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Perte et gain : $b histoire d'un converti

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CHAPITRE XI.
Le beau jour.

Quelques mots vont nous conduire à la fin de notre récit. C’était le dimanche matin vers les sept heures ; Charles avait été admis dans la communion de l’Église Catholique depuis une heure environ. Il était encore à genoux dans l’église des Passionnistes, devant le tabernacle, jouissant d’une paix profonde et d’une sérénité d’esprit qu’il n’aurait pas crues possibles sur la terre. C’était plus que le calme qui affecte sensiblement l’oreille, lorsqu’une cloche s’arrête après avoir tinté longtemps, ou lorsqu’un vaisseau, après le ballottement des vagues, se trouve dans le port. C’était une sensation si douce, qu’il se croyait reporté par le souvenir à ses plus tendres années, qu’il lui semblait recommencer l’existence. Mais il y avait plus que le bonheur de l’enfance dans son âme : il lui paraissait sentir un roc sous ses pieds ; c’était soliditas Cathedræ Petri. Il continua à rester à genoux, comme s’il eût été déjà dans le ciel, ayant le trône de Dieu en face, et les anges tout autour de lui ; comme si, en se remuant, il dût perdre cette immense faveur.

A la fin, il sentit une main légère sur son épaule, et une voix lui dit : « Reding, je vais partir ; laissez-moi vous dire adieu auparavant. » Il se retourna, c’était Willis, ou plutôt le père Louis, dans son costume sombre de Passionniste, sur lequel se dessinait un cœur blanc du côté gauche de la poitrine. Willis le conduisit de l’église à la sacristie. « Quelle joie, Reding ! s’écria-t-il quand la porte fut fermée ; quel jour de joie ! La fête de saint Édouard, jour doublement béni désormais. Mon supérieur m’a permis d’assister à la cérémonie ; vous ne m’avez pas vu, mais j’ai été présent à tout. — Oh ! reprit Charles, que dirai-je ?… la face de Dieu ! Comme j’étais à genoux, il me semblait que je ne désirais plus rien que de répéter avec le vieillard Siméon : « Maintenant, laissez-moi mourir, puisque j’ai vu votre face. » — Pour vous, cher Reding, vous sentez dans votre âme toute l’ardeur et tout l’enthousiasme d’un néophyte ; quant à moi, ces sentiments sont déjà émoussés par l’habitude. — Non, Willis, non ; vous avez pris la meilleure part de bonne heure, tandis que j’ai temporisé. Trop tard, je t’ai connue, Vérité ancienne ; trop tard je t’ai trouvée, première et unique Beauté ! — Tout est bien, mon cher ami, excepté ce que le péché rend mauvais. Si vous avez à pleurer la perte du temps avant votre conversion, j’ai à déplorer aussi de l’avoir perdu après la mienne. Vous parlez de délai : ne dois-je pas parler de précipitation ? Un Dieu bon gouverne toutes choses… Mais il faut que je vous quitte. Vous rappelez-vous mes dernières paroles, lorsque nous nous séparâmes dans le Devonshire ? J’y ai souvent pensé depuis cette époque ; elles étaient trop vraies alors. Je vous disais : « Nos voies se divisent. » Aujourd’hui elles restent encore différentes, et cependant désormais elles seront les mêmes. Nous reverrons-nous ici-bas ? qui le sait ? mais encore un peu de temps, et il y aura une réunion éternelle devant le trône de Dieu, à l’ombre de sa Mère bénie et de tous les saints. « Deus manifestè veniet, Deus noster et non silebit. » Charles prit la main du père Louis et la baisa. S’étant jeté à genoux, il reçut la bénédiction du jeune prêtre. Puis le bon père disparut par la porte de la sacristie ; et le nouveau converti rentra dans sa cellule temporaire, si heureux dans le présent qu’il ne songeait ni au passé ni à l’avenir…

FIN.

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