Perte et gain : $b histoire d'un converti
CHAPITRE II.
Les partis religieux.
Quelques instants après, ils étaient tous à table dans un petit salon qui était la pièce omnibus du cottage. Nos deux étudiants n’avaient pas toute la maison à leur service, quoiqu’elle ne fût pas bien grande ; elle servait aussi d’habitation à un jardinier, qui portait ses légumes au marché d’Oxford et dont la femme faisait, comme on dit, le ménage de ses locataires.
Le dîner était en rapport avec l’appartement, l’appartement avec le dîner. La table de travail avait été débarrassée à la hâte pour mettre la nappe, qui n’était pas d’une blancheur irréprochable ; et sur une seconde table, la seule qui restât, s’étalait un grand luxe d’assiettes, de couteaux et de fourchettes au milieu de livres de toute espèce, in-octavo et in-douze, reliés et brochés, qui se dressaient, rangés en piles, ou étaient jetés çà et là en désordre. Les autres ornements dudit meuble étaient un encrier, quelques mains de papier grand format, un chapeau de paille, une montre d’or, une brosse à habits, quelques bouteilles de gingerbeer, une paire de gants, un porte-cigares, une cravate, un chausse-pied, une petite ardoise, un grand couteau à fermoir, un marteau et un joli pupitre marqueté.
« J’aime ces courses dans la campagne, dit Vincent dès qu’ils furent à table ; la campagne n’a plus d’effet sur moi lorsque je l’habite comme vous faites ; mais je la trouve délicieuse comme excitant. Visitez-la ; ne l’habitez point, si vous voulez en jouir. L’air de la campagne est un stimulant. Les stimulants, monsieur Reding, doivent se prendre avec modération. Vous, vous êtes du parti de la campagne ; moi, je ne suis d’aucun parti. Je vais ici, là, comme l’abeille ; je goûte de chaque objet, je ne m’arrête à aucun. » Sheffield lui fit observer que de cette manière il appartenait plutôt à tous les partis qu’à aucun. « C’est impossible, répliqua Vincent ; je soutiens que c’est entièrement impossible. On ne peut être à la fois de deux partis. Croyez-le bien ; il serait aussi facile de se trouver simultanément en deux endroits. Être uni à deux, c’est n’être uni à aucun. Tenez-le pour certain, mon jeune ami, les principes antagonistes se corrigent les uns les autres. C’est un morceau de philosophie dont vous me saurez gré un jour, quand vous serez plus âgé. — J’ai entendu rapporter, reprit Sheffield, un fait remarquable qui a lieu en Amérique, et qui confirme évidemment ce que vous dites, monsieur. Aux États-Unis les professeurs sont parfois de deux ou trois religions en même temps, suivant qu’on les considère historiquement, personnellement ou officiellement. De cette manière, peut-être arrivent-ils au juste-milieu. » Vincent provoquait souvent le rire chez les autres, mais il ne comprenait pas lui-même la plaisanterie, et il ne pouvait jamais voir la différence entre l’ironie et le sérieux. Il ne sut donc que répondre. Charles vint à son secours. « Avant le dîner, dit-il, nous nous amusions à développer une question que vous regarderez, je le crains, comme un grand paradoxe. Nous soutenions que les partis sont des choses bonnes, ou plutôt nécessaires. — Vous ne me rendez pas justice, répondit Vincent, si vous croyez que telle est ma pensée. Je partage en deux vos paroles : Les partis ne sont pas choses bonnes, mais choses nécessaires ; ils ressemblent aux limaçons ; je ne leur envie pas leurs étroites coquilles ; je n’essaierai pas de m’y loger. — Vous voulez dire, reprit Carlton, que les partis font notre sale besogne ; ils sont nos bêtes de somme ; nous ne pourrions avancer sans eux, mais nous n’avons pas besoin de nous y identifier ; nous pouvons nous tenir à l’écart. — Cela, dit Sheffield, ressemble à la doctrine de ces dévots qui soutiennent que c’est un péché de se livrer à des occupations terrestres, quoiqu’elles soient nécessaires ; c’est aux méchants à s’y adonner et à travailler pour les élus. — Il y aura toujours assez de gens qui aimeront à s’enrôler sous le drapeau d’un parti sans qu’il soit nécessaire de le leur prescrire, répliqua Vincent ; notre affaire, à nous, c’est de les mettre à profit, de nous en servir, mais en même temps de nous tenir à distance. Je crois que tous les partis renferment du bon, seulement ils vont trop loin. Pour moi, je fais des emprunts à chacun en particulier, je coopère à tous en tant qu’ils sont dans le vrai, mais je ne vais pas au delà. Ainsi je tire le bien de tous, et je fais à tous du bien ; car je les favorise en ce que chacun a de vrai.
