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Perte et gain : $b histoire d'un converti

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CHAPITRE IX.
Un système d’espionnage.

Cependant les vacances s’écoulaient avec une douce et charmante rapidité. Les jours succédaient tranquillement aux jours ; et dans leurs occupations habituelles, nos deux étudiants ajoutaient insensiblement, mais d’une manière certaine, à la somme de leurs connaissances et à leur progrès intellectuel. Avant de les mettre de côté, ils avaient lu une dernière fois historiens et orateurs ; ils avaient approfondi la philosophie, parcouru les commentaires, complété les analyses et les résumés. Tout cela était un travail de solitude. Tandis que d’autres peut-être voguaient de Londres à Bombay, ou à la Havane, et que les mois pouvaient, rétrospectivement, leur paraître comme des années, pour Reding et Sheffield la semaine était à peine commencée qu’elle touchait à sa fin. Lorsque octobre arriva et qu’ils revirent leurs amis d’Oxford, tout d’abord ils crurent qu’ils avaient bien des choses à leur raconter ; mais, dès leur première conversation, ils trouvèrent qu’ils n’avaient à parler que de leurs études et de leurs affaires personnelles ; ils furent donc réduits au silence, malgré leur désir de causerie.

La saison avait changé. Ce changement leur rappela que Horsley convenait à un séjour d’été et non à une habitation permanente. Déjà des brouillards lourds et gris s’attachaient aux flancs de la colline ; les gros vents et les orages étaient venus ; le gazon s’était flétri, et lorsque Charles et son ami restaient dans le cottage, ils avaient remarqué que les portes et les fenêtres ne fermaient pas bien, et que la cheminée fumait. Vinrent ensuite ces fruits qui sont la fête funèbre de l’année, la mûre et la noix ; la noix, insipide et sans jus ; la mûre, noire, juteuse, mais âpre et moisie en même temps, comme si on la cueillait sur la terre humide et non sur l’arbre. Ainsi ce lieu si frais, s’étant dépouillé de ses charmes, semblait les inviter lui-même à le quitter. Reding jeta un coup d’œil autour de lui, et se prépara au départ comme un « conviva satur ». Ces mots : « Edisti satis, tempus abire » lui semblaient écrits sur tous les objets. Les hirondelles étaient parties ; les feuilles étaient pâles ; le soleil effleurait à peine l’horizon. Aux espérances du printemps, à la paix et au calme de l’été avaient succédé les tristes réalités de l’automne. Charles allait se précipiter au milieu d’un monde qui l’avait laissé tranquille sur la montagne ; là, il avait vécu sans querelles, sans distractions, sans désappointements, et, à cette heure, toutes ces misères allaient faire partie de son existence. Hélas ! il n’était qu’un enfant d’Adam ; Horsley avait été seulement un répit ; et il avait encore vivant dans sa mémoire le grand revers qui l’avait frappé deux années auparavant : Quel été enchanteur ! Quel triste automne ! Plein de ces pensées, il ramassa ses livres et ses papiers, et se dirigea vers Saint-Sauveur.

Oxford aussi avait perdu à ses yeux presque tout son prestige. La fraîcheur de son admiration pour cette ville était passée ; maintenant, il voyait des défauts là où d’abord tout lui avait paru bon, excellent ; le merveilleux des choses et des personnes s’était évanoui. Aussi bien, il y avait des changements : parmi ses condisciples, les uns avaient déjà pris leurs grades et étaient partis ; d’autres étudiaient dans l’intérieur du pays ; d’autres habitaient de nouveaux colléges pour y jouir d’un Fellowship. Une foule de figures plus jeunes se faisaient remarquer au réfectoire et à la chapelle, et Charles savait à peine leurs noms. Les chambres où autrefois il venait se récréer familièrement étaient occupées aujourd’hui par des inconnus qui prétendaient avoir sur elles le droit qui, dans sa pensée, ne pouvait appartenir qu’à leurs anciens possesseurs. Le collége lui paraissait déchu ; il y avait une troupe remuante qui n’y était pas auparavant : un certain nombre de petits garçons, une grande quantité de gamins.

