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Les Sèvriennes

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CHAPITRE II

A SÈVRES, LE JOUR DU RÉSULTAT

La chaleur écrasante de juillet tombe sur l’école silencieuse. Rien ne bouge, seuls les coqs persistent à chanter midi. On dirait que les heures, pauvres oiseaux redoutés, se refusent à courir au-devant du crépuscule.

C’est le dernier jour de l’examen oral à Sèvres. Le résultat sera connu vers quatre heures.

L’École normale supérieure de l’enseignement secondaire des jeunes filles, fondée en 1880, occupe, dans la petite ville de Sèvres, les bâtiments quasi royaux de l’ancienne manufacture.

La bâtisse, coûteusement rapiécée, est d’une belle ordonnance ; de la rue, personne ne s’y trompe, et tout le monde la prend pour la Gendarmerie nationale.

Cent vingt fenêtres étirent leur ombre immobile, sur la blancheur d’un mur à quatre étages. La façade rigide, très Louis XIV, avec son correctif Liberté, Égalité, Fraternité, s’adosse au coteau. Le parc, au deuxième étage, réunit, comme un toit de verdure, les deux ailes trapues.

Point de jardin, mais une cour seigneuriale plantée de jeunes sycomores, toute sablée : plage fulgurante aux soleils de midi, champ de glace aux premiers rayons de lune.

Comme une terrasse de château-fort, elle a ses douves et ses ponts. Pour unique fleur, un jet d’eau ouvre son calice vers le ciel, éphémère épousée, qui retombe pâmée, d’avoir cueilli le pollen des étoiles.

La fraîcheur de l’eau ne monte pas vers ce parc, si étroit qu’on dirait une haie de verdure, bordant les chemins escarpés, qui lacent un mur à l’autre. Une voûte de feuillage file vers une ruine pittoresque, celle du pavillon Régnaud, mitraillé par les Prussiens, toute vénérable aujourd’hui, sous ses bouffettes blanches et ses traînées de lierre.

Une autre bicoque historique, le pavillon Lulli, avec ses petites vitres d’église et son toit moussu, garde, dans la solennité du lieu, un air vieillot de rendez-vous galant. L’entrée en est interdite aux Sèvriennes.

Les examens oraux, qui amènent chaque année à Sèvres une cinquante d’admissibles, se passent dans les classes.

Pendant trois jours, c’est un va-et-vient inusité, dans le grand couloir pavé de briques rouges, où tant de pas ont tracé leur sentier rose.

Tables, chaises, petite chaire avec son tapis vert, voilà tout le mobilier d’une classe : à peine y retrouve-t-on un léger parfum de femme. C’est là que les Sèvriennes préparent leur carrière de professeur, hypnotisées longtemps à l’avance par ce but poursuivi : être licenciées ! agrégées !

Dans ces classes nues, rien ne vient distraire leur regard, si ce n’est la grâce rythmique des mouches qui dansent, des hirondelles jetant sur le ciel bleu une trame noire, qu’elles brodent d’un coup d’aile, et rebrodent sans cesse.

Mais jour et nuit, dans la maison, le jet d’eau chuchote, chuchote ; une goutte redit à l’autre la joie de vivre et de n’être plus. Et quand vient le soir, son âme éparpillée, au seuil des portes closes, sanglote, sanglote, de ne pouvoir aimer.

....... .......... ...

Les Sèvriennes achèvent de déjeuner, on n’entend que bruits de fourchettes, d’assiettes ramassées. Dehors, les aspirantes sortent des restaurants voisins et rentrent à l’école, où leurs examinateurs fument une dernière cigarette, sous les arbres de la cour.

La plupart des admissibles viennent du lycée Fénelon. D’autres arrivent des lycées de Toulouse, Lyon, Alger, Montauban. Les Méridionales, avec leurs robes trop claires et la volubilité de leurs paroles, apportent une note gaie au milieu des préoccupations égoïstes ou féroces de l’examen.

Didi, Victoire Nollet, Madeleine Bertrand, Jeanne Viole, Berthe Passy, sont admissibles à l’oral. Marguerite Triel l’est aussi, mais son amie, Charlotte Verneuil, a « bafouillé » dans ses problèmes de physique ; elle est ajournée.