— M. Carlton va plus loin que vous, monsieur, reprit Sheffield. Il soutient que l’existence des partis n’est pas seulement nécessaire et utile, mais encore légitime. — M. Carlton n’est pas homme à soutenir des paradoxes, repartit Vincent. Je suppose qu’il ne voudrait pas défendre les opinions extrêmes qui, hélas ! existent chez nous en ce moment, et qui font tous les jours de nouveaux progrès. — Je parlais des partis politiques, reprit Carlton ; mais je suis disposé à étendre ma proposition aux partis religieux également. — Mais, mon brave Carlton, répliqua Vincent, l’Écriture condamne les partis religieux. — Certainement, je ne veux pas m’opposer à l’Écriture, répondit Carlton, et je parle sauf correction du livre sacré ; mais je soutiens que, lorsque, n’importe où, une Église ne décide pas certains points religieux, jusque là elle en laisse la décision aux individus ; et puisque vous ne pouvez espérer que tout le monde soit du même sentiment, vous devez vous attendre à des différences d’opinions. Or, l’expression de ces différentes opinions par les différentes personnes qui les soutiennent est ce qu’on appelle un parti. — M. Carlton s’est montré supérieur, monsieur, sur la thèse générale, avant le dîner, dit Sheffield ; et maintenait il tire la conséquence que toutes les fois qu’il y a des partis dans une Église, cette Église ne doit s’en prendre qu’à elle-même. Ils sont le résultat logique du jugement privé ; et plus vous avez de personnes qui usent du jugement privé, plus vous avez de partis. Vous êtes donc réduit à cette alternative : Pas de tolérance, ou pas de partis ; et il vous faut admettre les partis, à moins de refuser la tolérance. — Sheffield exprime mes idées d’une manière plus forte que je ne le ferais, reprit Carlton ; mais j’admets assez ce qu’il dit. Prenez, par exemple, l’Église de Rome ; elle a décidé bien des points de théologie ; mais il y en a plusieurs qu’elle n’a pas résolus. Or, sur toutes les questions où il n’y a pas de décision ecclésiastique, il y a tout de suite un parti chez les Catholiques Romains ; la décision est-elle enfin portée, dès ce moment le parti cesse. De là la célèbre dispute des Dominicains et des Franciscains sur l’Immaculée Conception ; les deux ordres ont continué à controverser parce que l’autorité n’avait pas donné de décision dès le principe du débat ; d’autre part, au contraire, lorsque les Jésuites et les Jansénistes se disputaient sur la grâce, le Pape décida en faveur des premiers, et la controverse finit sur-le-champ. — Sans doute, répondit Vincent, mon bon et digne ami le révérend Charles Curlion, fellow de Leicester, et jadis lauréat au concours du prix Irlande, ne préfère pas l’Église de Rome à l’Église d’Angleterre ? » Carlton se mit à rire : « Vous ne me suspectez pas sur ce point, je pense, répondit-il. Tout ce que je dis, c’est que notre Église, d’après sa constitution, admet, approuve le jugement privé ; et que le jugement privé, tel qu’on l’applique, renferme nécessairement des partis. Dans l’Église de Rome, vous trouvez un mince jugement privé qui admet des partis occasionnels ou locaux ; mais le vaste jugement privé, qui est en usage chez nous, reconnaît les partis comme un élément même de l’Église. — Bien, bien, mon cher Carlton… » répliqua Vincent en fronçant le sourcil et en prenant un air d’importance, quoiqu’il n’eût rien de particulier à répondre. « Vous voulez dire, reprit Sheffield, si je vous comprends, que c’est un acte de sotte hypocrisie de secouer la tête et de faire de grands yeux à monsieur tel ou tel, parce qu’il est chef d’un parti religieux, tandis que nous rendons au Ciel des actions de grâces pour le bienfait de notre Église pure et réformée. La pureté, en effet, la réforme, l’apostolicité, la tolérance, toutes ces gloires, tous ces orgueils de l’Église d’Angleterre font de l’action des partis et de