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Perte et gain : $b histoire d'un converti

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APPENDICE.

SOUVENIRS PERSONNELS
DU
MOUVEMENT D’OXFORD,
AVEC DES EXTRAITS
DE PERTE ET GAIN DU DOCTEUR NEWMAN.

CONFÉRENCE
DONNÉE
(AU MOIS DE MAI 1856) AU CLUB POPULAIRE ET CATHOLIQUE D’ISLINGTON
(A LONDRES)

PAR
FRÉDÉRIC OAKELEY,
Maître ès-arts de l’Université d’Oxford, curé de Saint-Jean l’Évangéliste à Islingten, chanoine du chapitre métropolitain, et ex-fellow du collége de Balliol à Oxford.

L’origine, le développement et les résultats du grand Mouvement Religieux qui a pris naissance à l’Université d’Oxford, il y a environ un quart de siècle, et qui en moins de douze ans a donné à la Sainte Église Catholique plusieurs centaines de convertis, ont été si complétement expliqués par le docteur Newman, dans ses célèbres « Conférences sur les difficultés de l’Anglicanisme », que ce serait une témérité coupable de ma part de toucher à un sujet sur lequel, après l’illustre écrivain, on ne pourrait que divaguer ou dire des choses superflues. C’est pourquoi, dans le titre de ma Conférence de ce jour, j’ai eu soin de me renfermer dans des bornes qui me missent moi-même à l’abri de toute tentation ambitieuse, et qui vous épargnassent, à vous, mes amis, un désappointement. Mon simple dessein est de vous présenter les souvenirs personnels d’une époque de ma vie qui, après avoir donné lieu et à des regrets et à de la reconnaissance, a été couronnée par des résultats qui sont pour nous tous un sujet commun de joie. Je dois cependant, dès le début, vous mettre en garde contre la supposition qui pourrait vous faire attendre de moi un article d’autobiographie, ou ce qu’un de nos adversaires appellerait les « Aveux d’un converti ». Ce n’est pas aujourd’hui mon but. Je ne viens pas non plus vous faire « l’Histoire du Tractarianisme ». Ce que je me propose, c’est de me placer dans la position d’un témoin étranger aux faits qu’il raconte, et de considérer à mon point de vue les matières d’Oxford et les événements qui en sont sortis. Si, en traitant ce sujet, je suis obligé de rapporter des circonstances auxquelles j’ai pris part, c’est une nécessité que je dois subir ; mais je ferai de mon mieux pour remplir ma tâche avec le moins de partialité ou d’amour-propre possible.

Mes plus anciens « souvenirs personnels », relativement au premier coup porté aux vieilles habitudes religieuses d’Oxford, remontent au professorat royal du docteur Charles Lloyd, qui, vers l’année 1827, reçut de feu le ministre sir Robert Peel, dont il avait été précepteur, la charge de l’évêché d’Oxford. Le docteur Lloyd était un ecclésiastique très-instruit et de talents hors ligne. Il appartenait à ce petit nombre d’hommes qui, sous un système corrompu, se sentent assez forts pour se choisir un terrain à eux et combattre sans peur les préjugés du jour. Ayant passé une partie de son adolescence dans la société de prêtres français, il s’était formé, d’après leur conversation et leur conduite, une idée des doctrines et de la vie des Catholiques bien différente de celle qui est généralement reçue parmi les Protestants. Sans doute, sa première éducation et ses rapports avec l’Université en avaient fait un protestant ferme ; mais en prenant la fonction si délicate de professeur de Théologie, et en se trouvant disposer de l’influence que sa science et ses talents, joints à une facilité remarquable pour gagner l’affection des élèves, lui donnaient sur les étudiants de sa classe, il chercha à se débarrasser, autant qu’il put, des entraves de sa position et à se jeter, comme on dirait à Oxford, « dans une nouvelle voie ». Il choisit donc, pour sujet de son cours de Théologie l’histoire et la forme du Prayer-Book anglican, sujet qui l’amena, et ses élèves avec lui, à examiner le Missel et le Bréviaire comme étant les sources d’où ont été tirées les principales matières de ce livre de prières. Tout à coup, sans aucune cause connue, on pria M. Booker de New Bond Street de fournir aux étudiants d’Oxford tous les livres de liturgie et d’office que contenait son magasin. M. Booker était trop bon catholique pour traiter une telle demande comme une simple affaire de commerce, et, n’osant pas espérer un miracle, il crut prudemment à un complot. Par une singulière coïncidence, il arriva que j’étais le seul protestant que M. Booker connût à Oxford, et que le seul catholique que je connusse moi-même c’était M. Booker. Aussi je crois que ce fut grâce à moi que ses craintes furent dissipées et que la libre importation des missels et des bréviaires eut lieu à Oxford. Cependant, les leçons du docteur Lloyd continuaient avec un succès soutenu ; et j’ai, ou, pour mieux dire, j’ai eu naguère entre les mains un Prayer-Book anglican avec des feuillets intercalés qui contenaient des renvois aux autorités catholiques, d’après lesquelles le maître prouvait d’une manière triomphante les larges emprunts faits par les Réformateurs anglais à l’ancienne Église. Le pauvre docteur Lloyd, à qui je ne puis penser sans qu’il s’éveille en moi des sentiments d’attachement et de gratitude, tomba, bientôt après, victime de son zèle dans la cause de « l’Émancipation Catholique ». Soudain on le vit changer sa politique dans cette question brûlante, et voter avec son patron, sir Robert Peel, lorsque le ministère, en 1829, adopta ce projet de loi. Cette conduite indisposa contre lui le roi ainsi que son propre clergé. Un jour qu’il siégeait dans la Chambre des Lords (car à cette époque il était évêque), il fut pris d’une fièvre dont il mourut au bout de trois semaines, laissant à Oxford un vide qui, jusqu’à présent, n’a pu être bien comblé. Avec cet illustre professeur disparut l’étude des liturgies ; et les volumes suspects, qui avaient été importés dans un lieu si étrange et qui s’accordaient si mal avec les ouvrages des librairies d’Oxford, furent vendus ou cachés dans les rayons des bibliothèques, au moins pour un temps. La semence, toutefois, avait certainement pris racine, et elle devait porter ses fruits au moment opportun. Aux leçons du docteur Lloyd assistaient John-Henry Newman et Edward Pusey, quoique plus âgés que la majorité de la classe. Parmi ceux qui étaient un peu plus jeunes, on remarquait M. Wilberforce l’ex-archidiacre, M. Froude, feu l’évêque de Salisbury et plusieurs autres, au nombre desquels je me trouvais.

Dans toute la classe, il n’y avait personne sur qui ces leçons fissent une impression plus profonde que sur feu Richard Hurrell Froude. Bien différent de la plupart des hommes de son parti, M. Froude ne vacilla jamais dans son adhésion aux principes catholiques, ou, dans tous les cas, à des principes religieux qui étaient prodigieusement en avant de son époque. L’enseignement du docteur Lloyd, relativement aux matières de liturgie, trouva dans ce jeune homme de vingt et un ans un esprit déjà mûr pour recevoir des impressions favorables même à l’Église de Rome, et fortement contraires à la Réforme. Pendant sa vie si courte, les impressions de M. Froude devinrent chaque année plus profondes, et elles s’étaient transformées en convictions fermes et très-énergiques par le moyen d’austérités personnelles, de la retraite, de l’étude et de la prière ; lorsque enfin (comme toutes les convictions réelles et mûries) elles commencèrent à produire leur effet sur le monde. Ce qui, dans le docteur Lloyd, n’était que de simples « vues », se changeait en motifs dans M. Froude ; et ce qui, pour beaucoup d’élèves de l’illustre professeur, aurait vécu et serait mort comme une simple mode, prit de larges racines, grâce à l’influence de M. Froude, et germa dans la suite en quelque chose d’intimement et d’efficacement pratique. En effet, cela se passait à peu près à l’époque que M. Froude fit la conquête de M. Newman.

