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Les Sèvriennes

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LES SÈVRIENNES

PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE PREMIER

LA COUR DE LA VIEILLE SORBONNE

Par ce frais matin de juin, le soleil glisse sur les toits biscornus qui coiffent la vieille Sorbonne et jette, sur le cadran de pierre, la première ombre de l’aiguille. Il est sept heures et demie ; quoique très animée, la cour reste maussade comme le giron d’une vieille dame grise prêchant l’austérité.

Des groupes de jeunes filles attendent, la serviette sous le bras, qu’on ouvre la petite porte de l’Amphithéâtre. Les unes restent immobiles, clouées aux pavés luisants, on en voit qui suçotent l’eau de mélisse ; les affamées se lestent d’un dernier croissant ; d’autres, fiévreuses, arpentent la cour, des marches de la chapelle aux grillages des portes ; l’une s’esquive pour repasser « un sujet » ; plus loin, une autre interroge son sort, au hasard des petits papiers.

Elles sont là cinquante, soixante, quatre-vingts. Tout à l’heure, il y en aura plus de cent : ce sont les aspirantes littéraires et scientifiques au concours de l’École normale supérieure de Sèvres.

On en voit de gentilles, dix-huit à vingt-cinq ans, pas plus, pâlies par l’émoi ou la houppette, les yeux vifs, fiévreux, un peu battus. Du chic dans une robe de quatre sous, qu’elles portent avec aisance ou désinvolture. Quelques scientifiques ont l’aspect « chien battu » des pauvres institutrices. Quelques littéraires ont arboré la « toilette Conservatoire », à leurs risques et périls : ces messieurs n’aiment pas ça.

En corbeille autour des aspirantes, les mères de famille observent les rivales, lisent sur les figures les chances de réussite : « En voilà une qui doit être très forte… oh, rien à craindre de celle-là. »

Les papas, plus avisés, supputent la cote supplémentaire d’une bouche rieuse, et des yeux qui seront jolis à voir pleurer.

Jalousement on s’observe, on se défie ; puis d’instinct les groupes se forment, s’isolent. Il n’y a plus que des gens qui vont se battre à la course : jeu terrible dont quelques-unes ne se relèveront pas.

Premier groupe. — Lycée Fénelon.

Celui-là très en vue, le plus nombreux, porte beau.

Une brunette sémillante, de jolie tournure parisienne, Jeanne Viole, interpellant une de ses compagnes, Berthe Passy, sorte de gavroche enjuponné :

— Dis donc, sommes-nous assez Méduses ! Les pauvres petites, elles tremblent à nous regarder. Oui, Mesdemoiselles, c’est nous le Lycée Fénelon, à nous les premières places, à vous les autres… s’il en reste.

— Il nous manque un Suisse, pour nous annoncer, répond l’autre ; entends-tu ça, dans le vieil Amphithéâtre : « Messieurs, le lycée Fénelon, pépinière de l’École de Sèvres ! » Du coup, toutes les ombres des jeunes clercs voudraient revenir composer avec nous.

Un éclat de rire général accueille cette boutade, et Jeanne Viole, heureuse de cacher son émoi, sous ce papotage d’écolière, reprend :

— C’est gentil ce que notre Plumkett a fait hier pour Didi, son chouchou !

— Quoi donc ? est-ce qu’il lui aurait donné des tuyaux sur notre examen, le lâche !

— Mais non, Plumkett, tu le sais bien, est incapable de ça. Il a confié à Didi, avec mille rougeurs, un petit bout de crayon, un fétiche quoi, afin qu’à l’examen, elle retrouve sa note coutumière.

— Chic, chic, voilà qui méritait un baiser ! Gageons, fait Berthe railleuse, que Didi ne l’aura pas compris. Cette fille-là ne saura jamais dire merci. Pourtant 18 toute l’année !!! que Dieu fasse, elle a gardé son 18. Ce qu’ils la gobent au Lycée. Il n’y a que Mlle Adrienne Chantilly qui sache parler, qui sache dire ; pour elle, on trouve d’illustres comparaisons ; crois-tu, que dans les petites classes, on répète : Didi fait du Heredia, Didi parle comme Jules Lemaître, Didi a la voix de Moréno.

