← Retour

Perte et gain : $b histoire d'un converti

16px
100%

CHAPITRE IX.
Le dernier assaut.

Charles se jeta sur sa chaise et enferma le crucifix dans sa poitrine. Il était fatigué de cette longue épreuve et de l’effort par lequel elle s’était soudain terminée. Un bruit se fit entendre à la porte, et les coups se succédèrent nombreux. Il n’y fit pas attention, et se contenta de poser ses pieds sur le garde-feu en cachant son visage dans ses mains. La sommation, tout d’abord, ne venait évidemment que d’un seul individu, mais le retard de Charles à répondre donna à un second le temps d’arriver, et bientôt il y eut une succession rapide de coups alternatifs de deux personnes. Charles les laissait frapper. A la fin, un des deux candidats rivaux à la présentation, plus hardi que l’autre, ouvrit doucement la porte. Le second, qui, après sa chute, avait grimpé en courant au haut de l’escalier, se précipita dans la chambre avant lui, en s’écriant : « Un seul mot pour la Nouvelle Jérusalem[80]. — Par charité, répondit Charles, sans changer d’attitude, par charité, laissez-moi tranquille ! Votre intention est bonne, mais je n’ai pas besoin de vous, monsieur, je n’en ai pas besoin. J’ai eu déjà, ici, l’Ancienne Jérusalem et les Apôtres juifs ; les Apôtres gentils et le libre examen ; une religion de fantaisie et Exeter-Hall. Quel est donc mon crime ? Ne puis-je mourir en paix ? Mon cher monsieur, sortez : je ne puis vous recevoir ; je suis épuisé. » Il se leva alors et s’avança vers le nouvel intrus. « Revenez une autre fois, mon cher monsieur, si vous êtes résolu à me parler ; mais, excusez-moi, j’en ai eu réellement assez pour une journée. Ce n’est pas votre faute, mon cher monsieur, si vous êtes le sixième ou le septième. » Et il lui ouvrit la porte. « Un fou vient de me renverser comme je montais, reprit avec émotion la personne à qui Charles s’était adressé. — Mille pardons pour sa grossièreté, mon cher monsieur, mille pardons, mais permettez-moi… » Et en le saluant, il le poussa hors de la chambre. Il se tourna ensuite vers l’autre étranger, qui se tenait auprès de lui en silence : « Et vous aussi, monsieur…? Est-ce possible ! » Une extrême surprise se peignit sur son visage ; C’était M. Malcolm. Les pensées de Charles prirent un nouveau cours, et ses persécuteurs furent oubliés sur-le-champ.

[80] Ces seuls mots indiquent un partisan du visionnaire Swedenborg.

L’histoire de la visite de M. Malcolm était toute simple. Amateur de bouquins, il avait souvent mis à contribution le fonds du propriétaire de Charles pour augmenter sa bibliothèque. Or, en passant par Londres pour se rendre au chemin de fer des comtés de l’Est, il était entré par hasard dans la boutique ; et, comme le digne libraire était à la hauteur de son cabinet de lecture pour le bavardage, M. Malcolm avait appris de lui que M. Reding, qui était sur le point de quitter l’Établissement, se trouvait, en ce moment, à l’étage supérieur. M. Malcolm avait donc attendu avec impatience la fin de la visite du docteur Kitchens, et peu s’en était fallu même, ce qui l’eût fort contrarié, qu’il ne fût dépassé par le bon Swedenborgien.

« Comment vous portez-vous, Charles ? » dit-il enfin, avec un peu de roideur dans ses manières. Notre jeune ami, de son côté, n’était pas moins embarrassé dans son accueil. « Vous avez eu, ce matin, un petit lever, paraît-il. Je croyais que je n’arriverais jamais à vous voir. Asseyez-vous ; asseyons-nous, et laissez-moi vous dire quelques mots. » Malgré les épreuves diverses que Charles venait de subir de la part d’étrangers, il n’y avait peut-être personne qu’il désirât moins voir que M. Malcolm. Il ne pouvait s’empêcher de l’associer, dans son esprit, avec l’image de son père. Toutefois, il ne se sentait pas disposé à lui ouvrir son cœur ni à tenir compte de ses jugements. Ses sentiments étaient un mélange de crainte par droit de prescription et de disposition amicale en même temps. C’était un attachement né d’anciens souvenirs, et un désir de rester en bons rapports avec cette vieille connaissance de sa famille, mais ce n’était ni confiance, ni amitié réelle. Il rougit comme s’il se fût senti coupable, sans comprendre clairement pourquoi. « Eh bien, Charles Reding, dit M. Malcolm, je pensais que nous nous connaissions assez l’un l’autre pour que j’aie droit à être averti de ce qui vous concerne. » Charles répliqua qu’il lui avait écrit la veille au soir. « Ah ! lorsqu’il n’y avait plus de temps pour répondre à votre lettre. » Charles repartit qu’il voulait épargner à un si bon ami… Il bégaya et ne put finir sa phrase. « Un ami, qui, naturellement, ne pouvait donner de conseils, répliqua sèchement M. Malcolm. Ces messieurs, continua-t-il, étaient-ce quelques-uns de vos nouveaux amis qui vous rendaient visite ? Ils m’ont tenu trois quarts d’heure dans la boutique, et le dernier, qui vient de sortir, a failli me jeter par-dessus la rampe. — Non, monsieur ; je ne les connais pas du tout. C’étaient les plus fâcheux des importuns. — Comme un autre paraît l’être », ajouta M. Malcolm. Charles fut vivement blessé de ces paroles, et d’autant plus qu’il n’avait rien à répondre. « Eh bien, Charles, reprit M. Malcolm sans le regarder, je vous ai connu grand comme ça ; même quand vous étiez à la mamelle. Vous étiez jadis un garçon franc et ouvert, j’ignore ce qui vous a gâté. Ces jésuites, peut-être… Ce n’était pas ainsi du vivant de votre père. — Mon cher monsieur, répondit Charles, vos paroles me fendent le cœur. Vous avez toujours été très-bon pour moi. Si j’ai erré, ç’a été une erreur de jugement, j’en suis désolé, et j’espère que vous me le pardonnerez. J’ai agi pour le mieux ; mais je me suis trouvé, comme il vous le faut comprendre, dans une situation très pénible. Il y a un an que ma mère sait ce que je méditais. — Situation pénible ! Sornette ! Que me parlez-vous de situation ? Je vous aurais raconté mille histoires sur ces Catholiques. J’en sais long sur eux. Une erreur de jugement ! vous vous moquez. Je sais bien comment arrive tout cela. Pareils faits ne me sont pas inconnus ; seulement, je vous croyais un jeune homme plus sensé. Faut-il vous citer le jeune Dalton de Sainte-Croix ? Il va sur le continent et rencontre un prêtre doucereux, qui persuade au pauvre niais que l’Église Catholique est l’ancienne et la véritable Église d’Angleterre, la seule religion digne d’un gentleman. On le présente au comte un tel, à la marquise une telle, et Dalton nous revient catholique. Il y en avait un autre. Comment s’appelait-il ? j’ai oublié son nom. Il appartenait à une famille du Berkshire. Celui-ci est séduit par un joli minois. Désormais rien ne peut le satisfaire s’il n’épouse la jeune personne qui a charmé son cœur. Mais elle est catholique et ne peut se marier à un hérétique. Aussi, ma foi, il renonce et à la faveur de son oncle et à son avenir dans le pays pour sa belle Juliette. Il y avait encore un autre exemple… mais, inutile de les citer tous. Et maintenant, je me demande quel motif vous a poussé vous-même… »

