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Perte et gain : $b histoire d'un converti

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CHAPITRE XIV.
Les nouvelles réformes.

Un matin on vint annoncer à Charles qu’une personne, qu’on avait fait entrer dans la salle à manger, le demandait. En ouvrant la porte, il se trouva en face du long et maigre Bateman, qui, promu aux ordres, venait d’être nommé ministre d’une paroisse voisine. Charles ne l’avait pas vu depuis dix-huit mois, et il lui serra la main avec beaucoup d’affection, en le félicitant sur sa cravate blanche qui, comme il le lui dit, le transformait plus qu’il ne s’y serait attendu. Évidemment les manières de Bateman étaient changées ; cela pouvait être le fait de la circonstance, mais il ne paraissait pas à son aise ; peut-être était-ce le résultat de sa présence dans une maison étrangère et de la préoccupation de ce qu’il allait vraisemblablement être présenté à des dames qu’il n’avait jamais vues. L’épreuve devait bientôt commencer pour le jeune ministre ; car Charles l’invita au même moment à venir voir sa mère et à dîner ensuite avec eux. « Le ciel est pur, ajouta-t-il, et il y a un excellent sentier entre Boughton et Melford. » Bateman répondit qu’il ne pouvait accepter la dernière invitation, mais qu’il serait heureux d’être présenté à madame Reding. Il suivit donc Charles dans le salon, et peu d’instants après il était en conversation avec la mère et ses filles.

« Quel charmant coup d’œil on a de la maison, madame ! dit Bateman. Du dehors on ne croirait pas à une vue si spacieuse. — Non, elle est cachée par les arbres, répondit madame Reding. Le flanc de la colline change si fort sa direction que, dans le principe, je croyais que le point de vue devait être des fenêtres opposées. — Quelle est cette haute colline ? demanda Bateman. — C’est Hart-Hill, répondit Charles ; il y a un camp romain sur le sommet. — Nous pouvons apercevoir huit clochers de nos fenêtres, reprit madame Reding. Sonnez pour le lunch, ma chère. — Ah ! madame Reding, repartit Bateman, nos ancêtres songeaient plus que nous à bâtir des églises, ou pour mieux dire, plus que nous ne l’avons fait ; car, en ce moment, on exécute des travaux prodigieux pour ajouter à nos constructions ecclésiastiques. — Nos ancêtres ont également fait beaucoup, reprit madame Reding. Ma chère, combien d’églises furent bâties dans Londres, sous la reine Anne ? Saint-Martin en était une. — Cinquante, répondit Élisa. — Cinquante étaient projetées, reprit Charles. — Oui, madame, dit Bateman ; mais par ancêtres j’entends les saints évêques et autres membres de notre Église Catholique, antérieurement à la Réforme. Car, quoique la Réforme ait été un grand bienfait (et il jeta un coup d’œil vers Charles), cependant, nous ne pouvons, sans injustice, oublier ce qui a été accompli avant cette époque par les Catholiques Anglais. — Ah ! les pauvres gens, reprit madame Reding, ils ont fait une bonne chose, en bâtissant des églises ; cela nous a épargné beaucoup de peine. — Restaure-t-on beaucoup d’églises dans ce pays ? demanda Bateman, un peu déconcerté. — Ma mère ne fait que d’arriver ici, comme vous, répondit Charles ; oui, on en restaure quelques-unes ; l’église de Barton que vous connaissez, ajouta-t-il en s’adressant à Marie. — Avez-vous poussé vos promenades jusqu’à Barton ? demanda celle-ci à Bateman. — Pas encore, miss Reding, pas encore ; sans doute, on enlève les bancs. — On en fait des siéges, dit Charles, et même d’un très-joli modèle. — Les bancs sont détestables, reprit Bateman ; toutefois, la dernière génération des titulaires les supportait sans se plaindre ; c’est étonnant ! »