Plusieurs années après le temps auquel je me reporte, les « Traités d’Oxford » firent leur apparition[82] dans les circonstances et pour le but que le docteur Newman a pleinement développés dans ses « Difficultés de l’Anglicanisme ». Cependant, le reste d’entre nous, quoique fixés à Oxford et plus ou moins liés ensemble, nous allions chacun dans notre propre direction, qui de ce côté, qui de celui-là ; quelques-uns s’éloignant de toute pratique religieuse, d’autres embrassant une religion très-étrangère à notre éducation et à notre caractère naturel. De toutes les erreurs les plus accréditées touchant la controverse d’Oxford, il n’en est pas de plus palpable que celle qui suppose une ligue, ou une union préméditée entre ceux qui finirent plus tard par se faire catholiques. Chacun de nous, je puis vous l’assurer, nous avions nos vues individuelles qui, comme autant de lames aiguës, s’opposaient à toute vraie combinaison. Il résultait de là que, sur beaucoup de questions importantes, on nous trouvait dans des camps opposés. Nous avions tous nos occupations particulières, nos propres intérêts, des réunions différentes ; et lorsque les hommes dont les noms sont généralement les plus mêlés au Mouvement d’Oxford se rencontraient dans un salon, il y avait une certaine réserve froide et une crainte mutuelle de collision ; ce qui loin de favoriser, gênait plutôt les rapports entre nous. Aussi beaucoup des plus sincères partisans des opinions régnantes se rendaient-ils dans des sociétés où ils trouvaient sans doute moins d’essor à leur enthousiasme, mais aussi moins de danger d’être en désaccord.

[82] Le premier de ces traités parut en 1833.

Pendant ce temps, toutefois, le levain de la vraie religion montait sous la surface. Les hommes (et ils étaient nombreux) qui traitaient toute l’affaire avec mépris, et qui pensaient sérieusement que cette furore catholique était une simple fantaisie du jour, qui aurait son temps et qui s’évanouirait aussi vite et aussi complétement que l’intérêt d’un nouvel opéra ; ces hommes, dis-je, connaissaient peu l’étendue et la force de la puissance qu’ils avaient à combattre. Ils ne savaient pas quels phénomènes s’accomplissaient dans les chefs de la controverse, ces savants qui étaient, et non pas nous, la vie et l’âme de tout. Ils ignoraient quelles clartés des études patientes apportaient, chaque jour, à leur intelligence ; quelle vigueur la mortification corporelle imprimait à leur âme ; quelle maturité une marche solide donnait à leurs principes, et surtout combien le dénoûment se précipitait sous l’influence de leurs prières persévérantes. Ces observateurs bien intentionnés, mais à courte vue, tiraient leurs arguments d’opposition de ce qui, dans de semblables mouvements, se fait le plus remarquer, je veux dire des folies et des extravagances des disciples. Ceux-ci, je le crois, agirent souvent comme des aveugles providentiels, destinés à détourner l’attention de ce qu’il y avait de positif dans l’œuvre. De temps à autre, il est vrai, une circonstance venait montrer qu’il y avait, sous cette agitation, un principe plus profond et une force plus réelle qu’on ne le pensait ; mais Oxford est habitué à des troubles de ce genre, et rarement on les y a vus survivre aux grandes vacances. La controverse Hampden, la controverse Faussett, et je ne sais combien d’autres d’une moindre importance, étaient là pour prouver que les hommes qu’on avait sottement supposés morts, enterrés et oubliés, étaient, en réalité, pleins de vigueur et prêts à l’action au moment voulu. Mais le grand corps universitaire ne voyait que peu à peu, et ne voulait pas se convaincre que le cheval de bois qui s’avançait si pesamment et si majestueusement était rempli de guerriers armés de pied en cap pour la lutte. A la fin, parut le célèbre Traité XC[83]. Ce fut lui qui véritablement donna l’alarme, en proposant une interprétation des XXXIX Articles qui aurait permis de les signer en conscience aux personnes déjà fort avancées dans la voie du Catholicisme. L’esprit académique s’en émut, et il trouva, mais trop tard, que le danger imminent ne pouvait désormais être écarté par un sermon de circonstance à Sainte-Marie, ni par le renvoi d’un sous-gradué suspect. Le malencontreux Traité reçut de l’Hebdomadal Board[84] une flétrissure qui fut pour lui un imprimatur plutôt qu’un stigmate ; car le produit énorme de sa vente permit à son auteur de rassembler, sous la forme d’une excellente bibliothèque de théologie, des matériaux pour étendre le mal. Cependant la thèse de ce Traité trouva des défenseurs, et, il faut l’avouer, ceux-ci exagérèrent sa théorie touchant la signature des Articles. Ils y firent entrer toute « la doctrine romaine » (avec la plus grande pureté d’intention, j’aime à le croire) par la porte qui avait été ouverte pour admettre simplement la partie élevée de l’Anglicanisme ; et ils bâtirent sur la base du docteur Newman des conclusions que celui-ci rejetait, mais qu’il ne pouvait ostensiblement attaquer sans faire encourir à l’Établissement un danger plus immédiat que celui qu’il lui créait par son silence.

[83] On trouve une excellente analyse de ce traité dans l’ouvrage de M. J. Gondon, intitulé : du Mouvement religieux en Angleterre. — Ce traité XC parut en 1841.

[84] L’Hebdomadal Board est un comité formé de tous les chefs des établissements d’Oxford.

Il est difficile de parler de ces incidents sans vous amener à penser, mes chers auditeurs, que le docteur Newman, l’auteur de ce célèbre Traité, agissait dans un esprit d’astuce et d’insubordination. Rien ne saurait être plus loin de la vérité. Le docteur Newman croyait, d’une conviction ferme, que les Articles de l’Église d’Angleterre pouvaient être interprétés, en conscience, de la manière qu’il l’établissait, et qu’ils l’avaient été par des hommes de mérite de cette communion depuis le commencement de son histoire. Il agissait aussi entièrement en vue du système établi, et (si les autorités d’Oxford avaient connu leur véritable intérêt) en vue de l’Université elle-même. Il savait mieux que ces messieurs la profondeur et la réalité des aspirations vers Rome ; il savait également que le moyen d’encourager ces tendances, c’était d’arrêter, sans nécessité, l’interprétation des Trente-neuf Articles. J’avoue, néanmoins, qu’il était impossible de faire la tentative de donner à ce formulaire une interprétation nouvelle, quoique vraie, sans qu’il y eût un semblant de subtilité de la part de l’auteur et la certitude d’un malentendu. Mais en encourant ces conséquences, le docteur Newman faisait ce qu’il s’est montré toujours prêt à faire : il se sacrifiait à un devoir public manifeste. Si les autorités d’Oxford avaient eu assez d’esprit pour se laisser guider par le docteur Newman, et si elles avaient permis au Traité XC d’atteindre son but sans lui chercher querelle, je ne dis pas qu’elles eussent empêché les conversions subséquentes à l’Église, mais elles les auraient retardées indéfiniment. Grâces soient rendues à Dieu qui en a ordonné d’une autre manière ! Si le docteur Newman veut me permettre de lui offrir le témoignage d’une connaissance de près de trente années, relativement à un côté de son caractère, je dirai que si jamais il y eut un homme qui agît simplement en vue de l’objet placé devant lui, et qui fût dépouillé de ce qu’on peut appeler l’esprit diplomatique, cet homme c’est lui. Qu’un homme de ce genre pût être mal compris du monde, c’est un fait qui n’est ni nouveau ni inexplicable. — Il n’est pas inexplicable, parce qu’il n’y a rien qui ennuie le monde (si je puis user de cette expression familière) comme la simplicité, surtout quand il la trouve jointe à une profondeur à laquelle n’atteint pas sa pénétration ; il n’est pas nouveau, parce que ce fut le lot de saint Paul et de ses compagnons d’être regardés « comme des séducteurs, quoique sincères[85]. »

[85] II Cor. VI, 8.