Berthe Passy, qui a déjeuné dans le parc, d’un morceau de pain et d’une tranche de saucisson, se promène en faisant tout haut ses petits calculs de probabilité.

— Allons, que je refasse ma liste : c’est certain, Adrienne Chantilly entrera première, elle a la cote d’amour ; qui sera seconde ?…

Jeanne Viole ou Victoire Nollet ?

Jeanne a bien lu son La Fontaine, elle a eu des réminiscences heureuses, elle a eu quelques gestes élégants, et d’Aveline n’a point paru insensible au charme de ses deux fossettes.

— Ouais ! mais Victoire a exposé la campagne d’Italie avec une science épatante : corps d’armées, généraux, position des troupes, effectifs, marches, contre-marches… elle savait tout. Et son laïus sur les Stoïciens ! Elle mérite 19 comme rien. Je lui donnerais donc le no 2, mais avec sa binette, elle aura le 3. Moi je garde le 4 ; la natte de Bertrand lui vaudra le 5 ; quant au reste, je m’en bats l’œil !

— Ah mais, et cette grande blonde de Sévigné, Triel, je crois, quel chic type ! où la logeront-ils ?

Le cas lui paraît embarrassant ; mais certaine de la solidarité qui unira, sur la liste, les noms de son lycée, Berthe tire la langue, en gamin qui ne cherche plus, et tout d’une traite, déjà chez elle, dégringole un sentier du parc.

Justement, M. Jérôme Pâtre, l’examinateur de philosophie, essayait, sur une petite table, une réussite. Surpris par la dégringolade de cette aspirante sans façon, il remet ses cartes dans sa poche, se lève, sourit avec bonhomie, et s’en va.

— Eh ! bien, en voilà une ! Jérôme qui se fait des réussites ! Est-ce que, par hasard, il jouerait au sort les refusées ! Les anciennes m’ont bien dit qu’il voudrait nous recevoir toutes, pour ne causer de chagrin à personne. Dieu que ces philosophes sont naïfs ! gageons qu’il planterait là le célibat, s’il pouvait aussi nous épouser toutes.

Cette idée, sans doute, lui semble prodigieuse, car elle tombe sur un banc et rit à se tordre : quelques aspirantes, qu’attire l’hilarité de Berthe, s’approchent ; déjà l’histoire de Jérôme a fait le tour du parc.

Très communicatives, les méridionales racontent leurs aventures à Paris. Thérésa dit que, de Tarbes à la gare d’Orléans, elle a voyagé avec les confrères de la rue d’Ulm ; on a parlé de Bersot et de Mme Jules Ferron, on a déjeuné ensemble, et l’on doit se revoir au quartier Latin.

Hortense, qui se grise des paroles de Thérésa, continue, sans arrêt, le récit des aventures ; du Monsieur qui les suit et à qui l’on donne un petit sou ; du calicot qui porte leurs paquets, du haut en bas du Louvre, et fatigué de l’inutile quiproquo, leur dit : « Mesdemoiselles, je ne suis pas de la maison. »

C’est un rire général, Hortense et Thérésa riant plus fort que les autres. L’une a un joli nez retroussé, une bouche ronde comme une cerise ; l’accent et le roulement d’r des Montalbanaises, ajoutent une senteur poivrée à tout ce qu’elle raconte. L’autre, vulgaire, très peuple, parle avec de grands gestes, une volubilité étourdissante.

Berthe Passy a vite lié connaissance, et comme on parle du « toupet » des étudiants au Luxembourg, elle leur montre Charlotte Verneuil, qui se promène avec Marguerite Triel.

— Ce matin, j’ai entendu un bien joli mot qu’a dit cette jeune fille, la plus petite des deux, celle qui a des yeux si tendres et si rieurs. Des étudiants la regardaient passer ; l’un d’eux la suit, j’entends qu’il lui vante ses propres mérites : bon garçon, travailleur, aime pas la noce, fume pas, vit chez lui, petite femme bien heureuse avec lui ; elle, sans le regarder, hausse les épaules : « Le prix Monthyon, quoi ! ». L’autre l’a laissée passer chapeau bas.

— Oh ! très joli, très spirituel, quel à propos !

— C’est une littéraire ? interroge Hortense.

