Les Sèvriennes
CHAPITRE XXIII
LUI
Pour la première fois, Marguerite Triel venait à l’atelier d’Henri Dolfière.
Après ce silence impitoyable, il l’appelait enfin :
« Je vous en prie, Marguerite, venez la voir avant qu’on ne l’emmène de l’atelier. J’ai fini.
» Je sors d’un rêve écrasant. Depuis ce jour affreux, j’ai vécu seul ici, m’enfermant avec son ombre, m’acharnant à retrouver son sourire dans le marbre. J’ai voulu qu’il restât au moins une image de cette aurore qu’a été notre amour. La tombe de Charlotte est faite de mon sang et de mes larmes. Ah ! que ne suis-je celui qui insuffle sa vie au fantôme de pierre ; j’adorerais à genoux l’être qui ne s’évanouirait plus.
» Je suis malheureux, Marguerite, venez je vous en supplie.
» Henri. »
Elle partit angoissée d’un malaise indéfinissable, comme si la joie de retrouver l’ami perdu était au-dessus de ses forces.
On était à la mi-avril. Cette journée de dimanche s’annonçait mal, avec ses coups de vent, ses giboulées aigres, la mauvaise humeur des rues et des passants.
A peine dehors, Marguerite souhaita d’échapper à cette mystérieuse hostilité des choses. Elle rentra, prête à rejeter d’un mot l’appel qui réveillait sa douleur.
Une force irrésistible la poussa loin de l’École. Dans la pluie elle marcha vite et vite, maudissant la boue qui retardait ses pas. Son âme dévorait l’espace.
Par une disposition étrange de son esprit les moindres incidents de cette journée décisive se fixèrent dans sa mémoire, avec une netteté photographique. Superstitieuse, elle appréhendait tout. Cherchant un symbole, un présage qui la rassurât.
Elle ne vit autour d’elle que des larmes.