Tandis qu’Oxford faisait son œuvre à sa manière, un effort du même genre, quoique indépendant, se poursuivait dans une petite chapelle qui « n’est pas à plusieurs milles » de Cavendish square[86]. Cette chapelle, qu’on a poétiquement dédiée à sainte Marguerite, ne devait certainement pas son nom à une sainte quelconque, mais à une dame titrée ; et je puis l’assurer, en 1839, alors que je la connus pour la première fois, ses antécédents et son caractère révélaient un tout autre calendrier que celui de l’Église. C’était le champ le plus stérile qu’on pût imaginer pour faire un essai de Catholicisme. Son origine était protestante au dernier degré, allant se perdre dans un siècle de ténèbres très-rapproché de nous, et pire encore que la Réforme. Le représentant de ses traditions et le type de son caractère (encore avait-il pour lui l’avantage de l’antiquité) était un vieux clerc, à perruque brune, qui avait connu l’édifice « homme et enfant », presque depuis son origine. Cet édifice avait été construit vers l’époque de la Révolution française, et avait été d’abord une espèce de temple du déisme. Après une ou deux phases de transition, il devint une chapelle à la mode, et sa chaire fut successivement occupée par des défenseurs de l’Établissement, de l’Irvingisme, de l’Anglicanisme et d’une espèce de Tractarianisme modifié. Sous la dernière administration, ce temple était presque désert. Dans cet état de choses, l’évêque jugeait complétement inutile de remplacer le ministre sortant, lorsqu’il accepta, non sans quelque crainte, je pense, une offre que lui fit Oxford d’y mettre un homme de son choix.

[86] A Londres.

Toute l’histoire de Margaret-Chapel se retrouvait dans sa construction et dans son arrangement. Des galeries garnissaient les murailles ; les bancs fermaient l’espace. Naturellement, il n’y avait pas de sanctuaire ; mais immédiatement en face de la table de communion, et de manière à la masquer, s’élevait une énorme chaire, d’où le pupitre et le banc du clerc se détachaient et venaient finir dans le corps du bâtiment en échelle décroissante de proportion. Telle était Margaret-Chapel, lorsqu’elle passa sous l’administration d’un ecclésiastique d’Oxford, dont la principale qualité pour cette charge était une ferme résolution, dût-il échouer, d’appliquer les principes religieux qu’il avait appris d’hommes qui lui étaient bien supérieurs en science et en talents.

Ces principes, on ne peut le nier, se montrèrent assez vrais et assez forts pour tenir bon contre des obstacles sérieux. Le champ de l’action, quelque désavantageux qu’il fût, donna libre carrière à des essais religieux différents de ce qu’on aurait pu tenter, même à Oxford ; et cela, tout en suivant les principes de cette ville, et surtout celui de ces principes qui a été défendu en théorie comme en pratique par le véritable fondateur de cette école, le docteur Newman. L’ordre et la beauté qu’on introduisit dans le culte divin étaient choses nouvelles pour le Londres protestant, mais l’expérience prouva combien cette innovation était en rapport avec les besoins de la nature humaine. La chapelle elle-même, malgré sa difformité, ne se montra pas aussi contraire qu’on aurait pu l’attendre à l’introduction des cérémonies. Grâce à des conseils judicieux et à de généreuses offrandes, l’intérieur de l’édifice prit un nouvel aspect. La chaire et le pupitre furent enlevés de leur ancienne position ; et le pauvre clerc prit place, à contre-cœur, dans le corps de là chapelle, sans pouvoir, toutefois, réussir jamais à chanter son amen d’un ton convenablement soumis. La table de communion, qualifiée maintenant du nom d’autel, était couverte d’un tapis cramoisi, sur lequel reposaient une croix et des chandeliers, dont les cierges non allumés restaient comme un signe permanent de l’inflexibilité épiscopale et comme l’emblème d’une espérance patiente. Les cierges, cependant, ne demeurèrent pas toujours éteints ; car périodiquement la nuit remplaça le jour, et parfois la nature vint nous favoriser d’un brouillard propice.

Tout ceci, mes amis, doit vous paraître quelque chose d’infiniment absurde. J’en conviens, je ne saurais justifier ces cierges non allumés, et encore moins cet attachement excessif pour des brouillards. Mais, à part quelques extravagances de ce genre, toute cette réforme, je vous l’assure, avait son côté sérieux et sa réalité, comme l’ont prouvé, vous l’admettez, je pense, ses résultats auxquels on ne songeait pas même alors : Margaret-Chapel a donné quelques vingtaines de convertis à l’Église Catholique, en y comprenant quatre de ses ministres successifs ; et cela, alors qu’on ne se proposait autre chose que de travailler à l’avancement de l’Église d’Angleterre. Cette chapelle a continué son œuvre, après que je l’ai eu quittée. A cette heure elle est devenue une des plus magnifiques églises du royaume, et elle est appelée, j’en suis convaincu, à poursuivre encore sa mission. D’après quelles idées ou d’après quels principes elle a été administrée depuis mon départ, c’est ce que j’ignore ; mais je sais que celui qui m’a succédé dans l’administration, et qui est encore son ministre actuel, est un homme d’une vie irréprochable, d’une très-haute probité, du plus aimable caractère et d’intentions très-droites. Aussi ne douté-je pas qu’il ne sorte beaucoup de bien des efforts sincères d’un tel ecclésiastique, quoique je ne puisse pas voir présentement de quelle manière. Il me sera plus facile de dire quelle pensée présidait à l’administration de Margaret-Chapel, lorsque j’en étais chargé. Notre principal objet était d’élever le caractère moral et religieux de notre troupeau, par le moyen d’un enseignement aussi catholique que le permettait une loyale interprétation des formulaires reçus. Nous étions persuadés que, puisque l’Église d’Angleterre était historiquement et positivement une Église nationale, il y avait place dans son sein pour toutes les phases de la religion protestante qu’on pourrait faire entrer dans ses formulaires, évidemment latitudinaires de l’aveu de tous ; et, de plus, qu’il s’y trouvait aussi de la place pour cette forme extrême d’Anglicanisme, Protestante seulement jusque-là qu’elle n’est pas Romaine. Je ne veux pas, pour l’heure, défendre cette manière de voir ; mais quelque absurde et peu justifiable qu’elle puisse paraître aujourd’hui, je crois (et c’est la seule excuse que j’apporterai en sa faveur) que c’était là, au fond, une honnête méprise. Quant à la partie liturgique de la question, nous étions convaincus que, comme les Articles de l’Église d’Angleterre donnaient une grande latitude, en ce qui touche à la vraie doctrine ; ainsi ses rubriques donnaient, également, une latitude non moins grande en ce qui regarde les cérémonies. Mais il est évident que cette interprétation de l’objet dont il s’agit, quoique vraie en thèse générale, était renversée, dans les deux cas, par ce Protestantisme d’esprit qui anime toute l’Église et toute la nation d’Angleterre : Protestantisme qui, après tout, et non pas la lettre des formulaires, est le vrai signe distinctif du caractère de la religion nationale. Le génie de l’Église Catholique s’harmonise avec ses doctrines et ses pratiques de dévotion. C’est là le véritable secret de notre force et de nos succès. La doctrine et les observances catholiques sont en tout point opposées aux maximes et à l’esprit du monde. Laissées à elles-mêmes, sans union, sans rapports visibles, sans traditions, et, par-dessus tout, sans secours surnaturels, cette doctrine et ces observances n’auront jamais de chance de succès dans la lutte avec les puissances des ténèbres. « La doctrine romaine » sans autorité, et les pratiques catholiques sans fondement, ne peuvent avantageusement lutter contre les comités paroissiaux, les Parlements et les Conseils privés. Il n’est pas nécessaire d’avoir l’œil prophétique pour prévoir que l’histoire des vingt dernières années de l’Église anglicane sera l’histoire des vingt années à venir, seulement avec une répétition plus marquée des mêmes traits. Les sentiments catholiques se développeront à l’ombre de la tolérance, et ils se répandront grâce à la lutte. Les évêques anglicans n’agiront pas jusqu’à ce qu’ils y soient contraints ; mais ils trouveront la punition de leurs délais dans la résistance vigoureuse de l’œuvre qu’ils auront à renverser. On doit les plaindre, et non pas les blâmer. La tâche qu’ils ont à remplir aurait défié les forces d’un Athanase ou d’un Ambroise. Pour des hommes tranquilles, produits de temps de calme, c’est déjà une besogne assez dure que de détruire seulement l’empire du mal ; et, cependant, les autorités de l’Église d’Angleterre ont entrepris une œuvre plus rude encore, — elles luttent avec l’Esprit de Dieu.

