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Les Sèvriennes

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CHAPITRE VII

JOURNAL DE MARGUERITE TRIEL

28 décembre 189 .

Je laisse à Berthe le soin de répondre à Renée Diolat, je veux seulement, qu’un mot de moi, lui dise l’ardent désir que j’ai de la voir femme heureuse. Elle est amoureuse de Marnille, c’est certain ; mais lui, est-il homme à épouser cette très jolie fille sans le sou ?

Quel dommage si l’amour a tort.

29 décembre.

La comédie se corse : Jeanne Viole ne parle rien moins que de se suicider ; c’est un moyen comme un autre d’aller chercher la vérité à la source.

L’autre soir, elle est tombée en pleurs aux genoux de la vieille Lonjarrey, qui lui a difficilement arraché son secret !! courir, à la nuit tombante, à cette terrasse du parc qui domine la route, se jeter par dessus la balustrade, et mourir là, au seuil de son école.

Elle s’entend au mélodrame ; quel coup de théâtre, quel « rataplan de convoi », comme dit Berthe.

Ce qu’elle y gagne (il faut tout ramener à cela avec Jeanne Viole), c’est que Bléraud ne la quitte plus, que Mlle Lonjarrey et les autres surveillantes multiplient les tournées, redoutant le scandale d’une alerte. Pour lui rendre le goût de la vie, ici on est prêt à tout.

Pas bête la petite !

30 décembre.

Adrienne Chantilly vient de jouer un beau tour à Jeanne Viole, qu’elle ne peut souffrir. Lasse de l’entendre citer, à propos de tout, les paroles du beau moraliste Paul Réjardin, elle s’est fait présenter à lui, et sait pertinemment que Jeanne Viole ment quand elle dit être « sa petite amie ».

Il faut voir la belle Didi se panader à son tour, quand elle parle de l’Homme exquis, de l’âme délicate, qui opère tant de sauvetages féminins, à son cours du jeudi. Serait-il flirt ?

Charlotte et moi nous initions Henri à ces petites comédies de harem ; mais c’est curieux, il ne rit pas de ces calculs (fourberies ou coquetteries) qui nous amusent. Il a une telle idée de la droiture et de l’honneur, qu’il n’admet pas qu’on puisse badiner, encore moins tromper. Ces jeunes filles lui sont odieuses, il excuserait presque le vice d’Angèle Bléraud, abominable, mais sincère.

Henri a raison : porter fièrement son âme dans ses yeux, et marcher droit dans la vie ; j’aime l’intransigeance morale de mon ami.

1er janvier soir, 189 .

J’ai dû envoyer ce matin, selon l’usage, à Mme Jules Ferron, un télégramme pour lui offrir mes vœux. J’ai passé la journée d’hier et d’aujourd’hui à Paris, avec Charlotte ; la politesse exige — paraît-il — d’écrire ou de télégraphier les souhaits qu’on n’a pu présenter soi-même.

Les Sèvriennes qui restent à l’École, vont en soirée chez elle, on boit le champagne, « tisane » relevée par quelques épigrammes. Il est entendu que ce soir-là, ce soir-là seulement, Mme Jules Ferron dira aux élèves présentes, ce qu’elle pense de leur caractère, de leurs défauts surtout !…

Gentille cette chute de l’année, sur un mea culpa, quelque peu humiliant.

Hortense en est revenue mortifiée. Mais Victoire Nollet exulte, et ne songe pas au chagrin qu’a pu avoir la mère, sa vraie mère, finissant seule une année si douloureuse pour elle.

Henri disait tout à l’heure, qu’une parole d’honnête homme, quand elle est donnée, est donnée pour l’éternité. Il n’admet pas les cas de conscience, si habilement résolus par la morale courante.

Quand il parle ainsi, ses beaux yeux ont une profondeur… Charlotte peut être fière d’être aimée de lui ; l’amour de cet homme, c’est l’infini.

Année nouvelle, si heureusement ouverte avec eux, sois-moi propice ; fais que je passe honorablement ma licence ; garde-moi des heures de doux silence et de rêve.

Année nouvelle, sois-leur propice ; fais qu’ils te bénissent, pour les beaux jours que tu réserves à leurs fiançailles.

Année nouvelle, devine-moi… exauce-moi.

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