Je voudrais seulement qu’on dise de moi : elle a le coup de paupière de cette Didi : je serais sûre aujourd’hui d’entrer première à Sèvres !

En bonne compagne, Jeanne Viole, cherchant à concilier tous les esprits, arrête ce flux de paroles :

— Bêche toujours, ma pauvre vieille, Adrienne Chantilly a le charme, elle séduit les délicats : elle saura prendre d’Aveline, comme elle a pris Plumkett, comme ça, nonchalamment, avec grâce. Je te l’accorde, l’affreuse Nollet lui est supérieure, mais sa laideur est le rachat de son intelligence. Vois-tu, ça nous vexe toujours qu’une autre soit plus femme que nous…

A ce moment, survient une grande jeune fille, Madeleine Bertrand, élève médiocre, cachant sa pauvreté d’esprit sous une attitude hautaine ; le poids d’une natte énorme, tombant jusqu’aux talons, redresse sa tête ; il y a du triomphe dans sa démarche.

— Comment, c’est encore d’Elle qu’on parle ici ! Peut-on songer à d’autres qu’à soi-même, dans un moment pareil ! Moi j’ai la fièvre, mon cœur bat…

— Ouais, riposte Berthe Passy, ton cœur bat, la belle : aurais-tu la frousse ! Attention on nous regarde, ne dis pas que tu as peur, tu rendrais courage à tout ce monde-là. Et le moyen de vaincre après ?

Tu sais ce qu’a dit la Directrice de Fénelon : Je veux que les cinq premières qui entreront à Sèvres, sortent de mon lycée ! C’est dit. Mais tu m’amuses toi ! avec une pareille natte dans le dos, n’es-tu pas sûre d’être reçue ! Qu’est-ce qu’une corde de pendu, auprès de ce porte-veine.

Madeleine Bertrand, bouche bée, ne sait que répondre : elle va, vient, imperturbablement sotte, au milieu des petits rires moqueurs ; puis un mouvement se fait, l’attention du groupe de Fénelon se porte sur Adrienne Chantilly, qui arrive enfin, nonchalamment, avec une grâce de lévantine. C’est une belle juive, à la taille très cambrée ; des cheveux frisés, poudrés d’or ; des yeux d’un vert glauque, qui luisent comme une source à travers les ramilles ; des sourcils noirs, un teint mat, l’arc de la bouche très joliment tendu.

Les jeunes filles échangent des poignées de mains, et Didi, fort à son aise, cherche à placer son petit potin.

— Savez-vous pourquoi Thaddée a lâché si brusquement Fénelon ?

— Anémie cérébrale, assure Mlle Frolière.

— Pas du tout ! On a découvert un flirt sensationnel entre Thaddée et Mounet-Sully ! Oui, ma chère ! figure-toi qu’elle avait eu le toupet d’aller lui demander des leçons de déclamation. Mounet, surpris de sa belle voix, accepta. Sitôt fait, l’autre tombe amoureuse, écrit des vers, promène sur son cœur une photographie à dédicace ; elle a trop causé, on a tout su, bref, pour raison de moralité, la Directrice lui a fait dire de ne plus revenir au cours.

— Pauvre Thaddée, soupire ironiquement Jeanne Viole, sa vocation était l’amour, ou le théâtre ; elle était fourvoyée parmi nous.

— Ma foi oui, conclut Berthe Passy, là au moins elle n’aura rien à perdre, et tout à gagner. Mais voici Victoire ; que peut-elle bien ruminer encore ? regardez-la, elle se parle à elle-même ; cette fille est sans cesse aux prises avec son destin.

Victoire Nollet est justement cette aspirante à Sèvres, qui passe, dans tout le lycée, pour le modèle accompli de la laideur, sorte de Quasimodo femelle ; un corps en tuyau de poêle, une tête énorme, congestionnée : construction audacieuse de têtard intelligent.

Elle cause tout haut, très excitée par l’approche de son examen.

