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Perte et gain : $b histoire d'un converti

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CHAPITRE XVII.
Questions pour celui à qui il appartient.

Campbell laissa son compagnon de voyage à mi-chemin de Melford à Boughton. Après avoir remercié son nouvel ami de son obligeance, Charles franchit une barrière sur le côté de la route, et fut tout de suite engagé dans l’ombre d’un taillis, le long duquel se déroulait le sentier. C’était par un beau clair de lune. Au bout de quelques instants, il se trouva en vue d’une grande croix de bois. En des jours meilleurs, cette croix avait été un emblème religieux, mais elle avait servi, dans les derniers temps, à marquer la limite entre deux paroisses contiguës. La lune l’éclairant en face, le symbole sacré se dessinait majestueusement sur le ciel pâle, qui se reflétait dans une nappe d’eau, vénérée encore dans le voisinage pour sa vertu miraculeuse. Charles, à sa grande surprise, vit distinctement un homme à genoux sur un petit monticule d’où s’élançait la croix ; il entendit même des coups. Armé d’une discipline, cet homme frappait ses épaules nues, en récitant des paroles qui parurent à Reding être une prière. Notre jeune ami s’arrêta, ne voulant pas l’interrompre, embarrassé toutefois pour passer outre ; mais l’étranger avait entendu le bruit de sa marche, et en quelques secondes il disparut. Charles fut frappé d’une émotion soudaine qu’il ne put maîtriser. « O temps béni, s’écria-t-il, alors que la foi était une ! O heureux pénitent, admirable chrétien, qui avez une croyance, qui savez comment obtenir votre pardon, et qui pouvez commencer là ou d’autres finissent ! Me voici, moi, avec mes vingt-deux ans, incertain sur tout, parce que je ne sais à quoi donner ma confiance. » Il se rapprocha de la croix, ôta son chapeau, mit un genou en terre, baisa le bois sacré, et il pria un instant afin que quelles que fussent les conséquences, quelle que fût l’épreuve, quel que fût le sacrifice, il obtînt la grâce d’aller partout où Dieu l’appellerait. Puis il se leva et s’approcha de la source froide ; il prit un peu d’eau dans le creux de sa main et la but. Il se sentit disposé à prier le saint, protecteur de cette fontaine (saint Thomas martyr, croyait-il), d’intercéder pour lui et de l’aider dans la recherche de la vraie foi, mais quelque chose lui murmura à l’oreille : « C’est mal » ; et il réprima ce désir. Remettant donc son chapeau, il passa outre, et il continua son chemin d’un pas rapide.

Sa mère et ses sœurs s’étaient retirées pour dormir, et il monta sans délai à sa chambre. En passant dans son cabinet, il trouva sur sa table, sans timbre de poste, une lettre qu’on lui avait apportée pendant son absence. Il en brisa le cachet ; c’était un écrit anonyme qui commençait ainsi :

« Questions pour celui à qui il appartient.

» 1. Qu’entend-on par l’Église une dont parle le Symbole ? »

« C’est trop pour cette nuit, se dit Charles, il est déjà tard. » Il replia la lettre et la jeta sur sa toilette. « C’est sans doute quelque personne bien intentionnée, qui pense me connaître. » Il remonta sa montre, bâilla et mit ses pantoufles. « Qui, dans le voisinage, peut m’adresser cet écrit ? » Il rouvrit la lettre. « Cela vient certainement d’un catholique », continua-t-il. Son esprit se porta sur la personne qu’il avait vue au pied de la croix ; peut-être alla-t-il plus loin. Il s’assit, et lut le papier in extenso.

« Questions pour celui à qui il appartient.

» 1. Qu’entend-on par l’Église une dont parle le Symbole ?

» 2. Est-ce une généralisation ou une réalité ?

» 3. Appartient-elle à l’histoire du passé ou au temps présent ?

» 4. L’Écriture n’en parle-t-elle pas comme d’un royaume ?

» 5. Et comme d’un royaume qui doit durer jusqu’à la fin ?

» 6. Qu’est-ce qu’un royaume ? Et que veut dire l’Écriture lorsqu’elle appelle l’Église un royaume ?

» 7. Est-ce un royaume visible ou invisible ?

» 8. Un royaume peut-il avoir deux gouvernements, surtout agissant dans des directions contraires ?

» 9. L’identité des institutions, des opinions ou de la race est-elle suffisante pour faire de deux nations un seul royaume ?

» 10. La forme de l’Épiscopat, la hiérarchie, ou le Symbole des Apôtres est-il suffisant pour faire une seule Église des Églises de Rome et d’Angleterre ?

» 11. Là où il y a des parties, l’unité ne demande-t-elle pas l’union, et une unité visible ne requiert-elle pas une union visible ?

