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Perte et gain : $b histoire d'un converti

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CHAPITRE VIII.
Les temps nouveaux. — Le bon vieux temps.

Laissons Sheffield et Charles aller leur chemin, et suivons White et Willis. C’était un jour de fête, et ils n’avaient pas eu de cours ; ils se promenaient bras dessus bras dessous dans Broad street, avec beaucoup d’intimité. Willis sortit de son mutisme : « Je ne puis, dit-il, supporter ce Freeborn ; il est si fat ! et je l’aime d’autant moins que je suis obligé de le voir. — Vous l’avez connu ailleurs, je suppose ? reprit White. — Grâce à cette connaissance, il m’a mené quelquefois prendre le thé dans ses réunions spirituelles, et il m’a présenté au vieux M. Grimes, bon fogie[39], au cœur excellent, mais un évangélique terrible, moins méchant toutefois que sa femme. Grimes est proprement le créateur des Pieux Buveurs de thé, et Freeborn en fait son modèle. Ils réunissent autant de personnes qu’ils peuvent, une vingtaine peut-être, étudiants de première année, bacheliers et maîtres, qui s’asseyent en cercle, la tasse et la soucoupe en main, et l’agenouilloir aux pieds. Un ennuyeux personnage de Capel Hall[40] ou de Saint-Marc, qui parle à peine anglais, sous prétexte de faire une question théologique à M. Grimes, pérore sur le péché originel, sur la justification, sur l’assurance du salut, et monopolise la conversation. Cependant le cabaret est enlevé, et une lecture de la Bible le remplace. Le vieux Grimes commente ; pour un laïque, ce qu’il dit est excellent sans doute. C’est une bonne vieille âme ; mais nul dans le salon ne peut y résister. Madame Grimes elle-même s’endort sur son tricot, et quelques-uns des bien-aimés frères ronflent très-distinctement. Le commentateur, toutefois, n’entend rien que lui-même. Enfin il s’arrête ; ses auditeurs se réveillent, et l’on use des agenouilloirs. Après quoi l’on se retire ; et M. Grimes et l’homme de Saint-Marc appellent cela une soirée profitable. Je ne puis comprendre qu’on assiste deux fois à pareille réunion. Il en est pourtant qui n’y manquent jamais. — Ils y vont sur la foi, dit White ; sur la foi en M. Grimes. — La foi dans le vieux Grimes ! répliqua Willis, un vieux lieutenant à demi-solde ! — Voici une église ouverte, reprit White, c’est étonnant ; entrons-y. »

[39] Dans l’argot des étudiants d’Oxford, ce mot désigne un caractère complexe : le fogie est un homme ennemi des nouveautés, aimant le comfortable, et prêtant en outre au ridicule.

[40] Voy. la note D.

Ils entrèrent. Une vieille femme nettoyait les bancs, comme si le service allait avoir lieu. « Tout sera mis en ordre, dit Willis. Nous n’aurons pas de femmes, mais des sacristains et des servants. — Puis, tous ces bancs s’en iront où ils voudront. Avez-vous jamais vu une église plus belle pour le service ? — Où voudriez-vous placer la sacristie ? demanda Willis ; ce cabinet doit servir de vestiaire, mais il ne sera jamais assez grand. — Tout dépend du nombre d’autels que l’église peut admettre. Chaque autel doit avoir sa table et son armoire dans la sacristie. — Un d’abord, dit Willis se mettant à compter, là où se trouve la chaire ; ce sera le maître-autel ; un second, derrière, pour Notre-Dame ; deux ensuite : un de chaque côté du sanctuaire. En somme, déjà quatre. A qui les dédierez-vous ? — L’église n’est pas assez large pour ces deux derniers, objecta White. — Oh ! elle l’est suffisamment ; j’ai vu, à l’étranger, des autels avec une seule marche, et ils n’exigeaient pas beaucoup d’espace. Je pense aussi que cette muraille admettrait une arche. Voyez la profondeur de la fenêtre ; on pourrait gagner du terrain. — Non, répliqua White ; le sanctuaire est trop étroit. » Et il se mit à mesurer le pavé avec son mouchoir. « Quelle est, à votre avis, la largeur d’un autel en dehors du mur ? » ajouta-t-il.

