Les Sèvriennes
CHAPITRE XVI
CES MESSIEURS
Le feu flambe, réchauffant la toute petite chambre de Marguerite Triel, une chambre claire, accueillante comme un frais visage de seize ans. Partout, à la fenêtre, autour du lit, de la toilette, des mousselines d’Écosse drapent sur un fond blanc, des feuillages très doux, des fleurs mauves et jaunes, colchides mélancoliques nées du premier frisson de l’automne. Quelques photographies cachent le papier banal du « locatis » fourni par l’État. Au chevet, la sainte Monique d’Ary Scheffer ; près du miroir la belle Vénitienne à sa coiffure, du Titien ; à droite de la cheminée le Bacchus de Vinci, étrange figure, sœur du saint Jean-Baptiste, indiquant du même doigt l’ombre propice des forêts ; à gauche le portrait de César Borgia, aux lèvres gonflées d’amour, à la main longue assouplie pour l’épée et la caresse. Sur la table, parmi les mille riens qu’il faut pour écrire, des portraits de femmes de Carrière, et la Diane de Gabie, entourée de roses et de capillaires.
Sur l’étagère, quelques livres souvent ouverts, Euripide, Pascal, Chénier, la Salammbô de Flaubert, les Trophées de Heredia, Sagesse de Verlaine.
Dans cette chambre, tout indique les goûts préférés d’une femme mystique, inconsciemment voluptueuse. Les fleurs qui s’épanouissent là semblent se plaire, dans ce logis très gemüthlich, comme de beaux vers parfumant, de pages en pages, un livre chaste et fier.
Sur une table volante, un service à thé, des sandwichs, des confitures, attendent la venue des Sèvriennes ; la bouilloire devant le feu chantonne, le bois craque, éclate : en l’absence de l’hôte les esprits mystérieux du feu et de l’eau conversent, et c’est d’Elle, encore.
Soudain, des salles de cours, monte un bruit assourdi de chaises traînées sur le plancher ; c’est la fin des conférences, ces Messieurs sont partis. Tout de suite, les Sèvriennes escaladent les escaliers, se ruent avec une fureur de bêtes délivrées, vers les études, vers les couloirs des chambres.
La porte s’ouvre brusquement, Marguerite essoufflée entre chez elle, portant quelque chose dans ses bras ; Berthe Passy la pourchasse, puis Renée Diolat, Isabelle, Victoire Nollet s’engouffrent derrière elles.
Berthe lutte, voulant écarter les bras de Marguerite et lui chiper ce qu’elle porte.
— Laisse-moi seulement voir à qui ça ressemble ?
— Non, je ne te le donnerai pas, Berthe, tu me le casserais.
— Dis-nous son sexe.
— Celui de son père !
— Je t’en prie, ma petite Margot, prête-moi ce gosse, je veux être sa nounou.
Elle s’assied posément, Marguerite rassurée lui met, sur les genoux, une poupée vêtue de sa seule chemise.
— Très chouette le môme, on va le baptiser tout de suite, je ferai le parrain, reprend Berthe qui dodeline le poupon, puis le fait sauter en l’air de façon inquiétante.
Les Sèvriennes, très amusées, se penchent sur elle ; la poupée, de son œil rond qui palpite à chaque saut, semble ahurie d’être le joujou imprévu de ces grandes filles.
Isabelle Marlotte tend les bras, elle veut l’avoir à son tour. C’est gentil ce que d’Aveline a fait là ! il n’y a que lui, ici, pour faire des surprises aussi féminines ; donner une poupée à toute une promotion parce qu’elle travaille trop, mais il est à croquer cet homme !
— Croquons, mesdemoiselles, croquons. Le morceau est un peu mûr, mais il se fait rare. Je réclame pour Isabelle le morceau du roi, et se tournant, gentille, vers celle-ci qui se rebiffe, Berthe ajoute : Allons, allons, est-ce qu’on ne sait pas que tu l’aimes !
— Oui, répond Isabelle, qui ne ment jamais, je déteste celles qui ne l’aiment pas, je hais celles qui l’aiment trop.