l’esprit de parti un second bienfait qui devrait également exciter notre reconnaissance. Les partis forment un de nos plus beaux ornements, monsieur Vincent. — Une opinion ou un argument ne perd rien entre vos mains, monsieur Sheffield, reprit Carlton ; mais ma pensée était simplement que les chefs de parti ne déshonorent pas l’Église, à moins que lord John Russell ou sir Robert Peel n’occupent un poste déshonorant dans l’État. — Mon jeune ami », dit Vincent, en achevant son mouton et en repoussant son assiette, « mes deux jeunes amis (vu que Carlton n’est guère plus âgé que Sheffield), puissiez-vous acquérir un peu plus de jugement. Lorsque vous aurez atteint mon âge (c’est-à-dire deux ou trois ans de plus que Carlton), vous apprendrez à mettre de la sobriété en toutes choses. Monsieur Reding, encore un verre de vin. Voyez cette pauvre enfant, comme elle chancelle sous son pouding de groseilles ! allez à son secours, monsieur Sheffield. La vieille femme fait mieux la cuisine que je ne m’y attendais. Comment votre viande de boucherie vous arrive-t-elle ici, Carlton ? J’avais envie de vous apporter un beau brochet que j’ai vu dans notre cuisine, mais je croyais que vous n’aviez pas les moyens de le faire cuire. »
Le dîner fini, la société se leva de table. On alla se promener dans la prairie. Un autre sujet fut entamé. « Willis de Saint-George n’était-il pas de vos amis, monsieur Reding ? » demanda Vincent. Charles tressaillit : « Je l’ai connu un peu… je l’ai vu plusieurs fois. — Vous savez qu’il nous a quittés, continua Vincent, et qu’il s’est uni à l’Église de Rome. On assure maintenant qu’il nous revient. — Triste histoire en tout cas, reprit Charles ; oui, très-triste, si ceci est vrai. — Vous voulez dire, repartit Vincent, en le reprenant comme s’il eût commis une erreur de paroles, vous voulez dire plutôt : dénoûment heureux ; la seule chose qui lui restât à faire. Vous savez qu’il a été sur le continent. Tous ceux qui ont du penchant à se faire papistes devraient faire ce voyage : Carlton, nous vous y enverrons bientôt. D’ici, les choses paraissent sous un jour favorable ; là, l’Église de Rome se voit sous son vrai jour. J’ai fait moi-même ce voyage, et je sais ce qu’il en est. Quel tas de mendiants dans les rues de Rome et de Naples ! Quelle saleté ! quelle misère ! Nulle propreté ; absence complète de comfort ; et puis, quelle superstition ! quel abus de la véritable gravité évangélique ! Ils se poussent, ils se battent pendant la messe ; ils bredouillent leurs prières avec la vitesse du railway ; ils adorent la Vierge comme une déesse ; et ils voient des miracles à tous les coins de rue. Leurs images sont épouvantables, et leur ignorance prodigieuse. Eh bien, Willis a vu toutes ces choses, et je tiens d’autorité sûre, dit-il mystérieusement, qu’il est entièrement dégoûté de toute cette boutique et qu’il revient à nous. — Est-il en ce moment en Angleterre ? demanda Charles. — On dit qu’il est dans le Devonshire auprès de sa mère, qui, vous le savez peut-être, est veuve, et à laquelle il a causé bien du chagrin. Pauvre sot, qui ne voulait pas suivre l’avis de têtes plus mûres que la sienne ! Un ami me l’envoya un jour ; mais je ne pus rien en obtenir. Je ne pouvais saisir ses arguments, ni lui les miens. L’entrevue n’eut aucun résultat. Il a voulu absolument tenter l’épreuve, et il en est puni. »