Tout cela était la meilleure justification du silence de Charles envers M. Malcolm. Ce brave homme avait ses trente ou quarante années d’expérience et, comme quelques grands philosophes, il faisait de cette expérience personnelle le critérium suprême du possible et du vrai. « Je les connais, continua-t-il, je les connais : une bande d’hypocrites et d’escrocs ! Je pourrais vous raconter d’étranges histoires que j’ai vues de mes yeux sur le continent. Ces prêtres ne méritent aucune confiance. Avez-vous jamais connu quelque prêtre ? — Non. — Avez-vous jamais vu une chapelle papiste ? — Non. — Connaissez-vous quelque chose des livres catholiques, de la doctrine catholique, de la morale catholique ? Ah ! je vous le garantis, vous ne savez pas grand’chose de tout cela. » Charles paraissait fort mal à son aise. « Eh bien, alors qu’est-ce qui vous pousse vers eux ? » Charles ne savait que dire. « Pauvre sot ! continua M. Malcolm, vous n’avez pas un mot à me donner en votre faveur. Tout ceci est une affaire de pure imagination. Vous allez comme l’oiseau au chasseur. »

Reding commença à se remettre. Il comprit qu’il devait dire enfin quelque chose, sans quoi son silence l’eût condamné. « Mon cher monsieur, répondit-il, il n’est rien qu’on ne puisse tourner contre une personne quand on le veut. Or, voyez. Si j’avais connu un prêtre quelconque, vous vous seriez écrié sur-le-champ : « Ah ! il vous a fasciné. » Si j’avais fréquenté les chapelles catholiques, « j’aurais été séduit par la musique ou l’encens ». Que pouvais-je faire de mieux que de me confier à moi-même, de marcher sous l’étendard de ma raison éclairée, de consulter les amis que je trouvais autour de moi, comme je l’ai fait, et d’attendre avec patience jusqu’à ce que je fusse sûr de mes convictions ? — Ah ! voilà votre manière, à vous, jeunes gens, reprit M. Malcolm : vous vous croyez tous infaillibles. Vous pensez, et c’est à ravir, que des têtes plus âgées ne sont rien à côté de vous. Eh bien, continua-t-il, en mettant ses gants, je vois que je ne suis pas capable de vous persuader. Pauvre et cher petit Charles, j’en suis fâché pour vous. Qu’eût dit votre pauvre père, s’il avait vécu pour être témoin de ceci ? Pauvre Reding ! quel terrible coup lui a été épargné ! Mais peut-être cela n’aurait point eu lieu. Je sais quel en sera le résultat définitif. Vous nous reviendrez ; oui, j’en suis certain et sûr. Nous vous verrons revenir, jeune insensé, après que vous aurez couru à travers champs, la bride sur le cou. Bien, bien ! cela vaut mieux que de vivre sans frein. Il faut que vous ayez votre dada. Ç’aurait pu être pire ; vous auriez pu manger votre fortune. Mais peut-être la donnerez-vous, comme tant d’autres, à quelque prêtre artificieux. C’est cruel, bien cruel : voire éducation perdue, votre avenir ruiné, votre pauvre mère et vos sœurs abandonnées à elles-mêmes… Et vous ne me dites pas un mot. » Il devint rêveur. « Quel monde de tribulations ! Adieu, Charles. Maintenant vous êtes haut et puissant ; vous voguez à pleines voiles : peut-être reviendrez-vous, un jour, avec d’autres sentiments, vers l’ami de votre père. Adieu. » Le cœur de Charles était plein, mais sa tête se trouvait fatiguée et troublée, son esprit abattu : il n’eut donc pas un mot à répondre, de sorte qu’il parut à M. Malcolm stupide ou très-réservé. Il ne put que presser chaleureusement la main que celui-ci lui abandonnait à contre-cœur, et accompagner le brave homme jusqu’à la porte de la rue.

Chargement de la publicité...