— Non, une scientifique… et une recalée.

— Dommage.

— Avez-vous vu passer son amie, cette grande blonde qui a des yeux d’un bleu sombre de gentiane ?

— Oui, reprend Thérésa, elle est brillante et modeste ; pas de pose. M. d’Aveline, hier, en paraissait charmé. Elle a dû lui plaire, c’est tout à fait la Lorely de Henri Heine, avec son beau corps de statue et ses cheveux d’or.

— Moi, fait Hortense, en bonne méridionale qui accentue les muettes, j’adore-e Mlle Chantilly, quelle-e voix, quels yeux, et une bouche-e, et une grâce-e.

— Si vous en êtes amoureuse, foi de Passy Berthe, garde à vous, mademoiselle, il faudra vous battre avec tous vos professeurs !

Drelin, drelin, drelin, drelin, din, din, din, din !

La cloche sonne furieusement, aux abois. C’est la fin de la dernière récréation. Les classes se remplissent, le public s’assied derrière les tables, chaque aspirante, à son tour, se place à côté de la chaire, en face du professeur qui l’interroge.

Salle de Philosophie.

M. Jérôme Pâtre, debout sur l’estrade, gesticule, et laisse à Mlle Bertrand, trop émue, le temps de se remettre. Elle tousse, retousse, ne sachant pas un mot de son sujet : les Lois. La salle reste silencieuse, quelques vieilles dames écrivent, pour des journaux, les questions et les réponses. Près de la fenêtre, une dame à cheveux blancs, mal coiffée, petite, boulotte, les yeux vifs et les joues roses, suit l’examen de près ; c’est Mme Jules Ferron, directrice de l’École de Sèvres, veuve du grand orateur de la République. Elle laisse tomber un regard sévère sur Mlle Bertrand qui « joue de la natte ».

— Voyons, mademoiselle, fait M. Jérôme Pâtre, indulgent, ne vous troublez pas ainsi. Remettez-vous, je vous prie… Nous disions donc que le caractère d’une loi…

— Le caractère d’une loi, ânonne Madeleine, c’est d’être… elle tousse, tousse, suffoque.

Très ému, M. Jérôme Pâtre lui offre son verre d’eau : Madeleine en boit quelques gorgées et repousse le verre du côté de l’examinateur. M. Pâtre perdant contenance, s’assied et tresse la frange du tapis vert.

— Allons ma vieille, lance-toi, se dit l’aspirante, à bout de ressources…

Et continuant la phrase commencée :

— Le caractère d’une loi, c’est d’être absolue, universelle, catégorique. — Kant a défini le devoir l’impératif catégorique, par opposition à l’impératif hypothétique qui est…

Elle continue, récite son manuel, travesti par ses souvenirs, reprend son bel aplomb et s’arrête au bas de la dernière page.

— Merci, mademoiselle, fait M. Jérôme Pâtre ; il pousse un soupir, marque une note, sous l’œil de Mme Jules Ferron de plus en plus sévère, puis regardant l’auditoire amusé :

— Mademoiselle Triel est-elle ici ?

Marguerite se lève et vient s’asseoir en face de lui. Elle est habillée simplement : une robe de serge noire, égayée d’un collier de velours bleu, souligne discrètement sa distinction et sa beauté. M. Pâtre suit avec complaisance la grâce de ses mouvements, et près de la fenêtre, les yeux sévères s’adoucissent :

— Voyons, mademoiselle, dites-nous ce que c’est que la Politesse.

L’aspirante se recueille, groupe ses idées, et dans un ordre simple, définit ce qu’on appelle généralement la politesse ; distingue la vraie politesse de la fausse, indique les dangers de la flatterie, et de la franchise brutale ; s’appuie d’exemples pris dans la littérature et dans l’histoire. Comme elle paraît regretter la politesse d’autrefois, M. Jérôme Pâtre s’emballe, et citant Saint-Simon, lui rappelle ce que cache le masque hypocrite de cette politesse parfaite.

Sans se troubler, Marguerite Triel discute, reconnaît la bassesse des courtisans, mais s’appuie sur l’étude de mœurs de la Princesse de Clèves, pour montrer que dans la vie mondaine, on ne retrouve plus le respect, témoigné sous une forme aussi délicate, aussi courtoise qu’autrefois.