» 12. Comment peuvent-elles être les mêmes, deux Religions qui ont un culte tout à fait différent et des idées différentes sur le culte ?

» 13. Deux religions peuvent-elles n’en former qu’une, lorsque ce que l’une regarde comme l’acte le plus sacré et le plus caractéristique de son culte est appelé par l’autre un mensonge blasphématoire et une tromperie dangereuse ?

» 14. L’Église une du Christ n’a-t-elle pas la foi une ?

» 15. Une Église qui n’a pas la foi une peut-elle appartenir au Christ ?

» 16. Qu’est-ce qu’une Église qui se contredit dans ses formulaires ?

» 17. Et dans différents siècles ?

» 18. Et dans ses formulaires comparés avec ses théologiens ?

» 19. Et dans ses théologiens et dans ses membres comparés les uns aux autres ?

» 20. Quelle est la foi de l’Église d’Angleterre ?

» 21. Combien de conciles admet l’Église d’Angleterre ?

» 22. L’Église d’Angleterre considère-t-elle les Églises actuelles des Nestoriens et des Jacobites comme étant sous l’anathème, ou comme formant une partie de l’Église visible ?

» 23. Est-il nécessaire ou possible de croire quelqu’un, sinon un véritable envoyé de Dieu ?

» 24. L’Église d’Angleterre est-elle un envoyé de Dieu ? Revendique-t-elle ce titre ?

» 25. Nous enseigne-t-elle la vérité, ou nous ordonne-t-elle de la chercher ?

» 26. Si elle laisse à nous-mêmes de rechercher la vérité, les membres de l’Église d’Angleterre la cherchent-ils avec cette ardeur que l’Écriture nous prescrit ?

» 27. Est-elle en état de sécurité une personne qui vit sans foi, quoiqu’elle paraisse avoir l’espérance et la charité ? »

Charles était accablé de sommeil avant d’arriver à la vingt-septième question. « Cela ne suffit pas, se dit-il ; je perds seulement mon temps. Ces questions paraissent bien posées ; mais elles doivent rester là. » Il déposa le papier, dit ses prières, et fut bien vite endormi.

Le lendemain, en s’éveillant, le sujet de la lettre se présenta à son esprit, et pendant quelque temps il se prit à y réfléchir. Certainement, dit-il, je désire beaucoup être fixé soit dans l’Église d’Angleterre, soit partout ailleurs. Je voudrais savoir ce que c’est que le Christianisme ; je suis prêt à ne reculer devant aucune difficulté pour le chercher ; si je le trouvais, je l’accepterais avec empressement et reconnaissance. Mais c’est une œuvre de temps ; tous les arguments écrits du monde sont insuffisants pour donner à quelqu’un une vue claire des choses en un quart d’heure. Il doit y avoir une marche à suivre ; on peut l’abréger, comme la médecine abrége la marche de la nature, mais on doit en subir la nécessité. Je me rappelle comment tous mes doutes religieux et mes théories s’évanouirent à la mort de mon pauvre père. Ils ne faisaient pas partie de moi, et ils ne purent supporter l’orage. La conviction est la vue de l’esprit et non une conclusion déduite de prémisses ; c’est Dieu qui la travaille, et ses opérations sont lentes. Au moins, en est-il ainsi pour moi. Je ne puis croire tout d’un coup ; si je l’essaye, je prendrai des mots pour des choses, et je suis sûr de m’en repentir. Si j’agis autrement, je marcherai droit, simplement par hasard. Je dois me mouvoir dans la voie qui semble celle de Dieu ; je ne puis que me mettre sur la route ; une puissance plus haute doit m’atteindre et me pousser en avant. Maintenant, j’ai vis-à-vis de moi un devoir direct que mon père m’a laissé à remplir, c’est de faire de bonnes études. C’est là le sentier du devoir. Je n’abandonnerai pas mes recherches, mais je les ferai marcher dans ce sens. Dieu peut bénir mes études, et m’y faire trouver la lumière spirituelle, aussi bien qu’en toute autre chose. Saül cherchait les ânesses de son oncle, et il trouva un royaume. Tout vient en son temps. Quand j’aurai pris mon premier grade, ce sujet me reviendra à propos. » Il soupira. « Mon grade ! ces odieux Articles ! plutôt, quand j’aurai passé mon examen. Mais à quoi bon rester ici. » Et il se leva à la hâte de son lit, tout en faisant sur lui le signe de la croix. Ses yeux rencontrèrent la lettre. « Elle est bien écrite ; mieux que Willis ne pourrait le faire ; non, elle n’est pas de Willis. Il y a quelque chose que je ne puis comprendre par rapport à ce jeune homme. Je voudrais bien savoir comment il s’entend avec sa mère. Je ne pense pas qu’il ait des sœurs. »

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