— Oh ma chère, est-ce que tu gardes sa vertu ? ne sais-tu pas, qu’avec lui, une glissade n’est jamais un faux pas ! D’Aveline aimer ! Renée sourit à de lointains souvenirs, mais juge inutile de propager les potins qui croupissent éternellement, comme toutes les mauvaises choses, dans le passé d’une École.
— Mon Dieu, qui voudrait se contenter de ses restes, me semblerait peu difficile.
— Vous parlez d’or, Victoire. Soigner ses rhumatismes, contempler son demi-cheveu, adorer l’ombre qu’il est encore ; on en ferait une image… Fi ! un professeur de littérature n’est jamais qu’un coucou, pilleur de nids célèbres : il revient le bec plein et n’offre à sa femelle que la ponte d’autrui. Où s’arrêtent les réminiscences ? That is the question !
— C’est une diffamation, vilaine gamine, M. d’Aveline ne mérite pas ces reproches, fait Marguerite un peu agacée d’entendre sans cesse débiner, par Berthe, le professeur qu’elle préfère. Il est original, son esprit est bien à lui ; il a des mots qu’on voudrait avoir faits. Hier, on m’en a répété un de ses meilleurs. Vous savez que d’Aveline sollicite la chaire de poésie française, rue d’Ulm. Il va voir le Directeur, qui n’a rien de l’intelligente bonté de M. Bersot.
— Et quels titres avez-vous, monsieur, pour appuyer cette demande ?
Sans sourciller, d’Aveline, faisant allusion aux œuvres de Brunetière, son compétiteur :
— Mon Dieu, monsieur le Directeur, il y a des choses qui se pèsent à la bascule et d’autres à la balance…
— Ah ! très bien ! exquis ! du pur d’Aveline ! s’écrie le groupe des Sèvriennes : mais Victoire Nollet, rageuse, s’insurge.
— Vous êtes ma foi bien indulgentes, vous autres. Dès qu’il s’agit de cet homme, on se pâme : quelle finesse ! quelle grâce ! quel poète !… Enfonceur de portes ouvertes, va ; vous ne lisez donc rien, pour ne pas savoir, que tout ce qu’il dit, Sainte-Beuve ou Lemaître l’ont dit avant lui.
J’enrage de cet aveuglement ; il n’a pour lui que des détails, le joli, toujours du joli, et parce qu’il a une voix qui vous prend, et vous retourne, vous en faites un génie. Pas une idée neuve, pas une trouvaille qui en engendre d’autres ; mais Brunetière, c’est une montagne à côté de la souris !
Et par-dessus le marché, cet homme a l’esprit faux !
— Oh ! oh ! vous allez trop loin, Victoire ; en troisième année nous ne pensons pas autant de mal que vous de M. d’Aveline ; vous en reviendrez, croyez-moi. Le grand mérite de son enseignement littéraire, c’est de n’être pas dogmatique. Son cours est une causerie qui éveille la pensée, et la force à s’exprimer dans une langue délicate, simple, savoureuse si c’est possible. Il nous force à admirer, quoi de plus grand ? Il nous force à comprendre, quoi de plus juste ?
— C’est possible, Renée, vous êtes une ancienne : mais vous jugez son enseignement, avec des préjugés d’École, dont je suis libérée, moi, heureusement.
Son devoir est de faire de nous des professeurs, non des docteurs ès lettres ; par sa méthode, il manque à son devoir.
— Dis donc, Victoire, pour une stoïcienne tu manques d’impassibilité : ce rude langage ne viendrait-il pas d’une blessure encore fraîche ? Tu en veux à d’Aveline, avoue-le, parce qu’il te reproche la raideur d’un esprit étroit, ce n’est pas sa faute si tu ne veux pas t’ouvrir, et si tu écris, dans tes devoirs sur Rousseau, des phrases comme celle-ci — je cite textuellement, mesdemoiselles : « Rousseau connut la femme qui s’aime seule dans une futaie… »
Berthe rit à pleine gorge, et ce rire cingle Victoire, qui de rouge devient noire de colère.
— Elle est historique ta phrase, les générations à l’École, ne l’oublieront pas. Bast, quand il n’aurait fait que te mettre un peu de son inexorable clarté dans l’esprit, tu ne devrais pas lui en vouloir.