Un silence très-naturel succéda à ces paroles. Charles le rompit en demandant au jeune ministre s’il se proposait de faire quelques améliorations à Melford. Bateman prit un air modeste. « Rien d’important, dit-il, quelques petites choses ont été déjà faites. Malheureusement, j’ai un recteur de la vieille école, un pauvre homme, qui est l’ennemi de toute espèce de nouveauté. » Ce fut avec un sentiment de malice, par suite de son attaque contre le clergé du dernier siècle, que Charles engagea son ami à faire un exposé de ses réformes. Eh bien, continua Bateman, il faut beaucoup de prudence dans ces matières, sans cela on fait autant de mal que de bien : on marche dans l’eau chaude avec tout le monde, les marguilliers, le comité paroissial, les vieux recteurs, la gentry de l’endroit, et l’on ne satisfait personne. C’est pour cette raison, que je n’ai pas encore essayé d’introduire le surplis dans la chaire, excepté aux grandes fêtes, me proposant de familiariser peu à peu mes paroissiens avec ce costume. Cependant, je mets l’écharpe ou l’étole, et j’ai eu soin qu’elle fût de deux pouces plus large qu’à l’ordinaire. Je porte aussi, toujours, la soutane dans ma paroisse. J’espère que vous approuvez la soutane, madame Reding ? — C’est un costume très-froid, monsieur, à mon avis, quand elle est de soie ou d’alépine ; elle habille aussi très-mal, quand elle est portée seule. — Spécialement par derrière, dit Charles, la soutane est tout à fait difforme. — J’ai remédié à cela, reprit Bateman. Vous avez remarqué miss Reding, j’en suis sûr, la soutane courte de l’évêque. Elle ne vient qu’aux genoux, et paraît être une continuation du gilet, le frac étant porté comme toujours. Eh bien, mademoiselle, j’ai adopté le même costume avec ma longue soutane ; je mets mon habit par-dessus. » Marie eut de la peine à s’empêcher de rire ; Charles éclata. « Impossible, Bateman, s’écria-t-il ; vous ne voulez pas dire que vous portez votre habit français à basques par-dessus votre longue soutane qui descend jusqu’aux chevilles ?? — Mais, oui, répondit Bateman d’un ton grave : j’ai par là avisé à la chaleur et à l’apparence extérieure, et je suis sûr que tous mes paroissiens me reconnaissent. Je pense que c’est un grand point, miss Reding. Quand je passe, j’entends les petits enfants se dire : Voilà le ministre ! — Je le crois bien ! reprit Charles. — En vérité, s’écria madame Reding, oubliant sa dignité habituelle, qui jamais entendit choses semblables ? » Bateman la regarda avec surprise et stupeur.

« Vous alliez parler de vos améliorations dans l’église, reprit Marie, voulant détourner l’attention du jeune ministre des paroles de sa mère. — Ah ! c’est vrai, miss Reding, c’est vrai, répondit Bateman. Je vous remercie de me le rappeler ; j’ai fait une digression sur mon costume… J’aurais voulu abattre les galeries et diminuer la hauteur des bancs ; mais je n’ai pu exécuter ce projet. J’ai cependant abaissé de six pieds la chaire à prêcher. Or, en faisant ainsi, d’abord j’ai donné dans ma personne l’exemple de la condescendance et de l’humilité que je voudrais inspirer à mes paroissiens. Mais ce n’est pas tout ; comme conséquence de cet abaissement de la chaire, nul dans les galeries ne peut me voir ni m’entendre prêcher ; et cela est un avantage que j’ai l’air d’accorder aux auditeurs de la nef. — Évidemment, c’est une idée heureuse, dit Charles. — Mais c’est aussi un avertissement pour les auditeurs eux-mêmes de la nef, continua Bateman ; car on ne peut me voir ni m’entendre dans les bancs, jusqu’à ce que les côtés en soient diminués — Une seule chose vous manque encore, ajouta Charles avec un air d’amabilité, de crainte d’aller trop loin ; puisque vous avez une haute taille, il vous faut prêcher à genoux, sans quoi vous détruiriez vos propres perfectionnements. » Bateman parut satisfait. « Je vous ai prévenu, mon ami ; je prêche assis. Il est plus conforme à l’antiquité et à la raison, d’être assis que d’être debout. — Avec ces précautions, je pense que vous pourriez arriver à mettre le surplis tous les dimanches. Vos paroissiens sont-ils contents ? — Oh ! pas du tout, loin de là, mais ils n’ont rien à dire : le changement est si simple ! — Y a-t-il encore autre chose ? — Rien en ce qui regarde l’architecture ; mais j’ai opéré une réforme dans les observances. J’ai été assez heureux pour recueillir un très-bel exemplaire de Jewell en lettres gothiques, et je l’ai placé dans l’église, en l’attachant à la muraille avec une chaîne ; il servira aux personnes pauvres qui voudront le lire. Notre église est proprement « l’église du pauvre », madame Reding. — Eh bien, se dit Charles à part lui, je soutiendrai toujours les vieux ministres contre les jeunes, si telle doit être la réforme de ceux-ci.

Puis il reprit à haute voix : « Allons, Bateman, il faut que vous voyiez notre jardin ; prenez votre chapeau, et faisons un petit tour de promenade. Nous avons au bout du jardin une jolie terrasse. » Après avoir ainsi fait poser Bateman pour l’amusement de sa mère et de ses sœurs, Charles l’emmena, et bientôt ils se trouvèrent sur la terrasse, l’arpentant en long et en large, et livrés à une conversation des plus chaleureuses.