Me proposant de vous donner une juste idée du célèbre récit du docteur Newman, autour duquel je veux grouper toutes les observations de ma Conférence de ce jour, il m’est nécessaire de vous parler encore quelques instants de la partie esthétique (ou de fantaisie) du Mouvement. Il est certain que parmi les hommes d’un esprit raffiné, mais d’une éducation superficielle, comme il s’en trouve à nos deux grandes universités, plusieurs voulaient embrasser le côté facile du Catholicisme et repousser le côté pénible ; suivre cette religion comme sentiment, et ne pas en tenir compte comme règle. Toute une coterie de ces amateurs catholiques venait de paraître, et, soit dit en passant, je ne nierai pas que beaucoup d’entre nous ne fussent, plus ou moins, en danger de tomber dans cette grande erreur. Les uns s’attachèrent à l’architecture ; d’autres aux cérémonies, selon la pente de leur goût naturel, selon les sociétés, locales ou étrangères, avec lesquelles ils étaient le plus en rapport. La manie de l’architecture était, à bien des égards, plus élevée, plus honorable et plus populaire que l’autre ; et pour cette raison, peut-être, elle n’était pas moins dangereuse. C’est une bonne fortune pour la cause de la vérité, lorsque l’erreur se trahit elle-même. Or, tel fut précisément le cas dans les excès qui se rapportaient aux cérémonies religieuses. Des révérends furent accusés, avec assez de vraisemblance, de brûler de l’encens en guise de pastilles ; et « les fleurs sur l’autel » furent défendues avec un zèle qui aurait fait honneur à un confesseur de la foi. On racontait aussi que certains ministres avaient fait des génuflexions devant des évêques, malgré les protestations de ceux-ci, que d’autres s’étaient inopinément présentés à eux en surplis ou en chapes. On disait (et sans doute par plaisanterie, mais des plaisanteries de ce genre témoignent de réalités), on disait que la doctrine de l’intercession des saints avait été fondée sur la « prière de saint Chrysostome » qu’on trouve dans le service du matin. Ce qu’il y a de sûr, c’est que le « louez le Seigneur » avait suggéré l’introduction des neuf alléluia chantés en chœur. Un second avantage, c’est que, relativement à ces extravagances, les Catholiques Anglais, comme les étrangers, nous étaient visiblement opposés. Mais le contraire de tout cela était vrai en ce qui regarde l’engouement architectural. Le goût des cérémonies n’est nullement anglais. Tous les préjugés de la nation devaient donc s’élever contre cette nouveauté. Mais il n’en est pas de même de l’alliance du Catholicisme avec l’art. Nos magnifiques cathédrales, dont l’origine catholique est un fait d’histoire, tandis que leur destination protestante n’est qu’un simple fait de possession, sont des liens naturels entre l’ancienne religion et l’esprit national, et ce n’est pas évidemment sans raison qu’on les regardait, avec les idées qu’elles font naître, comme une base commune sur laquelle Protestants, Anglicans et Catholiques pourraient signer leur union. La grande société Camden, à Cambridge, comptait parmi ses membres des dignitaires de l’Établissement, et même un évêque. Ces messieurs, cependant, ne se proposaient qu’une renaissance religieuse. Il y a plus : les Catholiques Anglais, qui restèrent toujours en dehors des sympathies de « l’Anglo-Catholicisme », furent regardés avec faveur à cause de leur intérêt bien connu pour cette face du grand prodige Tractarien. Tout cela, naturellement, et pendant un certain temps, paraissait un avantage ; mais le docteur Newman, il n’y avait pas à s’y tromper, ne put jamais voir avec la moindre satisfaction ce résultat particulier de son œuvre, qu’il avait, au reste, prédit clairement. Il vit, dès le principe, ce que le fait prouva bientôt, que la phase architecturale du Mouvement était aussi vide que celle du rituel ; et cela, pour les raisons que nous venons de donner, et pour d’autres peut-être. Il avait toujours dit que ce serait un jour malheureux pour la cause de la vérité que celui où l’idée de la beauté extérieure de la Religion prendrait le pas sur l’idée de sa sévérité. Or, cela fit que les hommes (à la tête desquels se trouvait le docteur Newman) qui regardaient les cérémonies de la religion comme une expression de la majesté, de la beauté et de l’ordre divins, s’efforcèrent, à la même époque, avec plus ou moins de succès, de témoigner par leurs actes publics de l’importance d’une Religion sérieuse. On craignait que, une fois dépouillé du caractère particulièrement moral de l’enseignement d’Oxford, l’intérêt pour la grande œuvre manquât d’un contre-poids salutaire.

Ce qui protégea surtout Oxford contre les notions mal comprises ou superficielles, ce furent les sermons que le docteur Newman donnait, toutes les semaines, du haut de la chaire de Sainte-Marie. Ces admirables discours étaient suivis par tous ceux qui prenaient intérêt à la grande controverse, et ils fournissaient l’aliment spirituel aussi bien qu’intellectuel qui soutenait le religieux Oxford dans l’intervalle. Les esprits les plus profonds, alors même qu’ils n’en goûtaient pas encore entièrement les doctrines, y trouvaient, au moins, matière à faire des recherches. Les plus simples et les moins instruits des étudiants eux-mêmes n’y assistaient jamais sans en emporter quelque leçon inappréciable de sagesse et de vérité pratiques. Non-seulement la doctrine, mais le culte anglican aussi trouvait à Sainte-Marie une vie et une puissance nouvelles. La majesté calme et le pathétique touchant qu’on savait y répandre lui donnaient presque le cachet de vraies cérémonies. Je vois encore, à cette heure, le maintien recueilli des assistants qui annonçait des cœurs pénétrés jusqu’au fond du sentiment de leur acte religieux ; j’entends encore, avec ses chutes plaintives et ses pauses saisissantes, le chant mélodieux qui devenait pour les paroles sacrées un commentaire admirable, et qui donnait au narré de l’Écriture l’intérêt le plus haut et la réalité la plus vivante. Telles furent donc, parmi les influences rassurantes, celles qui préservèrent Oxford en grande partie d’une fausse direction.

