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CHAPITRE XV.
Les corruptions de l’Église romaine.

Quoique Charles estimât et aimât beaucoup la société de sa mère et de ses sœurs, il n’était pas fâché d’avoir des relations d’hommes ; aussi accepta-t-il avec plaisir une invitation que lui envoya Bateman de venir dîner à Melford. Il désirait également montrer à son ami, ce que ses protestations ne pouvaient faire, combien étaient exagérés jusqu’à l’absurde les bruits qui couraient sur son compte ; et comme Bateman, malgré le manque complet de sens commun, était, au fond, très instruit et très-versé dans les théologiens anglais, Charles pensait qu’il pourrait par occasion recueillir auprès de lui quelques idées dont il ferait son profit. Lorsqu’il arriva à Melford, il y trouva un M. Campbell, qu’on avait invité à son intention. C’était un jeune homme sorti de Cambridge, et actuellement recteur d’une paroisse voisine ; il professait les mêmes sentiments religieux que Bateman, et, bien qu’un peu positif, il se faisait remarquer par l’éclat de son intelligence et la vigueur de son esprit.

Nos deux invités et leur hôte avaient été voir l’église, et naturellement au dîner, la conversation roula sur la renaissance de l’architecture gothique, événement qu’ils accueillaient tous avec une vraie satisfaction. Le sujet aurait été épuisé presque aussitôt que mis sur le tapis, à cause de leur parfait accord sur cette matière, si par bonheur Bateman n’avait déclaré, d’un ton très-affirmatif, que, s’il le pouvait, il n’y aurait pas d’autre architecture que la gothique dans les églises d’Angleterre, ni d’autre musique que le chant grégorien. La thèse était bonne, clairement posée, et elle fournissait carrière à une très-jolie discussion. Reding commença par dire que tous ces accessoires du culte, soit musique, soit architecture, étaient nationaux ; que c’était le mode dans lequel les sentiments religieux se traduisaient dans des temps et dans des lieux particuliers. D’après lui, sans doute, il n’était pas défendu de diriger l’expression extérieure de la religion dans un pays, mais on ne pouvait la rendre obligatoire, et à ses yeux, il était aussi déraisonnable d’imposer au peuple une seule forme de culte, qu’il l’était de le contraindre à s’amuser d’une seule manière. « Les Grecs, continua-t-il, se coupaient les cheveux en signe de deuil, les Romains les laissaient croître ; les Orientaux voilaient leur tête quand ils priaient, les Grecs la découvraient ; les Chrétiens ôtent leur chapeau dans l’église, les Mahométans leurs souliers ; un long voile est une marque de modestie en Europe, d’immodestie en Asie. On peut aussi bien essayer de changer la taille d’un peuple que les formes de son culte. Bateman, laissez-nous vous raccourcir d’un pied, et puis vous commencerez vos réformes ecclésiastiques. — Mais assurément, mon digne ami, répondit l’amphitryon, vous ne voulez pas dire qu’il n’y a pas de connexion naturelle entre un sentiment intérieur et son expression extérieure, de sorte qu’une forme ne soit pas meilleure qu’une autre ? — Non, loin de là ; mais laissez ceux qui restreignent leur musique au chant grégorien élever des crucifix sur les grandes routes. Chaque forme est la représentation d’une localité ou d’une époque particulière. — C’est ce que je dis du frac et de la longue soutane de notre ami, reprit Campbell ; c’est une confusion de temps différents, de l’ancien et du moderne. — Ou d’idées différentes, ajouta Charles ; la soutane est catholique, le frac est protestant. — C’est l’inverse, repartit Bateman ; la soutane est l’habit anglican du vieux Hooker, le frac vient de la France catholique. — En tout cas, c’est ce que M. Reding appelle une confusion d’idées, dit Campbell ; et c’est la difficulté que j’éprouve à unir ensemble le gothique et le grégorien. — Oh ! pardon, répliqua Bateman, c’est une même idée ; elles sont toutes les deux éminemment catholiques. — Vous ne pouvez pas être plus catholique que Rome, je suppose, repartit Campbell ; pourtant il n’y a pas de gothique dans cette ville. — Rome est une ville à part, répondit Bateman. En outre, mon cher ami, si nous nous rappelons seulement que Rome a corrompu la pure doctrine apostolique, pouvons-nous être surpris qu’elle ait corrompu son architecture ? — Pourquoi donc s’adresser à Rome pour le grégorien ? répliqua Campbell ; car ce chant, sans doute, tire son nom de Grégoire Ier, évêque de Rome, que les Protestants regardent comme le premier spécimen de l’Antechrist. — Eh ! que nous importe ce que pensent les Protestants. — Ne nous disputons pas pour des mots, Bateman ; nous pensons l’un et l’autre que Rome a corrompu la foi, qu’elle soit l’Antechrist ou non. C’est ce que vous venez de dire vous-même. — C’est vrai ; mais je fais une petite distinction. L’Église de Rome n’a pas corrompu la foi, mais elle a admis des corruptions dans son sein. — Cela ne suffit pas ; croyez-le, nous ne pouvons avoir une base solide dans la controverse, à moins que dans nos cœurs nous ne pensions mal de l’Église de Rome. — Eh ! que nous importe Rome ? nous descendons de l’ancienne Église Britannique ; nous ne nous occupons pas de Rome, et nous désirons que Rome ne s’occupe pas de nous ; mais cela ne fait pas son affaire. — Eh bien, reprit Campbell, lisez seulement une page de l’histoire de la Réforme, et vous y verrez que l’âme du mouvement était cette doctrine, que le Pape est l’Antechrist. — Pour les ultra-Protestants, et non pour nous, repartit Bateman. — Oui, des ultra-Protestants comme ceux qui ont écrit les Homélies. Mais, je le répète, je ne dispute pas pour des mots. Voici ma pensée : de même que cette doctrine était la vie de la Réforme, de même la croyance, commune à nous deux, qu’il y a quelque chose de mauvais, de corrompu et de dangereux dans l’Église de Rome ; qu’elle renferme un esprit d’Antechrist, vivant en elle, l’animant et la dirigeant ; cette croyance, dis-je, est nécessaire pour être bon Anglican. Il vous faut croire cela, ou vous devez vous réunir à l’Église de Rome. — Impossible ! mon cher ami ; nous avons toujours soutenu que Rome et nous, nous sommes deux Églises sœurs. — Je dis, reprit Campbell, que sans cette forte répulsion, vous ne pouvez écarter les droits nombreux, l’attraction puissante de l’Église de Rome. Elle est notre mère… Oh ! quel mot !… Notre puissante mère ! Elle ouvre ses bras. Quel parfum s’exhale de son sein ! Elle est pleine de grâces. Je le sens, je l’ai senti depuis longtemps. Pourquoi ne me précipité-je pas dans ses bras ? Parce que je sens aussi qu’elle est conduite par un esprit qui n’est pas elle. Mais si cette méfiance que j’éprouve à son égard et si la certitude que j’ai de sa corruption m’étaient démontrées fausses, j’irais demain m’unir à sa communion. » Ceci n’est pas une doctrine édifiante pour Reding, pensa Bateman. « Mon bon Campbell, dit-il, vous êtes paradoxal aujourd’hui. — Pas le moins du monde ; nos Réformateurs ont compris que le seul moyen de rompre le lien de fidélité qui nous unissait à Rome, c’était de l’accuser d’une profonde corruption. Il en est de même pour nos théologiens. S’il est une doctrine sur laquelle ils se trouvent d’accord, c’est que Rome est l’Antechrist ou un Antechrist. Croyez-le bien, cette doctrine est nécessaire pour légitimer notre position. »

