III. Jusqu'à Waterloo

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CHAPITRE V
LA FOLIE DE BONAPARTE POUR LE FILS AINÉ D’HORTENSE. — JOSÉPHINE LUI IMPOSE UNE DÉMARCHE HUMILIANTE (MAI 1802)

La mort du duc d’Enghien fit grand bruit dans les cours européennes, créa au premier consul beaucoup d’ennemis parmi les princes, indifférents aux catastrophes des peuples, mais fort sensibles dès qu’on les touche eux-mêmes. Le seul qui cria fort et prit le deuil fut justement l’empereur Alexandre, qui aurait pu se taire, entouré qu’il était des meurtriers de Paul, mais qui servit d’organe aux émigrés.

On a dit, répété, sous la Restauration, que Paris fut ému. Rien de plus faux. Talleyrand donna un bal trois jours après[51]. Longchamps, l’exposition des modes du printemps, fut magnifique, inaugura les toilettes de l’empire, propres aux femmes grasses, comme l’était alors Hortense.

[51] Peut-être par ordre.

Paris, dans la réalité, plaignait peu cette émigration remuante qui s’agitait sans cesse et nuisait aux affaires. « Napoléon, disait-on, va répudier Joséphine, et pourra épouser une princesse de la maison de Bade. Le margrave, qui vient de se montrer si bon sergent de Bonaparte, lui donnera pour femme une princesse de sa famille ; ce qui fera le citoyen Bonaparte beau-frère de l’empereur Alexandre[52]. » Un beau gage pour la paix du monde !

[52] Miot, t. II, p. 167.

La légende de Joséphine, comme on voit, n’avait pas commencé.

Ce qu’il y a de vraiment merveilleux dans cette vie, c’est l’adresse avec laquelle cette femme, en quatre ans, se releva de l’extrême avilissement à la suprême grandeur, et, bien plus, à cet incroyable succès de maîtriser, comme on va voir, un homme qui se croyait si absolu et si maître des autres.

Elle l’aimait fort peu. On le vit bien en Italie, où, au bout de huit jours, partageant ses triomphes, elle bâillait, avait hâte d’aller retrouver à Paris son monde intrigant d’agioteurs et de marchandes à la toilette. Elle tenait peu à l’homme, beaucoup à la position. En 98, au retour d’Égypte, Bonaparte, la trouvant si salie, si connue, voulait la renvoyer[53]. Il craignit de nuire à l’opération de brumaire, de déplaire aux banquiers qui fournissaient les fonds. De plus, elle s’aplatit tellement sous le châtiment et la honte, qu’il désespéra d’en trouver jamais une plus patiente, et plus habile aussi à ramener le faubourg Saint-Germain.

[53] Voir la scène dans madame de Rémusat, p. 147.

La maladresse surtout des frères de Bonaparte, leur furie d’ambition, aidait fort à la relever ; le caractère doux et pliant d’Eugène, les grâces d’Hortense, et la peur même qu’elle avait ou simulait de lui dans les commencements, tout ce manège lui plut fort.

Au printemps de 1804, Joséphine avait remonté tout à fait. Le goût singulier de Bonaparte pour l’enfant d’Hortense, ses grands projets pour ce nourrisson, mettaient sa grand’mère au plus haut.

Mais bien loin que sa passion lui adoucît le cœur, il croyait par la mort des Bourbons qu’il disait vouloir tous tuer, s’il se pouvait[54], assurer, préparer avec certitude l’élévation de l’héritier de son choix.

[54] Miot, t. II, p. 227.

Dans l’exécution sanglante de douze royalistes qu’on préparait, Joséphine et Hortense ne purent obtenir que deux grâces : celles de MM. de Polignac et de Rivière, deux jeunes gens pour qui priait tout le faubourg Saint-Germain.


Madame Bonaparte fut plus puissante pour servir les intérêts de son petit-fils. Poussée par la passion elle se démasqua, démentit tout ce qu’on croyait de sa douceur timide. Elle obtint de Napoléon qu’il ferait une visite solennelle à Louis, où Napoléon lui déclarerait tous ses projets pour la grandeur de l’enfant qui lui était cher. Chose délicate, mais Bonaparte, qui avait presque élevé Louis, semblait ne pouvoir être fort embarrassé devant lui. Il l’était cependant ; et, pour se rassurer, ou pour étourdir cet homme faible et maladif, il imagina une chose ridicule : ce fut d’arriver chez lui à l’improviste, comme dans un tourbillon, avec une escorte de trente cavaliers qui suivaient sa voiture au galop, sabre nu.

Sa meilleure escorte était Joséphine, qui, le voyant hésiter, montra plus de courage et dit nettement à Louis qu’une loi sur l’hérédité était faite, qu’il fallait obéir aux lois ; qu’il s’agissait d’être homme dans ces grandes circonstances, où d’ailleurs il trouverait son avantage.

Puis elle en vint à lui dire que, d’après la loi qu’on venait de faire, le droit de succession ne serait conféré qu’aux membres de la famille qui auraient seize ans de moins que le premier consul, et que son fils était le seul qui remplît cette condition ; qu’il serait l’héritier.

Louis fut indigné, ainsi que Joseph, qui, dès qu’il sut la chose, s’emporta violemment, maudit l’ambition de Napoléon, et souhaita lui aussi sa mort comme un bonheur pour sa famille et pour la France[55].

[55] Miot, t. II, p. 179-180.

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