— Tu ne sais ce que tu dis, toi, tu es prise comme les autres ; tu ne vois pas que cet homme est un cabotin, oui je le répète, un ca-bo-tin. Il ne cherche que ficelles pour gagner son public. Vous êtes là, bouche bée, riant quand il a de l’esprit, pleurant quand il feint d’être ému, et le cœur à l’envers, parce qu’avec sa voix molle et ses mots caressants, il vous a dit les malheurs de Myrto ou d’Éryphile !
— A la porte, à la porte.
— Non, vous ne m’empêcherez pas de crier ma colère ; je vous dis qu’il a le don de s’émotionner lui-même et de pincer de la guitare, avec autant d’artifice, qu’Adrienne Chantilly en met à s’évanouir à côté de lui.
— Oh Victoire, c’est indigne ! et deux grosses larmes perlèrent dans les yeux d’Isabelle Marlotte, que Marguerite entraîna vers la table, mettant fin à cette querelle qui s’envenimait.
— Notre thé se refroidit, hâtons-nous de baptiser mon fils ; voilà le Compère, soyez toutes les Commères, donneuses de ce qu’il vous plaira ; mais je supplie Victoire de n’être pas, par rancune, la fée Carabosse de notre baptême.
Les Sèvriennes se pressent autour du poupon, déjà revêtu d’une culotte, taillée dans un mouchoir.
— Je te donne l’esprit, la bonté, l’éloquence, la veine. Et vous, Victoire ?
L’austère Victoire hésite ; décidément il lui est cruel de souhaiter le bonheur à cette poupée qui vient de d’Aveline, mais il ne faut pas désobliger une compagne gentille !
— La Beauté, murmure-t-elle.
— Vous me volez, qu’est-ce qu’il me reste alors ?
— Donne-lui ton cœur, répond Berthe, avec un baiser à l’enfant qu’elle pose triomphalement sur le sucrier. Et baillez-moi la saucisse ou les cornichons.
— Boudiou ! fait Thérésa qui entre, est-ce que j’arrive trop tard, on ne débine plus !
Pendant quelques instants, le silence de la petite chambre n’est troublé que par le bruit des cuillers, remuant le sucre dans les tasses brûlantes, les mâchoires dévorent ; puis, la première faim apaisée, tandis que Berthe, à califourchon sur une chaise, grille une cigarette qu’elle vient d’allumer à celle de Thérésa, Renée distraitement joue avec le poupon :
— Je parie que notre cher M. Lepeintre est encore allé déjeuner aux étangs de Ville d’Avray. J’ai remarqué que chaque fois qu’il met son costume gris et ses chaussettes de soie rouge, il se hâte de nous donner campo.
— Chic alors, le beau général ; car il l’a dit, moi je suis le général Boulanger des Sèvriennes, le beau général se gante en rouge ! Porte-t-il maillot ? Hum ! fait Berthe, en dessinant avec le pouce, la ligne mince, si mince, de l’élégant professeur, il doit manquer de plastique pour se produire sans artifices !
— Ah ! il va aux étangs de Ville d’Avray ! Si nous y allions un jeudi, proposa Marguerite, j’aimerais à voir les paysages de Corot.
— Nenni, ma belle, les nymphes de Corot courent encore sous bois, et les rapins les poursuivent. Je gage que si M. Lepeintre s’en va déjeuner là-bas, c’est pas scrupule d’homme de science, qui veut préparer, de visu, une leçon sur l’Atalante Spartiate.
— Que nous importe ce qu’il y va faire ! parlez-moi d’un professeur d’histoire comme M. Lepeintre. Son enseignement est d’une clarté mathématique, pas de digressions, d’hypothèses imprudentes. Il ne s’emballe, ni pour Michel-Ange, ni pour Napoléon : il contrôle d’abord, il affirme ensuite.
— Assurément, approuve Hortense, qui s’épanouit au souvenir des services que ce cours d’histoire rend à son militaire, sa méthode est froide, mais personne ne s’entend comme lui, à débrouiller une période confuse, et à rendre à chacun ce qui lui est dû.