L’examinateur prend plaisir à la discussion. Tous deux s’animent, le public lui-même est pris. Marguerite remporte un véritable succès, et Charlotte l’entraînant, lui crie :

— Tu as 19 ! je l’ai vu marquer ta note, ce qu’il avait l’air content !

Salle de littérature.

La classe est trop petite pour contenir le public qui voudrait assister aux interrogations du jeune maître d’Aveline, un beau nom déjà dans l’Université. Très sympathique aux femmes, par son charme personnel, l’enchantement de sa voix, la finesse et le mordant de son esprit, il les captive tout à fait, par la légende poétique qu’un deuil d’amour attache à sa vie intime.

Trop intelligent pour colporter lui-même ses meilleurs mots, il laisse ce soin à d’autres ; timide, dès qu’une femme le trouble, il devient brutal pour celle qui veut l’intimider. D’Aveline est l’idole ou la bête noire des Sèvriennes.

L’examen est sur le point de finir, il ne reste plus que deux aspirantes à interroger, et le jeune maître, un peu las, semble s’isoler de cette galerie aux écoutes, en cachant son visage pâli, derrière ses mains, d’ailleurs parfaites.

A l’appel de son nom, Madeleine Bertrand, qui n’a pas conscience du four énorme qu’elle vient de faire en philosophie, s’apprête à jouer du paradoxe, pour séduire la curiosité de d’Aveline.

Elle s’assied à la petite table, lisse le tapis vert d’un geste élégant, tandis que le professeur, les mains toujours en œillères, dans une pose coquette de méditateur, s’efforce de trouver le rouage de cette machine à examen.

— Voudriez-vous, mademoiselle, me lire cette scène du Misanthrope, et me dire ce que vous en pensez.

Madeleine lit la grande scène entre Alceste et Célimène, commente, insiste sur le stoïcisme du héros, sur la grandeur de son amitié ; elle exalte sa vertu, lui prête une générosité imaginaire, condamnant cette futile Célimène, ce léger Philinte, dont le commerce trop facile la choque ; cite Euripide, Shakespeare, Fabre d’Églantine, se trompe, ne s’en aperçoit pas, poursuit encore ; il faut bien payer d’audace ! On s’attend presque à l’entendre s’écrier, comme Doña Sol : O mon lion superbe et généreux !

D’Aveline la laisse s’enferrer : visiblement, il prépare un bon mot, qui sera le mot de la fin ; ses lèvres tremblent et d’une voix railleuse :

— Connaissez-vous, mademoiselle, quelque chose de plus ridicule, qu’un cheval de fiacre qui s’emballe ? — Je vous remercie.

Des rires approbateurs fusent dans ce public de jeunes femmes ; vite on crayonne cette boutade ; seule, Madeleine ne comprend pas, et sort absolument certaine d’être reçue à l’examen.

Un instant de repos suit : d’Aveline encore une fois s’isole. Ces dames chuchotent, quel esprit ! quelle voix ! une musique à vous ensorceler ; regardez donc la blancheur de cette main, et les ongles ma chère ! Ne trouvez-vous pas, que cette barbe mousseuse a quelque chose de sculptural ? Oui, mais ces paupières retombantes, c’est bien laid ! il a beaucoup de talent, mais trop peu de cheveux.

— Oui, lance effrontément Berthe Passy à ses voisines en extase, il n’en a plus qu’un, mais il est solide, c’est le dernier des Mohicans.

« Chut, chut » voilà Mlle Lonjarrey qui amène Mlle Chantilly. Didi est très en beauté dans sa robe collante de drap bleu, un chapeau piqué de bluets, juste assez de poudre d’or pour relever l’éclat de ses cheveux frisés ; les lèvres sont imperceptiblement peintes, et les yeux, à travers les longs cils noirs, luisent comme de jeunes pousses d’avril. Beauté de juive qui a déjà le parfum violent, peut-être ignoré, de la courtisane.

D’Aveline, gracieux, la prie de s’asseoir, satisfait, après un rapide examen, de la tenue de l’aspirante.

— Sur quoi désirez-vous que je vous interroge, mademoiselle ?