« Reding, mon cher ami, dit le jeune ministre, que signifient les bruits qui courent en tout lieu sur votre compte ? — Je n’en sais rien, répondit Charles brusquement. — Eh bien, voici, reprit Bateman ; mais je désire toucher à ce sujet avec toute la délicatesse possible. Ne me répondez pas, si cela vous plaît ainsi, ou ne me répondez que ce que vous voudrez : veuillez toutefois excuser un vieil ami. On dit que vous allez quitter l’Église de votre baptême pour l’Église de Rome. — Ce bruit est-il bien répandu ? demanda Charles froidement. — Oh ! oui, je l’ai appris à Londres : une lettre d’Oxford m’en faisait également mention, et un de mes amis l’a entendu raconter dans le pays de Galles comme une chose positive, à un dîner qui se donnait à l’occasion de la visite de l’évêque. » — Ainsi, pensa Charles, vous venez à votre tour porter témoignage contre moi. « Eh bien, mon bon Reding, continua Bateman, pourquoi gardez-vous le silence ? Est-ce vrai ? — Quoi donc ? que je suis catholique romain ? Oh ! certainement ; ne comprenez-vous pas que c’est pour cela que je prépare mon examen avec tant d’ardeur ? — Allons, parlez sérieusement, Reding ; voulez-vous m’autoriser à contredire ce bruit, et à le nier jusqu’à un certain point, ou sous tous les rapports ? — Sans doute, contredisez-le de toute manière, contredisez-le entièrement. — Puis-je y donner un démenti absolu, sans réserve, sans condition, catégorique, net ? — Sans doute, sans doute. » Bateman ne pouvait pénétrer la pensée de Charles, et il ne se figurait pas à quel point il le tourmentait. « Je ne sais comment vous déchiffrer », dit-il. Ils se promenèrent en silence.

Bateman reprit de nouveau. « Vous voyez, Charles, que ce serait un si prodigieux aveuglement qu’une telle démarche, un aveuglement tout à fait inexcusable, dans un homme comme vous, qui avez connu ce que c’est que l’Église d’Angleterre ; vous, qui n’êtes ni un dissident, ni un laïque illettré ; mais qui avez vécu à Oxford, qui avez fréquenté tant d’hommes supérieurs, qui avez vu ce que peut être l’Église d’Angleterre, sa beauté grave, son activité réglée et convenable ; vous qui avez vu les églises décorées comme elles devraient l’être avec des chandeliers, des ciboires, des prie-Dieu, des lutrins, des antependium[66], des piscines, des jubés et des sedilia ; vous qui, dans le fait, avez vu le service de l’église parfaitement célébré, et qui ne pouvez rien désirer au delà. Dites-moi, mon cher Reding, continua-t-il en le prenant par sa boutonnière, que vous manque-t-il ? Qu’est-ce ? Dites. » Que vous alliez vous promener, aurait répondu Charles s’il avait parlé d’après sa pensée ; mais il se contenta de dire qu’il ne désirait rien, sinon qu’on le crût quand il affirmait qu’il n’avait pas l’intention de quitter son Église. Bateman restait incrédule et croyait à un secret. « Peut-être ignorez-vous, reprit-il, jusqu’à quel point sont connues les circonstances de votre renvoi. Le vieux Principal était tout préoccupé de cette affaire. — Eh bien ! probablement qu’il en a parlé à tout le monde ? — Oh ! oui, répondit Bateman ; un de mes amis, qui le connaît et qui lui fit visite peu de temps après votre départ, a appris toute l’histoire de sa bouche. Le Principal parla de vous avec beaucoup de bienveillance et dans les termes les plus flatteurs ; mais il ajouta que c’était déplorable de voir combien votre esprit avait été perverti par les opinions du jour, et qu’il n’aurait pas été étonné si vous eussiez fini par être catholique romain, même pendant votre séjour à Saint-Sauveur ; qu’en tout cas, vous le deviendriez certainement tôt ou tard, parce que vous souteniez que les Saints qui règnent avec le Christ intercèdent pour nous dans le ciel. Mais ce qui est plus étrange, c’est que lorsque cette histoire se répandit au dehors, Sheffield assura qu’il n’en était pas surpris, qu’il avait toujours prévu ce résultat. — Je lui en suis très-reconnaissant. — Cependant vous m’autorisez à contredire la nouvelle (ainsi l’ai-je compris), à la contredire péremptoirement ? cela me suffit. C’est un grand soulagement, une grande satisfaction, pour mon esprit. Mais il faut que je vous quitte. — Je ne voudrais pas avoir l’air de vous renvoyer, reprit Charles ; mais, évidemment, vous devez partir, si vous voulez arriver chez vous avant la nuit. J’espère que vous ne sentez pas trop la solitude, ou que vous n’avez pas trop d’occupation dans votre paroisse. Quand vous vous ennuierez, où que vous serez fatigué, venez sans cérémonie dîner avec nous ; nous pouvons même vous offrir un lit, si cela vous convient. »

[66] Devants d’autel.

Bateman le remercia, et ils se dirigèrent vers la porte d’entrée. Au moment de sortir, le jeune ministre s’arrêta : « Je désirerais vous prêter quelques livres, dit-il. Permettez-moi de vous envoyer Bramhall, Thorndike, Barrow sur l’unité de l’Église, et les dialogues de Leslie sur la Religion romaine. Je pourrais vous en nommer d’autres, mais je me contente de ceux-ci pour le présent. Ils traitent parfaitement leur matière ; vous ne pourrez vous empêcher d’être convaincu. Je n’ajoute pas un mot ; adieu, au revoir. »

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