Mais revenons à notre sujet. Les résultats de cet engouement pour l’architecture et pour les cérémonies avaient, dans les deux cas, le même cachet d’excentricité, lorsqu’ils manquaient de ces puissants correctifs moraux et religieux. Ce qui correspond proprement à l’art du moyen âge, non moins qu’aux cérémonies (comme tout le monde l’admettra), c’est le culte catholique et pas un autre ; aussi les églises bâties, d’après les modèles catholiques, pour le service protestant, sont de tous les charlatanismes le plus grotesque, parce que c’est le plus pompeux. Cependant, vers cette époque, le grand Mouvement d’Oxford, celui qui était basé sur des principes vraiment solides, et qui était environné à son centre des réalités les plus sérieuses, devait se voir accuser faussement de toutes ces applications extravagantes. Les folies des disciples zélés, mais indiscrets, ne voulurent pas s’éteindre avec les cierges, ni s’évaporer avec l’encens : elles aspirèrent à vivre sur le bronze séculaire et la pierre impérissable. Des autels sans sacrifice, des jubés qui ne cachaient pas de mystères, des niches de saints, des bas-côtés sans processions, et des sanctuaires sans la très-sainte Présence donnaient un corps à ces brillantes illusions et les perpétuaient. Des piscines ouvertes appelaient, mais en vain, les restes des éléments, casuel ordinaire du clerc. On construisait des bénitiers qui devenaient le réceptacle de la poussière et des toiles d’araignée ; des anges sculptés se trouvaient logés dans des demeures surprises de les voir ; et des démons à face hideuse s’échappaient, comme en fuyant, des porches du temple, tandis que, pour une raison contraire, ils auraient bien pu continuer à y habiter en toute sécurité.

Nous devons toutefois ajouter, en bonne justice, que les essais de Catholicisme se faisaient aussi dans une sphère plus haute. A la même époque, plusieurs établissements religieux poursuivaient leur marche avec succès, au profit de chacun de leurs membres en particulier, comme de la communauté en général ; et cela, malgré tous les désavantages effrayants du système protestant. Parmi ces maisons se faisait remarquer, au premier rang, sous tous les rapports, le collége fondé par le docteur Newman à Littlemoor[87], près d’Oxford. Si je ne me trompe, feu le R. P. Dominique, autorité de poids en ces matières, a dit, à cette époque, dans le Tablet[88], que cette institution lui rappelait les monastères catholiques de la plus rigoureuse observance. Il m’a été donné plusieurs fois de passer quelques jours dans cette aimable retraite avec le docteur Newman, et, j’aime à le proclamer, celui qui se rappelle le sentiment de calme religieux que l’âme y éprouvait ; la bibliothèque avec son vrai parfum d’ouvrages théologiques ; les lecteurs studieux qu’on voyait dans cette salle, chacun assis à une table séparée avec son in-folio ; le silence de ce lieu, rendu sensible par le mouvement monotone de la pendule placée sur la cheminée ; celui encore qui a toujours partagé le repas frugal et silencieux de la communauté, dans un réfectoire bien pauvre, ou qui a assisté aux Heures dans la sombre petite chapelle, remarquable par son grand rideau rouge, son crucifix et son air de solitude impénétrable ; — celui-là, dis-je, qui a été témoin de ce spectacle, doit reconnaître forcément qu’il n’y avait pas là de « charlatanisme. » Disons-le, c’était l’ascétisme du désert qui conduit au Christ. Et qu’un établissement si remarquable à tous les points de vue, si magistral dans sa conception, si habilement dirigé, si dépourvu, selon toutes les apparences, de tout ce qui pouvait faire naître le désir d’un changement ou l’espoir d’une amélioration ; qu’un tel établissement pût tomber tout à coup, sans pression extérieure et sans décadence intérieure, c’était là peut-être la preuve la plus évidente pour ses hôtes qu’ils n’avaient pas de « cité permanente »[89] hors de l’Église de Dieu.

[87] C’est dans cette maison de retraite que le père Newman a fait son abjuration avec deux de ses disciples, le 9 octobre 1848.

[88] Journal anglais catholique.

[89] Héb. XIII, 14.

Cependant l’état florissant et la régularité habituelle des établissements de ce genre ne devaient être ni une garantie ni une sauvegarde contre les accidents qui, comme le canon d’alarme, servaient à réveiller les plus calmes de leur sommeil, et à indiquer que quelque chose de désastreux ou de triste se passait dans le lointain. Chaque maison religieuse a besoin d’une certaine classe de personnes, qu’il était singulièrement difficile de gouverner dans l’état de choses que je décris, je veux parler des frères lais. On ne pouvait attendre de ces braves garçons qu’ils se tirassent d’affaire avec le même bonheur que leurs supérieurs en âge et en mérite ; et parfois ils devaient rabaisser le caractère de l’institution la plus florissante, mettre sa stabilité en péril par un simple acte de gaucherie, résultat naturel de leur fausse position. L’histoire suivante, qui se rapporte à ce sujet, est un fait littéralement vrai. Dans un certain établissement qui affectait la vie religieuse, c’était la coutume des supérieurs d’admettre à leur table les jeunes gens qui les servaient comme des espèces de « frères lais » ; et, je vous l’assure, ce n’était pas sans un acte de mortification de part et d’autre. Un jour frère Isaac (c’est le nom que nous donnerons à notre héros) chercha très-naturellement à échapper à la cage dans laquelle on le retenait, avec les plus pures intentions sans doute, mais avec une prudence contestable ; il voulut se marier avec une personne qui demeurait de l’autre côté de la rue. L’objet de ses affections se trouvant appartenir à un rang de la société un peu plus élevé que le sien, il devint nécessaire pour lui de rassembler et de montrer, à son plus grand avantage, toutes les preuves qui pouvaient établir qu’il était « un gentleman ». Or, parmi les nombreuses recommandations qu’il produisit en sa faveur se trouvait celle-ci, que « dans la famille au sein de laquelle il avait le bonheur de résider, ce jeune homme vivait dans les rapports les plus intimes avec les personnes de la maison, et qu’il avait l’habitude d’être un de leurs convives au dîner ».

Il y avait encore une autre forme d’illusion innocente, dont quelques esprits étaient préoccupés, et qui dépassait toutes les autres dans son absurdité presque incroyable. Il vous faut donc savoir, mes amis, que l’idée de conversion à l’Église Catholique, que plusieurs personnes encourageaient à cette époque, était, non pas celle d’une soumission partielle à son autorité, mais bien celle d’une union entre l’Église Catholique et l’Établissement, ce qu’on appelait alors, les « Églises d’Angleterre et de Rome ». Ce plan, s’il eût été exécutable, avait sans doute plusieurs avantages sur celui des conversions séparées : il faisait moins de violence à tous les sentiments nationaux, sociaux, domestiques, ou personnels ; il nous promettait la conversion en masse de l’Angleterre, au lieu de sa conversion en détail. Vous me direz, peut-être, que parmi d’autres avantages, ce plan nous aurait permis, à nous ecclésiastiques, de garder nos bénéfices. Je crois toutefois que ce point particulier en sa faveur n’eût rien ajouté auprès d’aucun de nous à ce qu’il offrait par lui-même d’attrayant.

