Perte et gain : $b histoire d'un converti
CHAPITRE XXI.
L’examen.
Le temps arriva enfin où Charles devait retourner à Oxford. Mais pendant le dernier mois, des scrupules s’étaient élevés dans son esprit : pouvait-il consciencieusement, dans l’état où il se trouvait, se présenter même pour son examen ? On n’avait pas, il est vrai, de signature à donner pour subir cette épreuve, mais il comprenait que les honneurs de la liste de classe n’étaient destinés qu’à ceux qui adhéraient bonâ fide à l’Église d’Angleterre. Il fit part de son embarras à Carlton, qui s’efforça de connaître à fond l’état de son esprit. Or, telles furent les données qui semblèrent résulter pour celui-ci de ses observations : Charles n’avait aucune intention de s’unir, présentement ni plus tard, à l’Église de Rome. Il sentait qu’en ce moment il ne pourrait prendre une pareille décision sans commettre une faute évidente ; s’il le faisait, il agirait simplement contre sa conscience. Dieu l’appelait-il autre part ? il n’en avait pas la certitude. Il comprenait que rien ne pouvait justifier un acte si sérieux, si ce n’est la conviction qu’il lui était impossible de se sauver dans l’Église à laquelle il appartenait ; et cette conviction, il ne l’avait point. Il n’avait pas de preuves suffisantes ni définies contre son Église pour la quitter, ni aucune idée arrêtée en faveur de l’Église de Rome, comme étant la seule Église du Christ. Cependant il ne pouvait s’empêcher de soupçonner qu’un jour il penserait autrement. Il concevait qu’un jour pouvait venir, qu’il viendrait même, où il aurait cette conviction qu’à présent il n’avait pas, et d’après laquelle il agirait naturellement, en quittant l’Église d’Angleterre pour celle de Rome. Il ne pouvait dire clairement pourquoi il anticipait ainsi, sinon parce qu’il y avait dans l’Église de Rome bien des choses qu’il croyait vraies, et d’autre part dans l’Église d’Angleterre bien des choses qu’il croyait fausses ; et puis encore, parce que, plus il avait eu l’occasion d’entendre et de voir, plus il avait eu de motifs d’admirer et de vénérer le système de Rome, et d’être mécontent, au contraire, de celui de son Église. Telles furent les remarques de Carlton à l’égard de son jeune ami. Après avoir sérieusement étudié le cas, il conseilla à Charles de se présenter pour son examen. Il agit ainsi, d’abord, parce qu’il savait les changements qui s’opèrent dans l’esprit de la jeunesse, et la difficulté pour Reding de prédire quel serait l’état de ses idées deux années plus tard. Il prévoyait, en second lieu, qu’un avis contraire eût été le moyen infaillible de tourner en conviction ses doutes actuels sur le peu de solidité de l’Anglicanisme.
L’examen de Charles eut donc lieu en son temps. Les candidats étaient nombreux. Il s’en tira d’une manière honorable, et son succès fut regardé comme assuré. Sheffield vint après lui, et il subit son épreuve avec éclat. On produisit la liste : Sheffield était au premier rang, Charles au second. Dans ces sortes d’épreuves, il y a nécessairement toujours du hasard ; mais dans le cas actuel, on peut expliquer la différence du succès des deux amis. Charles avait perdu quelque temps par suite de la mort de son père et des affaires de famille qui en avaient été la conséquence. Puis son renvoi de l’Université pendant les six derniers mois, renvoi fort peu déshonorant, lui avait fait beaucoup de tort. En outre, quoiqu’il eût étudié avec soin et persévérance, il n’avait pas concouru pour les honneurs avec le même zèle que Sheffield. Ses difficultés religieuses, particulièrement son indécision pour savoir s’il se présenterait, n’avaient pas été sans exercer une grande influence sur son application et son énergie. Comme le succès n’avait pas été le premier désir de son cœur, la non-réussite ne lui causa pas non plus une très-grande peine. Il aurait sans doute préféré le succès ; mais il jugea et sentit bientôt qu’il pouvait très-bien s’en passer.
Ensuite se présenta la question de ses grades, qu’il ne pouvait prendre sans souscrire aux Articles. Il consulta Carlton. Il n’y avait pas nécessité pour l’heure de devenir bachelier ès-arts ; que pourrait-il y gagner ? Il valait mieux différer cette démarche. Il n’avait qu’à partir et à ne pas en parler ; personne n’en saurait rien ; et si, au bout de six mois, comme Carlton le prédisait avec confiance, il se trouvait dans un état d’esprit plus calme, alors il n’avait qu’à revenir et à poursuivre son but.
Qu’allait-il faire de sa personne à présent ? Il n’y avait pas là une grande difficulté, pour l’un comme pour l’autre, d’émettre un avis. On décida qu’il serait mieux pour Charles d’étudier avec un ecclésiastique dans l’intérieur du pays. De cette manière, il pourrait à la fois se préparer aux ordres et s’éclairer sur les points qui le troublaient. Il aurait par là, en outre, l’occasion de remplir quelques devoirs du ministère, ce qui aurait pour résultat de tranquilliser et de calmer son âme. Quant aux livres qu’il devait étudier, naturellement le choix en appartiendrait à l’ecclésiastique qui serait chargé de sa direction, mais, quant à lui, ajoutait Carlton, il ne lui recommandait pas les ouvrages ordinaires de controverse avec Rome, ces ouvrages pour lesquels l’Église Anglicane est si célèbre. Il lui conseillait plutôt ceux qui étaient d’un caractère positif, qui traitaient les sujets au point de vue de la philosophie, de l’histoire ou de la doctrine, et qui développaient les principes particuliers à cette Église ; ainsi, par exemple : le grand ouvrage de Hooker, ou la Defensio et l’Harmonia de Bull, ou les Vindiciæ de Pearson, ou le magnifique travail de Jackson sur le Symbole. A ces auteurs, il pourrait ajouter Laud sur la Tradition, quoique ce dernier eût adopté la forme de controverse. Il pourrait encore lire avec fruit les Antiquités de Bingham, Waterland sur l’usage de l’Antiquité, Wall sur le Baptême des enfants, et Palmer sur la Liturgie. Il ne devait pas non plus négliger les auteurs pratiques et traitant de la dévotion, tels que les évêques Taylor, Wilson et Horne. Mais le point le plus important restait à résoudre : où devait-il se fixer ? connaissait-il dans le pays un ecclésiastique qui voulût le recevoir dans sa maison comme ami et élève ? Charles pensa à Campbell, avec qui il était dans les meilleurs rapports. Carlton approuva ; il connaissait assez de réputation ce ministre pour être certain que Charles ne pouvait se placer en des mains plus sûres.
Reding, en conséquence, fit la proposition au recteur de Sutton, et elle fut acceptée. Dès lors il ne lui restait plus qu’à payer quelques comptes, à emballer des livres laissés chez un ami, et à dire adieu, au moins pour un temps, aux cloîtres et aux délicieux ombrages de l’Université. Il partit au mois de juin, à cette époque où toute la nature étale cette beauté fraîche et suave dont les charmes avaient ravi son cœur au commencement de son séjour à Oxford, trois années auparavant.