— 24 juin ! Voilà le grand jour arrivé ; dire que, depuis six ans, je bûche, pour en arriver là.

Ai-je assez traduit Hegel et Klopstock ! Mis en mauvais allemand la prose de Voltaire ! Ai-je fait assez de résumés d’histoire, pioché ma nomenclature, lu et relu les documents, paraphrasé Racine, Bossuet, Hugo ! continue-t-elle tout à fait emballée.

Mêlé l’astronomie à la géologie, la géographie à la philosophie ! Je sais par cœur mon « Rabier ». J’ai collé mon frère, un vétéran de Henri IV, sur les Noumènes ! Hier, j’en savais trois fois plus qu’on ne m’en demandera ; le nez devant cette porte, j’ai peur d’avoir perdu mon temps au lycée…

— Allons, allons, ma chère, vous êtes un peu folle ; vous voulez qu’on vous redise encore que vous êtes la merveille de notre « Sixième », que vous savez tout ce que moi j’ignore ; vous êtes épatante, vous citez les petits Pères et l’Almanach de Gotha, comme une élève des bonnes « maisons » !

A Sèvres, ils en seront baba ! et tu oses te plaindre, ingrate.

— Mais vous ne savez donc pas, que si au lieu d’un laïus sur l’Immortalité, sur nos Droits, on s’avise de me questionner sur la politesse, je suis collée !

— Faites comme moi, Victoire ; tout à l’heure j’avais le trac, je me suis remontée en pensant à l’ancêtre qui hurle, à la porte du lycée, notre devise d’aujourd’hui : De l’audace ! encore de l’audace ! toujours de l’audace !

Et d’un geste qui enroule ses magnifiques cheveux autour du cou, Madeleine ajoute avec candeur : J’en ai.

— A la bonne heure, fait Berthe qui salue jusqu’à terre.

Huit heures moins le quart sonnent à l’horloge ; quelques figures blêmissent dans les autres groupes, Racine, Molière, Sévigné.

On voit arriver très vite Mlle Frolière, le sympathique professeur de littérature, une blonde grassouillette, trente ans sonnés, la bouche gourmande, l’œil sensuel et câlin. Elle est la toquade de toutes ses élèves, qui s’arrachent des vieilles plumes, des vieux papiers, voire même des morceaux de pain qu’on se partage comme pain bénit. Tout Fénelon se précipite :

— Vite mes petites, que je vous redise une dernière fois votre Credo.

1o Littérature.

Si votre texte commence ainsi : On a dit… On répète souvent… d’après une critique célèbre, etc. Vous voyez la formule, c’est une question de cours ; ne vous y trompez pas, le sujet est donné par le Révérend professeur Taillis.

Il n’est sensible qu’au devoir banal et correct. Rappelez-vous que vous n’êtes rien, que c’est Merlet, Nisard, Sarcey qui vaudront la meilleure note à votre copie.

— Ouf ! jette Berthe Passy, gouailleuse, c’est pas un homme, m’sieu Taillis, c’est un carrefour !

— Taisez-vous, petite. — Tout autre sujet fleurant la poésie, le goût, l’esprit sera du pur d’Aveline. Soyez simples, mais élégantes. Donnez à votre copie un joli tour discret, évitez les fautes de goût. Mais n’espérez pas à ce prix conquérir votre homme ! C’est au-dessus de votre talent. Il vous suffira de trouver le mot — c’est là le hic. — Un mot juste, un mot heureux, placé sans prétention. — Il faut qu’il le découvre, ce petit mot de rien du tout, qui aura l’effet magique de la lampe d’Aladin.

— Oh ! mademoiselle, donnez-nous le mot de passe !

— Incorrigible, laissez-moi finir !

2o Grammaire historique.

Faites une copie d’un aimable pédantisme. Jouez-vous gravement de la Sémantique, de l’Étymologie, des Doublets, de la Morphologie ; Darmesteter, Brunot, Brachet, recommandez-vous de leurs gloses !

3o Philosophie.

Quelle que soit la question, ramenez tout à Jeanne d’Arc. Que la Pucelle d’Orléans soit la clef de voûte de votre argumentation : admirez hautement, le reste ira tout seul, car Jérôme Pâtre sera content.