Il y eut un moment de silence ; puis Vincent ajouta : « Je suppose que Carlton pense que de telles perversions sont aussi nécessaires que les partis dans l’Église protestante pure ? — Je ne puis dire, Carlton, que vos paroles me satisfassent, reprit Charles, et je suis heureux d’avoir la sanction de M. Vincent. Si les partis politiques rendaient les hommes rebelles, tout parti politique serait dès lors inexcusable ; ainsi en est-il d’un parti religieux, s’il mène à l’apostasie. — Les Whigs, vous le savez, repartit Sheffield, furent accusés, dans la dernière guerre, d’être pour Bonaparte ; les accidents de ce genre ne peuvent atteindre les règles générales ni les coutumes établies. — Eh bien, malgré cela, reprit Charles, je ne puis croire que les motifs qui justifient les partis politiques excusent les partis religieux. A mon avis, se faire chef d’un parti religieux, c’est quelque chose de méprisable. — Loyola et saint Dominique étaient-ils méprisables ? demanda Sheffield. — Ils avaient, eux, la sanction de leurs supérieurs, répondit Charles. — Reding, vous êtes certainement sévère pour les partis, dit Carlton ; un homme, individuellement, peut écrire, prêcher et publier ce qu’il croit être la vérité sans commettre de faute ; pourquoi donc commence-t-il à avoir tort lorsqu’il fait cela avec d’autres ? — Les manœuvres d’un parti, répondit Charles, déshonorent la vérité. — Ne vous rappelez-vous plus l’histoire ? reprit Carlton ; n’y voyons-nous pas Athanase en lutte contre le monde entier, et le monde entier luttant contre Athanase ? — Alors, répliqua Charles, je dirai seulement qu’un homme de parti doit se tenir bien au-dessus ou bien au-dessous du vulgaire. — Ici encore, je ne saurais partager votre idée ; vous supposez qu’un chef de parti a la conscience de ce qu’il fait, et qu’ayant cette conscience il peut être, selon vos paroles, bien au-dessus ou bien au-dessous du vulgaire ; mais quel besoin a-t-il de se dire à lui-même qu’il forme un parti ? — Voilà qui est plus difficile à concevoir, s’écria Vincent, que toute autre opinion qui ait été avancée cette après-midi. — Il n’y a pas de difficulté, répondit Carlton. Prétendriez-vous qu’il n’y eût qu’un seul moyen d’obtenir de l’influence ? Évidemment, il y a une influence qui n’a pas conscience d’elle-même. — Je croirais aussi volontiers, repartit Vincent, que la beauté ignore ses charmes. — C’est là une pensée mesquine. Un homme est assis dans sa chambre et il écrit ; ne peut-il pas ignorer ce qu’on pense de lui ? — Je croirais ceci encore moins, appuya Vincent ; la beauté est un fait ; l’influence est un effet. Les effets supposent des agents ; une action suppose une volonté, une conscience. — Il y a différents modes d’influence, fit observer Sheffield ; l’influence est souvent spontanée et presque fatale. — Comme la lumière sur la face de Moïse, ajouta Carlton. — On dit que Bonaparte avait un sourire irrésistible, reprit Sheffield. — Qu’est-ce que la beauté elle-même, sinon une influence spontanée ? continua Carlton ; ne vous rappelez-vous pas « la jeune et aimable Lavinia » de Thompson ? — Eh bien, messieurs, s’écria Vincent, lorsque je serai chancelier, je donnerai un prix pour un essai sur « l’Influence morale, ses espèces et ses causes », et c’est à M. Sheffield qu’il sera décerné ; quant à Carlton, il sera mon professeur de poésie lorsque je serai la Convocation. »
Vous allez dire, cher lecteur, que nos amis firent une bien courte promenade sur la colline, si nous vous annonçons qu’ils rentraient déjà, en baissant la tête, sous la petite porte du cottage. Mais la littera scripta, dans sa précision, abrége merveilleusement la vagabonde vox emissa, et il y eut peut-être d’autres choses dites dans la conversation, dont l’histoire n’a pas daigné fixer le souvenir. En tout cas, nous sommes obligé d’introduire de nouveau nos amis dans la salle où ils avaient pris leur repas, et où ils trouvèrent le thé tout préparé et la bouilloire déjà sur la table. Le pain et le beurre étaient excellents, et ils en firent justice comme s’ils ne venaient pas de dîner. « Je vois que vous conservez votre thé dans des boîtes d’étain, dit Vincent ; je préfère le cristal. N’épargnez pas le thé, monsieur Reding : généralement les hommes d’Oxford n’ont pas de reproche à se faire sur ce point. Lord Bacon dit que le premier et le meilleur