— Je ne comprends pas tout à fait ce langage, que je vois aussi employé dans différentes publications, dit Reding. Il fait supposer que la controverse est un jeu, et que les adversaires ne cherchent pas la vérité, mais des arguments. — Il ne faut pas vous méprendre sur mes paroles, monsieur Reding, repartit Campbell ; ma pensée est que vous ne pouvez pas jouer avec votre conviction que Rome est antichrétienne, si telle est votre croyance ; car si c’est ainsi, il faut parler ainsi. Un poëte a dit : « Parlez doucement de la chute de notre sœur. » Non, si c’est une chute, nous ne devons pas en parler doucement. Tout d’abord on s’écrie : « Une si grande, Église ! eh, qui suis-je pour parler contre elle ? » Oui, vous le devez, si c’est vrai. « Dites la vérité, et moquez-vous du diable. » Rappelez-vous que vous n’employez pas vos propres paroles ; vous avez la sanction et l’appui de tous nos théologiens. Vous le devez ; sans cela, vous ne pouvez donner des raisons suffisantes pour rester en dehors de l’Église de Rome. Vous devez proclamer haut, non ce que vous ne pensez pas, mais ce que vous pensez, si réellement vous avez une conviction. » « Voici au moins une doctrine, se dit Charles à lui-même, c’est placer la controverse dans une coque de noix. » Bateman répliqua : « Mon cher Campbell, vous n’êtes pas du progrès. Nous avons renoncé à toutes ces criailleries contre Rome. — Dès lors, le parti n’est pas aussi habile que je le croyais, repartit Campbell. Soyez-en sûr, ceux qui ont renoncé à leurs protestations contre Rome, ont déjà leurs regards tournés vers elle, ou n’ont pas d’yeux pour voir. — Tout ce que nous disons, reprit Bateman, c’est que, comme je l’ai déjà exprimé, nous ne voulons pas nous occuper de Rome. Nous ne disons pas : Anathème à Rome ! mais Rome nous anathématise. — Cela ne suffit point ; ceux qui sont résolus à rester dans notre Église, et qui emploient des paroles douces à l’égard de Rome seront repoussés sur leur propre terrain, en dépit d’eux mêmes, et n’obtiendront pas de remercîments pour leurs peines. « Nul ne peut servir deux maîtres » : unissez-vous à Rome, ou condamnez-la. Quant à moi, j’avoue que l’Église Romaine a d’excellentes choses que je ne puis nier ; mais en pensant de la sorte, et tout en l’admirant dans certains points, je ne saurais vraiment m’empêcher de parler comme je le fais. Cela ne serait ni loyal, ni logique. »

« Il a mieux fini qu’il n’avait commencé », pensa Bateman ; et il parla dans le même sens. « Oh ! oui, c’est vrai, trop vrai ; c’est pénible à voir, mais il y a dans l’Église de Rome bien des choses contre lesquelles doit nécessairement s’élever tout homme raisonnable, tout lecteur des Pères et de l’Écriture, tout membre véritable de l’Église Anglo-Catholique. » Ces paroles couronnèrent la discussion, et le reste du dîner se passa très-agréablement, sinon d’une manière très-spirituelle.

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