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Les Sèvriennes

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CHAPITRE XXXIV

LE DON

Lettre de Marguerite Triel à Henri Dolfière.

« Sèvres, 14 août 189 , 10 heures soir.

» Dans quelques heures, j’aurai quitté l’École. Je suis libre, Henri, je suis reçue et je démissionne. Je veux que mon travail reste libre, afin de disposer de ma vie selon mon cœur.

» Je vous aime, Henri. Je vous aime depuis longtemps ; depuis toujours, je crois. Ce sont vos larmes, un soir, qui m’ont donnée à vous. J’attendais, j’implorais votre aveu. Rien ne me faisait pressentir que ce jour si éperdument désiré, serait pour nous encore un jour de douleur.

» J’ai fui vos bras. J’ai cru devenir folle. Vous m’aimez ! Le souvenir de vos paroles me brûle et m’écrase. J’ai maudit la vie. J’ai voulu vous arracher de moi, vous haïr. Je vous adore.

» Cette révolte est passée.

» A quoi bon vous torturer de mes prières, laisser en vous peut-être, si vous m’exauciez, un regret qui serait un blasphème.

» Nous sommes deux malheureux ; pourtant notre destin ne dépend plus que de nous-mêmes.

» Mieux vaut mourir tout de suite, que de vivre sans amour.

» Mon bien-aimé, je n’aimerai que toi, j’ai besoin du nid, des ailes protectrices et caressantes, tout mon être va vers le tien. Tu es en moi, je suis en toi, je ne veux que toi. Comme je voudrais te dire là tout près, ma bouche sur tes lèvres, mon amour pour toi.

» C’est très grand, va. Je t’aime avec tout ce qu’il y a de meilleur, de généreux en moi !

» Je veux, mon bien-aimé, que tu sois heureux, que tu me doives l’oubli de ta peine ; qu’en moi, tu puises la force sacrée qui aidera ton génie. J’ai foi en ton avenir, je le vois si glorieux.

» Je ne serai point ta femme devant les hommes ; je ne prendrai pas à ton foyer la place vide. Je veux être ta femme devant Dieu, devant ta conscience ; je serai à tes côtés, la compagne effacée, mais loyale et fidèle, de toute ton existence.

» Je suis fière de ton amour, il m’aidera à oublier ce que je t’abandonne ; s’il faut souffrir, le bonheur d’être à toi m’en donne le courage.

» Je n’ai plus ni mon père, ni ma mère. Dès demain je puis vivre et travailler avec toi.

» Henri, Henri, de toute mon âme, je me donne à toi. Viens, viens, nous serons les Éphémères que bénit le Tout-Puissant, car ton œuvre restera le magnifique et pur symbole de notre baiser.

» Viens, je t’attends.

» Tienne, par tout le désir de mon cœur et de ma chair.

» Marguerite. »

FIN DES SÈVRIENNES

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