Mais la vraie peine de Charles, ce qui devenait de plus en plus évident à son cœur alarmé, c’était de voir que son intimité avec Sheffield était un peu refroidie. Ils avaient bien passé leurs vacances ensemble, ils avaient pu se connaître mieux que jamais ; néanmoins, leur sympathie mutuelle n’était plus aussi forte, ils ne partageaient ni les mêmes goûts ni les mêmes répugnances ; en un mot, leurs esprits n’étaient pas aussi homogènes qu’ils l’avaient cru, alors qu’ils étaient étudiants de première année. Il n’y avait pas autant d’abandon de cœur dans leurs conversations, et ils souffraient plus aisément de se trouver séparés l’un de l’autre. Ils étudiaient tous les deux pour les honneurs, ils étudiaient ardemment ; mais Sheffield était tout entier à son œuvre, et la religion pour lui ne venait que sur le second plan. Il n’avait ni doutes, ni difficultés, ni anxiétés, ni chagrins qui l’affectassent beaucoup. Ce n’était pas la certitude de la foi qui ôtait le soleil de son âme et qui dissipait chez lui les nuages de la faiblesse humaine ; disons mieux, il n’éprouvait pas le besoin de cette contemplation de l’Invisible qui est la vie du chrétien. Sa réputation était pure, sa conduite exemplaire ; mais il se contentait de ce que lui offrait ce monde périssable. Pour Charles, au contraire, son trait caractéristique, peut-être au-dessus de tout, était un sentiment habituel de la présence divine. Ce sentiment, sans doute, ne lui assurait pas une conformité constante de pensées et d’actions : il était cependant la colonne de feu qui marchait devant lui et lui servait de guide. Charles sentait qu’il était la créature de Dieu, qu’il aurait un compte à lui rendre, qu’il lui appartenait sans réserve. Il désirait beaucoup réussir dans son examen ; il ne pouvait y songer sans tressaillement ; mais l’ambition n’était pas sa vie ; quelques minutes lui auraient suffi pour se remettre d’un insuccès. Dans cet état de choses, les seuls objets sur lesquels nos deux amis parlassent librement étaient ceux qui avaient rapport à leurs études. Ils travaillaient ensemble, ils s’examinaient l’un l’autre, ils se prêtaient leurs cahiers et se les corrigeaient réciproquement, ils se résolvaient mutuellement leurs difficultés. Peut-être Sheffield, quoique très-fin, s’aperçut-il à peine qu’il y avait un certain relâchement dans leur intimité. La controverse religieuse, dans sa nouveauté, avait été la nourriture de son intelligence active ; maintenant, elle avait perdu son charme, et les livres l’avaient remplacée. Pour Reding, c’était le contraire ; il avait trouvé de l’intérêt aux questions religieuses pour l’amour d’elles-mêmes, et lorsqu’il se les était interdites, il s’était imposé un vrai sacrifice. Aujourd’hui donc qu’elles venaient de nouveau se présenter forcément à son esprit, il ne pouvait espérer de Sheffield cette assistance d’ami dont il avait un si grand besoin.

Une épreuve plus forte encore lui était réservée. Nous devons dire au lecteur qu’il y avait à cette époque un système d’espionnage poursuivi par différents hommes, bien intentionnés d’ailleurs, qui croyaient rendre un véritable service à l’Université en signalant les jeunes membres qui étaient enclins, comme on disait, au Papisme. Système erroné. Ces messieurs ne s’apercevaient pas qu’une telle marche renfermait le danger de disposer au Catholicisme ces esprits ardents en leur faisant de faux rapports sur la religion romaine, et celui de les forcer à aller plus loin ensuite, en leur montrant l’incompatibilité de leurs opinions avec leur position dans l’Église Anglicane. Des idées qui auraient reposé tranquilles dans leurs têtes, ou se seraient évanouies tôt ou tard, étaient, par là même, fixées, définies, établies en eux ; et la crainte de la censure du monde ne servait plus à les retenir, lorsqu’une fois elle avait été encourue. Quand Charles se rendit à la soirée de Freeborn, c’était à la barre qu’on le traduisait. On l’admit non-seulement pour lui faire la leçon, mais pour le soumettre à un examen inquisitorial ; et n’ayant pas promis d’être un sujet pour l’impression spirituelle, il fut un sujet pour la censure spirituelle. Il devint un homme signalé dans les cercles de Capel-Hall et de Saint-Marc. Ses rapports avec Willis, les questions qu’il avait faites au cours des Articles, quelques remarques isolées dans certaines réunions ; tout avait été recueilli et avait aggravé le cas contre lui. Un jour, en rentrant dans son appartement, il trouva Freeborn, qui était venu lui rendre visite, occupé à fouiller dans ses livres : un volume de sermons de l’école du jour, emprunté à un ami pour éclaircir Aristote, reposait sur sa table, et dans les rayons de sa bibliothèque un des plus philosophiques « Traités pour le temps[64] » était placé entre un Hermann de Metris et un Thucydide. Un autre jour, la porte de sa chambre à coucher était ouverte, et no 2 de la réunion au thé vit une gravure religieuse d’Overbeck appendue à la muraille.

[64] Série de publications dans lesquelles plusieurs des hommes qui ont créé le Mouvement Religieux d’Oxford traitaient des questions de doctrine et de discipline ecclésiastique. Voy. l’Appendice.

Les faits de ce genre étaient souvent rapportés au chef de la maison à laquelle appartenaient les jeunes étudiants pris en flagrant délit. Gardien vigilant de la pureté du Protestantisme de ses sous-gradués, le chef recevait les informations avec reconnaissance ; on dit même qu’il y ajoutait parfois une invitation à dîner. Que, dans quelques cas, cette manière d’agir ait réussi à effrayer et à refroidir ceux qui en étaient l’objet, c’est ce qu’on ne saurait nier ; ce fut ainsi qu’on put faire de White un fils dévoué et un ministre utile de l’Église d’Angleterre ; mais c’était un remède propre à tuer ou à guérir, et il ne pouvait convenir à des intelligences plus nobles et plus élevées. La suite nous apprendra quel effet cette conduite produisit sur Charles. Il nous suffira pour le moment de rapporter les entrevues qu’il eut à ce sujet avec le Principal et le Vice-Principal de son collége.

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