4o Géographie.

Inutile, Mesdemoiselles, de vous répéter ce que Mlle Pierron vous a dit toute l’année. Plus de nomenclature, plus de détails, lâchons les vieux procédés, soyons tout à la « Méthode Criquet » ; manœuvrez le pluviomètre, la sonde ; mesurez les Océans ; évaluez, par des coupes, les hauteurs moyennes des montagnes ; articulez vos côtes ; généralisez, cherchez avec les fleuves, les voies de pénétration : car M. Criquet lui-même vous corrigera.

— Je résume mes quatre ficelles : Merlet, Le Mot, Jeanne d’Arc, Méthode Criquet. —

Maintenant, il ne tient plus qu’à vous d’être toutes reçues !

Et sur ces mots, Mlle Frolière, toujours charmante, va s’esquiver, mais les aspirantes se resserrent autour d’elle.

— Mademoiselle, mademoiselle, embrassez-nous !

Ce sont des embrassades folles, qui mettent en rumeur tout ce public aux écoutes : quelques élèves préférées se faufilent, pour être embrassées deux fois ; puis toutes :

— Mademoiselle, que fera-t-on après l’écrit ?

— Je vous lirai Phèdre !

— Ah ! ah ! et puis ?

— Et puis, si on est sage, je vous apprendrai le Curé de Pomponne.

— Bravo, bravo, crie tout le groupe, en reconduisant Mlle Frolière jusqu’à la rue, sans souci du dépit et de la mauvaise humeur qui se peignent sur les visages des autres aspirantes.

Une Molière interpellant une Racine :

— Quel aplomb ! ce n’est pas la peine, si on les reçoit à l’avance, de nous faire venir ici.

Plus loin, une mère rogue, à une autre mère plus rogue encore :

— A Fénelon, elles n’ont pas de pudeur ; comme elles étalent leur joie, les entendez-vous rire ! Ah ! ma pauvre Adèle, pourquoi donc que t’n’as pas eu ta bourse dans ce lycée-là ? Je ne me tournerais pas les sangs aujourd’hui. Pauv’ petite, croiriez-vous, Médème, que depuis Pâques, ça se lève avant les cloches ! tout ça pour entrer à c’t’école de Sèvres.

Que je donnerais donc des mille et des cents pour que ce soit fini.

Plus loin, très seules, deux jeunes filles attendent, ce sont deux élèves du Collège Sévigné ; l’une, Marguerite Triel est grande, svelte : des bandeaux blonds sur une figure de Madone ; des yeux ravissants, que l’émoi embrume, comme deux fleurs dans la lumière indécise de l’aube. Il y a en elle une distinction, une réserve qui surprend, au milieu de ces écolières manquant de tenue. Son amie, Charlotte Verneuil, est petite, gracieuse ; elle est de celles « dont la bienvenue rit dans tous les yeux ».

— Tu les vois, Charlotte, sont-elles assez tranquilles ! qu’est-ce qui croirait, à les voir, que pour nous toutes, cette porte cache quelque chose de redoutable ! Moi j’ai peur, je me sens triste jusqu’à la mort. — Si j’étais recalée ! C’est un concours, le hasard peut tout ; à Fénelon que de chances elles ont de réussir : les meilleurs professeurs de Paris, d’anciens succès, et la Foi !

— Sans compter les recommandations ! Vois-tu, ma chérie, il faut là aussi du piston ; et la réclame crois-tu qu’elle ne sert à rien ? Si Mlle Nollet est la fille d’un vieux républicain de 48, Jeanne Viole est parente d’un Inspecteur général ; et depuis six mois on répète partout, qu’Adrienne Chantilly est l’étoile du lycée Fénelon, et qu’elle entrera première à Sèvres !

— Et le reste que nous ne savons pas. Vilain chapitre celui-là.