En levant les yeux, il aperçut dans l’église des dames de leurs connaissances, les jolies misses Bolton, demoiselles très-catholiques, vraiment bonnes et charitables, en outre. Nous ne pouvons pas ajouter qu’à cette époque elles fussent beaucoup plus prudentes que les deux jeunes gens qu’elles rencontraient en ce moment ; et si quelque belle lectrice prend notre rapport sur leur compte pour une appréciation générale des dames favorables au catholicisme, nous demandons de dire ouvertement que nous ne les proposons, d’aucune manière, comme des types d’une classe. Dans de telles personnes on devait retrouver, comme nous le savons bien, de l’amabilité et des cœurs très-tendres ; mais nous ne saurions, sans manquer à la vérité historique, parer les misses Bolton de cette prudence ni de ce bon sens qui brillaient chez tant d’autres dames de leur part. Toutefois, elles n’avaient pas une forte tête, ces deux sœurs avaient les mains toujours ouvertes, et leur but, en entrant dans l’église (qui n’était pas celle de leur paroisse), était de voir la vieille femme, l’objet et l’instrument, à la fois, de leur bienfaisance. Elles avaient à lui dire un mot sur ses petits enfants, auxquels elles portaient de l’intérêt. Comme on peut le supposer, elles n’en savaient pas long sur les matières ecclésiastiques : elles en savaient encore moins sur leur propre compte. Ce dernier défaut, White ne pouvait le corriger, quoi qu’il eût fait et quoi qu’il fît ; le mieux, pour lui, c’était de remédier au premier, et il y travaillait un peu à chaque rencontre.

Les deux sociétés quittèrent l’église en même temps, et nos gentlemen reconduisirent ces dames chez elles. « Nous nous figurions, miss Bolton, dit White se tenant à une distance respectueuse ; nous nous figurions l’église Saint-Jacques déjà catholique, et nous tachions d’arranger les choses comme elles devraient l’être. — Quelle était votre première réforme ? demanda miss Bolton. — Je crains qu’elle ne fût très-dure pour votre protégée, la vieille femme qui nettoie les bancs. — Sans doute, parce qu’il n’y aurait plus de bancs à nettoyer ? — Ce ne serait pas seulement à cause de son office, mais de sa personne, ou plutôt de son sexe, qu’elle devrait quitter l’église. — Impossible ! les femmes devront donc rester protestantes ? — Oh ! non, la bonne vieille femme reparaîtra, mais sous un autre caractère, ce sera une veuve. — Et qui remplira son emploi actuel ? — Un sacristain : un sacristain en cotta[41]. Aimez-vous la cotta longue ou la courte ? continua White en se tournant vers la plus jeune demoiselle. — Moi ? répondit miss Charlotte ; je l’oublie toujours ; mais je crois que vous nous avez dit que celle de Rome était la courte ; je suis pour celle-là. — Vous savez, Charlotte, reprit la sœur aînée, qu’à cette heure il se poursuit en Angleterre une grande réforme dans les vêtements ecclésiastiques. — Je déteste toutes les réformes, répliqua Charlotte, depuis celle de Luther jusqu’à celles d’aujourd’hui. Au reste, nous avons déjà avancé un peu notre chape ; vous l’avez vue, monsieur White ? c’est un si joli modèle ! — Avez-vous déterminé ce que vous en ferez ? demanda Willis. — Nous avons du temps pour y penser, répondit la plus jeune sœur ; elle nous prendra quatre années pour la finir. — Quatre années ! s’écria White ; d’ici là nous serons tous de vrais catholiques, l’Angleterre sera convertie. — Elle sera faite à temps pour l’évêque, dit Charlotte. — Oh ce n’est pas assez bon pour lui, reprit miss Bolton ; mais cela peut servir dans l’église pour l’Asperges me. Que les choses seront changées ! continua-t-elle ; cependant l’idée d’un cardinal à Oxford ne me sourit guère. Faut-il que nous soyons Romains jusque là ? Je ne vois pas ce qui nous empêcherait d’être de vrais catholiques sans le Pape. — Il n’est pas nécessaire de s’effrayer, répondit White avec sagesse ; les choses ne vont pas si rapidement. Les cardinaux ne sont pas à si bon marché. — Les cardinaux ont une tenue si splendide, et tant d’apparat ! dit miss Bolton ; j’ai ouï dire qu’ils ne marchent jamais sans avoir deux domestiques derrière eux, et qu’ils quittent toujours le salon avant que la danse commence. — Eh bien, je crois qu’Oxford est précisément fait pour des cardinaux, dit miss Charlotte ; peut-il y avoir quelque chose de plus triste que les soirées du Président ? Je m’imagine voir le docteur Bone cardinal, quand il se promène au parc. — C’est là le génie de l’Église Catholique, reprit White ; vous comprendrez mieux cela en son temps. Nul n’est son propre maître. Le Pape lui-même ne peut faire ce qu’il veut ; il dîne tout seul, et, s’il parle, c’est d’après ses prédécesseurs. — Naturellement, dit Charlotte, car il est infaillible. — Bien plus, s’il commet des fautes dans l’exercice de ses fonctions, continua White, il est obligé de les coucher par écrit et de s’en confesser, de peur qu’elles ne servent de précédents. — Et il est obligé, pendant les solennités, d’obéir au maître des cérémonies, contre son propre jugement, ajouta Willis. — Ne disiez-vous pas que le Pape se confesse, monsieur White ? demanda miss Bolton ; cela m’a toujours intriguée de savoir si le Pape est soumis à la confession comme un autre homme. — Oh ! certainement, répondit White, il n’y a d’exception pour personne. — Eh bien, dit Charlotte, je ne puis me représenter au pied d’un confessionnal M. Hurst de Saint-Pierre, qui vient nous chanter des romances, ni aucun des chefs si graves de nos établissements, eux qui saluent avec tant de hauteur. — Ils auront tous à se confesser, reprit White. — Tous ? demanda miss Bolton ; mais non pas les convertis ? Je croyais que c’était seulement les anciens catholiques. » Il y eut un moment de silence.