Je vous présente ce projet sous son côté le plus beau, parce que je suis obligé de vous avouer qu’il avait conquis un corps respectable de partisans. Au reste, si vous étiez trop disposés à le critiquer, il faut que vous sachiez une chose qui rectifiera vos idées à cet égard, et qui vous empêchera de lancer toute la bordée de votre vertueuse indignation contre les pauvres Puséistes. Le fait donc est que ce grand et intéressant dessein trouva une certaine faveur auprès d’excellents catholiques. Il en eut un, cependant, qui, malgré sa profonde sollicitude pour ramener au bercail les chercheurs d’Oxford, ne voulut jamais l’encourager, ne fût-ce que pour une heure ; je veux parler du docteur Wiseman, qui désapprouva, dès le principe, toute idée d’unité catholique basée sur un pacte entre l’Église et l’Établissement. C’était toutefois une manière de voir qui, en tant qu’elle n’impliquait pas le sacrifice d’une doctrine ou d’un principe fondamental, pouvait être embrassée par tout catholique, et que quelques catholiques éminents, en effet, étaient disposés, pour un certain temps, à regarder avec faveur, ou, au moins, avec indulgence. Aussi, lorsque, d’après la tournure que ce projet prit dans la pratique, je l’appelle absurde, je désire que l’on comprenne que je ne fais pas allusion à l’idée elle-même, mais à quelques-unes des conséquences que renfermait le plan lui-même.

Or, d’une manière ou d’une autre, il nous arriva de ne pas songer, chose merveilleuse ! que, pour le succès de tout projet d’union, le consentement des deux parties est nécessaire. Comme l’Irlandais dans ses plans de mariage, nous avions « notre propre consentement » dans l’affaire : mais nous oubliions qu’il y en avait un autre à demander. Tout était pour le mieux… d’un seul côté. Non-seulement les termes d’union étaient rédigés, mais ils étaient déjà acceptés (en imagination) ; et l’on se représentait l’Angleterre, en idéal, comme une dépendance volontaire et florissante de l’Église ! Nous n’avions pas à élever des cathédrales, car elles étaient sous la main, et elles comptaient au rang des plus riches et des plus belles ; sous leurs voûtes, le culte catholique devait se trouver dans son lieu naturel. Les abbayes en ruine pourraient être facilement restaurées et devenir l’instrument de la charité envers les pauvres ; elles seraient (comme on l’a dit spirituellement) des « workhouses d’union » d’une nouvelle espèce. La réforme du personnel de l’Établissement présentait une difficulté plus grande, mais non insurmontable, pourtant. Les chapitres aussi reprendraient naturellement leur forme normale de sociétés ou de colléges religieux ; et personne ne pouvait positivement prédire quel ne serait pas l’effet moral d’une mitre, d’une crosse et d’une chape, même sur l’archevêque de Cantorbéry. La grande difficulté, toutefois, était bien moins avec les dignitaires qu’avec leurs femmes. Mais si les bons sentiments de ces dames ne les amenaient pas à désirer une séparation de biens, l’obstacle pourrait être levé, en suspendant pour un temps la loi du célibat ecclésiastique. Tout cela, il faut l’avouer, était un château en Espagne bâti sur une échelle gigantesque ; et je sens, tout en vous faisant cette description, combien il est impossible pour moi de vous persuader que je ne plaisante point. Mais je vous l’assure, sans la moindre équivoque, une bonne partie de ce que je viens de vous dire a été proposé sérieusement ; et ce qui, dans mon discours, a été naturellement ridiculisé charge fort peu le tableau de l’Église Utopique, que plus d’un fut tenté de réaliser dans l’ardeur de son jeune zèle.

Maintenant, mes amis, je vous ai mis en état, je l’espère, de goûter mon premier extrait de « Perte et Gain », livre qui, sans une certaine connaissance des temps auxquels il se rapporte, doit être absolument incompréhensible. Je n’ai pas besoin de vous dire que « Perte et Gain », quoique encore sans nom d’auteur[90], a été publiquement reconnu, comme étant son œuvre, par le docteur Newman, qui a ainsi justifié le jugement qui fit prononcer, tout de suite, à ceux qui connaissaient personnellement l’écrivain, que ce livre, d’après ses caractères intrinsèques, devait sortir de sa plume. Car dans cette peinture magistrale des personnages, dans ces esquisses si vraies de la nature humaine, dans cette plaisanterie élégante et enjouée, dans cette pureté si bien sentie de pensée et d’expression, dans cette modestie de l’auteur à passer sous silence la part qu’il a prise aux événements qu’il raconte, dans ce savoir et cette puissance d’argumentation ; de plus, ajouterai-je, dans cette bonté exubérante du cœur et dans cette charité de jugement qui distinguent cet ouvrage, ils ne tardèrent pas à reconnaître l’esprit qui naguère avait brillé d’un si vif éclat du haut de la chaire de Sainte-Marie, et la voix qui, dans le réfectoire d’Oriel, ravisait ses auditeurs, tenant, par mille charmes, dans une captivité volontaire de confiance et d’amitié, tout ce qu’Oxford renfermait d’hommes d’élite.

[90] Perte et Gain, en effet, est sans nom d’auteur dans les trois éditions anglaises ; mais le R. P. Newman a eu l’extrême bonté de nous permettre de placer son nom en tête de notre traduction.

Je vous exposais, il n’y a qu’un instant, mes amis, les résultats produits par le « Mouvement d’Oxford » sur quelques-uns de ses disciples les moins sagaces et les moins prudents ; je vous prie de vous rappeler ce que je vous ai dit là-dessus et de me permettre, en même temps, de vous faire assister à la conversation suivante, qui a lieu entre deux jeunes gens et deux demoiselles, qui s’étaient laissé prendre à ce qu’on appelle communément « le Puséisme », par le côté le plus stérile et le moins estimable. Et ici, laissez-moi vous dire, une fois pour toutes, que j’emploie ce mot « Puséisme », simplement pour ma commodité, et non parce que je l’aime. Car, d’abord, il est irrespectueux à l’égard d’un excellent homme, qui n’a jamais désiré ni mérité d’être regardé comme le fondateur de l’école de religion que ce mot désigne ; et, en second lieu, il proclame une injustice vis-à-vis d’une grande et sainte œuvre, accomplie en dehors de l’Église, en la représentant, ce qu’elle ne fut jamais de la part de la généralité de ses chefs, comme une simple entreprise calculée d’avance et faite avec un esprit de sectaire.

La scène se passe à Oxford, un jour de fête, entre 10 et 11 heures du matin. Les deux jeunes gens, White et Willis, ont déjeuné chez un de leurs amis, et, trouvant sur leur chemin une église ouverte, ils y entrent.

— Ici M. le chanoine Oakeley cite le passage qui commence par ces mots : Une vieille femme nettoyait les bancs… Jusqu’à ceux-ci : carmélites de la réforme de sainte Thérèse. V. p. 56. — Puis il continue :

L’auteur nous a dit que ces demoiselles « ne se connaissaient pas elles-mêmes » ; et peut-être quelques-uns d’entre vous suspectent déjà que l’intérêt de ces jeunes personnes, sans qu’elles s’en doutassent, ne se rapportait pas à un objet purement ecclésiastique. Supposant que tel soit le cas, ce que je me garderai bien d’affirmer, on était alors, évidemment, arrivé à un point où cet intérêt devait prendre un caractère d’inquiétude et même de tristesse. Et c’est là sans doute la raison qui fait dire à notre auteur que, tandis que la conversation s’était jusque là tenue sur la limite de la plaisanterie et du sérieux, elle prit en ce moment « un ton plus réfléchi et plus doux ».