— Tiens, compte, Marguerite, nous voilà près de deux cents, et dire que Bordeaux, Toulouse, Aix, Nancy, Caen, vont en envoyer d’autres. Comment veux-tu que j’aie la moindre espérance de réussir ; je n’ai pas le feu sacré moi, c’est par raison que je désire entrer à Sèvres ; tu sais que mon tuteur ne trouve pas Henri assez riche pour deux. Il veut que je puisse gagner ma vie au besoin ; sans cette nécessité-là, j’aimerais mieux bercer un marmot et regarder le père travailler, que de venir, ici, résoudre des équations.

— C’est bien là aussi ta destinée, ma Lolotte, je ne te vois pas pontifiant dans une chaire de professeur ; tu es faite pour devenir une adorable épouse. Comme tu le rendras heureux, ton sculpteur ! patience va, après l’agrégation, dans trois ans, tu trouveras le nid tout prêt !

Moi, je n’ai pas au cœur d’amour qui me réconforte. J’avais ce matin une telle angoisse que j’ai été mettre une rose sur le tombeau de sainte Geneviève. Voilà le seul « piston » que je puisse avoir, encore ne suis-je pas bien sûre que le fameux proverbe dise vrai : le Ciel est si loin à présent.

— Oui, Marguerite, tu seras reçue ; tu dois être reçue, parce que tu le mérites. Aucune de ces jeunes filles n’a travaillé plus que toi, et aucune d’elles n’a ton âme belle et pure. Ta prière à sainte Geneviève me rappelle ce pauvre innocent de chez nous, qui ramassait les roses à la procession, pour les offrir, agenouillé, à la femme la plus belle. Je ne sais pas ce qu’il espérait, mais la Dame du Paradis sait bien ce que demandait ta rose. Je t’assure qu’elle t’exaucera.

— Si tu disais vrai… Et Marguerite encore plus émue serra tendrement la main de son amie. — Je rêve d’une vie si chaste, si laborieuse ! Savoir, comprendre, aimer toutes les merveilles que je devine autour de moi… Être à Sèvres ! comme ce mot rayonne dans l’avenir ; toute petite, déjà j’aimais l’École ; il me semble à présent que je suis sur une barque, que les voiles se tendent, se gonflent. Enfin, elle va prendre le vent… — et murmurant pour elle-même, — voilà le soleil…

A l’horloge, huit heures sonnent ; vite les deux jeunes filles s’embrassent. Les portes s’ouvrent, un huissier commence l’appel. C’est une scène indescriptible ; les mères gémissent, les aspirantes s’affolent, quelques-unes défaillent. Les hommes agitent violemment leurs chapeaux.

Mesdemoiselles A, B, C, D, etc…

Présent, présent, présent… autant de mots, autant d’intonations différentes. Les aspirantes disparaissent une à une, s’engouffrent dans le vieil escalier de bois. On entend de moins en moins les mères, les sœurs, qui de la cour crient encore :

— Adèle, as-tu ta mélisse ?

— Jeanne, prends ton éther !

— Éva, n’oublie pas tes sandwichs !

— Reine, courage, ne te gêne pas, demande à la demoiselle le lavabo.

Déjà les aspirantes s’installent sur les gradins crasseux et vermoulus, ayant devant elles de petites tables noires.

L’amphithéâtre est immense, laid, nu, comme une salle de caserne. Un relent de vieux habits et de lointaines sueurs prend à la gorge.

Une dame au profil chevalin, Mlle Lonjarrey, fonctionnaire à l’école de Sèvres, distribue les feuilles, au milieu d’un silence religieux. Sur l’estrade, un petit homme sec, jeune encore, sanglé dans sa redingote, l’inventeur de la Méthode Criquet lui-même, agite une grande enveloppe ministérielle, l’ouvre, et d’une voix qui a des sonorités de cymbales, dicte :

Et la Grâce plus belle encore que la Beauté

Des yeux effarés s’interrogent. Marguerite Triel ferme les siens et pense. Madeleine Bertrand invoque Danton. Didi, hardiment, fixe l’aréopage, d’un air qui signifie : « Ah ! ah ! c’est du d’Aveline ! à moi le Mot. »

Et tout autour de celle qui sera reçue première, les jolis mots, mouches d’or, se mirent à danser.

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