[41] Mot italien pour désigner le surplis.

« Que deviendront les chefs de nos établissements ? demanda miss Charlotte. — Des abbés ou des supérieurs, répondit White. Ils porteront des crosses ; et quand ils diront la messe, il y aura, par surcroît, un cierge allumé. — Quel majestueux et excellent abbé va faire le Vice-Chancelier ! s’écria miss Bolton. — Oh ! non ; il est trop petit pour un abbé, reprit sa sœur. Mais vous avez oublié le Chancelier lui-même ; vous avez pourvu tous les autres, ce me semble : qu’allez-vous faire de lui ? — Le Chancelier est tout mon embarras, répondit White avec gravité. — Faites-en un chevalier du Temple, dit Willis. — Le duc[42] est un personnage gênant, reprit White, toujours sérieusement ; je ne sais ce qu’il deviendra. Un chevalier du Temple… oui ; Malte est aujourd’hui une possession anglaise ; il pourrait ressusciter l’ordre. » Les deux demoiselles se mirent à rire. « Mais vous n’avez pas complété votre plan, monsieur White, dit miss Bolton. Les chefs des établissements sont des femmes : comment peuvent-ils se faire moines ? — Oh ! leurs femmes iront au couvent, dit White ; Willis et moi, nous avons déjà fait des recherches dans High street, et les résultats sont on ne peut plus satisfaisants. Certaines maisons de cette rue étaient autrefois des établissements de l’Université, et il sera facile de les convertir en couvents. La seule chose qui manquera, c’est de mettre des grilles aux fenêtres. — Avez-vous déjà une idée de l’ordre auquel elles s’uniront ? demanda miss Charlotte. — Cela dépend d’elles-mêmes, répondit White ; aucune contrainte ne leur sera faite. A elles de faire leur choix. Mais il sera utile d’avoir deux couvents : l’un d’un ordre actif, et l’autre contemplatif ; les Ursulines, par exemple, et les Carmélites de la réforme de sainte Thérèse. »

[42] le duc de Wellington qui, à cette époque, était chancelier de l’université d’Oxford.