— M. Legouff, notre vénérable directeur, nous a affirmé, l’autre jeudi, que M. Lepeintre était le professeur d’histoire le plus remarquable de ce temps-ci. En troisième année, nous pensons toutes comme lui ; ce scepticisme rationnel le rend impartial, et nous met en garde contre l’emballement des Michelet.
— Nous n’avons pas encore pu nous rendre compte de l’esprit de son cours, fait Marguerite, en offrant quelques petits beurres à ses compagnes, mais son érudition n’a rien d’assommant ; j’aime le goût très sûr, le sens philosophique qu’il apporte dans ses études d’art et de civilisation. Il a le don des idées générales.
— L’ordonnance de ses leçons, vous le verrez plus tard, fait penser aux belles compositions d’Ingres, où chaque chose est harmonieusement placée : plus de dessin que de couleur.
— Oh oui, en seconde année, on se fanatise pour la logique lumineuse de cet esprit ; il n’est pas jusqu’à sa parole lente, zézayante un peu, qui n’accentue le relief des différentes parties de son plan.
— Amen ! Amen ! trop de louanges mes amies ; voulez-vous donc qu’à mon tour, je fasse mon petit Lepeintre, et crie à votre nez qu’il est surfait… on ne saurait en dire autant de ce bon Jérôme. Mon paternel qui l’a vu conférencier, dit qu’il a une tête de faune, et que sa langue, frétillante comme un dard, brûle de convoitise… encore si la convoitise en faisait un saint Jean Bouche-d’or.
— Hélas…
— Oh ! pour celui-là, je vous l’accorde, il est inimaginable : il troque la robe universitaire contre le casaquin et la plume des troubadours ; sa philosophie embrasse tout, se plie aux cantates patriotiques, aux sirventois, aux odelettes d’amour, aux mystères religieux, aux drames historiques !…
— C’est le portrait de l’Homme-orchestre que tu nous fais-là, Renée !
— Gavroche, va ! il est certain que pour être bon professeur, son esprit a trop de fougue ; Jérôme Pâtre est en retard de cinquante ans, il date des gilets rouges d’Hernani, sa barbe noire, ses cheveux noirs, ses yeux noirs, et son teint rouge brique, cette jeunesse si lourdement conservée, même sa belle âme déclamatoire, ont quelque chose de démodé. Jusqu’à ses mots, qui feraient encore le bonheur de M. d’Aurévilly…
— Oh ! dis-nous vite, ceux que tu connais ; Marguerite les collectionne dans son journal.
— Voilà :
Renan, l’eunuque de la Philosophie.
Royer-Collard, le garde du corps du Dogmatisme.
Le sceptique, un feu follet.
Voltaire, un touche-à-tout de génie.
La Rochefoucauld, un génie constipé !
Un fou rire accueille ce dernier trait qui peint M. Pâtre, beaucoup mieux que toutes les comparaisons de ses élèves, mais Victoire, qui est de l’opposition, s’attache immédiatement à sa défense.
— Celui-là est sincère, qu’importe s’il manque de goût ! Ah ! s’il canalisait son éloquence…
— Voilà le point, illustrissime Victoire, canaliser son éloquence, si l’on ne veut pas tomber dans le verbiage. En attendant le miracle, je vais à son cours comme j’irais au cirque, pour voir les jeux d’une habile écuyère : sur son cheval, en galopant, elle fait la révérence, enlève ses voiles ; va-t-elle se déshabiller et se dresser toute nue sur la bête emballée ? Non point. La cloche sonne, le cheval s’arrête, cette fois encore nous n’avons vu que les oripeaux de la philosophie.
— Allons bon, ta philosophie, ma chère, ferait un joyeux vis-à-vis, avec cette reine de village, dont Pascal parle quelque part. Reconnais que, malgré ses défauts, son cours est passionnant, vous en sortez toutes la tête en feu !
— Oui, mais les pieds cloués à la terre, soupire Thérésa !
— Tu me la bailles belle, Marguerite, as-tu appris, à son cours, un mot de philosophie ? As-tu relu tes notes ? Sois franche, vois-tu plus clair dans ce chemin noir, où l’on se bouscule pour découvrir la vérité ?