— M. le chanoine Oakeley continue la citation ci-dessus et la poursuit jusqu’à ces mots : « tant de choses étranges, extravagantes arrivent à mes oreilles ! — Il ajoute ensuite :

On doit reconnaître qu’au moins dans cet exemple, les deux demoiselles avaient quelque chose à dire en leur faveur. Mais un des plus malheureux effets du « Mouvement », lorsqu’il était mal compris des personnes ignorantes, c’était de soulever la jeunesse contre les pères et les mères, ainsi que contre les « pasteurs et les maîtres spirituels ». Aussi le but de notre auteur, dans ce brillant passage, est sans doute de nous montrer que le bien ne saurait venir que des personnes qui cherchent la lumière au milieu de leurs perplexités d’esprit, tout en accomplissant leur devoir, avec humilité et patience, dans « l’état de vie où il a plu à Dieu de les placer ». Ne soyons donc pas surpris que ni White ni miss Bolton ne deviennent pas catholiques dans la suite de l’histoire. Au contraire, nous les voyons reparaître, au chapitre 2 de la IIIe partie, comme mari et femme, dans une position opulente et avec des vues modifiées. Willis, le moins loquace des deux amis, se fait catholique d’une manière abrupte et peu satisfaisante, mais il finit par devenir Passionniste. Quant à miss Charlotte, la plus jeune des sœurs, elle quitte la scène, sans même qu’on fasse allusion à son avenir.

Notre auteur n’est rien moins que sévère, relativement à son ancienne communion. Dans les personnes de Campbell et de Carlton, il montre les principes de l’Église d’Angleterre sous leur jour le plus favorable. Dans une sphère moins élevée, M. et madame Reding (leur fille Marie appartient à une classe plus haute), et même notre amie madame Bolton nous reproduisent avec honneur les effets de leur éducation. Tous ces personnages déploient plus ou moins les vertus calmes de famille, unies à un sentiment très-réel et très-pratique de la religion, ces vertus qui sont un résultat assez ordinaire de l’enseignement de l’Église Anglicane. Mais le caractère éminent du récit est celui de son héros, de Charles Reding. Franc, pur d’intention et plein de confiance, ce jeune homme passe du sein d’une famille chérie et de la solitude de sa paisible demeure, dans le tourbillon d’Oxford, à l’époque où le grand « Mouvement Religieux » est à son apogée. Il entre à l’Université avec un esprit candide, pensant bien de toute autorité constituée et prêt à recevoir l’instruction de toute main. Bientôt il trouve qu’au lieu de cette vérité unique qu’il est disposé à recevoir, il a à choisir entre une foule d’opinions, toutes soutenues avec une égale assurance, sans qu’aucune puisse produire une sanction de quelque valeur. Il trouve que les oracles de l’Université, lorsqu’on les interroge sur les points principaux de leur enseignement, ne peuvent donner que des réponses douteuses et renvoyer l’étudiant investigateur au jugement privé, dont celui-ci cherche précisément à secouer le fardeau. C’est ainsi que du rôle de disciple, qui est naturel à son âge et à son caractère, Charles Reding est investi brusquement de celui de juge, malgré ses répugnances et son inhabileté. Cependant, quoique très-circonspect dans ses démarches et très-consciencieux dans sa conduite, il se trouve tout à coup l’objet d’un espionnage et la victime d’un soupçon. Ses plus innocentes remarques sont recueillies à son préjudice, et les explications qu’il en donne ne servent qu’à le jeter davantage dans le discrédit. Sans qu’il le sache, on lui fait la réputation d’un « homme de parti » ; ses espérances sont brisées et son arrêt scellé. Tourmenté, mal compris, et « jeté hors de la synagogue », il se trouve, sans effort et presque sans l’avoir voulu, un enfant de la sainte Église, tel qu’un pauvre orphelin qui, longtemps le jouet des étrangers, se réveillerait tout à coup dans les bras d’une nouvelle mère. Le docteur Newman nous dit, et avec vérité, que son récit « ne repose pas sur un fait ». Charles Reding est un caractère qui, tout autant que je puis me le rappeler, n’a pas eu son modèle vivant au temps auquel il se rapporte ; mais, bien certainement, il représente une classe véritable de caractères, et son histoire, quoique une fiction, témoigne d’une vérité. Il y a eu, à notre époque, des conversions qui ont fait voir le bien sortant du mal d’une manière plus éclatante que celles qui étaient le résultat naturel de dispositions meilleures. Il y a eu des cas dans lesquels (si nous considérons la loi ordinaire de la conduite de Dieu), on ne trouve d’autres préliminaires naturels ni d’autres prédispositions à une si grande faveur, qu’une intention droite. Il y en a eu d’autres, peut-être, qui, selon toute apparence, avaient à peine cette sauvegarde contre une illusion possible. Eh bien, Dieu a tout ordonné selon sa miséricordieuse Providence ; fortifiant ce qui était bon, corrigeant ou purifiant ce qui était mauvais ou erroné ; abandonnant, hélas ! dans un petit nombre de cas, le péché d’un esprit orgueilleux à son châtiment naturel, et punissant un changement trop précipité par une apostasie malheureuse. Le prophète Osée semble parler de ces exemples funestes, lorsqu’il dit : « Ils ont semé du vent et ils moissonneront des tempêtes ; il n’y demeurera pas un épi debout ; son grain ne rendra point de farine, et s’il en rend, les étrangers la mangeront[91].

[91] Osée, VIII, 7.

Mais il y avait aussi des cas différents de ceux dont Charles Reding est un exemple. Il y avait des hommes de dispositions simples, innocentes, véritables éléments caractéristiques du Catholicisme. Ces hommes n’avaient ni désir, ni aspiration au delà de la sphère où la Providence les avait placés, jusqu’à ce que le terrain sur lequel ils paraissaient se tenir debout vînt à leur manquer, et qu’ils fussent poussés en avant par le simple instinct de leur propre conservation. Ils aimaient leurs verts cottages et leur belle terre natale. Les pays étrangers avec leur esprit remuant et leur culte étrange n’avaient pas d’attraits pour eux. Là où ils avaient toujours été, c’est là qu’ils désiraient rester toujours. A leurs yeux, les joies de l’enfance étaient celles de l’âge mûr. Mais ce n’est que dans l’Église Catholique que la réalité de la vie répond aux rêves du jeune âge ; seule, l’Église peut remplir d’un bonheur plus grand encore ces vides que le temps fait nécessairement dans le sanctuaire de nos premières joies. Avez-vous jamais lu les vers si beaux et si touchants de Cooper « sur la réception du portrait de sa mère » ? Qui ne comprend la consolation qu’un homme aussi sensible eût trouvé dans la contemplation de la sainte Vierge ! Eh bien, il y avait des âmes tendres, affectueuses et souples, qui aspiraient après quelque chose de meilleur et de plus durable que ce monde ou que les espérances d’ici-bas. Or, comment le Protestantisme, même dans sa forme la meilleure, satisfit-il jamais à ce besoin ? Par des vues terrestres, moins belles, mais non moins fugitives que celles qui s’étaient évanouies, ou par des rêves plus beaux sans doute, mais tout aussi vaporeux. « Mais », nous dit le docteur Newman, « lorsqu’un homme… » (citation jusqu’à ces paroles : « comme un disciple à son maître. » V. pag. 169.) — Après quoi M. le chanoine Oakeley ajoute :

La première des citations suivantes vous montrera Charles au sein de sa famille ; la seconde, au milieu de ses perplexités d’Oxford ; la troisième, dans son état de transition ; la dernière, enfin, dans son état de quiétude.