Jusqu’alors la conversation s’était tenue sur la limite de la plaisanterie et du sérieux ; à ce moment, elle prit un ton plus réfléchi et plus doux : « Les nonnes de sainte Thérèse ont une règle très-rigide, ce me semble, monsieur White ? dit miss Bolton. — Oui, répondit celui-ci, j’aurais des craintes pour mesdames les Présidentes et mesdames les Principales qui feraient ce sacrifice. — Peut-être de plus jeunes personnes, dit-elle timidement, pourraient mener l’affaire avec plus d’assurance. » On était arrivé à la maison, et White agita poliment la sonnette. « Des personnes plus jeunes, reprit-il, sont trop délicates pour un tel sacrifice. » Miss Bolton se tut. « Et que deviendrez-vous, monsieur White ? dit-elle ensuite. — Je n’en sais rien. J’ai songé aux Cisterciens : ils ne parlent jamais. — Oh ! les chers Cisterciens ! s’écria-t-elle : Saint Bernard n’en était-il pas un ? le délicieux homme, le céleste, et si jeune ! J’ai vu son portrait : quels yeux ! » White était un gentleman de bonne mine. La nonne et le moine échangèrent un coup d’œil très-respectueux, et se saluèrent ; l’autre couple exécuta la même cérémonie ; puis le salut se donna en diagonale. Les deux demoiselles étant rentrées chez elles, nos jeunes gens se retirèrent.