— Non, et de cela je lui en veux ! c’est une ronde où toutes les idées tourbillonnent, ivres, comme des mouches sur une cuve de vendange.
— Jérôme, mon p’tit, peut se vanter de faire mousser ta verve : tu railles, car tu l’aimes, parce que tu sais que dans ces leçons d’éloquence… verbeuse, j’en conviens, il met toute son âme, une âme bonne, naïve, et si pleine d’affection pour nous toutes…
— Non, je t’arrête, tu es trop indulgente pour le Dieu Pan des Sèvriennes.
Laisse-moi dégonfler ma rate, ma pauvre vieille, elle est trop lourde depuis que je suis raisonnable ! « La Philo » vit-elle, comme la littérature, de l’air du temps et de beaux désespoirs ?
Si elle est la science de la vie, elle doit éclairer nos idées, elle doit nous donner un tel respect de nous-même, que nous voulions vivre nos idées.
Rappelez-vous l’homélie de Mlle Vormèse, qui s’est refusée, par scrupule, à nous prôner une doctrine plutôt qu’une autre, voulant que nous fissions seules nos premiers pas, et que notre règle de conduite fût le fruit de nos études philosophiques !
Aujourd’hui, je suis aussi bête qu’il y a six mois et je suis moins tranquille !
Quand Jérôme explique les Pères de l’Église, j’envie le sort des Martyrs. Quand il vante les Stoïciens, j’adore Lucrèce ; s’il exalte Épicure, je crois que le Beau pourrait être ma conscience morale. L’égoïsme de Bentham, me semble vertu ; la sympathie de Stuart Mill, me fait pleurer de tendresse. Perchée sur toutes ces doctrines, je suis le coq d’une girouette qui pousse son kokoriko à tous les vents.
— Il y a du vrai, murmure Marguerite, que cette diatribe ramène vers une souffrance cachée, la science est peut-être un mal. La vraie philosophie serait-elle de vivre conformément à sa nature ?
— Mais, Berthe, pourquoi n’allez-vous pas consulter Mme Jules Ferron ? fait soudain Victoire, qui depuis un instant serre les lèvres, plisse son front attentif et rageur.
— Moi aller la trouver ! Lui dire ce que je pense, avec des mots qui s’embrouillent dans ce charabia scolastique ?
Elle aurait une piètre idée de moi. Je ne veux pas de ses bésicles ; j’aime mieux demander conseil aux arbres, aux vieux rocs, aux nuages de notre chère forêt. La nature, elle, ne se trompe pas, la nature ne ment pas !
— Vous oubliez, ma chère, fait l’autre froissée, que vous serez professeur, qu’il vous faut une doctrine, que vous en serez responsable. Pourquoi ne pas vous arrêter à celle que vous voyez à l’œuvre.
— Qui moi, épouser le Stoïcisme ! Ah ! ben j’en ai soupé de cette doctrine, depuis que j’ai vu les gens d’ici se murer le cœur.
Le Stoïcisme ! c’est une doctrine de vieillards, pour qui la résignation est une fin !
Mais quand on a toute la vie devant soi, qu’elle vous appelle, les bras ouverts, moi je m’élance avide d’espoir… et si je tombe, je n’ai pas honte de pleurer.
— Ne blâme pas le Stoïcisme, ma chérie, fait gravement Isabelle Marlotte, dont la figure pensive prend soudain une expression douloureuse. Nos âmes, parce qu’elles sont trop neuves, ne le comprennent pas et le jugent inhumain. Les Stoïciens sont des héros, la grandeur d’âme chez eux, ne peut se mesurer qu’à la taille des événements.
Savons-nous au prix de combien de larmes secrètes, de douleurs cachées, celle que vous repoussez a acquis le droit de proclamer sa Force ?…
Assise au coin du feu, Marguerite chantonne, à la poupée endormie, une berceuse de Schubert ; le bois crépite, éclate, l’eau bouillonne, les esprits mystérieux du feu et de l’eau accompagnent la musique de leur rythme léger.
Renée Diolat, touchant du doigt l’épaule de Berthe, lui montre Marguerite perdue dans un songe :
— La voilà cette sagesse que vous cherchiez si loin… et c’est d’Aveline qui nous l’envoie.