— Ici, premier extrait à partir de ces mots : « Charles était un fils affectueux… » jusqu’à ceux-ci : « j’aurai de l’énergie au jour venu. » V. pag. 85. — M. le chanoine Oakeley ajoute :

Le vague soupçon exprimé ici par Charles, que l’espèce de bonheur qui l’environne ne réponde pas complétement aux besoins de son être immortel, est admirablement développé dans la suite de l’histoire. La visite de M. Malcolm, « un ami de la famille », sert à donner à ce sentiment de crainte une forme un peu définie ; et ce sentiment se dessine encore mieux dans quelques conversations touchantes de Charles avec sa sœur Marie. Bientôt après, le père de Charles meurt, et alors viennent tous les tristes accessoires d’un deuil de famille. Ainsi sont brisés pour Charles les liens qui l’attachent à sa maison terrestre. Différents événements qui lui arrivent à Oxford agissent dans le même sens. Le principal de ces événements, c’est le soupçon d’excentricité religieuse auquel il se trouve exposé, et qui bientôt se termine par un fait décisif, comme l’auteur va nous le raconter.

— Extrait, depuis ces mots : « Nous devons dire au lecteur… » jusqu’à ceux-ci : « bannissement était supportable. » V. p. 189. — M. le chanoine Oakeley ajoute :

Je ne vous raconterai pas, mes chers auditeurs, les démarches, qui, au reste, ne sont ni nombreuses ni difficiles, par lesquelles Charles est amené jusque sur le seuil de l’Église Catholique. Maintenant, il n’a plus qu’une épreuve à surmonter ; mais aussi c’est la plus terrible, quoique ce ne soit pas la dernière.

— Extrait, depuis ces mots : « Charles descendit… » jusqu’à ceux-ci : « vers Collumpton. » V. p. 273. — M. le chanoine Oakeley continue :

Charles avait encore un bien rude temps à affronter avant de se trouver sain et sauf dans le port. Cependant, comme je ne me propose pas de vous donner une analyse de « Perte et Gain », ni même une critique de cet ouvrage ; mais comme mon unique but en vous le citant, c’est d’éclairer le sujet que je traite, je m’en vais au plus tôt débarrasser notre jeune étudiant de toutes ses misères.

— Citation du dernier chap. de la IIIe partie. M. le chanoine Oakeley termine sa conférence par ces réflexions :

Ces deux amis sont arrivés à l’Église catholique par des voies et à des heures différentes. Willis s’y est réuni dès le début de sa carrière. Sa démarche ne porte pas le cachet d’une délibération bien mûrie ; on la dirait le fruit de la volonté propre. Charles, qui est du même âge que le jeune converti, et qui se trouve dans les mêmes circonstances et dans les mêmes occasions, use de sa pleine liberté tout le temps de sa préparation. Il passe au crible de sa raison tout argument qu’il rencontre, et épuise toutes les alternatives. Puis il se jette dans le sein de l’Église, non-seulement sans un acte de choix, mais à peine avec un effort de volonté, tel qu’une grappe mûre qui tomberait d’elle-même dans les mains de celui qui la cueille. La première pensée de Charles, comme nous venons de le voir, c’est qu’il a tardé trop longtemps ; la crainte de Willis, après de sérieuses réflexions, c’est que, peut-être, il a agi avec trop de précipitation. Il est certain qu’on peut arriver à faire une bonne action par une fausse voie ; et des juges différents, tout en se réjouissant avec Charles et Willis de leurs conversions, jugeront d’une manière différente la marche respective par laquelle ces jeunes gens sont arrivés, chacun à sa façon, au Catholicisme. Certaines personnes disent parfois que la seule faute que commettent les convertis, c’est de ne pas se convertir plus tôt ; d’autres, au contraire, après avoir étudié des conversions particulières, les croient trop précipitées et évidemment trop peu mûries.

Les paroles que notre auteur met dans la bouche de Willis peuvent être prises, il me semble, comme exprimant sa pensée sur cette question : « Tout est bien, dit-il, excepté ce que le péché rend mauvais. » Une conversion à l’Église est l’acte le plus grand de la faveur divine sur la terre, à part le don de la persévérance ; et Dieu accorde cette grâce à qui il veut, de la manière qu’il lui plaît, au temps qui lui convient. Les uns, il les appelle à la première heure, d’autres à la onzième. Il peut arriver que celui qui s’est converti de bonne heure ait été téméraire, et que celui qui s’est converti tard ait temporisé avec la grâce ; et s’il en est ainsi, il y a un péché (plus ou moins grand) dans la conduite, quoique le résultat témoigne de la bénédiction divine. Mais dans aucun des deux cas, la faute n’a été assez considérable pour provoquer le retrait de cette grâce divine ; grâce, permettez-moi de vous le rappeler, qui apporte avec elle, parmi d’autres priviléges, celui d’obtenir le pardon de tout péché commis dans la voie même que Dieu avait marquée. Soyons donc toujours plus disposés, en jugeant les conversions individuelles, à applaudir au bienfait reçu qu’à critiquer les fautes que l’on peut avoir commises au moment où Dieu accordait ce bienfait.

Les mêmes considérations qui nous portent à juger charitablement des conversions individuelles nous font également apprécier avec indulgence le grand « Mouvement Religieux » lui-même. Pour tout catholique qui en ignore l’origine, qui ne sait pas le caractère et les intentions de ses chefs, ce Mouvement doit avoir présenté sans doute un spectacle inexplicable et peu satisfaisant. Il doit être très-difficile de comprendre pourquoi des hommes qui s’avançaient si loin n’allaient pas plus loin encore. Et de là il est arrivé que les mêmes personnes auxquelles les Protestants reprochaient d’être infidèles à leur Église, étaient accusées, au contraire, par les Catholiques de lui être trop servilement attachées. Cette anomalie, toutefois, était parfaitement intelligible pour ceux qui étaient plus rapprochés du théâtre de l’action. Ils comprenaient que le désir de rendre justice à l’Église Catholique s’accordait très-bien, jusqu’à un certain point, avec l’attachement le plus respectueux à la communion qui primâ facie avait droit à la soumission de ses membres comme étant celle qui les avait vus naître, qui les avait élevés et qui avait été pour eux, évidemment, le canal de bien des grâces. Les chefs et les disciples du Mouvement d’Oxford (ou du moins ceux à qui je fais directement allusion) désiraient seulement connaître la volonté de Dieu envers eux ; et ils tâchaient de la connaître par la seule voie légitime, celle du devoir. Le grand problème, dont ils acceptaient par anticipation les conséquences, fut résolu non par eux, mais pour eux ; et lorsque la voix de Dieu parla à leurs cœurs de manière à ne pas s’y méprendre, ils se levèrent et ils obéirent. Qu’ils lui aient obéi lorsqu’ils l’ont fait, c’est une preuve qu’ils étaient prêts à obéir dès le commencement. Les conversions, donc, viennent nous donner le véritable commentaire et l’interprétation du Mouvement. « C’est à leurs fruits que vous les connaîtrez. » Oui, ce n’a pu être que l’œuvre de Dieu qui a donné à son Église des centaines d’enfants fidèles et dévoués comme résultat direct de ce Mouvement, et des milliers comme son résultat indirect. Et cependant il est probable que nous ne cueillerons de nos jours que les premiers fruits de cette grande moisson. Je le répète, les conversions, si nombreuses et si multiformes, si indépendantes dans leur origine et si semblables dans leur résultat ; les conversions impliquant l’assujettissement de tant de puissantes intelligences, la soumission de tant de volontés opiniâtres, le sacrifice de tant de rapports aimés, l’immolation de tant d’attachements terrestres : voilà, mes amis, ce qui explique la crise religieuse d’où elles sont sorties ; comme, aussi, elles sont expliquées, à leur tour, par cette crise elle-même. L’importance du Mouvement nous est une garantie que nous pouvons compter sur ces conversions ; le nombre et la valeur des conversions nous sont des preuves manifestes de la profonde réalité du Mouvement.

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