Suivons les misses Bolton à l’étage supérieur. En entrant dans le salon, elles trouvèrent leur mère assise près de la fenêtre, en chapeau et en châle ; elle feuilletait un livre de cet air vague qui annonce qu’une personne est occupée, si toutefois cette expression est permise, à attendre plutôt qu’à faire toute autre chose. « Mes chères enfants, dit-elle à leur apparition, où avez-vous été ? Les cloches ont cessé depuis un bon quart d’heure ; je crains qu’il ne vous faille renoncer à l’église ce matin. — Impossible, chère maman, répondit la sœur aînée ; nous sommes sorties à neuf heures et demie précises ; nous n’avons pas dépensé deux minutes chez le mercier, et nous voici de retour. — La seule chose que nous ayons faite, en outre, ajouta Charlotte, a été de jeter un regard dans Saint-Jacques, dont la porte était ouverte, pour dire un mot ou deux à la pauvre vieille Wiggins. M. White était là, ainsi que M. Willis ; et ces messieurs nous ont ramenées. — Oh ! je comprends, reprit madame Bolton ; c’est l’habitude, lorsque des jeunes gens et des demoiselles se rencontrent. Mais, dans tous les cas, il est trop tard pour aller à l’église. — Non, dit Charlotte, partons immédiatement ; nous arriverons pour la première leçon. — Ma chère enfant, comment pouvez-vous me proposer une pareille chose ? je ne voudrais pas le faire pour tout au monde ; c’est si honteux ! Mieux vaut ne pas y aller du tout. — Oh ! très-chère maman, repartit la sœur aînée, cela est très-certainement un préjugé. Pourquoi aller à l’église toujours au même moment ? C’est une règle si gênante que de s’y rendre tous à la fois et de s’attendre les uns les autres ! Évidemment, il est plus raisonnable d’y aller quand on le peut : tant de choses peuvent vous retarder ! — Eh bien, ma chère Louisa, reprit la mère, j’aime la vieille méthode. On nous disait toujours : Soyez à vos places avant les paroles « Lorsque le méchant », et au plus tard avant celles-ci : « Bien-aimés frères ». Voilà la bonne vieille méthode. M. Jones et M. Pearson avaient d’ailleurs l’habitude de s’asseoir, au moins cinq minutes, dans la chaire pour nous donner le temps d’arriver ; et puis, avant de commencer, ils jetaient un regard autour d’eux. M. Jones avait même la coutume de prêcher contre les retardataires. Je ne puis discuter, mais il me paraît raisonnable que les bons chrétiens entendent l’office en entier. Sans cela, ils pourraient aussi bien déserter l’église avant qu’il soit fini. — Mais, maman, dit Charlotte, c’est l’usage des pays étrangers : on va à l’église et l’on en sort à volonté. C’est si bien selon la dévotion ! — Ma chère fille, reprit madame Bolton, je suis trop vieille pour comprendre tout cela ; c’est au-dessus de mon esprit. Je suppose que M. White vous a débité cette doctrine, C’est un excellent jeune homme, fort aimable et très-poli ; je n’ai rien à dire contre sa personne, sinon qu’il est jeune, et qu’en vieillissant il modifiera ses idées. — Tandis que nous parlons, le temps marche, dit Louisa ; il est absolument impossible maintenant d’aller à l’église. — Ma chère Louisa, je ne voudrais pas remonter le bas-côté pour tout au monde ; positivement, je m’enfoncerais sous terre ; quel mauvais exemple ! Comment avez-vous pu y penser ? — Dès lors, je crois qu’il n’y a rien à faire, reprit Louisa en ôtant son chapeau ; mais, en vérité, c’est bien triste de rendre le culte si froid et si gênant. L’assistance serait double, si l’on pouvait y aller tard. — Eh bien, ma chère, toutes choses sont changées à présent : dans ma jeunesse, les catholiques étaient les gens à règles strictes, et nous, nous étions les personnes de dévotion ; aujourd’hui, c’est l’inverse. — Mais n’est-il pas vrai, chère maman ? dit Charlotte ; ce concours continuel, ce flux et ce reflux, ce changement, et pourtant cette affluence, n’est-ce pas quelque chose de plus beau que cette manière de prier aussi sèche que le pupitre ? Il y a tant de liberté et de naturel ! — Liberté et aisance, je crois, repartit la mère ; fi donc, Charlotte ! comment pouvez-vous parler contre le magnifique service de l’église ! Vous m’affligez. — Je ne blâme pas, maman ; je critique seulement cette coutume puritaine qui ne fait pas plus partie de notre église que les bancs eux-mêmes. — La prière commune est offerte pour ceux qui peuvent venir, ajouta Louisa ; aller à l’église serait dès lors un privilége et non un simple devoir. — Eh bien, ma chère enfant, de pareils principes je ne saurais les comprendre. Il y avait un jeune homme du nom de Georges Ashton qui sortait toujours de l’église avant le discours ; et lorsqu’on le reprenait là-dessus, il répondait qu’il ne pouvait supporter un prédicateur hérétique. Un enfant de dix-huit ans ! — Mais, maman, que doit-on faire lorsque le prédicateur est hérétique ? Quel autre moyen employer ? C’est si affligeant pour un esprit catholique ! — Catholique, catholique ! s’écria madame Bolton avec humeur ; donnez-moi le bon vieux George II et la religion protestante. C’était le bon temps. Tout alors marchait en règle. Pas de disputes, pas de divisions, pas de différends dans les familles. Mais aujourd’hui, tout va autrement. Ma tête est bouleversée, je le déclare ; tant de choses étranges, extravagantes, arrivent à mes oreilles ! »

Les deux sœurs ne répondirent pas ; l’une jeta un coup d’œil par la fenêtre, l’autre se disposa à sortir du salon. « Eh bien, c’est un contre-temps réciproque, reprit la mère ; vous m’avez les premières empêchée d’aller à l’église, et moi ensuite je vous ai retenues. Mais je soupçonne, chère Louisa, que mon désappointement est plus grand que le vôtre. » Louisa s’éloigna de la fenêtre. « J’estime le Prayer-Book plus que vous ne pouvez le faire, ma chère enfant, continua-t-elle ; car j’ai expérimenté ce qu’il vaut dans une affliction profonde. Puisse-t-il s’écouler de longs jours, chères filles, avant que vous le connaissiez dans de pareilles circonstances ! mais si l’affliction vient vous visiter, sachez-le, toutes ces nouvelles fantaisies et ces modes s’évanouiront à vos yeux, comme le vent, et le bon vieux Prayer-Book sera seul votre refuge. » Ces paroles émurent nos deux demoiselles. « Approchez, mes enfants ; je vous ai parlé trop sérieusement, ajouta-t-elle. Allez, emportez vos effets, revenez ensuite, et occupons-nous à un ouvrage paisible avant le lunch. »

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