jus du raisin, de même que le premier, le plus pur et le meilleur commentaire sur l’Écriture, n’est pas pressé ni extrait par force, mais qu’il provient d’une exsudation naturelle. C’est ce qui a lieu en Italie de nos jours ; et l’on appelle ce jus lagrima ; ainsi en est-il du thé et du café. Prenez-en une grande quantité, versez-y de l’eau, retirez la liqueur ; retirez-la tout de suite, ne la laissez pas se reposer, elle devient un poison. Je suis grand amateur de thé ; le poëte l’a dit avec raison : « Il réjouit, mais il n’enivre pas. » Il a parfois un singulier effet sur mes nerfs ; il me fait siffler ; c’est ce que l’on m’assure ; mais je ne m’en suis jamais aperçu. Parfois aussi il a un effet dyspeptique. Je trouve qu’il ne faut pas le prendre trop chaud. Nous autres Anglais, nous buvons nos liqueurs trop chaudes. Ce n’est pas le défaut des Français ; non, certes. En France, dans l’intérieur du pays, on ne peut avoir pour son déjeuner que du vin acide et des raisins ; c’est un autre extrême, et il m’a jadis terriblement éprouvé. Cependant les acides ont également sur certaines personnes un effet agréable et sédatif, la limonade surtout. Mais rien ne me va aussi bien que le thé. Carlton, continua-t-il mystérieusement, connaissez-vous le remède préventif de feu le docteur Baillie contre la flatulence que produit le thé ? Et vous, monsieur Sheffield ? » Tous les deux répondirent négativement. — Des fleurs de camomille : un peu de camomille, pas beaucoup. Quelques personnes mâchent de la rhubarbe, mais un peu de camomille dans le thé n’est pas perceptible. Ne faites pas la grimace, monsieur Sheffield ; je dis un peu ; un peu de chaque chose, et c’est parfait : ne quid nimis. Évitez les extrêmes. Ainsi en doit-il être du sucre. Monsieur Reding, vous en mettez trop dans votre thé. J’établis cette règle : le sucre ne devrait pas être un élément substantif dans le thé, mais un adjectif ; le thé a une âpreté naturelle : le sucre n’a pour but que de la faire disparaître ; son emploi est négatif. Quand il y entre au delà, c’est trop. Eh bien, Carlton, il est temps que je voie après mon cheval. Je crains que pour lui cette après-midi n’ait pas été aussi agréable que pour moi. Je me suis fort amusé dans votre villa suburbaine. Quelle délicieuse lune ! mais j’ai un bout de chemin assez dur à parcourir. Je n’ose pas galoper sur les ornières à cause des carrières de sable qui sont près de la route. Monsieur Sheffield, faites-moi le plaisir de me montrer le chemin de l’écurie. Au revoir, Carlton ; bonsoir, monsieur Reding. »
Lorsqu’ils furent seuls, Charles demanda à Carlton, s’il croyait réellement que les chefs actuels du Mouvement d’Oxford fussent exempts de l’esprit de parti. « Il ne faut pas vous méprendre sur mon opinion, répondit le tuteur ; je ne connais pas très-bien ces messieurs, mais je sais que ce sont des hommes d’un grand mérite et d’un caractère élevé ; et je veux les juger avec toute la faveur possible. Ils sont attaqués déloyalement, c’est un fait. Ainsi, ils sont accusés de vouloir faire de la parade, de viser à l’influence et au pouvoir, d’aimer l’agitation, et que sais-je ? Je ne puis nier que certains de leurs actes n’aient une apparence fâcheuse et ne donnent un caractère plausible à ces reproches. Je voudrais qu’en certaines occasions ils eussent agi autrement. Je pense, toutefois, qu’il est de toute justice de se dire que l’existence des partis n’est pas leur faute. Ils ne font que revendiquer leurs droits de naissance comme Protestants. Lorsque l’Église ne parle pas, d’autres veulent parler à sa place ; et les hommes instruits ont plus que personne le droit de le faire. De même, lorsque des hommes instruits prennent la parole, d’autres veulent les entendre ; et c’est ainsi que la formation d’un parti est plutôt le fait de ceux qui suivent, que de ceux qui sont à la tête. »