Didi hésite, semble confuse d’une telle prévenance, puis relevant doucement les ailes épeurées de ses longues paupières :

— Sur La Bruyère, monsieur.

— Soit ; tenez, lisez-moi ce portrait de Catherine Turgot.

Didi lit le fragment d’une voix grave et souple, bien timbrée, avec quelques sonorités musicales, qui par moment troublent le professeur et l’auditoire, comme certaines notes des violons hongrois.

— Mes compliments, mademoiselle, vous avez lu ce portrait avec une science parfaite, j’aurai ici peu de chose à vous apprendre.

Les paupières de Didi battent et se relèvent, les yeux se posent, étrangement doux, sur d’Aveline, qui précipitamment baisse les siens.

— Et maintenant, j’écoute votre commentaire, mademoiselle.

En bonne élève, Adrienne Chantilly commente le texte ; sa parole est élégante, le mot souvent juste. En pleine possession d’elle-même, l’aspirante, d’un regard presque voluptueux, fascine le pauvre d’Aveline, dont la face, subitement, devient très rouge.

— Et que pensez-vous de l’existence d’Homère, mise en doute de nos jours ?

— Si Homère n’existait pas… il faudrait l’inventer !

— Ah ! très bien, très bien, mademoiselle, je vous remercie !

Et d’Aveline, à côté du nom d’une si charmante fille, marque un 18 3/4.

Adrienne se retire au milieu des murmures flatteurs. Elle sera reçue première ; quelle beauté originale, quel talent : bien supérieure à la moyenne des Sèvriennes. L’a-t-elle assez enjôlé !

D’Aveline sort à son tour, mais pas assez vite, pour ne pas entendre Didi répondre à Berthe Passy :

— Je n’ai que 18 !

— Eh ! plains-toi donc la belle, sais-tu qu’il donne 20 à Dieu et 19 à lui-même !

....... .......... ...

Quatre heures sonnent enfin !

Depuis une heure, l’examen est fini : les aspirantes, fiévreuses, errent dans le parc, dans les couloirs ; quelques-unes, à l’infirmerie, boivent de la fleur d’oranger. Les cœurs se serrent, on ne respire plus.

Le sort de ces jeunes filles est décidé ; encore un moment, il sera connu. La minute est longue d’un siècle, le silence glace les visages. Les étrangers se tiennent à distance, très émus par l’angoisse des aspirantes, qui semblent attendre là une parole de vie ou de mort. Refusées, tout leur semble perdu ; reçues, que d’efforts, de fatigues, oubliés dans la joie d’entrer au Paradis.

Que cette attente est longue !

Marguerite Triel est figée près de Charlotte, qui fait encore bonne contenance ; Berthe Passy rit nerveusement ; Jeanne Viole est morne ; le masque de Victoire est d’une laideur tragique. Les deux Montalbanaises pleurent ; Didi subit le malaise du doute : si une autre qu’elle était première. Trente autres tressaillent de la même anxiété. Enfin un coup de sonnette, bref, avertit les futures Sèvriennes que leur sort va être connu ! Une porte s’ouvre, un feuillet blanc voltige, dix-huit noms sont affichés là : c’est une poussée furieuse, un recul d’effroi.

— J’y suis ! J’y suis, je n’y suis pas ! Un grand cri de désespoir, et Madeleine Bertrand s’évanouit.

Dans ce couloir aux briques rouges, où l’usure de tant de pieds a tracé un sentier rose, c’est une scène indescriptible de joie, de colère, de douleur ; la mère d’Adèle insulte le jury, crie à l’injustice ; de pauvres petites ont des crises nerveuses, d’autres, prostrées, s’en vont, sans savoir où ?

Mais Didi exulte, son nom tient l’affiche. Marguerite, seconde, est folle de joie ; Berthe Passy est cinquième, après Jeanne Viole, un peu dépitée, et Victoire humiliée d’être quatrième. Les heureuses s’embrassent, se serrent les mains, plus gênées qu’apitoyées par la douleur des autres, et quelques Sèvriennes, gentiment, viennent consoler les recalées.

— Allons, allons, du calme, « mes p’tits » fait la dame au profil chevalin, Mlle Lonjarrey, surveillante à l’école, ce n’est pas tout d’entrer à Sèvres… il faudra en sortir !

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